Un dictionnaire de l'art brut au cinéma (13/12/2008)
Attendu depuis plusieurs mois avec impatience par les amateurs qui étaient dans le secret des dieux, le Petit Dictionnaire "Hors-Champ"de l'art brut au cinéma vient de paraître, édité par les éditions de l'Antre à Nice.
Hors-Champ est le nom d'une association dont j'ai déjà parlé sur ce blog (voir notamment la note du 22 mai 08 et plus généralement la catégorie "Cinéma et arts populaires") qui se consacre au cours d'une programmation annuelle, durant une journée (fin mai), généralement à l'auditorium du Musée d'Art Moderne de Nice, à faire connaître les documentaires traitant de sujets en rapport avec l'art brut, l'art singulier, les environnements spontanés, l'art populaire contemporain en somme. Cela fait dix ans cette année qu'ils font cela. Ce qui explique qu'ils aient voulu marquer le coup en éditant donc une filmographie, enrichie de souvenirs d'un certain nombre de participants, réalisateurs, chroniqueurs et amateurs de ces formes d'art, filmographie récapitulant les films qui furent montrés à Nice durant cette décennie.
Ce dictionnaire comporte une filmographie, non exhaustive naturellement, d'abord parce que le champ a été peu fouillé par les historiens patentés du cinéma (l'"art brut" et le cinéma documentaire, qu'est-ce que c'est que cet OVNI?) et ensuite parce que l'information sur le sujet passe mal (cause au mépris, à l'indifférence, à l'amateurisme, à l'ignorance...), une filmographie donc mais aussi des textes réunis sous le titre général "A propos". Liste de quelques-uns des auteurs présents dans le dictionnaire: Bernard Belluc, Alain et Agnès Bourbonnais, Guy Brunet, Jean-Claude Caire, Francis David, Antoine de Maximy, Mario Del Curto, Pierre Guy, Claude Lechopier, Philippe Lespinasse, Jacques Lucas, Francis Marshall, Claude Massé, Bruno Montpied (trois textes, un sur mes films super-8 sur des environnements -réalisés de 1981 à 1992- un autre sur Violons d'Ingres de Jacques Brunius, un troisième sur Gaston Mouly), Lucienne Peiry, Jano Pesset, Claude et Clovis Prévost, Alain Vollerin, Anic Zanzi...
A côté des ces "A propos", on a des fiches, 107 au total, décrivant les caractéristiques des films avec des commentaires sur leur contenu, écrits par les réalisateurs eux-mêmes ou d'autres intervenants, des membres de l'association Hors-Champ notamment. Ces fiches traitent des films qui ont été programmés au cours de la décennie récente. Le livre se clôt sur un festival d'index dans lesquels le lecteur se perdra un peu, ce qui est sans doute le but des auteurs du dictionnaire (index qui sont par moments superfétatoires puisque les fiches des films sont déjà classées par ordre alphabétique)...
La filmographie n'est pas présentée dans l'ordre chronologique des années où furent réalisés les films, mais là aussi dans un ordre alphabétique. Cela me chiffonne quelque peu. Je préfère l'ordre chronologique qui nous en apprend davantage sur l'histoire du regard porté au fil du temps sur le champ des arts spontanés (sur la naissance d'une certaine forme de reconnaissance, sur son développement, etc.). D'autre part, il est à noter que si Hors-Champ et Pierre-Jean Wurtz ont privilégié au cours de ces dix années les films documentaires où l'on voit les créateurs vivant en train de créer ou de s'exprimer devant la caméra, la filmographie a tout de même pris en compte in extremis dans son recensement quelques films de fiction, dont le récent Séraphine de Martin Provost par exemple, le Aloïse de Liliane de Kermadec (de 1974), ou encore le Pirosmani de Giorgui Chenguelaïa (1969).
