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Lhasa, poète et voyante, meurt le premier jour de l'année
J'aime beaucoup les chansons de Lhasa de Sela, cette chanteuse nomade américano-mexicaine. Elle a fait peu de disques, trois CD à peine depuis 1997. Je n'avais pas fait attention au premier, La Llorona (titre repris d'une chanson de Chavela Vargas, autre immense chanteuse mexicaine). Ce n'est que depuis son second, The Living Road (où l'on trouve des chansons en espagnol, en anglais et en français aussi) que j'ai également pris le premier (je ne l'ai toujours pas écouté à l'heure actuelle avec toute l'attention qu'il mériterait). Le deuxième, paru en 2003, apparaît cependant comme le meilleur de ses trois enregistrements. Le dernier est paru l'année dernière, intitulé sobrement Lhasa.
En premier, c'est la voix de Lhasa qui m'a conquis et envoûté. Magnifique voix de femme, terriblement séduisante. Timbre profondément sensuel sans la moindre touche de vulgarité. Les paroles de ses chansons - elle en est la plupart du temps l'auteur - m'ont paru au début plutôt ésotériques, poèmes d'amour, où la notion de culpabilité revient de façon récurrente (je parle toujours du deuxième album). Les mélodies vous captent et vous entraînent dans un tourbillon qui peut déboucher sur un sentiment de vague dépression.
J'ai mis sur ma chaîne ses trois disques, et j'ai parcouru ses textes. Sur le deuxième album, une chanson a plus particulièrement retenu mon attention, par son titre, Para el fin del mundo o el ano nuevo qui est traduit dans le livret du disque par Pour la fin du monde ou le nouvel an. Le titre sonnait comme une étrange prophétie à la lumière de cette mort. Et j'ai lu alors plus attentivement le poème de cette chanson:
"Tu arrives demain / Pour la fin du monde / Ou le nouvel an / Demain je te tue / Demain je te libère / Je suis en avant / Je n'ai plus / Je n'ai plus peur / Demain je te dis que l'amour / Que l'amour est parti / Et après... / Et après sept ans d'exil / Pour t'avoir tant / Tant menti / Tu arrives demain / Pour la fin du monde / Ou le nouvel an / Mon squelette danse / Il se pare à nouveau / De son costume de chair / De sa coiffe de feu / Je sors te rencontrer / A mi-chemin / Et après... / Et après sept ans d'exil / Pour t'avoir tant / Tant menti / Tu arrives demain / Pour la fin du monde / Ou le nouvel an / Le port se remplit / De navires de guerre / Et une pluie fine / De cendres tombe / Je sors te rencontrer / Dans mon costume / Mon costume de terre / Et après... / Et après sept ans d'exil / Pour t'avoir tant / Tant menti"
Le poème, publié dans son second disque, publié sept ans avant (2003, tandis que Lhasa meurt le premier jour de 2010), sonne étonnamment prophétique ou visionnaire (comme un rendez-vous d'amour d'une morte à son amant encore vivant), comme cela arrive dans certains poèmes automatiques que l'on ne comprend pas à première lecture, et qui ne révèlent leur sens caché qu'à la lumière d'événements ultérieurs (il y a le fameux exemple de La nuit du tournesol, ce poème où Breton vit annoncée la rencontre avec celle qui allait devenir ensuite sa femme). Il semble que Lhasa prisait semble-t-il une certaine imagerie surréaliste, si l'on se réfère à ses collages qui illustrent son deuxième album (elle remercie Max Ernst du reste pour l'inspiration qu'il lui a donnée).
Hélas, cette voyante et extraordinaire artiste nous a été enlevée à la fleur de l'âge (elle avait trente-sept ans). Nous laissant trois petits disques, et quelques maigres collaborations en supplément ici ou là (notamment avec Arthur H). Et aussi un livre de souvenirs, intitulé La route chante (Ed. Textuel). Il y a aussi un site qui s'était créé en avril 2009...
11/01/2010 | Lien permanent | Commentaires (9)
L'indiscipline n'a-t-elle laissé que des vestiges?
"Vestiges de l'indiscipline", tel est le titre d'un bel ouvrage qui va bientôt être disponible au Canada (lancement prévu pour le 21 septembre à la Cinémathèque québécoise), et ailleurs pourvu qu'on songe à le commander (voir renseignements au bas de cette note). L'indiscipline, me suis-je dit au vu du titre, n'aurait-elle donc laissé aujourd'hui que des vestiges? Le titre est musicalement beau, mais il peut aussi vouloir dire cela. Cependant, le sens est ailleurs. La photo de couverture le proclame sans ambages, ainsi que le sous-titre. On veut nous parler des environnements de "patenteux" québécois, d'"anarchitectures" parmi les plus singulières qui soient apparues ces dernières décennies au Canada. L'"indiscipline" dont il est question est celle de l'"art indiscipliné" défendu par la Société du même nom. L'auteur du livre est comme de juste Valérie Rousseau, directrice de cette même Société, "doctorante en histoire de l'art et chercheuse associée au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire sur l'institution de la culture et du Musée canadien des civilisations"... (ça en jette, n'est-il pas?).
Les patenteux, au Québec, depuis le livre et la recherche formidables des trois jeunes femmes Louise de Grosbois, Raymonde Lamothe et Lise Nantel ("Nous avons pris position pour une classe sociale dont les manifestations culturelles sont ignorées ou méprisées", écrivaient-elles) en 1972-1974, ce sont les bricoleurs-inventeurs naïfs ou populaires des bords de route (une patenteuse (mais tentante?), répondant au doux nom de Mathilde Laliberté définissait ainsi le mot: "Un patenteux, c'est quelqu'un qui fait des affaires que d'autres ont pas faites jamais et puis qui a de l'imagination dedans").
Valérie Rousseau a voulu restreindre son étude, divisée en trois parties, à un petit groupe de créateurs, choisis sans doute pour leur grande inventivité, proche de celle de l'art brut, et situables à la croisée des chemins et pour l'un d'entre eux, de l'art moderne: Léonce Durette, Richard Greaves, Roger Ouelette, Charles Lacombe, Emilie Samson et Adrienne Samson-Fortier (ces deux dernières étaient déjà recensées, ainsi que Roger Ouellette dans "Les Patenteux du Québec"), Palmerino Sorgente et l'autodidacte naïf/brut plus connu Arthur Villeneuve, sur lequel en France nous ne disposons d'aucune documentation (malgré une exposition montée il y a déjà longtemps à la Halle Saint-Pierre).
