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Rechercher : Fran��ois Michaud

Mes récentes publications (Info-Miettes n°21 bien narcissiques car centrées sur ma pomme)

"Art populaire et art brut, quelques exemples de comparaison", Actes I du séminaire sur l'art brut 2010-2011, dirigé par Barbara Saforova, éditions ABCD, 2012

 Actes I Séminaire B Safarova001.jpg    J'ai participé à ce séminaire qui se déroule dans les locaux du Collège International de Philosophie afin de présenter quelques éléments pemettant de mettre en regard art brut et art populaire insolite. Le but était de tenter de mettre en lumière à quel point, tout au moins pour une bonne part des collections d'art brut de Dubuffet transférées à Lausanne, l'art brut recélait des œuvres dont le style et les sujets étaient visiblement proches ou dérivés, malgré des ruptures, d'œuvres faisant partie des corpus de l'art populaire des campagnes d'autrefois. Comme je l'ai dit (briévement) dans mon intervention (dont le texte est donc paru dans ses Actes I publié l'année dernière), cette couleur populaire des collections était apparente surtout dans les premières décennies de la collection (commencée comme on sait vers 1945).

      Depuis quelque temps, l'art brut tend à être redéfini dans différents travaux, notamment ceux de la directrice de ce séminaire Barbara Safarova, travaux qui insistent sur la dimension transgressive de l'art brut, détachée de tout souci de communication, quasi volcanique, se limitant à la matière pure du signe. Le rapport à la culture, à une présupposée absence de culture (même seulement artistique), est moins abordé désormais. L'aspect sociologique est beaucoup moins présent (l'aspect de démocratie directe dans l'art n'intéresse pas les commentateurs actuels, peu politiques). On se concentre désormais davantage sur le côté anthropologique (comme le fait par exemple dans ces Actes une Céline Delavaux) ou esthétique des productions de l'art brut (voire poétique, comme le fait l'assez délirant Manuel Anceau, toujours un peu à la limite de la voyance).

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Une page d'illustrations de "Art populaire et art brut, quelques éléments de comparaison", intervention de Bruno Montpied, p.77 (de haut en bas et de gauche à droite, Thuilant, Forestier, un anonyme au De Gaulle membré -voir sur ce blog-, Müller et Leclercq)

      Au sommaire de ces Actes I, on retrouve outre mon texte, illustré d'oeuvres comme les autres contributions (le tout édité avec le goût extrême que l'on reconnaît à chaque publication de l'Association ABCD, et je vous prie de croire que je ne leur fais pas de la léche), des interventions de Philippe Dagen sur Marcel Réja, de Céline Delavaux sur une réaffirmation qu'il ne faut pas limiter l'art brut à l'art des fous, de Baptiste Brun qui revient sur la notion d'homme du commun mise en avant par Dubuffet au début de ses recherches d'après-guerre, de Lise Maurer sur Laure Pigeon, de Béatrice Steiner (avec des illustrations montrant d'intéressantes oeuvres – je ne parle pas ici de celles de Serge Sauphar, assez mièvres, mais plutôt de celles d'un Adrien Martias – venues des archives de la section du patrimoine de la Société Française de Psycho-pathologie de l'Expression et d'Art-Thérapie)  et enfin de Manuel Anceau interrogeant "L'art brut: une contre-culture?", mais ne répondant pas vraiment à la question, préférant céder à une dérive au fil de la plume, basculant la plupart du temps en termes abscons et se révélant à d'autres moments capables de traits de lumière, comme dans l'envolée finale de son texte  où il cite une nouvelle de Philippe K. Dick dont le propos devient un beau symbole de ce que peut représenter l'art brut.

Actes I, séminaire sur l'art brut, "De quoi parle l'art brut?", dirigé par Barbara Safarova, 2010-2011, 160 p., 29€, éd.ABCD, sd, 2012. Disponible en vente à la librairie de la Halle Saint-Pierre, à la galerie ABCD, 12, rue Voltaire à Montreuil, et à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Voir également le site d'ABCD. A signaler en outre que la galerie de Montreuil est ouverte en ce moment pour l'exposition "Voodoo Chile" consacrée à J-B.Murray et Mary T.Smith le samedi et le dimanche de 12h à 19h jusqu'au 17 mars.

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Cinéscopie n°26, 2012: BM, "Brunius, un cinéaste surréaliste en DVD"

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     Bon, je vais pas la ramener trop encore sur Jacques Brunius, parce que j'en ai déjà abondamment parlé dans cette colonne de notes sans fin (ou presque). Le compte-rendu que j'ai publié dans la revue ci-dessus citée, en juin 2012, est une reprise de la note qui a paru ici même et qui est donc désormais aussi fixée sur papier (car les blogs durent ce que durent les fleurs, en un peu plus longtemps seulement...). A noter que cette revue destinée aux fondus de cinéma amateur, notamment Super 8, animée par un passionné fort sympathique, par ailleurs dessinateur autodidacte de grand talent (voir ci-dessous un de ses dessins), Michel Gasqui (alias Migas Chelsky), s'est aussi intéressée aux Bricoleurs de Paradis entre autres pour mes films Super 8 des années 1980 qui se retrouvent dans les bonus du DVD paru avec mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, et dans certaines des incrustations du film.

 

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Migas Chelsky, Bidule 1

Pour obtenir Cinéscopie, voir le blog http://cinescopie.unblog.fr/

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Création Franche n°37, décembre 2012, BM: "Bernard Jugie, un petit musée à usage interne"

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     Autre découverte que j'ai faite l'été dernier, avec la maison Péridier et autres merveilles dont je devrais bientôt parler, voici un petit article, avec de belles photos en couleur, bien imprimées (j'en suis très fier, si, si) sur un créateur populaire à la retraite, Bernard Jugie.B.Jugie-dans-son-petit-musé.jpg Je l'avais repéré en passant un jour par Billom dans le Puy-de-Dôme, du moins n'avais-je entraperçu que des petits décors naïfs placés au-dessus d'une porte et d'une fenêtre en rez-de-chaussée. J'ai attendu deux ans pour faire le tour du petit musée qui se cachait à l'étage. Quelques merveilles nous y attendaient moi et les deux camarades de dérive de cet été-là. Dont certaines se retrouvent ainsi photographiées et en pleine page dans ce dernier numéro de Création Franche. C'est la révélation d'un attachant créateur populaire caché au fond de l'Auvergne.

 

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Une des pages consacrées au petit musée de Bernard Jugie, Création Franche n°37

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Bernard Jugie, un renard taillé dans de l'aggloméré, coll. et photo inédite BM, 2012

       A noter au sommaire de cette livraison d'autres contributions de Gérard Sendrey sur "Lucie M. dite de Syracuse", de Bernard Chevassu sur Christian Guillaud, de Joe Ryczko sur un "Monsieur Grosjean, constructeur d'automobiles en chambre", un projet des étudiants de l'association Campus dynamique sur une prochaine exposition du musée de la Création Franche hors les murs ("La Création Franche s'emballe! Itinérance d'une collection insoumise", du 4 au 14 février 2013 au Bâtiment 20 des Terres Neuves aux lisières de Bordeaux et de Bègles, première étape d'une exposition d'une centaine d'œuvres de la collection qui devrait partir en balade, nous dit-on, excellente initiative...), un texte de Pascale Marini sur Aloïse et Dubuffet et aussi des contributions de Paul Duchein sur Labelle et Dino Menozzi sur Enrico Benassi.

 

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On reconnaît sur cette affiche un masque de Simone Le Carré-Galimard

La revue est disponible au musée ou en écrivant au contact du site web du musée.

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Les Maçons de la Creuse, bulletin de liaison n°15, daté juin 2011 (en réalité imprimé et disponible en janvier 2013), avec deux textes de BM: "François Michaud n'était pas seul, quelques exemples d'environnements populaires créés avant le Palais Idéal du Facteur Cheval" et "La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils"

 

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     Dans ce bulletin, le deuxième texte sur les Montégudet, je l'avoue sans peine, est  le même que celui publié dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques (qui lui-même était dérivé des notes parues sur ce blog...). Il est cependant mis en page différemment et comporte des photos supplémentaires inédites du petit musée privé de René et Yvette Montégudet, descendants et continuateurs de Ludovic Montégudet l'ancien maire de la commune creusoise de Lépinas qui avait créé un espace ludique et poétique avec statues et divertissements variés autour de son étang.

