Les mises en boîte de Jean Veyret (04/02/2017)
Les assembleurs d'objets en boîte sont pléthoriques depuis des années que l'on connaît les boîtes-poèmes d'André Breton ou celles de l'artiste para-surréaliste Joseph Cornell, ainsi que les objets à fonctionnement symbolique tels que les surréalistes les promurent dans les années 1930. Il y eut, pour consacrer ce nouveau support artistique, une grande exposition, intitulée "Boîtes" tout simplement (tenue de décembre 1976 à mars 1977 au Musée d'art moderne de la ville de Paris puis à la Maison de la Culture de Rennes, juste avant la fameuse exposition les Singuliers de l'art de 1978 dans ce même musée parisien).
Depuis, je n'ose imaginer ce qui a pu se produire dans ce domaine. Un de mes anciens amis, un surréaliste anglais, Peter Wood, excellait dans ce domaine, avant de tirer sa révérence bien trop tôt dans cette vallée de larmes. Ses assemblages sous boîte vitrée étaient fidèles à une certaine tradition surréaliste de l'image ésotérique. Il la tempérait avec une touche de naïveté ça et là.
Peter Wood, sans titre, boîte peinte avec divers éléments assemblés, années 1980-1990, coll. et ph. Bruno Montpied.
Récemment cependant, agréablement surpris (faut dire que j'étais conduit par Alain Dettinger, grand dénicheur de talents devant l'Eternel), j'ai été confronté à un autre style de boîtes, remplies elles aussi d'assemblages, celles d'un ancien instituteur, Jean Veyret, par ailleurs adepte avec son épouse Joëlle (elle aussi tâte des arts plastiques et du détournement de matières et d'objets) d'une forme d'archéologie amateur qui les pousse chaque été, la plupart du temps, dans les déserts, notamment ceux de la Mauritanie, où ils récoltent nombre de débris et bestioles desséchées qui viennent alimenter leurs rêveries ultérieures, une fois de retour au bercail...
Jean Veyret, La guerre, boîte peinte avec assemblage d'accessoires divers, fil en laine, bois avec écorce, 40 x 28 x 12 cm, 2011, ph. et coll B.M., 2016 ; certes, le sujet est assez limpide, la colombe de la paix va être dévorée par un monstre à la gueule immense et vorace, mais cela est réalisé avec un sens des couleurs et des matières magnifique ; le contraste entre la pelote de fils, les ailes en plastique de la colombe, matériaux tous aussi fragiles les uns que les autres, et le bloc de bois fruste sur un fond sanglant, est très frappant, je trouve.
Les assemblages de Jean Veyret recèlent une fraîcheur et une immédiateté poétique qui s'éloignent nettement de l'esprit ésotérique qui préside aux boîtes à connotation onirique, un peu comme on pourrait distinguer la poésie d'un Prévert (du reste, poète apprécié par Jean Veyret) de la poésie d'une Alice Massénat (pour citer quelqu'un de contemporain, particulièrement "ésotérique")...
Jean Veyret, L'apparition, date non notée, ph. B.M., 2016.
Jean Veyret, Le sacre, date non notée, ph. B.M., 2016.
Bien qu'au début, paraît-il, cet artiste autodidacte ait commencé par des boîtes confusément interprétables. C'est sa compagne Joëlle, qui, réclamant (avec raison selon moi) du sens plus explicite, orienta involontairement le travail de son mari vers des assemblages plus immédiatement lisibles : antimilitarisme, anticléricalisme, moquerie à l'égard du christianisme, dénonciation de l'éducation religieuse lobotomisante, poésie engendrée par des rapprochements humoristiques et des analogies surprenantes, toutes attitudes saines et salubres méritant d'être observées avec constance. D'autant que ça nous change enfin de ces boîtes remplies d'objets, certes jolis, léchés, choisis avec un goût exquis, destinées à nous faire sentir qu'on a affaire à un poème visuel qui sonne surréaliste parce qu'on n'y comprend rien et qu'on a affaire à des objets insolites particulièrement beaux...
Jean Veyret, Coffret de représentant en Clous de Christ, date non notée, env. 25 x 35 cm, ph. B.M., 2016.