Ces trois parties sont rédigées dans un style limpide et vivant, la première d'entre elles se chargeant d'évoquer les créateurs (tous bien choisis du point de vue de l'originalité de leurs oeuvres et sans doute aussi pour les parallèles que peut tracer Valérie Rousseau entre eux). Ces évocations s'appuient sur des descriptions et des entretiens avec les auteurs, des extraits de leurs écrits (car c'est une des caractéristiques de ces patenteux étudiés par Mlle Rousseau d'être aussi des écrivains spontanés, leur philosophie les poussant d'ailleurs vers une sorte d'art total -bien différent de celui que prônait Richard Wagner...).
La deuxième partie, la plus épaisse quantitativement (80 pages) dans un ouvrage qui en contient 193, est un dossier photographique (le photographe étant pour la majorité des clichés, datés de 2001, Richard-Max Tremblay ), la troisième partie (Espaces mitoyens et analogies) étant réservée à une approche plus analytique de l'ensemble du phénomène des environnements indisciplinés (synonyme: anticonformistes ? Voir cependant le chapitre "Indiscipline et tradition", p.149, où l'auteur précise la définition). L'auteur met à cette occasion en relief un certain nombre de caractéristiques communes repérées par elle chez les créateurs, la tendance au repli autarcique sur soi (le rapport des créateurs d'environnements avec les mollusques secrétant leur coquille a déjà été remarqué, dès André Breton notamment, voir son texte de préface aux Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann que Roger Cardinal -voir p.163 des "Vestiges..."- connaît très bien, Mlle Rousseau...), ou un désir d'échapper aux contingences temporelles par exemple (voir la phrase de Charles Lacombe ci-dessous...), désir en même temps contradictoire avec l'aspect éphémère des installations érigées (exemple de Charles Lacombe qui sème des dessins dehors à la merci des intempéries, ou les constructions défiant l'équilibre de Richard Greaves (à l'esprit proche de celui du dadaïste Kurt Schwitters comme le remarque ave justesse Valérie Rousseau), édifiant entre autres une Maison des 3 Petits Cochons en bois, ce qui correspond à la deuxième maison dans la chronologie du conte célèbre, située à équidistance de la plus éphémère, la première, celle en paille et de la troisième, la plus durable, celle en brique).
La place nous manque évidemment pour en parler plus en détail. Renvoyons le lecteur avec confiance à l'acquisition de l'ouvrage fort enrichissant.
Et signalons pour finir une erreur un peu ennuyeuse, pas spécialement imputable à Valérie Rousseau (note 98, p.182) mais plutôt à Jean-Yves Jouannais (si la référence à ce dernier est exacte) dont l'auteur cite un des ouvrages, Artistes sans oeuvre, I would prefer not to (1997). Ce dernier impute, selon Mlle Rousseau donc, la phrase suivante: "J'aimerais assez que ceux d'entre nous dont le nom commence à marquer un peu l'effacent" à Jean Dubuffet. Je ne sais si ce dernier a recopié lui-même cette phrase dans un de ses écrits (ce dont je doute), ce que je sais en revanche c'est qu'elle figure mot pour mot dans le second Manifeste du surréalisme (1930) sous la plume d'André Breton qui cite ainsi son camarade surréaliste belge Paul Nougé. Il se sert de cette phrase pour introduire sa demande d'"occultation profonde, véritable du surréalisme" afin que le public moutonnier des gogos ne puisse plus imposer de confusion au message réel du surréalisme. Déshabiller André pour habiller Jean est symptomatique de l'attitude récupératrice de certains historiens ou critiques d'art qui pratiquent ainsi une étrange manière d'"occulter" le surréalisme, nettement plus répressive, au bénéfice de l'anti-culture dubuffétienne...
Vestiges de l'Indiscipline, Environnements d'art et anarchitectures, (208 pages, 106 photos couleur), 34,95$, édité par la Société du Musée Canadien des Civilisations. Diffusion Prologue Inc., 1650,bvd Lionel-Bertrand, Boisbriand, (Québec), J7E 4H4. Service de commandes postales: Musée canadien des civilisations, 100, rue Laurier, C.P. 3100, succursale B, Gatineau (Québec) J8X 4H2. Site web: cyberboutique.civilsation.ca
16/09/2007 | Lien permanent
Disparition de Pierre Peuchmaurd, un hommage de Joël Gayraud
"Pierre Peuchmaurd (1948-2009)
Les trains dans la menthe
la main dans l'étreinte
la nuit violette aux œufs de femme
les forêts bleues au bas des ventres,
le sang sait ça
le sang sait la poussière
la lumière et l'écharde
et les doigts des amantes
dans la brèche bleue des bois
(Scintillants squelettes de rosée, Simili Sky, 2007)
Notre ami Pierre Peuchmaurd est mort le 12 avril 2009. Un enchanteur, un poète. Qui avait trouvé dans le surréalisme « une des passions de sa vie » et « son axe moral ». Il avait participé à des aventures collectives relevant éminemment de l'exigence surréaliste telles que les éditions Maintenant et la revue Le Cerceau, et avait animé de minuscules entreprises éditoriales comme L'air de l'eau ou Myrddin qui publiaient, pour le bonheur d'une constellation restreinte et sûre, certains des plus grands occultés de notre temps. Mais avant tout c'est sa voix singulière que nous écoutions, que nous attendions à chaque nouvelle parution - et là, dès l'ouverture du recueil, l'enchantement coulait de source. Voix de feuilles mouillées et d'envols dans les sous-bois, voix de cailloux jetés dans l'étang la nuit, voix qui, comme nulle autre, en ces années les plus hostiles au lyrisme qui furent jamais, a fait vibrer, de toutes ses harmoniques, la poésie, la maintenant inaltérée au-dessus des décombres d'une langue chaque jour un peu plus mise à mal. C'était la voix d'un amant de l'amour, la voix qui va droit au cœur, mais aussi la parole acérée et lucide, qui ne transige jamais sur l'essentiel, et porte au centre de la cible. Quand disparaît un poète, c'est une île, dans l'archipel du langage, qui s'enfonce sous les eaux. Il n'en reste, dans les textes, que l'empreinte cristalline et, nous le savons, nous ne lirons plus que ce qui a déjà été écrit. Cependant, les images inespérées, les attelages inouïs de mots dont chaque nouveau poème suscitaient le jaillissement, se lèveront toujours devant nous. Ils ne se prendront pas dans le givre de la mémoire.