    Le premier texte quant à lui, "François Michaud n'était pas seul", est par contre une amplification d'un texte précédent paru dans Création Franche n°28 en 2007 (« François Michaud et les autres, quelques exemples d’environnements populaires sculptés avant le Palais Idéal du facteur Cheval »). De nouvelles photos inédites et des paragraphes nouveaux évoquent quelques sites anciens ayant précédé les Facteur Cheval, abbé Fouré ou abbé Paysant. Par exemple les statues du sabotier Jean Molette auteur dans les monts du Lyonnais d'une œuvre naïve, taillée dans la pierre et le bois, tout à fait remarquable. Il fit des Napoléon, Ier et IIIe du nom, une immense Madone, une fontaine ornée d'un écu et de lions, des croix de chemin, le tout en plein air (certains restaurés par les architectes des Monuments Historiques, car ils sont classés à l'Inventaire). Ce bulletin me permet aussi de présenter un extraordinaire panneau sculpté du même Molette – en 1854, excusez du peu... –, parfaitement inédit jusqu'à présent, consacré à la gloire de l'Empereur Napoléon III dont ce sabotier était raide dingue (comme François Michaud le tailleur de pierre de la Creuse dont mon article le rapproche). "Le Tableau des Souverains de France" étant le titre de l'œuvre de Molette entièrement vouée à chanter les louanges impériales (Napoléon III est représenté à cheval entouré de 78 médailles chargées de figurer les rois de France que l'Empereur surclasse selon l'auteur). Ce bas-relief fut longtemps conservé dans les archives locales jusqu'à ce qu'il parte chez les brocanteurs à une date récente, et de là dans une collection privée parisienne. Ces représentations naïves et populaires de Napoléon correspondent au regain de bonapartisme que l'on put observer dans diverses campagnes auour de 1852 en France lors du retour au pouvoir d'un Bonaparte. On trouve maintes références à cette napoléonimania, qui ressemble à un culte, sous la forme de statuettes ou d'imagerie, voire de fresques.

 

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Le Napoléon Ier et le panneau sculptés par Jean Molette, et autres décors situés en plein air avant le Palais Idéal... Les Maçons de la Creuse n°15, pages de l'article de BM

 

      Dans ce bulletin, je donne un autre exemple de décor napoléonolâtre photographié (là aussi, c'est complètement inédit) dans le Puy-de-Dôme près de La Tour d'Auvergne (voir ci-dessus). D'autres décors sculptés sur des maisons rurales du Cantal, que m'avait naguère signalés Emmanuel Boussuge sont également présents dans le numéro. Par ailleurs, l'article est flanqué d'encarts dus à la rédaction du bulletin (Roland Nicoux) et de nombreuses photos qui ajoutent de précieux renseignements sur les sculptures de François Michaud à Masgot. L'édition du livre que nous avions fait à plusieurs en 1993 sur ce créateur précurseur des environnements bruts et naïfs du XXe siècle aux éditions Lucien Souny étant désormais épuisée, ces précisions et photos sur Michaud viennent redonner un peu de lumière au sujet.

 

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Raymond Arthur, arrière-petit-fils de François Michaud, sur le seuil de sa maison en 2009, ph. BM

 

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Un compte-rendu paresseux dans la revue ”Critique d'Art”...

      Une remarque de Marc Décimo, parue dans la revue Critique d'Art (n°49 de 2017, qui sera disponible en version intégrale sur le site web de la revue en mai 2019), et insérée dans ce qui se voudrait un compte-rendu de mon récent livre Le Gazouillis des éléphants (expédié en deux paragraphes, un record de la recension exécutée par-dessus la jambe, alors que le livre dont il paraît vouloir traiter fait 934 pages), m'a quelque peu titillé. Je cite ici le passage où elle se trouve (soulignée par mes soins en rouge) :

     "... c’est autour de ce qu’il est aujourd’hui convenu de nommer « les environnements » que certains chercheurs, très peu nombreux, documentèrent au fil des années les sites qu’ils découvraient, multipliant articles dans quelques revues, photographies et films. Bruno Montpied fut un de ces passionnés. Il présente aujourd’hui la somme de ces recherches (934 pages), région par région de France. Il énumère les sites qu’il a visités. Il documente. Il iconographie. Bruno Montpied a aussi pensé à reproduire des cartes postales anciennes, des années 1900, souvent les seuls témoignages de ces curiosités passées que la revue Gazogène recensait naguère."

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     Je passe sur le "fut" qui paraît m'enterrer quelque peu. Un présent aurait pu mieux convenir, s'il vous plaît, M. Décimo, je ne suis pas encore mort. La phrase sur les cartes postales anciennes "que la revue Gazogène recensait naguère" est quelque peu ambiguë. On peut se dire en la lisant que c'est cette revue qui eut la première l'idée de recourir à cette source iconographique et documentaire. Or rien n'est plus faux. Des cartes postales anciennes avaient déjà aidé Anatole Jakovsky à illustrer son livre (approximatif), de 1979 aux éditions Encre, sur les rochers sculptés par l'abbé Fouré à Rothéneuf. Surtout, en 1985, son grand rival, Frédéric Altmann – voulant prendre sa revanche du fait que Jakovsky ne l'avait pas fait directeur du musée d'art naïf qui venait de s'installer à Nice dans un splendide hôtel particulier dominant la mer – fit paraître une autre étude sur le même abbé de Rothéneuf, entièrement fondée sur les cartes postales (il en existe près de 400, rien que pour les œuvres sculptées de l'abbé, sur pierre ou sur bois). Le livre fut intitulé La vérité sur l'abbé Fouéré, "l'ermite de Rothéneuf", le sculpteur des rochers de Rothéneuf, 1839-1910 ; une recherche par les cartes postales et documents d'époque (éditions A.M., Nice).

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      Francis David, dans son Guide de l'art insolite Nord-Pas-de-Calais-Picardie, aux éditions Herscher en 1984, en a également utilisé dans la préface de son livre qu'il confia à l'écrivain régional Jacques Duquesne (c'est même là que j'ai découvert la carte reproduisant les graffiti sculptés de la "Nymphe d'Aveluy" que j'ai reproduite dans mon Gazouillis). En 1993, dans le chapitre que je consacrai à François Michaud dans l'ouvrage collectif Masgot, L'œuvre énigmatique de François Michaud (éditions Lucien Souny, Limoges), chapitre que j'ai réédité en 2011 dans Eloge des jardins anarchiques (voir "Formes pures de l'émerveillement"), je publiai une carte postale ancienne, moi aussi, consacrée à la "Villa des Fleurs" de Montbard (voir ci-contre).Cp-la-villa-avec-deux-perso.jpg A cette époque (à partir de 1989), j'étais en contact avec Jean-François Maurice qui, au début des années 1990, n'avait pas encore pris l'habitude de faire imprimer sa revue Gazogène chez un professionnel, lui laissant l'allure d'un fanzine foutraque, auquel il m'arriva de collaborer (le  premier numéro imprimé professionnellement, relié, paraît être le n°17, et malgré son absence de date peut être daté de 1997) . Nous échangions souvent, notamment par téléphone (lui à Cahors, moi à Paris). Et l'idée d'accentuer les recherches de sites, notamment du passé, en allant du côté des cartes postales anciennes, je la lui formulai un soir, à propos notamment des "Ruines de la Vacherie", ce site étonnant qui existait autrefois dans les parages de Troyes.  Bien plus tard seulement, il rencontra le collectionneur de cartes postales d'environnements spontanés Jean-Michel Chesné, avec qui il réalisa plusieurs numéros  reproduisant des dizaines de cartes postales de sites. C'est ces numéros qu'évoque Décimo dans son articulet expéditif, d'une manière que je trouve insupportablement désinvolte, et finalement très mal informée, car Gazogène ne s'est consacré aux cartes postales anciennes que très tard par rapport aux ouvrages que j'ai cités précédemment. L'utilisation des cartes postales vis-à-vis des sites d'art brut ou d'art naïf en plein air par la revue Gazogène ne fut en définitive  que la systématisation d'une idée. Ce qui n'occulte pas le fait pour autant que la revue fit à l'occasion de divers de ses numéros spéciaux plusieurs découvertes et révélations (dont je me suis fait l'écho dans mon livre, à l'occasion). Mais cela n'entraîne pas qu'on puisse insinuer que j'aurais pu être un récupérateur d'une idée que j'avais mise en application avant cette revue, et idée qu'en outre, j'avais suggérée à Jean-François Maurice, avant que nous rompions.