Jean Veyret a été instituteur une bonne partie de sa vie, je l'ai déjà dit. On rencontre nombre d'artistes autodidactes parmi les professeurs des écoles en effet. Nul doute qu'un ouvrage paraisse un jour à ce sujet, comme il y en eut déjà un sur les artistes postiers (Josette Rasle, Ecrivains et artistes postiers du monde, éditions Cercle d'Art, Paris, 1997). J'ai abondamment parlé sur ce blog des œuvres de deux autres maîtres d'école, Jean-Louis Cerisier et Armand Goupil. Voici donc à présent les boîtes de Jean Veyret. L'instituteur est souvent féru de cultures diverses, pratique un métier altruiste tourné vers les enfants, désire améliorer la société en propageant toutes sortes d'idéaux via les élèves qu'il enseigne. Il n'est pas étonnant, qu'il puisse à côté de son travail, durant les temps de loisir qu'il possède – que l'on sait plus longs que dans bien d'autres métiers –, tenter de s'exprimer à son tour. Il le fait souvent en autodidacte, ou, au mieux, avec des moyens et des techniques artistiques moins poussées que celles qu'on enseigne dans les écoles spécialisées des Beaux-Arts.
Jean Veyret, Lobotomies, date non notée, ph. B.M. , 2016 ; les lobotomisés que l'on aperçoit ici, adéquatement choisis parmi des figurines Duplo (plutôt des Playmobil...), aux crânes creux, connues des enfants, se dressent devant une photo de classe religieuse...
Parallèlement à cette activité de metteur en boîte, qu'il poursuit depuis une trentaine d'années à peu près (et qu'il a très peu montrée, sa première exposition n'ayant été organisée qu'en 2013, à la galerie Dettinger-Mayer à Lyon, suivie d'une autre, tout récemment, fin 2016, dans le même lieu), Jean Veyret a coulé aussi ses pas dans ceux des aventuriers qui de tous temps ont été attirés par les espaces sauvages ou inconnus des Occidentaux. Il partit à moto à travers le Sahara, stimulé par les premiers rallyes Paris-Dakar, fréquentés et organisés en amateur au début, puisque leurs premiers vainqueurs, côté voiture, avaient roulé en 4L Renault. On était très loin de l'actuel rallye avec ses caravanes de matériel, de technologie, sa couverture médiatique, son spectacle, donnant l'impression d'un divertissement du capitalisme instrumentalisant des territoires au profit de ses jeux du cirque.
Chez Jean Veyret, la réserve aux boîtes-poèmes... ph. B.M. 2016.
Jean Veyret cherche depuis quelque temps à exposer davantage. Avis aux professionnels de la diffusion artistique qui n'ont pas les yeux dans leurs poches...
13:18 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : jean veyret, art d'assemblage, théâtre d'objets, boîtes à mise en scène d'objets, jacques prévert, poésie ésotérique, artistes-instituteurs, poèmes-objets, antimilitarisme, anticléricalisme, galerie dettinger-mayer, rallye paris-dakar | Imprimer
Commentaires
J’aime beaucoup ces boîtes remplies d’humour. Pour votre gouverne, cher Sciapode, j’ai l’impression que dans « Lobotomies », ’il ne s’agit pas de figurines Duplo mais plutôt de bonshommes Playmobil (c’est la forme des mains qui me fait penser cela). Bravo aussi pour votre photo de la boîte de Peter Wood : ces boîtes sont difficiles à photographier en raison du verre qui attrape les reflets.
Sur Peter Wood, cf. cet article Wikipedia dont j’ai été l’initiateur et l’auteur principal:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Wood
Écrit par : Régis Gayraud | 04/02/2017
Vous avez raison avec vos Playmobil. Je confondrai toujours, je le crains, les Duplo avec eux. Je corrige ma note en suivant votre conseil.
Écrit par : Le sciapode | 05/02/2017
"Metteur en boite", je trouve tout à fait bien choisie cette dénomination pour désigner ceux qui s'adonnent à ce type de création. Au delà du jeu de mot il évoque en effet quelque chose qui relève autant de l'artisanat que de la mise en scène.