Chacun, dans les 107 fiches de films, ira pêcher les films qui le concernent intimement. J'ai mes chouchous, et je me réserve le droit de publier ici un de ces jours ma liste de films que je considère comme les plus importants, choix subjectif que j'offrirai en partage avec ceux qui me feront l'amitié de les considérer eux aussi comme capitaux, ou bien qui voudront tout au contraire les discuter. Jacques Brunius, comme on commence à le savoir si on me suit sur ce blog, est notamment le cinéaste et le poète à qui vont mes préférences, mais il y a aussi Jean Painlevé (sur lequel bizarrement le dictionnaire n'a pas fait de fiche), le film sur "Justin de Martigues" de Vincent Martorana, le film Mokarrameh, soudain elle peint, d'Ebrahim Mokhtari, Martial, dit l'Homme-Bus de Michel Etter, le Petit-Pierre d'Emmanuel Clot, le Faiseur de Marmots (sur François Michaud) de Malnou et Varoqui, les films de Claude et Clovis Prévost, celui d'Ado Kyrou sur le facteur Cheval, Monsieur Poladian en habits de ville, etc, etc...
Sinon, les amateurs d'art brut, hors-les-normes, d'environnements spontanés, de sculpture populaire, retrouveront aussi, bien sûr, des sujets souvent cités dans les publications spécialisées, comme Raymond Reynaud, Arthur Vanabelle, la Collection Prinzhorn, les Châteaux de sable de Peter Wiersma d'Emmanuel Clot, Alain Genty, Nek Chand, Léna Vandrey, Fenand Michel, Guy Brunet, Emile Ratier, l'Art Modeste, l'art singulier d'Essaouira, Pierre Petit, Philippe Dereux, et tant d'autres merveilles...
Au total, nous avons là un outil fort précieux à l'évidence pour tous ceux qui souhaitent partir en voyage à travers l'écran du côté des créateurs autodidactes en rêvant de partager un peu de leur intimité (sans compter que le cinéma constitue aussi une archive importante aidant à se souvenir de sites, d'oeuvres et de créateurs qui disparaissent souvent sans laisser beaucoup de traces, tant le réflexe de patrimonialisation ne les atteint pas encore systématiquement -loin de là...). L'image en mouvement, art populaire à l'origine, permet un rapprochement en apparence plus immédiat avec l'art de l'immédiat, rapprochement que l'imprimé ne permet pas toujours. Comme un surcroît de réalité à laquelle vient cependant se mêler une grande part d'onirisme révélant bien que ce réel est peut-être avant tout surréel. Il reste à faire le voeu que la plupart des films montrés à Nice soient un jour tous disponibles en DVD (c'est loin d'être le cas pour la majorité).
Je signale que Le Petit Dictionnaire "Hors-Champ" est notamment disponible à la librairie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard dans le XVIIIe ardt à Paris. Sinon, pour l'obtenir, on peut contacter le 04 93 80 06 39, ou écrire à l'Association Hors-Champ, 18, rue Marceau 06000 Nice.
16:17 | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : hors-champ, cinéma et art brut, pierre-jean wurtz, brunius, martial richoz, justin de martigues | Imprimer
Commentaires
Très bien pour ce dictionnaire de l'art brut au cinéma, cher Bruno !
Mais êtes-vous au courant de travaux cherchant à caractériser un cinéma brut ?
Je cherche je cherche...
Écrit par : Florian Maricourt | 08/01/2014
Dans les milieux s'occupant d'art brut au sens strict du terme, je n’ai pas connaissance qu'il y ait des recherches sur l'existence d'un cinéma brut. Pour que ce dernier existe, il faudrait que l'on dispose d'un individu isolé qui ait réussi à dépasser de façon inventive les nombreux problèmes techniques, économiques, organisationnels de la réalisation cinématographique.
Il faudrait chercher du côté de créateurs qui auraient accès à une caméra facile à acquérir, qui n'auraient aucun complexe vis-à-vis de son utilisation, qui l'utiliseraient de façon brute et spontanée, sans recours à une équipe de techniciens extérieurs...