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Auguste Bourgoin, l'auteur des "Ruines de la Vacherie" devant son "Bureau".

 

    Dire par ailleurs, comme le fait M. Décimo, qu'il y eut jusqu'ici peu de "chercheurs" creusant la question des environnements, notamment populaires – si l'on accepte de considérer les "chercheurs" au sens large, et pas seulement au sens universitaire et institutionnel – c'est largement contredit, par exemple, par la bibliographie de 16 pages que j'ai donnée dans les annexes de mon Gazouillis.

    Je pourrais aussi citer cette autre affirmation, que l'on peut dénicher dans le même entrefilet de notre "critique d'art" : "Le parti pris de Bruno Montpied est descriptif et biographique à travers l’étude des cas qu’il approche. On aimerait toutefois en savoir toujours davantage sur les raisons et irraisons qui poussent à se distinguer hors des normes." A lire ces lignes, je me convaincs que l'auteur de ce jugement des plus sommaires n'a pas dû lire grand-chose de mon ouvrage. A commencer par ma longue introduction où je donne, il me semble, plusieurs points de vue sur diverses questions que posent les environnements, la question de leur conservation ou non,  par exemple, ou les motivations de leurs auteurs, etc. Plusieurs de mes notices, de tailles diverses, donnent sans cesse des éléments d'information précisément sur "les raisons et irraisons" de ces créations "hors des normes", contrairement à l'affirmation de Décimo. Elles dépeignent aussi comment ces inspirés du bord des routes n'ont pas toujours, non plus, l'impression de se distinguer des normes. M. Darcel, dans la région de St-Brieuc, trouve que ce qu'il fait est plus vivant que les œuvres de Picasso, et qu'il est donc plus près d'une certaine "normalité" que ce que l'on trouve dans les musées. M. Roux dans sa cave troglodytique reproduit des personnages de Disney sur ses parois pour nier son enterrement dans une excavation, Chatelain ou Michaud ont créé leurs univers par désir d'être anoblis par leur œuvre ("un Chatelain, ça doit avoir un château", Michaud magnifiait de colonnades gréco-latines son pressoir à cidre et ses clôtures). Etc., etc....

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Colonnades de la barrière d'enceinte de la deuxième maison de François Michaud à Masgot dans la Creuse, ph. Bruno Montpied, 2013.

 

       Bref, que le lecteur de Critique d'art aille voir dans le Gazouillis, sans se contenter du compte-rendu de ce paresseux universitaire...  La bibliothèque de cette revue, qui réclame en outre, de façon assez scandaleuse, je trouve, que l'éditeur lui fournisse deux ouvrages en rançon d'un compte-rendu (et quel compte-rendu!), permettra assez aux lecteurs, qui n'auront pas par hasard été rebutés par cette misérable notule, de se faire une idée plus exacte de mon ouvrage. Qui me paraît mériter tout de même un peu plus que deux seuls paragraphes sans le moindre contenu (c'en est, pour le coup, assez obscène)... Mais, peut-être, l'histoire de l'art, dont cette revue ambitionne d'être l'exhaustif miroir, n'a pas à retenir un ouvrage tel que le Gazouillis, trop OVNI pour elle...?

 

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Ouvrez-le... Et lisez-le, bon sang de bois! Et n'écoutez pas vos professeurs, étudiants en histoire de l'art...

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Art populaire et affirmation individuelle...

ART POPULAIRE ET AFFIRMATION INDIVIDUELLE: DEUX MAITRES-MACONS DE LA VALLEE DE BREZONS

 par

Emmanuel Boussuge

 

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      On trouve au Bourguet, en haut de la vallée de Brezons, dans le Cantal, un curieux petit monument composite (1):

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    Ses deux éléments constitutifs ne sont pas au même niveau, mais le tout est évidemment conçu comme un ensemble. La croix est datée : 1778 ; la scène sculptée aussi : 1805. On peut lire sous celle-ci :  "PARVIDALVACHERMMON", c’est à dire : "[fait] par Vidal Vacher Maître Maçon" (2).

      En remontant la vallée, à Liverninx, un hameau situé un kilomètre plus loin, on tombe sur un autre croix très similaire à la précédente.

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    Celle-ci présente la particularité très rare d’avoir un christ sur chaque face (3). On peut lire d’un côté "INRI", initiale de la formule courante qui désigne en latin "Jésus de Nazareth, Roi des Juifs", et de l’autre la date de 1784. Si l’on n’était pas encore convaincu par la très grande similarité du style des sculptures, la proximité des dates assure que les deux croix sont de la même main, qui signe d’ailleurs au bas de celle de Liverninx : "CHANSSANS",  Photo-4.jpgce qui compte tenu de la variabilité de l’orthographe des noms propres au XVIIIe (notamment dans le cas d’un passage du patois au français), de l’alphabétisation peut-être sommaire du sculpteur et des noms usuels localement, peut correspondre à Chanson ou Chassang… Voilà le nom de celui qui notait seulement "Maître Maçon" au Bourguet identifié. Photo-5.jpg Mais peu importe, ce qu’il faut noter, c’est que le sculpteur a l’habitude de signer son œuvre et qu’il faisait des croix en séries.

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      Personnellement, je trouve sa fruste technique particulièrement émouvante et son sens de la figuration très satisfaisant pour l’esprit. Qui est ce bonhomme mis sur la croix ? C’est une représentation d’une humanité sans particularité comme celle d’une poupée sommaire ou d’un bonhomme en pain d’épice par exemple. Ce n’est pas en tout cas le Christ agonisant : il ne tient d’ailleurs pas grâce à des clous plantés dans ses membres, mais grâce à un petit piédestal plus confortablement mis sous ses pieds. Il ne faudrait pas croire pour autant à une quelconque intention antichrétienne, mais de même que pour les canons iconographiques savants, le sculpteur s’affranchit ici de tout canon théologique avec la parfaite innocence de l’ignorant et il atteint spontanément à une forme d’universalité inaccessible à ses collègues plus instruits.

    

    Si l’on descend la vallée et bifurque vers celle de Pierrefort maintenant, ce que l’on trouve ce sont des linteaux sculptés, très rigoureusement similaires à celui déposé à terre au Bourguet.

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     Il peut y avoir un, ou deux serpents, les lions peuvent sembler remplacés par des singes comme à Gourdièges. On ne montre ci-dessus que les plus intéressants (ceux qui comportent une figuration), mais on peut d’ores et déjà recenser six autres linteaux attribuables à coup sûr à Vidal Vacher (même cadre cordé reconnaissable entre tous et dates similaires, entre 1800 et 1810).

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    Des serpents affrontés à des lions, le thème de prédilection de Vidal Vacher est sans doute à rapporter à une valeur protectrice, une sorte de porte-bonheur allégorique où les forces maléfiques (les serpents) sont vaincues par des forces bénéfiques représentées par les lions. Le cas est un peu plus complexe avec les singes de Gourdièges (si ce sont bien des singes), le singe étant traditionnellement plutôt connoté négativement. Mais de toute façon, ce que l’on voit bien, c’est qu’il s’agit aussi d’une marque personnelle ayant peut-être bien avant tout une valeur publicitaire. Vidal Vacher paraît célèbre dans le secteur pour la finesse de ses linteaux, particulièrement ceux où sont représentés des animaux et celui qu’il a signé et qui nous permet de le connaître est un de ceux-là.