Parmi les dizaines de livres et de recueils que Pierre a égrenés sur sa route depuis quarante ans, et qu'ont souvent illustrés ses amis, nous citerons :
Plus vivants que jamais, Robert Laffont, 1968.
L'Embellie roturière, Éditions Maintenant, 1972.
L'Oiseau nul, Seghers, 1984.
Les Bannières blanches, illustré par Robert Lagarde, Fata Morgana, 1992.
Le Diable, illustré par Jorge Camacho, L'Embellie roturière, 1993.
Arthur ou le système de l'ours, illustré par Robert Lagarde L'Ether vague, 1994.
Parfaits dommages, avec cinq photographies de Nicole Espagnol, L'Oie de Cravan, 1996, 2007 (réédition augmentée).
À l'usage de Delphine, illustré par Jean Terrossian, L'Oie de Cravan, 1999.
Encyclopédie cyclothymique, illustré par Jean-Pierre Paraggio, Cadex Éditions, 2000.
Bûcher de Scève, L'Escampette, 2002.
L'Œil tourné, illustré par Hervé Simon, Cadex Éditions, 2003.
Colibris et princesses, L'Escampette, 2004.
Au chien sédentaire, Pierre Mainard, 2005.
Le Tigre et la chose signifiée, L'Escampette, 2006.
Scintillants squelettes de rosée, avec une photographie d'Antoine Peuchmaurd, Simili Sky, 2007.
Alices, illustré par Georges-Henri Morin, Les Éditions de surcroît, 2008.
La Nature chez elle, sur des images de Jean-Pierre Paraggio, Collection de l'Umbo, 2008.
Joël Gayraud, 1er mai 2009."
(NB: Ce texte est extrait du site du Groupe de Paris du Mouvement Surréaliste, où il a été mis en ligne récemment.)
16/05/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
Ruzena, les encres de l'autre monde
Vendredi 31 octobre, rendez-vous au vernissage d'une nouvelle exposition de Ruzena à la galerie Dettinger-Mayer (la première avait eu lieu en 2005, et j'exposais en sa compagnie ; celle-ci est prévue pour durer jusqu'au 29 novembre 2008). On pourra continuer de pénétrer plus avant dans son monde étrange, proche d'une certaine fantasy graphique qui se nourrit aux meilleurs sources des imagiers raffinés, du type Beardsley, Arthur Rackham et autres Edmond Dulac, sans qu'on veuille non plus réduire Ruzena à aucun de ces auteurs, tant elle a su dresser un univers désormais bien personnel, avec ses racines, son tronc et ses branches qui ne cessent de se ramifier en de multiples directions.
La métaphore de l'arbre ou de la forêt vient rapidement sous la plume lorsqu'on veut évoquer l'imaginaire graphique de Ruzena, tant l'élément végétal est présent dans ces compositions, indépendant des figures humaines, ou parfois fusionnant avec ces dernières. Cet imaginaire est féru de métamorphoses en vérité. Souvent tenté par la cruauté et la torture mais surtout empreint d'un humour noir que l'auteur paraît priser avec gourmandise. Elle aime à jouer avec certaines conventions morales. Les bébés sont en danger chez Ruzena, à moins que ce ne soit que l'image du bébé dans nos sociétés qui soit ainsi visée, en raison des ruissellements de mièvrerie et d'idéalisme béat qui lui sont invariablement attachés... Est-ce qu'on peut voir dans ces images d'enfants tarabustés par les homuncules de Ruzena un petit souvenir des Vivian Girls de Henry Darger?
Apparues ces derniers temps (je lui ai rendu visite dans son atelier récemment, en juillet de cette année), des branches épaisses et ténébreuses, me faisant songer à des cuisses, des fibres musculaires, ou des fuseaux gainés dans des collants noirs, se mettent à serpenter, comme sur l'image qui sert pour le carton d'invitation à l'exposition (ou le dessin ci-dessus intitulé La Haine des autres). Nouveauté qui n'aura peut-être qu'un temps, tant l'auteur paraît avant tout éprise des surprises suivantes que lui apporte son art (elle paraît affamée d'expérimentations nouvelles). J'aime ainsi particulièrement, à la suite d'une autre de ses périodes, des fantômes blanchâtres qui viennent en arrière-plan caresser ou frôler des figures situées au premier plan, peut-être désireux de leur poser des questions qui paraissent les tourmenter secrètement.
"LES BELLES AU BOIS MORDANT
Où sommes-nous? En forêt? Mais dans une forêt d'enfer où des êtres non nés sont pendus, ficelés, indolents. Hésitant entre l'humain et l'hybride. Irrésolus, ils patientent en attendant d'exister tout à fait. Comme des mouches dans la toile d'araignée de l'Oubli. Derrière eux - futur ou passé? - ce qu'ils n'ont pu choisir d'être : des spectres pâles à la lisière du néant dérivent, les yeux vides, l'air de noyés. C'est le maquis où le végétal le dispute à l'animal, où l'on étouffe. Pourtant tout est normal, terriblement normal, jamais on ne se révoltera.
Au coeur de cette jungle serpentine sans haut ni bas, sans autre lueur qu'une brume sépia, mauve, verdâtre ou pourpre, observons le muet appel d'avortons qui, si l'on consent à ne plus les garotter, tendent des bras plaintifs vers leurs mères. Celles-ci s'absentent, leurs corps changeant, tantôt branches, tantôt vagues pythons femelles guettés par la morsure des lianes dragonnes.
Les spectres blêmes gardent cette lente chorégraphie asphyxiée aux promesses d'exsangue éternité."
(B.M. 2005)
Galerie Dettinger-Mayer, 4, place Gailleton, 69002, Lyon. Tél: 04 72 41 07 80 ; www.galerie-dettinger-mayer.com ; ouvert du mardi au samedi de 15h à 19h30, le matin sur rendez-vous.
30/10/2008 | Lien permanent | Commentaires (1)
Le mystère du graffitiste cinéphile de Douarnenez
Il y a plusieurs manières de visiter une ville. A la touriste appliqué, comme nous un matin (Régis Gayraud et moi) à Locronan, ce village breton aux vieilles maisons, défiguré et exagéré par le commerce exploitant éhontément son ancienneté "typique". Ou, comme nous encore, de manière "dérivante", à la fin de la même journée, arpentant le pavé de Douarnenez (qui n'aime pas beaucoup les touristes, tant mieux).
Le graffitiste cinéphile de Douarnenez, inscriptions sur des poubelles : Les bœufs carottes, Le dernier diamants (sic), L627, les Daltons, L'empire des loups, etc., photo Bruno Montpied, 2017.