Cela pourrait exister. Il faudrait chercher du côté du cinéma amateur, avec les anciens formats en 9 mm, double 8, puis Super 8. Aujourd'hui, d'autres outils encore plus faciles d'accès pourraient permettre un cinéma brut, je pense aux petites caméras numériques, aux portables qui ont une caméra incorporée (je fais bien, moi, de temps à autre, des petits essais de micro-cinéma, des petits films de 20 secondes; comme j'ai fait dans le temps des films en Super 8 qui se voulaient tantôt poèmes visuels, tantôt documentaires poétiques). Mais je n'ai pas entendu trop parler de cinéastes bruts apparus dans ces domaines du cinéma amateur.
Je sais qu'il a existé (qu'il existe encore?) un festival de cinéma des familles, avec des archives filmées par des amateurs (du type film de vacances). Récemment par exemple au théâtre Berthelot à Montreuil, on a montré des exemples de "cinéma bizarre", voici leur programme du reste :
« Vendredi 20 décembre 2013 à 20h30
Films Bizarres par Francis Lecomte (Choses vues), Sylvain Morin et les amis du théâtre Berthelot.
- « A mouche que veux-tu ? » (1959)
René Chaumelle a réalisé durant cinquante ans une centaine de films amateurs dans lesquels il a fait jouer ses proches. Son imagination débordante le fait rêver de films impossibles, d'images happant le réel...
- « Buvards » de Jacques Kebadian (1979)
Peintures de Aida Kébadian et musique de Ghédalia Tazartes.
- « La vie brève de Monsieur Meucieu » (1962)
- « Une saison chez les hommes » (1966) de Jean-Denis Bonan
Deux courts inédits par le futur réalisateur de «Tristesse des anthropohages» interdit par la censure en 1966. »
Vous pourriez peut-être chercher du côté de ce René Chaumelle, dont il y a les films (il me semble) sur certaines plateformes de vidéo gratuites, Youtube, Daily Motion et tutti quanti.
Dans le cinéma tout court, certaines productions particulièrement originales, bizarres, me font parfois penser au Jamais-vu de certaines œuvres d’art brut (parce qu’au fond c’est ça qu’on aime dans l’art brut, de la surprise, de l’émerveillement), par exemple les films de l’extraordinaire Charly Bowers (disponible en DVD), qui pour les besoins de son imagination foutraque faisait fabriquer à ses héros des machines fantastiques (comme la machine à fabriquer des œufs incassables) qui n’avaient rien à envier aux machines que l’on rencontre dans l’art brut (par exemple les machines d’Heinrich-Anton Müller dont on n’a gardé que des photos).
Écrit par : Le sciapode | 09/01/2014
Extraordinaire en effet ce Charley Bowers que personnellement je ne connaissais pas. Je viens de regarder "Pour épater les poules" court métrage dans lequel se trouve cette incroyable machine à fabriquer des œufs incassables que vous évoquez, et c'est effectivement un émerveillement avec des dialogues succulents de drôlerie: la propriétaire de Charley lui conseillant par exemple de plutôt construire des machines à payer son loyer !
Merci pour cette découverte. Cela étant dit, comme vous le précisez justement, ce ne peut pas être qualifié de cinéma brut, même pas en terme d'inspiration à moins de considérer comme brut tout ce qui relève du burlesque, ce qui serait proprement abusif.
Écrit par : RR | 09/01/2014
Hum... Du point de vue de la réalisation quantité de cinéastes pourraient avoir fait oeuvre brut, à commencer par Marcel Hanoun.
Que penser de Jean Painlevé ? Joseph Cornell, peut-être ? Que penser du cinéma poétique de Franco Piavoli, de Stan Brakhage, de Rose Lowder ?
Vous faites bien de rappeler le nom du formidable Charley Bowers.
Bien sûr s'en tenir à une définition stricte de l'art brut complique la recherche, les spécificités techniques du cinéma étant ce qu'on sait.