 

     En parcourant la très abandonnée vallée de Brezons, une des plus belles émotions pour le marcheur est de tomber sans cesse sur les traces des anciens habitants qui étaient étonnamment nombreux il y a encore si peu. Parmi ces traces, les sculptures de deux maîtres maçons indigènes sont des témoignages précieux qui engagent le curieux à un jeu de piste passionnant. A la place d’une confrontation avec des créations anonymes ressortant d’une indistincte tradition, on a devant soi des objets que l’on peut rapporter à un homme bien précis (de la chair, des os et des idées à soi, tout comme vous et moi), doué de goûts et de passions personnelles débouchant sur un style reconnaissable. Autant dire, même si c’est un truisme, que des éléments de décors populaires aussi typiques que linteaux et croix étaient bien sculptés par certains de nos congénères et ne sont donc pas l’expression automatique d’une tradition toujours identique à elle-même et indifférente à la personne qui le réalise. Ce n’est pas rien de signer ses œuvres et ce qui est vrai pour la Renaissance et ses prodromes italiens l’est aussi dans le domaine de l’art rustique (4). On a là l’expression d’un individu qui s’affirme et qui revendique ses préférences et ses choix plastiques (quel que soit leur aspect élémentaire). C’est bien cette sorte d’assurance que vont développer et cultiver ensuite les différents créateurs d’environnements spontanés dont le premier, dans l’ordre chronologique, que l’on peut citer est François Michaud (5), le maître maçon de Masgot dans la Creuse qui orna ses demeures successives et son jardin d’extraordinaires sculptures, où toute sa technique professionnelle est sollicitée pour conduire à quelque chose de totalement neuf.

 

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Quatre dernières photos, sculptures de François Michaud à Masgot (Creuse)

 

    "Dans la mer trop souvent anonyme de l’art populaire", pour reprendre une image de Nicolas Bouvier, certains îlots minuscules mais clairement individualisés se détachent à peine de la surface de l’eau. Les découvrir en marcheur curieux et se soucier de reporter leur nom sur un nouveau type de portulan est en soi enthousiasmant. Ce ne sont pas les immanquables et majestueuses îles de grande singularité comme le sont les créations du facteur Cheval ou celles de l’abbé Fouéré, mais elles émergent sans doute d’un fond commun.

 

    Le tout est d’accorder à ces manifestations émouvantes l’attention qu’elles méritent. Pour finir et pour tirer la langue aux cloisonnements qui règnent trop souvent en la matière, voici un détail du linteau déposé du Bourguet.

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Toutes les photos illustrant cette note, sauf mention spéciale, sont d'Emmanuel Boussuge (2009)

(1). Cette photo a été prise par Roger Besse (1907-1968), qui filma et photographia avec une formidable régularité le Sud du Cantal et ses habitants, amassant une documentation extraordinaire sur le monde rural des années 40 aux années 60. La richesse de ce fonds a donné lieu à un spectacle, puis à un DVD intitulé L’œil du pharmacien (L’Auvergne imaginée, 2005) mêlant images et musique et que l’on peut chaudement recommander. On remarque au passage que l’agencement du "monument" a plus de 40 ans. Merci à Pascal Besse de nous avoir communiqué la photo.

(2). Le premier à avoir évoqué le nom de Vidal Vacher est Jean-Claude Roc, mais je n’ai malheureusement pas la référence de son livre sous la main.

(3). Sur les croix, l’ouvrage de référence est celui de Pierre Moulier, Croix de Haute-Auvergne (Créer, 2003), qui se base sur un recensement local d’une ampleur inégalée toutes régions confondues.

(4). Voir Bruno Montpied, Petite promenade dans l'art populaire du Rouergue dans Gazogène, Cahors, 1996.

(5). Voir Bruno Montpied, Formes pures de l’émerveillement dans Masgot, l’œuvre énigmatique de François Michaud, éd. Lucien Souny, Limoges, 1993 et François Michaud et les autres, quelques exemples d’environnements sculptés avant le Palais Idéal du facteur Cheval, dans Création Franche, septembre 2007, pp. 16-20.

 

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Naïfs démiurges, voyeurs conséquents!

    De temps à autre, je compulse mes archives, à la recherche d'une référence, d'une information plus précise, d'un souvenir... Ou plus souvent sans but autre que le compulsage compulsif, automatiquement, en réalité mû par une nécessité intérieure qui ne veut pas parler à voix haute...

    Voici que mes yeux retombent sur cet entrefilet extrait d'un article sur "Les Facteur Cheval" paru dans un almanach "banlieue" de la revue Actuel, numéro hors-série, datant vraisemblablement de 1974 ou 75...:

   "Il y a vingt ans, Monsieur Colaniz, maçon à la retraite, modela une statue de femme nue qu'il installa devant sa maison et qu'il repeignit avec soin jusqu'à sa mort. (Boulevard Circulaire, 93420, Villepinte)".

   Je ne suis jamais allé à Villepinte voir si la femme nue était toujours là, toujours "soigneusement repeinte". Je suppose bien que non. Je m'en console avec d'autres, modelées par des créateurs un peu partout. Dès qu'on se rend compte qu'on sait faire surgir du néant quelque être ressemblant, on est terriblement tenté de se faire démiurge et voyeur! 

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Statues de femmes de Gabriel Albert à Nantillé, Charente-Maritime, photogrammes (1988) extraits des Jardins de l'Art Immédiat, ensemble de films Super 8 sur divers environnements spontanés, B.Montpied
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Oeuvres de Frédéric Paranthoën.
 Parmi les statues que ce marin retraité rangeait à la fin de sa vie la plupart du temps dans son garage au lieu de les exposer à la vue des passants dans le petit jardin qu'il possédait au rez-de-chaussée d'un petit immeuble de Royan, on peut découvrir une jeune Tahitienne en costume d'Eve (l'exotisme autorisant la nudité, comme dans le cas des photos coloniales de jeunes Africaines vivant nues à la manière traditionnelle), photogramme (1988) Les Jardins de l'Art Immédiat, B.Montpied
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Statue de femme nue par François Michaud, installée derrière un Napoléon sur le mur de clôture de sa seconde maison à Masgot dans la Creuse (datable de la deuxième moitié du XIXe siècle, avant 1880...), photo B.Montpied, 1988.
  

  

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31/01/2008 | Lien permanent

La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils (1)

     On a tendance à croire, possédé que l'on est par le dogme de l'art brut, que les créateurs d'environnements populaires sont le plus souvent des individualistes forcenés. Cela n'est pas toujours vrai. Et même, lorsqu'il s'agit des inspirés du bord des routes spécialement, cela se révèle souvent faux. Mais peut-être aussi ne faut-il pas toujours associer l'art brut aux environnements spontanés.

     Il y a ainsi le cas des deux Montégudet, le père et le fils, dans la Creuse, département qui s'enorgueillit de posséder par ailleurs le plus ancien environnement spontané qui soit parvenu jusqu'à nous, à savoir le village sculpté de Masgot du tailleur de pierre François Michaud (commune de Fransèches).

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Une des quatre cartes postales ayant été éditées pour assurer la publicité de l'Etang Fleuri, Le Renard et le Bouc (avec un panonceau indiquant "qu'il est interdit aux moins de treize ans de regarder" le membre du bouc qu'une ouverture dessous la margelle dévoile clairement, membre qui fut "censuré" radicalement dans la suite des temps par l'épouse de son fils...), la chèvre de M. Seguin, Adam et Eve... (Années 1970, éd. Cap-Théojac)

     J'ai évoqué en titre une "dynastie", et d'accord c'est un peu exagéré, sauf à penser que nos créateurs retraités, issus pour leur majorité des classes populaires, lorsqu'ils créent, se fabriquent une nouvelle souveraineté, comme s'ils étaient devenus ce que j'ai appelé ailleurs "les rois d'eux-mêmes".

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Autre carte postale de l'Etang Fleuri, Le Renard et la Cigogne, Le Lion et le Rat, le monstre du Loch Ness, Ludovic avec la chèvre de Picasso... (Années 1970, éd. Cap-Théojac)

     Il y eut d'abord le père, Ludovic, qui entre 1967 et 1981 créa autour d'un étang une sorte de parc de loisirs bricolé avec les moyens du bord. Ludovic Montégudet devant sa buvette, document famille Montégudet, années 1970.jpg Il sema sur ses rives une multitude de petites saynètes représentant, entre autres, les Fables de La Fontaine, la Chèvre de Picasso, Barbe-Bleue, Roland à Roncevaux (ce dernier sujet peu banal chez nos autodidactes, en même temps en accord avec les souvenirs d'école!)... Ancien maire du bourg de Lépinas, retraité, c'était l'idée qu'il avait eu pour maintenir du lien social à la fois dans sa commune et pour lui-même aussi, parce que la retraite l'avait retranché de ses concitoyens. Il sculptait le bois et avait installé ses sculptures en plein air, à côté d'une buvette, ne dédaignant pas les galéjades parfois à la limite de la gaudriole. Ludovic Montégudet,les cornes, ancien Etang Fleuri de Lépinas, document famille Montégudet,années 1970.jpg

Les couples d'amoureux venaient parfois se cacher au bord de "l'étang fleuri" et l'ancien maire en était fier. Le photographe François-Xavier Bouchart vint chez lui prendre des clichés, ainsi que Pierre Bonte, le spécialiste des gens-ordinaires-qui-ont-tous-un-grain-de-génie... Cela le fit connaître des amateurs de création populaire autodidacte (deux pages lui sont consacrées dans le catalogue de l'exposition Les Singuliers de l'Art au musée d'art moderne de la Ville de Paris, 1978 ; à quand la prochaine exposition sur le même thème pour faire le point et la mise à jour?).

