Une découverte stupéfiante de Remy Ricordeau à Taïwan (27/08/2013)
Je viens de faire une stupéfiante découverte, qui fera efficacement écho au complément que je vous avais adressé et que vous aviez inséré dans votre note du 16 mars 2010 consacrée au peintre taïwanais Hung Tung.
Photo Steve Barringer
Au centre de Taïwan, dans la périphérie de la ville de T. et plus précisément dans un ancien quartier militaire réservé aux soldats qui avaient accompagné Chang Kai Shek lors de sa fuite sur l’île en 1949 (à l’issue de la guerre civile chinoise), on peut voir d’étranges fresques murales pour le moins bariolées représentant dans un joyeux désordre, personnages, animaux et ornements floraux du plus bel effet. Les formes représentées et plus encore les couleurs de cette production baroque font d’abord bien sûr penser à l’œuvre de Hung Tung et comme pour celui-ci, tout au moins en ce qui me concerne, à l’influence de l’art traditionnel aborigène. Pourtant à l’instar de Hung Tung, son créateur n’a aucune origine aborigène. D’autant moins peut être que H. Y-F., ainsi le nommerai-je, est un Chinois originaire du continent, contrairement à Hung Tung qui lui, était natif de l’île.
Ph. SB
Né dans un milieu fort modeste de Koolong, un des quartiers de Hong Kong à la fin des années 20, il se retrouve pris dans la tourmente de la guerre civile enrôlé dans l’armée nationaliste du Kuomingtang. Il échoue donc très jeune à Taïwan où il passera la plus grande partie de sa vie dans divers quartiers militaires réservés. Peut être faut-il préciser que de nombreux quartiers de ce type avaient été construits à la hâte pour héberger dès 45 (année de la restitution de Taïwan à la Chine) les nombreux soldats de l’armée nationaliste. Avec le temps la plupart de ces quartiers ont été détruits et ses résidents relogés. Seuls quelques-uns subsistent, dont celui de T. dans lequel réside H. Y-F.
A la fin de la première décade du siècle, ayant dépassé allègrement ses 80 ans, pour remédier à la grisaille de son environnement autant que pour passer le temps, celui-ci se mit à décorer l’extérieur de sa maison de quelques fresques représentant des personnages de la télévision (acteurs ou présentateurs), des animaux ou des végétaux stylisés. Il se mit également à agrémenter ses dessins de sentences naïves exaltant la paix, le bonheur et le remerciement aux dieux (il semble qu’il soit autant bouddhiste que taoïste, comme la plupart des Taïwanais). Encouragé par ses voisins, ceux-ci l’invitèrent à poursuivre sa création sur les murs de leurs propres maisons pour donner une cohérence à l’ensemble. Il se mit alors à peindre également le sol comme pour occuper totalement l’espace.
Ph SB
La cité était condamnée à la destruction prochaine lorsque des jeunes étudiants de l’université voisine découvrirent ce décor surprenant. L’information circulant et la superstition chinoise faisant le reste, le quartier devint rapidement une destination de prédilection, entre autres pour les jeunes mariés et autres aspirants au bonheur. Une pétition fut lancée pour sauver le lieu des appétits des promoteurs qui semble avoir été entendue puisque le maire de la ville s’est engagé à en assurer la préservation¹. Selon mes informations, à ce jour H. Y-F serait toujours vivant et, encouragé par son succès, continuerait son œuvre. Il semble qu’il se soit également mis à peindre des tableaux. Pourtant cette reconnaissance ne lui a pas apporté la fortune : à côté de sa boîte aux lettres il a pris soin d’installer une tirelire pour solliciter les dons afin de pouvoir continuer à s’acheter la peinture nécessaire.
Ph. Todd Alperovitz
Taïwan et plus généralement l’Asie sont encore en grande partie terra incognita pour ce qui concerne l’art brut. Je suis persuadé que tout reste encore à découvrir. Inutile de dire que suite à cette découverte, je compte bien m’y rendre prochainement...
Remy Ricordeau
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¹ Selon des informations datant de 2010.
00:05 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : environnements spontanés taïwanais, habitants-paysagistes taïwanais, art brut taïwanais, taïwan et art populaire, art des aborigènes de taïwan, muralisme brut | Imprimer
Commentaires
Bravo, j'adore. J'avais découvert à Phayao dans le centre de la Thaïlande un jardin plein de sculptures fantastico-naïves... J'ai malheureusement perdu les photos!!
Écrit par : Erick Pessiot | 04/09/2013
Ah, bravo, c'est malin, ça... Mais j'imagine que la référence doit pouvoir se retrouver.
Écrit par : Le sciapode | 06/09/2013
D'autres découvertes étonnantes à venir. J'y suis et je vous promets des surprises. Quant à Mr Huang que je suis passé voir hier, sa création est encore plus incroyable de visu. Elle évolue en permanence car il n'arrête pas de la repeindre.
Écrit par : RR | 22/02/2014
Si je comprends bien, ce Huang correspond au "H" du "H.Y F" dont vous décriviez les peintures murales dans la note ci-dessus?
Écrit par : Le sciapode | 22/02/2014
Oui, oui, c'est bien lui, un vieux monsieur de 93 ans dans la pleine force de l'âge. Tous les matins après son tai ji quan, il peint 2 ou 3 tableaux selon son inspiration. Il m'a demandé de repasser le voir en revenant du sud de l'île où je me trouve actuellement. Il a été très intéressé de voir les photos de votre "éloge..." et de savoir qu'en France d'autres personne s comme lui se mettaient à créer sans façons. Il a particulièrement aimé le vélo de Mr Pailloux. A suivre...
Écrit par : RR | 23/02/2014