Witness, La louve... Ph.B.M., 2017.
J'étais alors fatigué et j'écoutais distraitement mon camarade qui me paraissait pérorer à propos d'inscriptions à la peinture blanche qu'il avait déjà aperçues la veille sur le pont de Tréboul (du nom du petit port qui jouxte Douarnenez de l'autre côté d'une ria). Cette fois, il s'en laissait voir toute une flopée sur les parois de containers à verre dans la cour d'une cité que l'on traversait en lisière de Tréboul. Ce n'était que titres de films, de téléfilms ou de séries TV. Les caractères étaient tracés de façon distincte, toujours en capitales, aisément lisibles donc. Parfois, les titres étaient précédés de numéros et de flèches orientées dans tous les sens. Les films cités étaient pour la plupart récents, mais on en rencontrait quelques-uns d'un peu plus ancien. Sous le soleil, Zodiaque, Le fruit défendu, L'affaire Rachel Singer, Ma sorcière bien-aimée, Promotion canapé, Le Poulpe, Un amour de sorcière, Dolmen, Le pigeon (titre de film plus ancien), La vague, OSS 117 Rio ne répond plus, Fast and furious, The magdalene sisters, 5e élément, etc... Sur le moment, je rétorquai à Régis, qui me paraissait s'exciter pour pas grand-chose, que tous ces titres provenaient probablement de films visionnés en cassettes vidéo, ou dvd, ou vod, et que cela pouvait émaner d'adolescents se livrant à des jeux de comparaison, des listes établies dans la perspective d'un quelconque quizz qui leur était propre...
Mais, en continuant notre marche et en revenant en particulier sur Douarnenez, je commençai de me rendre à l'évidence. Ces inscriptions étaient véritablement bizarres. La ville paraissait en être couverte, et à chaque fois dans des espaces marginaux, de ces portions de l'espace urbain sur lesquelles l'œil glisse : petites armoires électriques, poteaux, marges des panneaux de signalisation, distributeurs de poches plastiques pour crottes de chiens, poubelles, containers, bornes d'incendie, tuyaux de gouttière où le graffitiste traçait ses titres à la verticale. Je me persuadais petit à petit qu'il s'agissait d'un seul individu, hypothèse qui était partagée par Régis ; tous deux pensâmes en même temps à Alain Rault, ce SDF qui graffite des noms d'hommes célèbres sur les murs de Rouen. Il y avait là, à n'en pas douter, vu l'étendue des zones d'inscriptions, une manifestation d'acharnement des plus singulières qui ne relevait pas d'un simple goût du jeu maniaque. On établissait sur les murs de la ville une liste de titres d'œuvres cinématographiques qu'il fallait, semble-t-il, ne pas oublier, comme les pense-bêtes que les lycéens se tatouent dans le creux de leurs paumes.
Hubert et le chien (graffito adapté à son support, une boîte d'étuis plastifiés pour ramasser des crottes de chien), Reckless, Léon, La vengeance aux 2 visages, etc., ph.B.M., 2017.
Microbe et gas-oil, En immersion, Le sourire des femmes... Ph.B.M., 2017.
Miss Marple, Le sexe faible... Ph. B.M., 2017.
Le légionnaire, Les associés... Ph.B.M., 2017.
Etait-ce un homme atteint de troubles mentaux, d'une perte de mémoire progressant vers la dissolution, à travers la perte des connaissances, de la personnalité, comme ce qui arrive, dit-on aux schizophrènes ? Dans l'art brut, certains de ceux-ci sont connus pour leurs tentatives de dressage de listes à coloration encyclopédique : Gregory Blackstock et ses planches thématiques où il aligne en rangs d'oignons une série d'objets ou d'êtres, Arthur Bispo de Rosario et ses entassements d'objets, ses capes couvertes d'inscription, ses objets emmaillotés, Alain Rault lui-même réinscrivant sur les murs de Rouen la panoplie interminable des noms qui le fuyaient peut-être par ailleurs, tentative pathétique de raccrochage des épaves qui se détachaient sans cesse davantage de lui...
Essaye-moi (inscrit deux fois, en rouge et en blanc en dessous ; à noter qu'on rencontre souvent du tricolore dans les peintures employées)... Ph.B.M., 2017.
Par moments, certains titres faisaient signe, me disais-je. Essaye-moi, inscrit de façon insistante, ou cet autre titre à l'accent de manifeste : L'extraordinaire vie de Monsieur Tout le monde (voir ci-dessus la deuxième photo à partir du début de la note), tracé par les doigts d'un autre monsieur "Tout-le-monde" qui rêvait peut-être d'une vie justement moins ordinaire.
Sur un panneau à l'écart, un titre retenait également l'œil, d'abord parce qu'il était seul inscrit, et aussi en raison de sa catégorique déclaration aux allures de terrible conclusion : RIEN NE VA PLUS...
Ph.B.M., Douarnenez, 2017.
08/08/2017 | Lien permanent | Commentaires (29)
”Trouvé sur le bord”, la collection de Pavel Konečný vient faire un tour à Paris
Couverture du dépliant édité à l'occasion de l'exposition, avec un texte de présentation de Terezie Zemánková (pas très bien traduit) et une mini bio de Pavel Konečný.
Jusqu'au 5 juin, les amateurs d'art brut et d'art naïf tchèques (version populaire), passant par Paris et sa rive gauche, ou y résidant, pourront aller au Centre culturel tchèque qui se trouve rue Bonaparte, à deux pas de l'Ecole des Beaux-Arts, dans le VIe arrondissement, admirer de fort belles pièces prêtées par le collectionneur et ancien directeur du théâtre musical d'Olomouc, Pavel Konečný. C'est une petite sélection bien entendu, mais fort alléchante, que l'on peut voir actuellement au premier étage de ce Centre (le rez-de-chaussée étant occupé par une petite exposition de la galerie Arthur Borgnis, plus centrée sur des œuvres d'art brut tchèque, en deux dimensions, plus particulièrement dominée par des créateurs médiumniques, tels que Pecka ou Havlicek).
Vue de la moitié de la salle consacrée à la sélection d'œuvres de la collection Konečný, ph. Bruno Montpied, 2022 ; dans le fond à gauche on aperçoit La Reine des eaux.
Václáv Beránek, La Reine des eaux, 1972, ph. B.M., 2022 ; c'est la représentation d'un naufrage et de l'accueil rendu par les sirènes aux noyés, tandis que les survivants s'éloignent en barque en haut à droite...