Je ne pense pas qu'il suffise d'être un cinéaste amateur pour s'approcher du cinéma brut. Même problème pour "le film de famille". Vous le dites, Bruno, la part d'invention et d'émerveillement doit être un critère.
On peut se dire que la transposition du terme au cinéma implique certain nombre d'ajustements.
Je pense aussi que des photographes "bruts" pourraient nous aider à réfléchir à la spécificité de l'image photographique brute : Miroslav Tichý, Albert Moser, Eugene von Bruenchenheim pourquoi pas...
Ne pensez-vous pas que le cinéma et la pensée sur l'image de Fernand Deligny puissent permettre de penser cette question ?
Écrit par : Florian Maricourt | 09/01/2014
Je pense qu'on pourrait assez légitimement parler de cinéma brut pour le cinéma lettriste, hypergraphique, esthapéiriste, supertemporel, excoordiste etc., où le beau délire paranoïaque d'autodépassement perpétuel s'accorde à un traitement inesthétique des œuvres, plutôt vite faites, bâclées, sans recherche aucune de moyens, et cela en toute équanimité chez leurs auteurs. En effet, pour un lettriste digne de ce nom, pénétré des exigences de la Novatique isouienne, c'est l'idée neuve, inédite et à la nouveauté dûment homologuée qui compte, mais pas vraiment sa réalisation. Voilà pourquoi tant de créations lettristes sont si décevantes alors même qu'elles avaient une bonne longueur d'avance sur les crachotements de l'avant-gardisme contemporain, notamment dans l'art conceptuel. A mon sens, c'est la faillite même du lettrisme qui en fait aujourd'hui toute la grandeur. La farouche obstination du dernier carré des lettristes à s'affirmer toujours à l'avant-garde de l'avant-garde dans tous les domaines de l'art, mais aussi dans la philosophie, la théologie, la cuisine, les sciences etc, a quelque chose d'héroïque et de dément à la fois qui semble de nature à les placer, eux et tout le mouvement isouien, à la lisière de l'art brut.
Écrit par : L'aigre de mots | 09/01/2014
Il me semble à moi que le cinéma lettriste que je connais certes beaucoup plus imparfaitement que l'Aigre de Mots aurait davantage à voir avec la folie littéraire qu'avec l'art brut.
Ce dernier suppose de la part des médiateurs qui l'ont inventé, Dubuffet et Thévoz au premier chef, un écart le plus grand possible vis-à-vis de la culture, particulièrement de la culture artistique, une absence quasi totale de désir de communiquer ses travaux, et corollaire, du désir d'en faire commerce, alliés à une inventivité et une novation qui surgissent en l'absence de tout discours, de toute théorie de l'art. Au départ des collections, on trouvait des créateurs surtout dans des couches populaires. Les thuriféraires ont ajouté au fil des années des artistes en rupture de ban, des esthètes barrés (genre Tichy justement), des artistes en rupture avec l'art tel qu'on l'avait toujours conçu jusqu'à eux, c'est-à-dire séparé de la vie, des intellectuels en quelque sorte démissionnaires de l'intelligentsia.
En tout cas, il fallait, pour les porter à la connaissance du public, des médiateurs.
Le créateur d'art brut se reconnaît aussi à ça, à ce qu'il fait partie d'un attelage à deux, le médiateur et lui.
Les lettristes sont leurs propres médiateurs, ils sont pétris de culture et connaissent leur histoire de l'art sur le bout des doigts.
Idem pour les Marcel Hanoun, Stan Brakhage, et autres que vous citez, Florian Maricourt.
Joseph Cornell, c'est du cinéma expérimental (je pense surtout à ses films-collages, qui sont plutôt barbants je trouve). Ce serait une erreur de confondre culture expérimentale et art brut.
Je réitère ce que j'ai déjà dit. Le cinéma, par ses besoins techniques, nécessite d'avoir reçu un enseignement. L'art brut est le fait d'autodidactes intériorisés. On ne pourra trouver de cinéma possiblement brut que là où on aura des autodidactes qui se seront affranchis au maximum des contraintes d'apprentissage du langage cinématographique pour utiliser le cinéma d'une façon brute, c'est-à-dire directe, immédiate, sans effet de cinéma-vérité pour autant.