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Ludovic Montégudet devant la saynète Le Lion et le Rat (document famille Montégudet, années 1970)

     Ludovic se faisait parfois aider dans ses sculptures par son fils René, qui outre quelques statues (de personnages), s'occupait surtout de mettre en couleur les statues de son père, ainsi que de les réparer l'hiver (car, comme René et son épouse le soulignent, les statues étant en bois souffraient terriblement d'être à l'air libre).

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Détail de la saynète Le Renard et le Bouc, avec le panonceau "Interdit..."

     Fin de partie en 1981. Ludovic décède. René et Yvette, sa femme, constatant la détérioration accrue et le vandalisme qui affectent les oeuvres, décident de les retirer des rives de l'étang et de les mettre à l'abri dans une grange.

Grange où furent rangées un temps les oeuvres de l'Etang Fleuri de Ludovic Montégudet, photo Bruno Montpied, 1991.jpg
La grange où étaient stockées les statues animalières de Ludovic Montégudet, telle qu'elle était en 1991 (photo Bruno Montpied)

     C'est une dizaine d'années après que, curieux de savoir s'il restait quelque chose des statues insolites de Ludovic Montégudet à Lépinas, je viens en Creuse où, avec l'aide du sculpteur Jean Estaque, grand amateur d'art et de culture populaires par ailleurs (nous nous étions rencontrés via Michelle Estaque et le projet de livre sur Michaud), nous partons visiter les héritiers de Ludovic, à savoir donc René et son épouse...

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02/08/2009 | Lien permanent

Roland Vincent

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Une sélection de travaux de Roland Vincent, ph.Bruno Montpied, Le Mont-de-Sardent, 2005

    Roland Vincent n'a pas, de façon explicite tout au moins, le désir manifeste d'échapper à ce qui englue les personnages qui naissent sous ses doigts. Auteur (à l'époque où je l'ai rencontré, c'est-à-dire en 2005 et 2006) de deux sortes de sculptures, d'une part des pierres de granit taillées en forme de têtes qu'il sème dans son jardin au Mont-de-Sardent dans la Creuse, et d'autre part des statuettes en assemblage de matériaux récupérés qu'il encolle avec un enduit fait de poudre de granit pulvérisée (c'est des pièces de cette série que j'avais plus particulièrement choisi d'exposer lors de ma "carte blanche" du 9e festival d'art singulier à Aubagne en 2006), dans cette deuxième veine, il paraît ne pouvoir que difficilement préciser les contours de ses personnages auxquels il ne donne pas de titres nets.

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Roland Vincent, [Le tambourinaire?], vers 2005, coll. privée, Paris, ph.BM

   Ils me paraissent assez voisins des corps retrouvés sous les cendres du Vésuve à Pompéi, pétrifications, fossilisations de réminiscences d'une mémoire hésitante... Imaginaire englué qui donne en spectacle la tragédie d'un enfermement dans la matière, gardant son secret par-dessous...

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Roland Vincent, [homme pétrissant de la matière sous la Lune], vers 2000, coll. privée, Paris, ph.BM.

    Roland Vincent vit dans la Creuse sur une colline appelée le Mont de Sardent (au-dessus de Sardent, le village où fut tourné Le Beau Serge de Claude Chabrol). Maçon de son état (fils et petit-fils de maçon), il s'est mis à la sculpture en autodidacte, de même qu'un frère (dont les œuvres sont encore plus secrètes, pour la plupart aujourd'hui dispersées, quelques-unes fort rares pouvant parfois encore se rencontrer au hasard des pérégrinations dans les environs de leur village). Il lui arrive d'exposer de temps à autres, par exemple à Limoges, ou à Masgot (Maison de la Pierre ; le village du tailleur de pierre François Michaud).

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Jojo Vincent, tête sculptée dans le granit, Mont-de-Sardent, ph.BM, 2006.

    Les pierres de granit étant abondantes sur le terrain où lui et ses proches habitent tout au long de l'année, au début des années 80, il eut l'idée de les ramasser, pour les sculpter en forme de visages le plus souvent. Il sème ces dernières autour de sa maison. C'est depuis 1995 (à peu près) qu'il récupère la poussière de granit qu'il pulvérise ensuite, aprés encollage, sur des infrastructures de matériaux de rebut assemblés afin de donner la structure interne de ses statuettes. Cela donne des personnages drôlatiques difficiles à identifier, profondément empêtrés dans la matière.

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Roland Vincent, ensemble de statuettes dans son atelier, Mont-de-Sardent, 2006, ph.BM.

    Deux textes de Jan Dau Melhau (qui a beaucoup aidé Roland Vincent à se faire connaître) ont paru sur lui dans la revue Gazogène. J'ai personnellement été mis sur son chemin, il y a déjà pas mal d'années par une confidence de l'écrivain ethnologue Jacques Meunier (merci également à Roland Nicoux qui rendit nos rencontres possibles).

 Roland Vincent, 1, le Mont, 23250, Sardent.

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Roland Vincent, [Un évêque?], coll. privée, Paris, ph.BM.

 

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24/07/2009 | Lien permanent

Le vingt-huitième numéro de ”Création Franche”

 

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  Le n°28 de la revue Création Franche, qui paraît apparemment deux fois l'an, vient de sortir (numéro de septembre). Au sommaire, toujours une suite d'articles sur des créateurs variés, avec ce principe maintes fois réaffirmé auparavant par le rédacteur en chef Gérard Sendrey (artiste et deus ex machina du musée éponyme de la Création Franche, situé comme on sait au 33, ave du Maréchal de Lattre de Tassigny, 33130 à Bègles ; c'est aussi à cette adresse qu'on peut se procurer la revue (8€ le numéro), voir également ici le site du musée), on ne doit y parler que des vivants... Cependant, cette fois, il y a des petites entorses à la règle (mais elles sont justifiées). On parle dans ce numéro (article de mézigue, Bruno Montpied, un habitué des entorses...!) d'environnements spontanés datant "d'avant le facteur Cheval" (François Michaud, Jean Cacaud, la cave des Mousseaux à Dénezé-sous-Doué, une maison sculptée en Margeride, l'abbé Fouré -pas tout à fait d'avant le facteur Cheval celui-ci, c'était en fait un contemporain de Ferdinand- et surtout d'un certain Louis Licois et de son bas-relief très naïf à Baugé dans le Maine-et-Loire).

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Bas-relief de Louis Licois à Baugé (1843), inscription: "J'ai réussi grâce à l'Etre Suprême", (Photo B.Montpied)

   Gérard Sendrey lui-même  pratique aussi l'entorse à ses propres principes puisqu'il évoque dans ce numéro 28 la mémoire des magnifiques dessins tourmentés de Swen Westerberg, le défunt époux de Claude Brabant de la galerie l'Usine à Paris (qui défend depuis tant d'années la création imaginiste de tous bords). Il faut dire que ce principe ne s'applique pas, me semble-t-il, à des créateurs qui sont passés au milieu de nous furtivement et sans trompettes. La renommée n'a pas eu le temps d'apprendre leur existence que déjà ils s'éclipsaient. Et ils avaient très mal su faire leur propre publicité, ce qui est le péché des péchés au jour d'aujourd'hui... Autant dire que l'époque regorge encore plus que les précédentes de créateurs originaux que l'on n'a pas su remarquer. Swen est incontestablement de ceux-là. Les dessins que publie ce numéro de Création Franche, et qui ont déjà fait l'objet d'un livre édité par Claude Brabant dans le cadre de sa galerie (avec 270 dessins reproduits), datent apparemment des années 60. Moi qui ai fréquenté la galerie dans les années 80, je n'avais pas eu vent de leur existence, les dessins que j'avais alors vus ne m'ayant pas autant intrigué. L'auteur n'avait alors peut-être plus l'envie de les montrer.