Par contre si je puis me permettre une remarque, préférez je vous prie l'emploi du mot "'instituteur" à celui de "professeur des écoles". Ces nouvelles terminologies technocratiques destinées à revaloriser symboliquement des tâches jugées modestes ("technicienne de surface" à la place de "femme de ménage", "agent d'accueil" au lieu de "caissière", "opérateur" au lieu "d'ouvrier", etc) m'irritent particulièrement. Comme disait ma grand-mère: il n'y a pas de sots métiers. Et il y en a d'autant moins que désormais grâce à vous il y a également les "metteurs en boites" !
Écrit par : RR | 04/02/2017
Entièrement d’accord avec vous. C’est même plus que ça : professeur des écoles, ça exhale l’IUFM à plein blase, la démagogie et la pédagogie...
Écrit par : Atarte | 04/02/2017
Eh les deux excités des "terminologies technocratiques", RR et Atarte (qui n'est toujours pas allé se faire voir ailleurs, celui-ci?), je n'ai employé ce "professeur des écoles" que pour éviter une répétition avec le mot instituteur qui était utilisé juste à la ligne précédente (de même qu'un peu plus bas, j'ai utilisé "maître des écoles"). Le mot instituteur est bien entendu mon préféré.
Cela dit, ce terme de professeur des écoles recouvre quelques différences statutaires vis-à-vis des instituteurs, ils ont, je crois me souvenir, des avantages côté retraite, salaire, mais ne peuvent prétendre en même temps aux logements de fonction puisque, soi-disant, ils sont mieux payés... Ce n'est donc pas seulement un mot que l'on a créé pour réévaluer un métier qui aurait été en perte de reconnaissance.
Écrit par : Le sciapode | 05/02/2017
"Boîte de représentant en clous du Christ"...
Aujourd'hui il pleut ; merci pour l'éclat de rire.
Écrit par : x | 05/02/2017
Une poésie plus immédiate avec sa dose de naïveté, quant à parler de fraicheur...
Cela nous éloigne de l'esprit surréaliste des boites de Duchein (que tu ne cites pas ?)
Et c'est bien ainsi. J'en profite au passage pour rendre hommage à Dettinger qui, depuis des années, fait un vrai boulot de galeriste, et n'hésite pas à prendre des risques en exposant d' illustres inconnus de talent.
Écrit par : gilles | 06/02/2017
Cela ne nous éloigne pas du surréalisme, au contraire, cela nous y ramène, en suggérant un surréalisme moins ésotérique, moins vitrifié, comme pouvaient l'être la poésie, les collages, le cinéma de Prévert, ou de Brunius.
Les boîtes de Paul Duchein étaient évidemment visées dans ma note. Elles ne sont pas surréalistes, selon moi, dans la mesure où elles paraissent vraiment trop léchées, et quelque peu gratuites. Paul Duchein est à mes yeux plus un grand collectionneur qu'un grand créateur.
Écrit par : Le sciapode | 07/02/2017
Vous avez raison. Ce qui me gène dans les boîtes de Duchein, c’est que je n’arrive pas à leur trouver de sens ou d’émotion. J’en suis d’autant plus désolé que l’homme est admirable, semble-t-il. Elles sont parfaites dans leur réalisation technique, mais les objets y sont placés en ligne l’un à côté de l’autre sur un fond souvent peint d’un décor, un peu comme des acteurs à la fin de la pièce au moment du salut. Or, le jeu est terminé, ou bien n’a-t-il jamais eu lieu, rien ne vibre, ce salut même est figé, rien, dans les yeux de ces acteurs de bois, de céramique, de verroterie, de carton, ne brille. La profondeur manque. Il n’y a pas la légèreté primesautière de ces boîtes de Jean Veyret, il n’y a pas l'émoi qui traverse celles de Peter Wood, pourtant souvent rudimentaires, émoi qui renvoie à la façon dont Peter Wood fabriquait ses boîtes, comme pris d’une sorte de panique créatrice, en puisant à même une réserve d’éléments ramassés aux Puces ou ailleurs qu’il exploitait quasi automatiquement. Les boîtes de Wood, aussi, n’ont presque jamais de décor, ce qui les fait ressembler à des écrins où gésiraient des merveilles. Cette simple petite différence entoure les boîtes de Wood d’une atmosphère de drame. La scène est là, devant nous, haletante comme un huis clos nocturne de chambre d’hôtel, juste avant le drame, et les objets en sont les futures pièces à conviction.
Écrit par : Régis Gayraud | 08/02/2017