L'exemple des photographes que vous citez, Florian, peut effectivement nous aider à y réfléchir mieux, surtout Miroslav Tichy, fabricotant son appareil photo avec des matériaux de récup' et retrouvant en même temps l'origine de la photo avec ses chambres noires, s'évertuant à photographier à la volée des femmes dans leurs prestiges érotiques dans une entreprise de voyeurisme brut (il ne cherchait pas à développer un nouveau "concept", comme disent les plasticiens contemporains, il abandonnait ses photos au désordre et fut même mécontent au départ d'apprendre qu'on les avait diffusées). Pour les deux autres, je trouve Moser sans invention. N'importe quel étudiant en photographie d'aujourd'hui s'est exercé à ce genre de photos panoramiques constituées d'angles de vue mis bout à bout. Ça n'est pas pour le coup véritablement inventif.
Quant à Von Bruenchenhein, c'est vraiment de la photo voyeuriste gentillette. Très décevant.
Jean Painlevé, cinéaste brut? C'est un peu osé comme proposition. C'est le fondateur du cinéma scientifique de vulgarisation, et par ailleurs (j'ai les trois DVD que l'on a tirés de son œuvre, et j'ai parlé de lui sur ce blog) auteur d'un joli film pionnier du cinéma d'animation ("Barbe-Bleue") et d'un fort intéressant documentaire sur un créateur autodidacte brut danois, Axel Henrichsen (voir ma note du blog sur lui). C'était un cinéaste poète, inventif, mais fort savant et cultivé. Ce n'est pas parce qu'on a affaire à des créateurs géniaux qu'on a forcément affaire à de l'art "brut".
A ce compte-là, on pourrait enrégimenter sous sa bannière tous les pionnier sdu cinéma d'animation pendant qu'on y est. Par exemple ce génial cinéaste d'animation d'origine russe, installé en France, Ladislav Starévitch (voir son chef-d'oeuvre "Fétiche 33-12" qu'on vient de reconstituer dans son métrage originel). Du surréalisme à l'état pur, comme Youri Norstein, autre immense artiste, et Charly Bowers.
A propos de ce dernier, RR, je ne disais pas que c'était son cinéma qui pouvait ressembler à de l'art brut, mais les machines que l'on rencontre de temps à autre dans ses films. Voir par exemple cette autre machine ambulante délirante que l'on voit, si je ne me trompe pas, peut-être, dans "It's a bird"? Ou un autre de la série éditée par Retour de Flamme en DVD? Je n'ai actuellement pas le DVD à ma disposition.
Écrit par : Le sciapode | 09/01/2014
Mais je n'ai jamais prétendu que vous disiez que le cinéma de Charley Bowers (que vous vous obstinez à prénommer Charly) pouvait ressembler à de l'art brut. Au contraire j'ai écrit: "Cela étant dit, COMME VOUS LE PRÉCISEZ JUSTEMENT, ce ne peut pas être qualifié de cinéma brut, même pas en terme d'inspiration...".
Écrit par : RR | 10/01/2014
Je voulais surtout insister sur le fait que vous n'aviez pas réagi à ma remarque sur les machines de Charly (ou Charley, ça se prononce pareil, non?) Bowers, sur la parenté des machines de Bricolo (le nom de son héros) et des machines de l'art brut.
Écrit par : Le sciapode | 10/01/2014
Vous noterez, chez Sciapode, que je n'ai aucunement placé le lettrisme isouien à l'intérieur de l'art brut, mais à sa lisière. Un peu comme la folie littéraire dont vous parlez et qui, en effet, comme dans le cas du lettrisme, peut émaner de personnages hypercultivés. On pourrait se demander du reste si cette hyperculture ne forme pas un dispositif symbiotique avec ce genre de folie...