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Dessin de Swen (veuillez cliquer dessus si vous voulez agrandir l'image)

    Joseph Ryczko, un vieux de la vieille dans ces domaines des arts buissonniers, nous fait découvrir des dessins très ornementaux d'une nouvelle au bataillon, Gabrielle Decarpigny, qui paraît vivre du côté des Pyrénées, dessins fort séduisants si l'on en juge par ceux qui sont reproduits ici.

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Gabrielle Decarpigny, dessins reproduits dans Création Franche

   Trois plumes venues de la Collection d'Art Brut de Lausanne, Sarah Lombardi, Lucienne Peiry et Pascale Marini occupent également le terrain de ce numéro avec des articles sur Rosa Zharkikh, sur les "travaux de dames", les textiles de l'art brut, et sur Donald Mitchell (il m'ennuie un peu celui-ci, déjà aperçu à Montreuil du côté d'ABCD il me semble...). Et que je n'oublie pas de mentionner un article également de Dino Menozzi sur l'artiste Tina San , Menozzi sur qui je reviendrai dans une note suivante de ce blog.

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Juliette Elisa Bataille, Vieille maison de Montmartre, 1949 (Photo Olivier Laffely, Coll.de l'Art Brut, Lausanne, publié dans le n°28 de Création Franche, article de Lucienne Peiry)

    Ce Création Franche est un numéro peut-être un peu plus bref que de coutume mais il contient des textes et des images qui apportent du nouveau et auront peut-être ainsi quelque chance de revenir nous hanter. 

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Henri Boeuf, sculpteur naïf et maçon de la Creuse

    Je dois à Roland Nicoux, le tenace animateur de l'association des Maçons de la Creuse à Felletin, beaucoup de découvertes liées à l'art populaire. Cela remonte au temps où je partis en quête de la mémoire et de l'oeuvre de François Michaud à Masgot. Depuis quelque temps, il me parle d'un sculpteur naïf, appelé du joli nom d'Henri Boeuf, qu'un ami de leur association, Marc Prival, auteur d'un livre sur Les migrants de travail d'Auvergne et du Limousin au XXe siècle (1979), lui a fait connaître. De plus, voici qu'un article fort descriptif, dû à la plume de M.Jean Martin, vient de paraître dans le Bulletin de liaison n°11 des Maçons de la Creuse (juin 2007 ; le numéro contient aussi un dossier sur les croix de chemin de la Creuse). Article, il faut le dire, entièrement voué à une seule oeuvre d'Henri Boeuf, conservée aujourd'hui, suite à un legs du sculpteur, dans la mairie d'Auzances (à l'est du département de la Creuse, à une vingtaine de kilomètres du Puy-de-Dôme).

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    Henri Boeuf, né en 1902, est décédé en 1987. L'oeuvre en question, achevée en 1976, est un panneau de bois sculpté sur les deux faces, à raison de quatre scènes compartimentées sur chaque face, le tout mesurant 45 sur 155 cm .

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Henri Boeuf, le panneau sculpté, face avant, 1976 (toutes les photos présentées ici sont en provenance de Roland Nicoux)

    La face avant est consacrée à l'évocation des principaux temps forts de la vie de l'auteur (vie à la ferme, premiers chantiers de maçon, l'escalade des échelons de la vie professionnelle de simple maçon jusqu'au grade final de chef d'entreprise), la face arrière évoque pour sa part l'histoire des maçons de la Creuse, les monuments qu'ils contribuèrent à construire, le Panthéon et les Tuileries, leur grand homme, Martin Nadaud.

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Henri Boeuf, le panneau sculpté, face arrière (la roue est selon Jean Martin une Pendule à Salomon, un symbole du Compagnonnage)
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    Le style est naïf, on peut s'en rendre compte en détaillant les disproportions des personnages représentés, les perspectives étranges, les vues de haut (exemple la mare aux canards sur la face avant, voir ci-dessous) mélangées avec des vues de profil, etc...f0bd0d413d4dea40ea61269a0b5c6e70.jpg Le sculpteur paraît avoir accepté l'étiquette en outre. On s'en convainc en voyant l'image placée au bas de cette note qui le représente, probablement dans les années 70, au milieu de ses oeuvres (des statuettes, dont des Bretons en pantalons bouffants traditionnels et sabots, qui s'apparentent à certaines autres oeuvres du sculpteur finistérien Pierre Jaïn, créateur davantage que Boeuf aux lisières de l'art brut et de l'art populaire). Une affichette proclame au mur, bien en évidence: "Sculptures naïves de l'artiste auzançais Henri Boeuf". On se demande du reste ce qu'elles sont devenues aujourd'hui, ces statues...?

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Pour obtenir ce bulletin n°11: Les Maçons de la Creuse, 2, petite rue du clocher, 23500, Felletin, tél: 05 55 66 90 81 ou 05 55 66 86 37, fax:05 55 66 90 81, e-mail: contact@macons-creuse.com

  

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Parution du livre de Benoît Jaïn, ”Pierre Jaïn, un hérétique chez les Bruts”

     Comme on va me rétorquer que, puisque j'en ai écrit la préface, et que j'ai été à de nombreuse reprises l'instigateur de redécouvertes du sculpteur d'art brut douarneniste Pierre Jaïn (entre autres, sur ce blog), il n'est pas étonnant que je défende l'édition du livre de Benoît Jaïn récemment paru sur son grand-oncle (et l'on ne s'embarrassera pas alors pour me reprocher mon copinage...), je répondrai que c'est parce que j'ai toujours été profondément intrigué par l'œuvre et la personnalité de Pierre Jaïn que je défends toutes les entreprises  qui visent à faire connaître ce créateur hors-normes. Donc, pas de souci, nulle complaisance ici.

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     Il est logique que je vous conseille de vous procurer Pierre Jaïn, un hérétique chez les "Bruts", aux éditions YIL, surtout si l'on aime la problématique de l'art brut, de ses liens avec l'art populaire rural d'autrefois, et accessoirement l'imaginaire traditionnel breton. Cela vient tout juste de sortir, et ce ne sera peut-être pas très facile de se le procurer partout  (pour le moment, la librairie de la Halle Saint-Pierre en possède quelques exemplaires, et sans doute le trouve-t-on en différents points de la Bretagne, mais sa diffusion paraît d'ores et déjà restreinte, du genre bouche à oreille, ou d'un mail à l'autre ; le mieux étant, pour ceux qui seraient loin de Paris et de la Bretagne - il y en a... -, de le commander à ce lien : http://yil-edition.com/produit/pierre-jain-un-heretique-c...). J'en profite au passage pour signaler l'exposition qui se tient en ce moment dans son village natal, à Kerlaz (Finistère), non loin de Douarnenez (voir le carton ci-dessous). Que les gens passant par là-bas durant la semaine qui vient ne manquent pas l'événement, cela se termine  le dimanche 23 juillet. On doit sûrement y trouver le livre de Benoît Jaïn.

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     Pierre Jaïn, ce "colosse boîteux", comme le surnomme Benoît dans son livre, m'est apparu très tôt, avant même que je ne découvre le cas du sculpteur creusois François Michaud – lui-même au carrefour entre l'art populaire rustique et l'art brut (mais plus tôt que Jaïn ; si ce dernier a commencé grosso modo après guerre la sculpture, sur pierre, puis sur bois, et enfin sur os après la mort de sa mère en 1964, et trois ans avant sa propre mort,  on sait que François Michaud a œuvré dans la deuxième moitié du XIXe siècle) –, comme un cas que les défenseurs sourcilleux de l'art brut orthodoxe ne voulaient envisager que sous un seul aspect, le plus conforme à leur vision de l'art brut. La même chose s'est reproduite ailleurs avec le dessinateur bourguignon Maugri que l'animatrice principale de l'Aracine, Madeleine Lommel, refusait d'envisager dans toutes ses dimensions, de dessinateur naïf, dessinateur visionnaire, et dessinateur automatique (et donc "brut"), ne privilégiant que la dernière veine. Selon mes vues, il me paraît fort partial et injuste de découper en tranches l'œuvre d'un homme. L'information se doit d'être la  plus complète à son sujet, quitte à donner ses préférences dans un second temps.