La totalité de la collection de Konečný comprenant 700 pièces, il n'était évidemment pas possible d'envisager autre chose à Paris, dans le petit espace disponible au centre culturel tchèque, qu'en extraire une petite sélection. Cette dernière est illuminée par la présentation en majesté de la très grande toile de Václav Beránek, La Reine des eaux (1972). Celui-ci est un artiste que mes lecteurs ont pu déjà rencontrer sur ce blog, grâce à la note en deux parties, due à Emmanuel Boussuge, qui s'évertuait à nous présenter au mieux l'artiste en question, peu connu de ce côté de l'Europe (comme tant d'autres artistes des pays d'Europe centrale ou de l'Est appartenant pourtant autant à ce continent que ceux de l'Ouest), alors qu'il est très attachant, illustrant à merveille un art naïf de type onirique et visionnaire.
Tableau de Václáv Beránek, de 1981, un qui n'était pas dans la note du blog citée plus haut... Ph. B.M., 2022.
Autre partie de la salle d'exposition, avec une table au premier plan supportant diverses sculptures d'auteurs multiples: Andrej Hankovský, Ján Hadnagy, Vincenc Jahn, etc.
á
Jan Labuda, un couple, avec une femme l'épaule couronnée d'une chouette, ph. B.M., 2022.
C'est en effet tout le mérite de M. Konečný que de n'opérer aucune hiérarchisation – au rebours d'un Jean Dubuffet avec son art brut, selon lui plus mirifique que tout le reste de la créativité autodidacte – entre art brut, art naïf (de qualité onirique), et art populaire, n'hésitant pas non plus à y inclure des créations de plein air dues à des inspirés du bord des routes tchèques ou slovaques. De la figuration liée à la perception rétinienne, où entre pour beaucoup une distorsion due à l'interprétation subjective propre à chaque artiste, jusqu'au détachement presque complet, quasi "abstrait", d'un graphisme inventé, tel qu'Anna Zemankova, présente sur un mur de l'exposition, l'illustre parfaitement avec sa "botanique" parallèle, la collection de Pavel Konečný, commencée dès 1972, nous offre un bel éventail non orthodoxe de la créativité autodidacte.
Martin Sabaka, "habitant-paysagiste" slovaque à Východná, photo Alan Hyža, 2014.
Pavel Konečný édite toute une série de petits livres d'art consacrés à certains auteurs qui sont dans sa collection, ou pas ; il est également l'auteur d'un Atlas de l'art spontané que je n'ai hélas pas pu consulter (on trouve cependant sur le net le sommaire, et l'on peut ainsi constater qu'on y parle de Vaclav Levy que mon blog a déjà évoqué, en 2007, soit dès la première année de création de ce blog...)
A signaler qu'il est également l'organisateur depuis quelques années (depuis 2012 exactement) d'un festival de films autour de l'art brut basé à Olomouc (une sorte de festival analogue à celui qu'organise l'association Hors-Champ à Nice à la fin du mois de mai – voir ici pour le programme de cette année), où il vit, où fut projeté il y a quelque temps le film Bricoleurs de paradis que j'ai écrit avec Remy Ricordeau. Autre information du reste, puisque l'occasion se présente de parler de ce dernier, notre film est à présent disponible en entier, gratuitement sur Youtube: https://youtu.be/8nNcORjRUZA ; à noter que le film commence aléatoirement – en tout cas pas au début réel du film –, mais il est possible de déplacer le curseur en remontant à son véritable départ heureusement).
03/05/2022 | Lien permanent | Commentaires (3)
Mes récentes publications (Info-Miettes n°21 bien narcissiques car centrées sur ma pomme)
"Art populaire et art brut, quelques exemples de comparaison", Actes I du séminaire sur l'art brut 2010-2011, dirigé par Barbara Saforova, éditions ABCD, 2012
J'ai participé à ce séminaire qui se déroule dans les locaux du Collège International de Philosophie afin de présenter quelques éléments pemettant de mettre en regard art brut et art populaire insolite. Le but était de tenter de mettre en lumière à quel point, tout au moins pour une bonne part des collections d'art brut de Dubuffet transférées à Lausanne, l'art brut recélait des œuvres dont le style et les sujets étaient visiblement proches ou dérivés, malgré des ruptures, d'œuvres faisant partie des corpus de l'art populaire des campagnes d'autrefois. Comme je l'ai dit (briévement) dans mon intervention (dont le texte est donc paru dans ses Actes I publié l'année dernière), cette couleur populaire des collections était apparente surtout dans les premières décennies de la collection (commencée comme on sait vers 1945).
Depuis quelque temps, l'art brut tend à être redéfini dans différents travaux, notamment ceux de la directrice de ce séminaire Barbara Safarova, travaux qui insistent sur la dimension transgressive de l'art brut, détachée de tout souci de communication, quasi volcanique, se limitant à la matière pure du signe. Le rapport à la culture, à une présupposée absence de culture (même seulement artistique), est moins abordé désormais. L'aspect sociologique est beaucoup moins présent (l'aspect de démocratie directe dans l'art n'intéresse pas les commentateurs actuels, peu politiques). On se concentre désormais davantage sur le côté anthropologique (comme le fait par exemple dans ces Actes une Céline Delavaux) ou esthétique des productions de l'art brut (voire poétique, comme le fait l'assez délirant Manuel Anceau, toujours un peu à la limite de la voyance).
Une page d'illustrations de "Art populaire et art brut, quelques éléments de comparaison", intervention de Bruno Montpied, p.77 (de haut en bas et de gauche à droite, Thuilant, Forestier, un anonyme au De Gaulle membré -voir sur ce blog-, Müller et Leclercq)
Au sommaire de ces Actes I, on retrouve outre mon texte, illustré d'oeuvres comme les autres contributions (le tout édité avec le goût extrême que l'on reconnaît à chaque publication de l'Association ABCD, et je vous prie de croire que je ne leur fais pas de la léche), des interventions de Philippe Dagen sur Marcel Réja, de Céline Delavaux sur une réaffirmation qu'il ne faut pas limiter l'art brut à l'art des fous, de Baptiste Brun qui revient sur la notion d'homme du commun mise en avant par Dubuffet au début de ses recherches d'après-guerre, de Lise Maurer sur Laure Pigeon, de Béatrice Steiner (avec des illustrations montrant d'intéressantes oeuvres – je ne parle pas ici de celles de Serge Sauphar, assez mièvres, mais plutôt de celles d'un Adrien Martias – venues des archives de la section du patrimoine de la Société Française de Psycho-pathologie de l'Expression et d'Art-Thérapie) et enfin de Manuel Anceau interrogeant "L'art brut: une contre-culture?", mais ne répondant pas vraiment à la question, préférant céder à une dérive au fil de la plume, basculant la plupart du temps en termes abscons et se révélant à d'autres moments capables de traits de lumière, comme dans l'envolée finale de son texte où il cite une nouvelle de Philippe K. Dick dont le propos devient un beau symbole de ce que peut représenter l'art brut.