Écrit par : L'aigre de mots | 09/01/2014
Oui, m'enfin, vous commencez votre commentaire ainsi: "on pourrait assez légitimement parler de cinéma brut pour le cinéma lettriste", pour finir, devenu progressivement plus prudent, par placer le mouvement isouïen "à la lisière de l'art brut'.
Comme si vous aviez tout à coup redouté ma férule de prof d'art brut...
Écrit par : Le sciapode | 09/01/2014
Mais pas du tout ! Je commençais ma réflexion par une assimilation par contiguïté, comme on peut dire de certains fous littéraires qu'ils pratiquent une sorte de littérature brute. Le prédicat n'implique pas automatiquement l'inclusion. Il s'agit simplement d'une manière de parler plus analogique que conceptuelle. Mais à la fin de mon bref propos, j'ai tenu à préciser ma pensée de façon plus conforme à la catégorisation usuelle et là, je me suis bien gardé d'inclure le lettrisme dans le brut, mais l'ai déposé délicatement dans la marge du brut, tout près, mais pas dedans. Vous devriez être content, ô Sciapode sévérissime, qu'on déroule tout le cheminement de notre humble pensée à l'ombre de votre unique ripaton.
Écrit par : L'aigre de mots | 09/01/2014
Mais assimiler même analogiquement lettrisme et art brut, ça ne me viendrait pas à l'idée.
La folie littéraire et les écrits bruts ne sont pas non plus à mettre sur le même plan, je crois qu'André Blavier s'en est expliqué. L'analogie en ce qui les concerne se limiterait au fait que dans les deux cas, il faut, pour qu'on en entende parler, qu'il y ait un médiateur, un Queneau-Blavier, un Thévoz.
Vous faisiez usage dans le début de votre commentaire d'une conception élastique de l'art brut. Moi, je me réfère de plus en plus à la "catégorisation usuelle" comme vous dites, pour résister aux entreprises actuelles de manipulation du corpus et de la notion à des fins de récupération par le marché de l'art de la puissance authentique des formes d'expression brutes que l'art contemporain et ses thuriféraires voudraient vampiriser pour se refaire la cerise. Mettre en parallèle art brut et tel ou tel champ de la créativité artistique plus ou moins excentrique contribue à accroître la confusion grandissante actuelle à propos de l'art brut et diminue son pouvoir de subversion dans la culture.
L'art brut est un ensemble de pratiques et d’œuvres qui se situent hors du champ de l'art, du spectacle de l'art, c'est un ensemble qui se trouve inscrit au cœur de la vie quotidienne. C'est une remise en question profonde de l'usage social de l'art. En mélangeant l'art brut avec les autres corpus artistiques, par analogie ou par fusionnement, on brouille ce message subversif. Or, j'y tiens à ce message. Pardonnez-moi de me montrer donc si sévèrissime sur le sujet...
Écrit par : Le sciapode | 10/01/2014
Ben alors, avec le Sciapode ça rigole pas. Même l'humour de l'aigre ne parvient pas à le dérider...
Écrit par : Félicie Corvisart | 10/01/2014
Effectivement.
Écrit par : Le sciapode | 12/01/2014
Je suis tout à fait d'accord avec vous M. Sciapode !
Mon intention n'était pas d'élasticiser un terme que d'aucuns voudrait plus malléable. (Je pense à ce Jean-Jacques-Rousseau-cinéaste qui s'auto-proclame, par-ci cinéaste de l'absurde, par-là cinéaste brut !)
Je posais seulement la question de l'existence d'un cinéma brut, et cherchais à savoir à quelles conditions spécifiques nous pourrions rencontrer un tel cinéma. Au même titre qu'on a pu repéré par le passé des architectes, poètes ou photographes bruts...
J'en viens à me demander naïvement : si les cinéastes bruts font défaut, n'est-ce pas finalement qu'il a manqué de ces médiateurs dont vous parlez ? Ou bien, est-ce plutôt que les contraintes techniques, matérielles, etc. que le cinéma requiert ont définitivement empêché leur expression ?