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Pierre Jaïn, La femme et le dragon, bloc de bois sculpté représentant le diable avec une femme (sorcière?), coll. particulière, ph. Bruno Montpied, 2013.

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Pierre Jaïn, personnage sculpté dans la pierre, placé dans un tube de métal, ancien élément de la "batterie" du sculpteur (merci à Benoît qui m'a donné cette précision), jardin de Kérioré-Isella, Kerlaz, ph. B.M., 1991.

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Pierre Jaïn, os d'omoplate taillée et colorée, coll. de l'Art Brut, Lausanne, ph. Arnaud Conne.

 

     Benoît Jaïn ne l'entend pas de cette oreille et il nous donne avec cet ouvrage un portrait des plus complets, dans l'état actuel des informations disponibles, de son grand-oncle, à l'inspiration éclectique, visant selon lui à un projet universaliste qui fut parfaitement incompris de ses contemporains (et ajoutons-le, toujours aussi méconnu des contemporains actuels). Son livre dévoile un grand nombre d'œuvres de Pierre, le plus souvent détourées, mariées ainsi plus intimement à son texte, où, seul bémol que j'apporterai quant à la maquette typographique, l'on peut s'agacer de l'usage répété du gras dans les caractères soulignant inutilement les membres de phrases sur lesquelles l'auteur veut attirer l'attention du lecteur par une espèce de tic didactique.  On oublie cependant vite ce défaut bénin, à mesure que l'on suit Benoît, nous déroulant progressivement comme dans une balade séduisante  le labyrinthe de cette œuvre hétéroclite restée  longtemps inédite, expérimentale souvent, mais aussi déployant des sortes de transposition d'après diverses sources iconographiques que le sculpteur kerlazien recueillait pieusement dans sa maison.

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Œuvre sculptée de Pierre Jaïn, démarquée des photographies illustrant le livre de Denise Paulme et Jacques Brosse, Parures africaines (éd. Hachette.), ph. B.M., 2013.

 

     En effet, nombreuses paraissent être les œuvres qui s'inspirent de modèles dénichés dans les livres dont le sculpteur aimait à s'entourer. Benoît publie dans son livre une petite partie de sa bibliothèque telle qu'elle a pu être malaisément reconstituée, à la fois pour montrer sans détour la manière de procéder de son aïeul et à la fois pour démontrer que l'autodidacte ne dédaignait pas de se construire ses propres références, s'intéressant aux peuples africains, à la cryptozoologie (science des animaux à l'existence controversée), à l'astronomie, aux mysticismes divers (il avait des relations avec les Témoins de Jéhovah), car il était très pieux, à l'histoire, à la préhistoire, et à la musique. Pour cette dernière, il pratiquait, chantait en s'accompagnant sur une batterie bricolée dont Benoît nous détaille dans le livre les différents éléments, ce qui intéressera les amateurs de musique brute qui croisent de temps à autre sur ce blog.

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     C'est aussi l'occasion pour Benoît Jaïn d'insister sur l'environnement de sculptures et installations diverses que son grand-oncle avait fini par constituer autour de la ferme familiale, où, aujourd'hui encore, subsistent quelques-unes des ses pierres sculptées (à ce titre, le jardin figurera dans mon prochain livre, Le Gazouillis des éléphants, à paraître en novembre). S'il y avait organisé sa "batterie" loufoque le long d'une clôture, il avait disposé aussi une hutte contenant une femme nue sculptée, des sortes de galettes de ciment incrustées de divers accessoires, un totem dont il ne reste aujourd'hui que la tête (voir ci-dessous)...

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Benoît Jaïn présentant la tête, vestige de l'ancien totem du jardin (pour voir l'aspect du totem complet dans le jardin, se référer à mon livre à paraître en nov.17), ph.B.M., 2013.

 

      Le livre propose aussi, heureuse initiative, un lexique des principales catégories artistiques auxquelles on pourrait rattacher l'œuvre de Pierre Jaïn, avec leurs définitions et les caractéristiques que l'œuvre possède en rapport avec ces catégories.

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Une page, la 91, de Pierre Jaïn un hérétique chez les "Bruts", avec un Yéti, un Néandertalien, un dinosaure... 

 

      En conclusion, cet ouvrage est aussi une éclatante réponse de la famille du "colosse boiteux" aux rumeurs propagées au départ par le Dr.Maunoury, puis par Michel Thévoz et Michel Ragon, ayant exagéré la destruction  par les proches de Pierre Jaïn des œuvres décrétées les plus originales par eux. S'il y a bien eu des pièces rejetées et perdues (certaines sont parfois retrouvées par Benoît en fouillant le sol autour de la ferme, quand il a l'occasion de se faire archéologue de l'art brut), cela ne paraît concerner en définitive qu'une minorité d'œuvres. Et c'est finalement du sein de la famille qu'est sortie la voix la plus habilitée pour défendre la mémoire de Pierre Jaïn, hérétique par rapport à l'art brut, hérétique par rapport à toutes les religions, et ajoutons-le, par rapport à toutes les catégories artistiques.

     Enfin, un dernier point à signaler. Cet ouvrage, commandé par moi au départ à Benoît Jaïn, aurait dû être le cinquième opus de la collection La Petite Brute que je dirigeais aux éditions de l'Insomniaque et qui a cessé de paraître, faute de lecteurs, de presse, de diffusion, etc. Pour mémoire... (D'un certain point de vue, cela fut une bonne chose pour cet ouvrage, car son auteur, Benoît, a pu ainsi réaliser lui-même la maquette de son ouvrage, profitant de sa compétence d'infographiste).

*

On consultera si l'on veut être tenu au courant des actualités autour de Pierre Jaïn le site internet suivant, créé par Benoît: http://pierrejainartbrut.com/

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17/07/2017 | Lien permanent

Cartes postales exhumées du pays des éternelles vacances

    Je joue, entre autres casquettes, au collectionneur voué aux seules cartes postales qui traitent des créations environnementales populaires. Collectionneur n'est pas le terme exact. J'amasse de la documentation variée sur le sujet depuis bientôt vingt-huit ans. Dans cette documentation, les cartes postales montrant des créations populaires insolites ont un charme et une place à part dans mon coeur.

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     Ces dernières ont commencé à m'intriguer du jour, je crois bien, où je me suis intéressé à l'abbé Fouré et ses rochers sculptés à Rothéneuf en Bretagne (vers 1981). Le facteur Cheval et lui avaient fait éditer de copieux lots de cartes qu'ils vendaient sur leurs sites. Ce petit bout de carton était familier et réputé dans les milieux populaires au début du XXe siècle. Pas cher, facile à employer, à faire circuler, il véhiculait sans peine l'image qu'on souhaitait transmettre de son travail ou de ses moments passés loin de ses proches ou de ses amis. Une forme d'art modeste, dirait-on du côté de Sète. C'était une forme de publicité très populaire, de médiatisation immédiate si l'on peut dire, que les deux créateurs d'environnement, dans la Drôme et en Ille-et-Vilaine, surveillaient jalousement (tous deux eurent maille à partir avec des indélicats qui voulurent vendre leurs clichés sans autorisation des créateurs, est-ce la raison pour laquelle du reste, on trouvait sur le site des rochers à Rothéneuf un buste titré "L'avocat des rochers"? Inscription effacée avec le temps...). Notons au passage que ce genre de publicité modeste organisée autour de leurs environnements contribue à distinguer les créateurs d'environnements, tels Cheval et Fouré (Charles Billy aussi par exemple a édité des cartes sur ses réalisations) des autres auteurs d'art brut, beaucoup moins (si ce n'est pas du tout) préoccupés de faire connaître leurs travaux à l'extérieur de leur cercle intime (ceci pour répondre à une discussion initiée avec Régis Gayraud, par commentaires interposés...). Les environnementalistes spontanés me paraissent les extravertis de l'art brut, si l'on peut dire...

Abbé Fouré, la sculpture représentant l'Ermite et au-dessus à droite l'Avocat des rochers.jpg
Abbé Fouré, sculptures de rochers et maçonnerie au bord de la mer à Rothéneuf (Ille-et-Vilaine), entre 1894 et 1910 ; l'abbé s'est représenté les bras écartés, protégeant les pauvres, l'inscription au-desus de sa tête désignant "l'ermite" qu'il était ; "L'avocat des Rochers" est en haut à droite ; actuellement, certaines de ces sculptures ont disparu, ainsi que les inscriptions et les couleurs, l'ensemble des sculptures encore en place étant très érodées par les embruns; carte postale début XXe siècle, coll.B.M. 