Actes I, séminaire sur l'art brut, "De quoi parle l'art brut?", dirigé par Barbara Safarova, 2010-2011, 160 p., 29€, éd.ABCD, sd, 2012. Disponible en vente à la librairie de la Halle Saint-Pierre, à la galerie ABCD, 12, rue Voltaire à Montreuil, et à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Voir également le site d'ABCD. A signaler en outre que la galerie de Montreuil est ouverte en ce moment pour l'exposition "Voodoo Chile" consacrée à J-B.Murray et Mary T.Smith le samedi et le dimanche de 12h à 19h jusqu'au 17 mars.
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Cinéscopie n°26, 2012: BM, "Brunius, un cinéaste surréaliste en DVD"
Bon, je vais pas la ramener trop encore sur Jacques Brunius, parce que j'en ai déjà abondamment parlé dans cette colonne de notes sans fin (ou presque). Le compte-rendu que j'ai publié dans la revue ci-dessus citée, en juin 2012, est une reprise de la note qui a paru ici même et qui est donc désormais aussi fixée sur papier (car les blogs durent ce que durent les fleurs, en un peu plus longtemps seulement...). A noter que cette revue destinée aux fondus de cinéma amateur, notamment Super 8, animée par un passionné fort sympathique, par ailleurs dessinateur autodidacte de grand talent (voir ci-dessous un de ses dessins), Michel Gasqui (alias Migas Chelsky), s'est aussi intéressée aux Bricoleurs de Paradis entre autres pour mes films Super 8 des années 1980 qui se retrouvent dans les bonus du DVD paru avec mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, et dans certaines des incrustations du film.
Migas Chelsky, Bidule 1
Pour obtenir Cinéscopie, voir le blog http://cinescopie.unblog.fr/
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Création Franche n°37, décembre 2012, BM: "Bernard Jugie, un petit musée à usage interne"
Autre découverte que j'ai faite l'été dernier, avec la maison Péridier et autres merveilles dont je devrais bientôt parler, voici un petit article, avec de belles photos en couleur, bien imprimées (j'en suis très fier, si, si) sur un créateur populaire à la retraite, Bernard Jugie. Je l'avais repéré en passant un jour par Billom dans le Puy-de-Dôme, du moins n'avais-je entraperçu que des petits décors naïfs placés au-dessus d'une porte et d'une fenêtre en rez-de-chaussée. J'ai attendu deux ans pour faire le tour du petit musée qui se cachait à l'étage. Quelques merveilles nous y attendaient moi et les deux camarades de dérive de cet été-là. Dont certaines se retrouvent ainsi photographiées et en pleine page dans ce dernier numéro de Création Franche. C'est la révélation d'un attachant créateur populaire caché au fond de l'Auvergne.
Une des pages consacrées au petit musée de Bernard Jugie, Création Franche n°37
Bernard Jugie, un renard taillé dans de l'aggloméré, coll. et photo inédite BM, 2012
A noter au sommaire de cette livraison d'autres contributions de Gérard Sendrey sur "Lucie M. dite de Syracuse", de Bernard Chevassu sur Christian Guillaud, de Joe Ryczko sur un "Monsieur Grosjean, constructeur d'automobiles en chambre", un projet des étudiants de l'association Campus dynamique sur une prochaine exposition du musée de la Création Franche hors les murs ("La Création Franche s'emballe! Itinérance d'une collection insoumise", du 4 au 14 février 2013 au Bâtiment 20 des Terres Neuves aux lisières de Bordeaux et de Bègles, première étape d'une exposition d'une centaine d'œuvres de la collection qui devrait partir en balade, nous dit-on, excellente initiative...), un texte de Pascale Marini sur Aloïse et Dubuffet et aussi des contributions de Paul Duchein sur Labelle et Dino Menozzi sur Enrico Benassi.
On reconnaît sur cette affiche un masque de Simone Le Carré-Galimard
La revue est disponible au musée ou en écrivant au contact du site web du musée.
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Les Maçons de la Creuse, bulletin de liaison n°15, daté juin 2011 (en réalité imprimé et disponible en janvier 2013), avec deux textes de BM: "François Michaud n'était pas seul, quelques exemples d'environnements populaires créés avant le Palais Idéal du Facteur Cheval" et "La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils"
Dans ce bulletin, le deuxième texte sur les Montégudet, je l'avoue sans peine, est le même que celui publié dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques (qui lui-même était dérivé des notes parues sur ce blog...). Il est cependant mis en page différemment et comporte des photos supplémentaires inédites du petit musée privé de René et Yvette Montégudet, descendants et continuateurs de Ludovic Montégudet l'ancien maire de la commune creusoise de Lépinas qui avait créé un espace ludique et poétique avec statues et divertissements variés autour de son étang.
Le premier texte quant à lui, "François Michaud n'était pas seul", est par contre une amplification d'un texte précédent paru dans Création Franche n°28 en 2007 (« François Michaud et les autres, quelques exemples d’environnements populaires sculptés avant le Palais Idéal du facteur Cheval »). De nouvelles photos inédites et des paragraphes nouveaux évoquent quelques sites anciens ayant précédé les Facteur Cheval, abbé Fouré ou abbé Paysant. Par exemple les statues du sabotier Jean Molette auteur dans les monts du Lyonnais d'une œuvre naïve, taillée dans la pierre et le bois, tout à fait remarquable. Il fit des Napoléon, Ier et IIIe du nom, une immense Madone, une fontaine ornée d'un écu et de lions, des croix de chemin, le tout en plein air (certains restaurés par les architectes des Monuments Historiques, car ils sont classés à l'Inventaire). Ce bulletin me permet aussi de présenter un extraordinaire panneau sculpté du même Molette – en 1854, excusez du peu... –, parfaitement inédit jusqu'à présent, consacré à la gloire de l'Empereur Napoléon III dont ce sabotier était raide dingue (comme François Michaud le tailleur de pierre de la Creuse dont mon article le rapproche). "Le Tableau des Souverains de France" étant le titre de l'œuvre de Molette entièrement vouée à chanter les louanges impériales (Napoléon III est représenté à cheval entouré de 78 médailles chargées de figurer les rois de France que l'Empereur surclasse selon l'auteur). Ce bas-relief fut longtemps conservé dans les archives locales jusqu'à ce qu'il parte chez les brocanteurs à une date récente, et de là dans une collection privée parisienne. Ces représentations naïves et populaires de Napoléon correspondent au regain de bonapartisme que l'on put observer dans diverses campagnes auour de 1852 en France lors du retour au pouvoir d'un Bonaparte. On trouve maintes références à cette napoléonimania, qui ressemble à un culte, sous la forme de statuettes ou d'imagerie, voire de fresques.
