René Delrieu (1930-2008), passage d'un inspiré du Cantal (15/06/2013)
C’est personnellement par une notule due à Nicolas Galaud, autre émérite (et discret) chercheur d’inspirés du bord des routes, dans l'Auvergne Insolite¹, que je suis tombé sur l’existence du site de sculptures naïves en métal peint de René Delrieu à Ally, à l'ouest du Cantal (non loin de Mauriac au nord et de la Corrèze à l'ouest). M. Galaud dépeignait ce dernier comme « maréchal-ferrant, réparateur de machines agricoles et fabricant de cuves à lisier ». Je ne fus pas long à signaler cette notule à notre correspondant cantalien, Emmanuel Boussuge (voir l'écho mis en ligne juste avant cette note) qui fit le nécessaire comme moi (prendre vite des clichés avant toute disparition).
Ancien atelier de René Delrieu à Ally, sur la clôture, une scène de chasse par des Peaux-Rouges, ph. Bruno Montpied, 2007
Comme beaucoup d’autres, il avait commencé ses sculptures en tôle galvanisée à la retraite apparemment (soit vers 1994, il avait alors 64 ans), les sortant entre son atelier et la route en été, les rentrant en hiver (la saison est rude dans ces coins-là). M. Galaud ajoute dans sa petite description qu’il s’était « représenté en maréchal-ferrant sur la façade de sa maison et [s’était] inventé un bonheur conjugal autour du cantou, sur la porte de son atelier ».
Le maréchal-ferrant au boulot, ph.BM, 2007
Comme me l’a appris Bernard Coste qui s’occupe avec son père du musée du Veinazès à Lacaze (le Cantal toujours, mais plus vers le sud, en dessous d'Aurillac, pas loin de l'Aubrac), qui se voue à préserver la mémoire des outils et des machines agricoles d’autrefois, ainsi que des créations populaires de divers autodidactes de la région, il existait aussi des dessins dans l'œuvre de René Delrieu qui paraît s’en être servi comme croquis en vue de futures sculptures. Le style naïvo-brut de ces œuvres est tout à fait remarquable et me fait personnellement beaucoup penser aux dessins de Gaston Mouly, autre autodidacte bien connu dans le monde des amateurs d'art brut ou singulier, originaire quant à lui du Quercy voisin. Les dessins de Delrieu mériteraient amplement d’être exposés. En voici un ci-dessous, reproduit grâce à l’amabilité de Bernard Coste.
René Delrieu, (distractions le soir au coin du feu), dessin aux crayons de couleur, coll Musée du Veinazés, Lacaze, photo Emmanuel Boussuge
Delrieu aimait à présenter ses assemblages et sculptures sur des fonds peints où l’on discerne divers détails (pots de sucre, café, farine, etc.) comme dans la scène conjugale autour du feu ci-dessus. Je parle d’assemblages parce que plusieurs de ses œuvres sont réalisées par juxtaposition de plaques de métal peint et assemblage de formes en deux et trois dimensions ce qui est assez osé (voir son joueur de pétanque, par exemple, composé de divers morceaux rivetés permettant sans doute l’animation du personnage, des changements d’attitude comme pour certains pantins articulés).
René Delrieu, trois silhouettes en tôle peinte exposées au Musée du Veinazès sur un fond de planches peintes en blanc, documentation du musée, ph. JPB, 2013
Le musée du Veinazès a du reste réalisé à l’exemple de Delrieu une présentation de certaines de ses silhouettes en métal sur un fond de planches peintes en blanc.
Vue d'une partie de l'espace consacré aux silhouettes de René Delrieu au Musée du Veinazès à Lacaze ; on reconnaît (?) à droite Johnny Halliday, à côté d'un accordéonniste et en dessous de ce dernier d'un joueur de pétanque, ph. JPB, documentation du Musée du Veinazès 2009 ; ces personnages se trouvaient à l'origine à la belle saison installés à l'extérieur de l'atelier d'Ally
Une autre audace de Delrieu consista à installer en plein air, dans une région où le climat est souvent peu propice à ce genre de démonstration, des objets en métal susceptibles de s’abîmer assez vite, même si la galvanisation (un bain de zinc dans lequel sont trempées les pièces en fer) a pour but de retarder les phénomènes de corrosion (ce qui prouve, je le dis au passage, que Delrieu n’était pas totalement insensible aux problèmes de longévité de ses œuvres qu’il exposait à l’air libre).