 

     Les cartes postales, en outre, sont un conservatoire minuscule mais paradoxalement efficace (il y a un charme) des sites d'art brut disparus, ou modifiés dans la suite des temps. Grâce à elles, nous disposons de la nouvelle objective (effacée souvent partout ailleurs...) de leur passage effectif dans une certaine durée du temps. Pour les plus anciennes, elles sont en noir et blanc. Cela ajoute à leur mystère. Elles ont tout des mirages, illusions pourtant fixées.

    Ceux qui ont vu parmi les premiers l'intérêt qu'il y avait à conserver ces cartes qui témoignaient d'oeuvres bien oubliées dans la cascade du temps sont les géniaux animateurs du Musée rural des Arts Populaires de Laduz (dans l'Yonne), Raymond et Jacqueline Humbert et leur collaboratrice, Marie-José Drogou. Dans leur département consacré à la Sculpture Populaire, on pouvait voir, dès le début du musée (à la fin des années 1980), accrochées aux cimaises certaines de ces cartes postales anciennes concernant par exemple Claude Poullaouec, étonnant créateur qui avait peint des lits clos de façon ultra-naïve à Plougonvelin (voir ma note du 7 juillet 2007), ou bien l'étrange maison sans fenêtres de Pierre Dange, à Rogny-les-Sept-Ecluses dans l'Yonne, ou encore les bois et les pierres sculptés de l'abbé Fouré sur les falaises de Rothéneuf.

Pierre-Dange,-son-château-à.jpg
Pierre Dange posant devant son étrange maison à Rogny-les-Sept-Ecluses (Yonne) ; un de ses tableaux (paraissant représenter des chevaux) est posé contre un mur à côté de lui; carte postale coll.B.M.

    J'ai donc ramassé des cartes de manière intermittente, au hasard des brocantes et des magasins spécialisés destinés aux monomaniaques adorant tripoter ces petits bouts de papier jauni. Car ça n'est pas très ragoûtant, et ça ne donne pas une grande idée de la dignité humaine que de voir ces obsessionnels traquer la perle rare en triant sempiternellement leurs piles de cartes poussiéreuses classées par département, villes et "sélections". J'y allais un peu à reculons à chaque fois, à dose homéopathique... Ma collection a crû du coup très lentement... J'en utilisais à l'occasion pour illustrer des articles, par exemple sur François Michaud (La "Villa des Fleurs" curieuse villa décorée de sculptures à Montbard), en 1991, ou dans mon fanzine L'Art Immédiat...

Villa-des-Fleurs.jpg
La Villa des Fleurs à Montbard (Côte-d'Or) avec son auteur (le Docteur Chevreux, selon Gazogène) probablement présent, sur la droite montrant à un visiteur la maison curieusement décorée ; coll.B.M.
Page du livre sur FMichaud, la villa des fleurs à Montbard.jpg
Une autre carte sur La Villa des Fleurs fut reproduite dans le livre Masgot, L'Oeuvre Enigmatique de François Michaud, à l'intérieur du texte de B.Montpied, Formes pures de l'émerveillement ; Ed. Lucien Souny, 1991 

      Pendant ce temps, les scientifiques, les systématiques, les méthodiques arrivaient... Les marchands qui ne comprenaient jusque là pas trop bien le genre de cartes que je cherchais, puisque ces cartes n'avaient jamais fait l'objet d'aucune collection, commencèrent tout à coup à mieux situer le champ... Une terminologie s'esquissait: "Monsieur cherche des jardins fantastiques populaires sans doute?", ça c'était le marchand pointu, mais j'entendais surtout: "Vous cherchez des facteurs Cheval ?"...

      Tout à coup Jean-Michel Chesné fut là! Ayant de plus rencontré la célèbre concierge de l'art brut qui éditait la revue Gazogène du côté de Cahors, cette dernière n'ayant pas souvent d'idées grandioses pour nourrir son teuf-teuf, on se mit à assister à une véritable "déferlante" de numéros consacrés à la collection proprement faramineuse de l'ami Chesné. En tout, on arrive aujourd'hui avec le dernier numéro hors-série de la revue, intitulé "N'oubliez pas l'artiste", paru en avril 2008, à trois numéros entièrement consacrés aux environnements vus à travers la carte postale. Des expositions ont également montré les cartes de la collection Chesné, au musée de la Création Franche à Bègles et à la Halle Saint-Pierre (dans l'espace près de la caféteria) avec l'appoint des animateurs du bulletin Zon'Art. Les XIe Rencontres autour de l'Art singulier, organisées par Hors-Champ à Nice le 7 juin (hier...Voir ma note récente sur le sujet), ont aussi eu la riche idée de faire venir la concierge et le collectionneur pour présenter au public des amateurs le résultat de la pêche miraculeuse.

Gazogène hors-série N'oubliez pas l'artiste.jpg

      Je raille la concierge mais je mets mon chapeau bas devant le collectionneur Chesné qui a fait de bien belles découvertes. Plusieurs cartes étaient en effet inconnues dans sa moisson (et je ne parle ici que des cartes en rapport avec des environnements en France, champ de recherche auquel je me limite personnellement, non par chauvinisme mais par besoin de circonscrire): le cul-de-jatte des "petits châteaux" de Sévérac en Loire-Inférieure,Gazogène-cp-Séverac.jpg le musée en plein air du Castel Maraîchin de l'ancien St-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée, le mur d'A.Bouvant à Montreuil, le bateau sculpté dans l'os par un Poilu à St-Vigor-d'Ymonville en Loire-Inférieure (c'est la Loire-Atlantique), le Carrousel Savoyard de bois trouvés dans la nature de Sixt (en Haute-Savoie), ces dernières cartes étant reproduites dans le récent numéro hors-série précédemment cité.Bateau en os sculpté par un Poilu, carte de la coll.Chesné reproduite dans Gazogène 2008.jpg Dans les autres numéros de Gazogène, les n°24 et 27 (respectivement Les rocailleurs du rêve -sans date- et L'Internationale des rocailleurs -sans date toujours-), si le deuxième est consacré dans sa totalité à des sites situés hors de France, le n°24 quant à lui révélait des cartes étonnantes comme celles de la "Maison artistique" de Jargeau (dans le Loiret), les "rocailles d'art de la Maison Marais aux Haies" à Laigle, diverses fantaisies médiévales en ciment, les meubles couverts de mosaïque d'un certain Duval à Lisieux, les fausses grottes du Luc près d'Espiet dans la Gironde, oeuvre aujourd'hui encore intacte, mais gardée secrète par son propriétaire, due à un certain Alcide Teynac (très belle découverte de Chesné et de J-F.Maurice, il faut le souligner)...

        Les auteurs de ces compilations mêlent avec raison aux cartes montrant des environnements créatifs des cartes présentant aussi des habitats précaires bricolés à partir d'ingénieux recyclages comme ces cabanes faites à partir de bateaux retournés.Cayeux-le-pauvre-Toto.jpg Ils ont lu les livres de Michel Racine sur les rocailleurs du XIXe siècle.  Tous les habitats imaginatifs, tels qu'on peut en voir dans d'autres ouvrages comme Les Bâtisseurs du rêve de  Michaël Schuyt, Joost Elffers et George R. Collins (éd. Chêne/Hachette, 1980), maisons dans les arbres ou insolites édifices publicitaires, les requièrent pour établir des passerelles avec l'art brut environnemental. Pourquoi pas? 

      Signalons que des cartes de la collection Chesné ont également été récemment publiées par lui dans la revue Raw Vision n°61, hiver 2007 (article Lost in time).

     Je reviendrai bien sûr dans les notes à venir sur certains de ces sites connus grâce aux cartes postales.

Pour trouver la revue Gazogène, on peut toujours la demander à la librairie de la Halle St-Pierre à Paris. Autrement, voici son adresse: Gazogène, Le Bourg, 46140 Belaye. Tél: 05 65 35 61 68. (Comme quoi mon honnêteté l'emporte sur la rancune à l'égard de la malhonnêteté intellectuelle de son auteur...).

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