Le Napoléon Ier et le panneau sculptés par Jean Molette, et autres décors situés en plein air avant le Palais Idéal... Les Maçons de la Creuse n°15, pages de l'article de BM
Dans ce bulletin, je donne un autre exemple de décor napoléonolâtre photographié (là aussi, c'est complètement inédit) dans le Puy-de-Dôme près de La Tour d'Auvergne (voir ci-dessus). D'autres décors sculptés sur des maisons rurales du Cantal, que m'avait naguère signalés Emmanuel Boussuge sont également présents dans le numéro. Par ailleurs, l'article est flanqué d'encarts dus à la rédaction du bulletin (Roland Nicoux) et de nombreuses photos qui ajoutent de précieux renseignements sur les sculptures de François Michaud à Masgot. L'édition du livre que nous avions fait à plusieurs en 1993 sur ce créateur précurseur des environnements bruts et naïfs du XXe siècle aux éditions Lucien Souny étant désormais épuisée, ces précisions et photos sur Michaud viennent redonner un peu de lumière au sujet.
Raymond Arthur, arrière-petit-fils de François Michaud, sur le seuil de sa maison en 2009, ph. BM
26/01/2013 | Lien permanent | Commentaires (9)
Info-Miettes (27)
Ma dernière volée d'infos-miettes remonte au 19 avril de l'année dernière. Cela ne veut pas dire un "Info-miettes" par an tout de même... En voici donc quelques-unes.
Une expo "Pépé" Vignes au Musée des arts buissonniers
Pol Lemétais et l'association Les Nouveaux Troubadours montent une exposition sur cet étonnant dessinateur qui au ras de sa table, handicapé par sa vue déficiente, traçaient, entre autres, une légion de véhicules de tous types, cars, voitures, steamers, à l'aide de crayons de couleur ou de feutres. Les crayons de couleur tiennent mieux dans le temps comme on sait. Je connais un collectionneur amateur qui a vu ainsi ses Vignes se volatiliser progressivement puisqu'il les avait imprudemment laissés à la lumière du jour. A côté d'une centaine de dessins des années 1970 et 1980, on verra aussi à Saint Sever du Moustier (pas loin d'Albi) des objets, livres, photos et films en rapport avec ce "créateur emblématique de l'art brut". Cela apparaît comme une manifestation apportant du nouveau sur le sujet Pépé Vignes. C'est du 9 avril au 5 juillet.
Joseph dit "Pépé" Vignes, photo JDLL (illibérien, c'est-à-dire, un habitant d'Elne), sans date
Et, pendant ce temps, Paul Amar à la galerie Nicaise à Paris...
Une autre vedette de l'art brut, cette fois plus contemporain, Paul Amar (voir portrait ci-contre, au musée des arts buissonniers où une salle lui est consacrée), est exposé quant à lui dans une galerie parisienne qui était plutôt connue autrefois comme une librairie vouée aux livres d'art, aux estampes, aux gravures. Il semble que Nicaise ait tourné sa veste en faveur des arts bruts. Elle a récemment exposé André Robillard, décidément devenu un incontournable de l'art brut (en dépit des coups de main qui cherchent à épauler ses bricolages de ci, de là ; je crois savoir que les fusils en assemblages de matériaux recyclés, il aimerait bien les abandonner pour se consacrer exclusivement au dessin et aux objets spatiaux, mais la commande l'en empêche et il est gentil, il veut faire plaisir et peut-être aussi que ça met du beurre dans les épinards). Voici que la galerie récidive avec Amar, connu pour ses assemblages de coquillages rutilants, et peut-être parfois un peu trop clinquants. Personnellement, dans ses travaux je préfère les petits monstres qui ressemblent parfois à des gremlins, proches parents des monstres que dessinait l'ancien gardien de la paix catalan, Josep Baqué, lui aussi présent dans les collections d'art brut. Cela durera jusqu'au 7 mai, c'est plus bref, donc.
Créations naïves et singulières en Mayenne... et en Pays de Loire
L'association CSN 53 reste toujours fort active. Après des expositions loin de France (chroniquées sur ce blog) , la voici qui revient au pays natal. Avec une brochette d'artistes et de créateurs que ses différents membres ont pris l'habitude de défendre: Cahoreau (qu'adore Michel Leroux, "l'égaré" de l'art obscur – label récupéré de la corbeille de Dubuffet), Cerisier, Chapelière (dont une œuvre sert d'illustration à l'affiche de l'expo, voir ci-dessus), Marc Girard, Céneré Hubert (un créateur populaire d'environnement dont plusieurs œuvres ont été sauvées par Leroux), Alain Lacoste (un grand ancien de l'art singulier), Patrick Le Cour (je connais pas), Joël Lorand (lui, on connaît), Serge Paillard ("l'homme aux patates", comme on commence à le surnommer ici et là), Jacques Reumeau, Antoine Rigal, et Robert Tatin (que sa veuve ne voulait surtout pas qu'on range dans l'art singulier, label qu'elle trouvait sans doute réducteur, à tort bien sûr). Et puis nos Mayennais, souvent protectionnistes (je taquine) et jaloux de leur "mayennité" (je re-taquine), ont daigné ajouter à ce premier lot des artistes des Pays de la Loire: Noël Fillaudeau (dont une belle sélection est désormais accrochée au Musée d'art naïf et d'arts singuliers du Vieux-Château à Laval), Stani Nitkowski (dont j'apprécie les premières œuvres et beaucoup moins les suivantes, plus "expressionnistes-explosives", invitant le public à lorgner sur ses souffrances, et à se complaire dans ce spectacle), François Monchâtre et Yvonne Robert (naïve, brute ou singulière?). L'exposition se passe à Laval mais pas au Vieux-Château, plutôt au "musée-école de la Perrine", charmant hôtel particulier installé dans le jardin de la Perrine, à deux pas de la tombe du "gentil Douanier Rousseau" (auquel le Musée d'Orsay consacre comme on sait une grande rétrospective en ce moment à Paris, avec, paraît-il, l'exhibition du fameux tableau "Le Rêve", venu des USA, d'où il voyage rarement).