Delrieu ne s’arrêtait pas à ce genre d’audace, il animait au moyen de mécanismes assez simples (des contrepoids) certaines autres de ses saynètes comme les pêcheurs ci-dessous.
Les pêcheurs de René Delrieu encore en place sur son terrain en 2007, ph. BM
Il est important d’établir pour ce genre de créateur l’inventaire de ses réalisations. Bernard Coste s'y emploie depuis quelque temps :
« A ma connaissance, on trouve trois sortes de travaux pour René Delrieu :
- Les sculptures animalières et ornithologiques. Il s'inspirait de revues pour les réaliser. Ce travail est très réaliste.
- Les sculptures singulières qu'il imaginait. Elles s'attachent à ses centres d'intérêt et ses coups de cœur : Johnny Halliday (le guitariste), l'accordéoniste, le joueur de pétanque.
- Les sujets animés du "bricoleur" : le Tour de France, le tiercé, la bourrée (qui était à l'origine sur un élément de mobile-girouette (1999) puis a été actionnée par un moteur et une courroie avant de se retrouver sur son établi en vue d'une future modification). »
Autre espace consacré à des scènes de course hippique, de trot attelé, des scènes de chasse... Musée du Veinazès, ph JPB ; ce sont ces pièces-là qui me paraissent lee plus réussies personnellement
Tout en se tenant facilement en retrait lorsqu’on le visitait (il était rare de le voir apparaître, et personnellement je ne le vis pas lorsque nous passâmes près de son terrain d'exposition en bordure de route, Régis Gayraud et moi-même en 2007, peut-être nous observait-il caché derrière les murs de son garage ; ce désir de rester caché m'en rappelle un autre, André M. dans le Morbihan, l'homme qui assemble des souches et des branches au Bar du Mont Salut), tout en restant donc en apparence réservé, René Delrieu ne semblait pas détester la musique traditionnelle, les bourrées, puisque ses dessins et sculptures campent des musettes, des guitares et des accordéons, et ne paraissent pas dédaigner les ambiances festives.
Note sur le devenir du site:
Le site est démantelé désormais, la propriété ayant été revendue deux fois depuis le décès du créateur. Seules deux saynètes sculptées en métal peint de l’ancien atelier de M. Delrieu trônent encore sur la clôture de la propriété (en 2013). Une dizaine de pièces en trois dimensions, plus diverses œuvres en deux dimensions (dont des dessins) ont été cependant sauvegardées au Musée du Veinazès dans le village de Lacaze par la famille Coste. Des oiseaux de Delrieu ont également été conservés par la Ligue de Protection des Oiseaux de la région Auvergne. Quelques autres personnes, anciens voisins du créateur ou membres de sa famille en ont également mis de côté. On a sauvé ces œuvres entre autres grâce à la clairvoyance de la sœur de René Delrieu, Mme Justeau-Delrieu.
Portrait photographique de Delrieu mis en regard d'une de ses tôles peintes, ph JPB, documentation du Musée du Veinazès, 2009
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¹ L’Auvergne insolite, petit guide pataphysique, sous la direction de Pascal Sigoda, Au Signe de la Licorne, Tusson, 2002.
² Le musée du Veinazès en a conservé une dizaine ; d’après Bernard Coste, ils décoraient la cuisine-séjour des Delrieu. On peut voir un de ces dessins, en dehors de celui que je reproduis ici, dans la précédente note d'Emmanuel Boussuge "Un chouette musée à la campagne". On retrouvera dans cette même note les renseignements relatifs à la visite du musée.
Merci à Emmanuel Boussuge pour sa médiation vers les Coste du Musée du Veinazès.
18:10 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : rené delrieu, bernard coste, musée du veinazès, emmanuel boussuge, nicolas galaud, pascal sigoda, l'auvergne insolite, johnny halliday | Imprimer
Commentaires
Merci pour cet article très documenté et très rare sur le travail original du cantalien René Delrieu qui, bien que moins abouti, n'est pas sans rappeler la technique du boss metal utilisée par les Haïtiens. Un motif supplémentaire pour aller visiter le musée du Veinazès à Lacapelle Del Fraisse en Châtaigneraie cantalienne.
Écrit par : Danièle | 17/06/2013