Écrit par : Florian Maricourt | 11/01/2014
Il y a aussi un autre cinéma, plus naïf à mon sens que brut, dont on dit qu'il est fauché. Par exemple les films qu'on qualifie de "série z" dont la figure la plus connue est Ed Wood mais il n'est pas le seul. Il y a toute une ribambelle de cinéastes un peu barjots qui ont réalisé des films avec trois bouts de ficelle. On les retrouve surtout dans le genre fantastique. En général, leurs films sont tournés en deux temps, trois mouvements et peuvent être un vrai régal à voir...Faire "vrai" n'est pas le but principal de ces réalisateurs, ils louchent plutôt vers la poésie et n'hésitent pas à y mettre un fond subversif car ils bénéficient d'une liberté de ton due au fait que leurs films restent confidentiels et n'ont aucun enjeu économique. A consulter à ce sujet la série d'ouvrages "ze craignos monsters" de Jean Pierre Putters édités par Mad Movies et les éditions Vent d'Ouest.
Écrit par : Darnish | 11/01/2014
C'est très juste, Mister Darnish, ce que tu dis du cinéma de série Z à la Ed Wood. Cela d'ailleurs est en rapport avec ce que je commençais d'envisager en évoquant la figure de Charley Bowers.
Le cinéma burlesque des origines (donc avant Bowers), le cinéma burlesque français contient des pépites incroyables de scénarii délirants, là aussi. Peut-on parler de cinéma brut pour autant? Bien sûr pas. Cinéma naïf, oui, ou populaire, ce qu'était le cinéma au départ, et ce qui l'a été longtemps après aussi bien. il ne faut pas oublier que le cinéma est né dans l'univers forain.
D'autres créateurs atypiques venaient de milieux plus intellectuels mais en rupture de ban. Emile Cohl par exemple, cet inventeur de tant de formes d'expression animées, avait d'abord fait ses armes du côté des Incohérents, ces ancêtres de Dada. Les mêmes Incohérents qui, dans leurs expos, invitaient à exposer des gens qui ne savaient pas dessiner.
Le cinéma des pionniers avait été précédé par les lanternes magiques. Les plaques de verre illustrées que l'on glissait dans ces lanternes étaient souvent naïves dans leurs expressions. Naïves, plus que brutes.
On n'est pas loin d'une créativité autodidacte inventive de ce côté-là.
Par contre le cinéma vise à une communication, tandis que l'art brut pas du tout. L'art brut est fait par des créateurs, pas des artistes je ne cesse de le répéter, qui créent avant tout pour eux-mêmes dans une espèce d'autarcie, dans le chaudron de leur rumination inquiète ultra-intime. Le produit éjecté de ces chaudrons secrets atterrit, ou non, entre les mains d'un amateur qui décide parfois de le faire savoir autour de lui, parce qu'il n'a pas encore désespéré de toute relation avec ses congénères humains.
Si un cinéma brut existait, il faudrait le retrouver dans des brocantes, en tombant sur une pellicule repêchée sur un trottoir par un biffin avisé. C'est pourquoi j'ai longtemps surveillé personnellement les séances de projection de l'équipe de Lobster avec leurs "Retours de Flamme", car je rêvais d'y dénicher ce genre de pellicule d'un amateur un peu fou qui se serait amusé à créer cinématographiquement. Les trouvailles restèrent fort rares. Je me souviens en particulier d'un petit film minuscule où l'on voyait une mouche déguisée (oui) se tortillant au sommet d'une tige de je ne sais quoi, peut-être une allumette...
J'y insiste, Florian, s'il y a cinéma brut, ce ne peut être que du côté de créateurs amateurs qui auraient du génie mais n'auraient pas eu nécessairement besoin de le faire savoir...
Ce qui est le profil type de l'auteur d'art brut.
Écrit par : Le sciapode | 12/01/2014