Musée-école de la Perrine, ph. Bruno Montpied, 2016
La tombe du Douanier Rousseau, avec, incisé à sa surface, le poème d'Apollinaire, Jardin de la Perrine, ph. B.M., 2016
Et la Fabuloserie continue d'exposer de manière décentralisée, Auxerre cette fois-ci
"Itinéraires fabuleux" est le titre de l'expo montée à l'Abbaye St-Germain au Logis de l'Abbé du 26 mars au 13 juin à l'initiative de l'Espace d'Arts Visuels de la ville d'Auxerre. Cela se veut une rencontre entre les créateurs de la Fabuloserie (basée elle aussi en Bourgogne, à Dicy) et des œuvres de l'artothèque de la ville. Sur l'affiche on reconnaît une pierre peinte par Jacques Renaud-Dampel, dont j'ai déjà parlé ici, confrontée à une œuvre du célèbre membre du groupe Cobra, Karel Appel, cette dernière pièce (un poil infantile, un Appel à tarte, si j'ose m'exprimer ainsi) provenant sans doute de l'artothèque, car je ne sache pas qu'il y en ait à la Fabuloserie.
Sortie d'un nouveau livre sur Hauteville House de Victor Hugo
Paris-Musées édite un nouveau livre sur la maison étonnamment décorée que posséda Hugo à Guernesey. Je ne connaissais personnellement jusqu'ici qu'un livre ancien, dû au poète Pierre Dhainaut, et édité au début des années 1980 (il me semble) aux éditions Encre (les mêmes qui éditèrent des livres sur le Facteur Cheval et Picassiette). Ce nouvel ouvrage, intitulé exactement Hauteville House, Victor Hugo décorateur, 160 pages, comporte des photographies et des dessins dus à deux arrières-arrières-petits-enfants du poète, Jean-Baptiste et Marie Hugo. Et Laura Hugo, fille de Marie, a sélectionné des écrits familiaux permettant de situer l'apport du Hugo décorateur, adepte d'un art total. Il a décidément tâté de tout, le grand homme, poète, romancier, dramaturge, photographe, peintre et décorateur. La parution du livre prend place à l'occasion de l'exposition "Les Hugo, une famille d'artistes" (du 14 avril au 18 septembre).
Ursula à la galerie Les yeux fertiles
Sur cette artiste à part, compagne du peintre Bernard Schulze (aussi exposé à côté d'elle dans cette même galerie Les yeux fertiles), on a peu de renseignements (en français). Cela fait des années que je la vois mentionnée ici et là, notamment au moment de la donation Cordier au MNAM (Daniel Cordier l'exposa dans sa galerie), et je n'arrive pas à me décider à creuser la question. Je la prends pour une autre Unica Zürn au fond, une artiste visionnaire, para-surréaliste, marginale par rapport à ce mouvement (on dirait que comme dans le cas de Bellmer et Zürn, on aurait encore affaire ici à un autre couple d'artistes allemands où une femme se cache, à tort ou à raison, dans l'ombre de son compagnon). A lire la base patrimoniale des musées de Suisse romande, plusieurs œuvres d'elle (Ursula Bluhm) figurent dans la Collection de l'art brut, sans doute dans l'ancienne collection annexe dite de la "Neuve Invention" (les cas-limites entre art brut et art reconnu ; la base patrimoniale en question ne mentionne pas le distingo, et c'est un peu embêtant, accroissant la confusion entre créateurs de la Neuve Invention et la collection princeps de l'art brut). Dubuffet acquit de ses œuvres avant qu'Ursula se marie avec le peintre Bernard Schulze. L'automatisme très présent dans ses œuvres, accompagné d'une grande richesse chromatique, ses jungles de petites touches mosaïquées, rendent la fréquentation de ses œuvres fort agréable.
L'exposition d'Ursula et Bernard Schulze, aux Yeux fertiles, dure du 17 mars au 7 mai.
Un dessin aux crayons de couleur d'Ursula Bluhm, de 1959, tel qu'il figure sur la base patrimoniale de Suisse romande
Et que va-t-on montrer à la galerie Dettinger-Mayer en ce printemps? Christelle Lenci
Plus récente exposition de la galerie lyonnaise, c'est prévu pour durer du 9 avril au 4 mai. "Il était une fois", c'est son titre et, comme on le devine un peu en regardant le carton d'invitation, ce sont des dessins qui sont exposés de cette artiste, Christelle Lenci, dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'ici. Histoire de nous emmener en promenade dans une forêt de contes à usage interne peut-être... L'intéressant pour moi dans ce genre de dessins c'est l'usage parallèle du noir et blanc et de la couleur. Le noir et blanc paraissant réservé aux évidements, à la réserve laissée par les espaces colorés... Enfin, je le suppose à partir de ce seul dessin...
Armand Schulthess à Lugano
Inscriptions accrochées sur le terrain (de 20 000 m²) que possédait Armand Schulthess au Tessin ; ph. Hans-Ulrich Schlumpf, années 1970
J'avais déjà mentionné l'exposition qui avait été montée au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel sur cet ancien fonctionnaire qui abandonna son travail à 50 ans pour se retirer en ermite du côté du Monte Verita dans le Tessin, lieu emblématique et historique où tant d'artistes, de poètes, de philosophes et de révolutionnaires, firent des séjours. On peut imaginer que l'exposition qui a commencé le 19 mars au MASI (musée d'art moderne) de Lugano, pour durer jusqu'au 19 juin, sous le commissariat de Lucienne Peiry, est le prolongement de celle de Neuchâtel. Pour en savoir plus sur ce créateur encyclopédiste qui avait semé des médaillons couverts d'inscriptions chargées d'informations scientifiques de tous ordres sur les arbres de son jardin (assez proche par le projet d'un Gregory Blackstock aux USA, ou d'un Arthur Bispo de Rosario au Brésil, eux-mêmes passablement férus d'accumulation d'informations), on peut écouter Lucienne Peiry interviewée dans une émission de radio, "A vous de jouer", sur Espace 2 (elle intervient seulement à 41'30, attention). Ou se référer aussi à son site, Notes d'Art brut.
Du côté de la création franche, le musée de Bègles réaménage ses salles et son accrochage