Un voyage avorté (18/06/2016)
Photo de presse de 1930 parue dans Rhinocéros Jr n°1, Serge Plantureux, octobre 2005, avec la légende suivante: "Chaque matin, cette femme prend sans discernement tous ses objets personnels. Elle se rend à la station de bus, et découvre qu'elle a encore oublié une chaussure, toujours la même. Elle rentre alors dans sa famille d'accueil, au village de Gheel en Flandre, célèbre pour accueillir des fous non dangereux."
Curieux comportement, n'est-il pas? On dirait celui propre à une forme particulière de folie ayant succédé à une autre qui consista, à une époque donnée (vers la fin du XIXe siècle), à fuguer sans but, et sans mémoire une fois la crise passée, lançant parfois certains fous voyageurs sur des centaines de kilomètres (comme cela est décrit dans l'ouvrage de Ian Hacking, Les fous voyageurs, éditions Les Empêcheurs de tourner en rond, 2002, qui présente ce type de démence comme une folie historiquement datée). Dans la folie des années 30, on part en emportant pêle-mêle ses objets, et puis l'on oublie quelque chose, prétexte à interrompre le début de voyage, prétexte à revenir au bercail...
11:40 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : serge plantureux, photos de fous, figures de la rue, obsessions, fous voyageurs, ian hacking, fugues | Imprimer
Commentaires
Cela me fait penser au savant Cosinus, qui voulait sortir de Paris, et n’y parvenait jamais.
Écrit par : Isabelle Molitor | 18/06/2016
Je pense aussi à Paul Eluard, et à sa fugue de 6 mois autour du monde en 1924, où il aurait visité les îles Marquises et sur laquelle il ne s'est jamais expliqué.
Écrit par : L'aigre de mots | 18/06/2016
Quel rapport ? Il ne serait en réalité allé nulle part, mais n'aurait jamais osé avouer, c'est ce que vous voulez dire ? Velléitaire honteux, en quelque sorte...
Écrit par : zébulon | 18/06/2016
Autre hypothèse drôlatique induite par le rappel de l'Aigre: Paul Eluard aurait été victime de cette folie fin-de-siècle qui consistait à propulser certains possédés vers une dérive automatique?
Écrit par : Le sciapode | 18/06/2016
Hum, M. Zebulon, les frontières entre la folie et la normalité ne sont pas aussi étanches que votre remarque le laisse supposer. De jolies névroses offrent des passerelles tentantes et allègrement empruntées. Qu'Éluard ait affabulé ou non à propos de ce voyage, sa désertion bien réelle et maintenue inexpliquée jusqu'au bout suggère une personnalité pour le moins clivée.
Écrit par : L'aigre de mots | 19/06/2016
« La bataille du Coeur à gaz mit fin à beaucoup de choses. Elle marquait la fin du mouvement Dada ainsi que du groupe Tchérez. Une fin triste et désobligeante, avec la participation de la police et de la justice. J’y perdis la préface de "Ledentu le Phare" mais commençai à rencontrer Eduard et Gala plus souvent pour prendre part aux démarches rendues nécessaires par la plainte de Tzara. Eluard écrivit à son avoué, Me Boulard, 118, boulevard du Montparnasse, un résumé dont j’ai gardé l’original, tandis que le dossier de l’affaire, resté chez l’avoué, ne fut pas retiré à temps et fut mis au pilon. L’affaire, qui a beaucoup tourmenté Eluard, vint en jugement en automne et fut remise sine die. Le 24 mars 1924, il sortit de chez lui pour acheter des cigarettes et envoya un "bleu" à son père pour lui annoncer son départ. Pour Gala ont commencé les jours d’attente et d’incertitude. Il fallait songer à gagner de l’argent. A l’époque, ma source de revenus était un travail dans une fabrique d’écharpes dessinées à la main. De la rue Campagne-Première, je transportai mes pinceaux à Eaubonne chez Gala. Cela n’était pas de grand secours et Gala décida de vendre la collection de Paul... » (Iliazd, En approchant Eluard, cité dans « Les Carnets de l’Iliad-Club », n°1, 1990)
Je transportai mes pinceaux chez Gala... Tout un programme...
Écrit par : Régis Gayraud | 20/06/2016