L'armée des singes (09/10/2017)
Très bel objet, très curieux que celui ci-dessous procuré par ce formidable chineur qu'est Alain Dettinger, par ailleurs excellent galeriste à Lyon, comme on sait. Son auteur est à n'en pas douter un maître – resté inconnu jusqu'ici apparemment – tant ce portrait caricatural est abouti au point de vue du travail du bois. L'idée du singe soldat (on ne sait pas si c'est un gradé qui est représenté ou un simple bidasse ; enfin, si... c'est un gradé, voir commentaires) fait écho – quoique peut-être ici très involontairement – à une tradition picturale (active du XVIIe au XIXe siècle) montrant des singes peintres, des singes musiciens, botanistes, etc., destinée à moquer les attitudes vaniteuses de l'être humain, et en particulier les artistes prétentieux qui réalisent des mauvaises imitations, des plagiats sans esprit.
Signé "J. Marbois", 28x22 cm, sculpture sur panneau de bois, dédicacé au dos: "Recevez Monsieur Ponteret ma tête de singe en souvenir Adjt Chef A. Travers"..., et daté d'avril 1960 (la date pouvant très bien ne se rapporter qu'à l'époque de la dédicace, distincte de la date de l'œuvre), coll. privée, Paris, ph. Bruno Montpied.
Dans le cas de ce portrait, limité à une tête, il semble cependant qu'on ait affaire, soit à un portrait-charge d'un gradé par un soldat placé sous son commandement (le képi qui arbore à son sommet l'entrelacs, dit "nœud hongrois", désigne de fait un gradé), soit à un désir antimilitariste qui mène à représenter le guerrier sous un aspect simiesque. Le personnage montre les dents et ne paraît pas particulièrement bien disposé. On ne peut exclure non plus une interprétation de type raciste qui chercherait à stigmatiser l'apparence d'un soldat d'origine africaine (pourtant, je n'y crois guère). Sur le col de la vareuse, on peut lire les lettres "R.B.", qui peuvent désigner un soldat d'un "régiment de blindés" (merci à Régis Gayraud pour cette hypothèse). L'uniforme me fait personnellement penser aux années 1940.
La dédicace au dos du panneau sculpté, ph. B.M..
L'inscription au dos paraît signé par un certain "Adjt Chef A. Travers" aux prénom et nom relativement comiques. "Ma tête de singe", dit ce texte, pouvant désigner le panneau sculpté représentant une tête de singe ou la tête de celui qui écrit la dédicace. Dans cette dernière hypothèse, il faudrait supposer que l'adjudant-chef Travers aurait pratiqué l'auto dérision, ce qui paraît hautement rare de la part d'un galonné. Quelque chose me dit qu'est plutôt évoquée, derrière le possessif, simplement la sculpture insolite dont il était le propriétaire, et qu'il remet "en souvenir" à ce monsieur Ponteret. Car l'adjudant chef Travers n'a pas signé la sculpture au recto, c'est "J. Marbois" qu'on lit, dans une signature bien affirmée et lisible, dénonçant un sculpteur désireux de pérenniser son nom (visiblement conscient de son art)... et peu soucieux d'une quelconque répression de la part de l'hypothétique gradé qu'il aurait caricaturé. Travers ne fut, apparemment, qu'un propriétaire de l'œuvre, offerte et dédicacée à un troisième "larron" en 1960.
C'est du moins les hypothèses que j'émets pour le moment. Comme d'habitude, si des lecteurs avaient des informations ou d'autres idées au sujet de ce singe soldat, je reste preneur...
20:29 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : singeries dans l'art, singe peintre, singe musicien, singe soldat, j.marbois, adjudant chef a. travers, anti militarisme, caricature, art populaire insolite, galerie dettinger-mayer, régiment de blindé, armée, militaria | Imprimer
Commentaires
Cher sciapode, vous vous posez bien ingénument la question : “On ne sait pas si c’est un gradé ou un simple bidasse”. Cela ne peut pas être un simple bidasse puisqu’il a un képi et que son col porte des pattes armoriées. C’est probablement un sous-officier, les plus détestés et en même temps les plus méprisés par le bidasse de base, et peut-être bien un adjudant-chef, même si les épaulettes, qui auraient permis de s’en assure, n’ont pas été représentées.
Écrit par : Régis Gayraud | 10/10/2017
Oui, je reste assez ingénu face à la soldatesque à laquelle je n'ai jamais appartenu. Mais il existe des sites web pour connaître l'histoire des uniformes de l'armée française. J'y suis finalement allé suite à votre commentaire, cher Régis. Et il appert que des képis peuvent se voir chez les soldats de la troupe. C'est le nœud hongrois sur le sommet du képi (j'ai introduit ce détail dans le texte de ma note), l'espèce d'entrelacs que l'on voit sur le képi du singe, qui signe l'appartenance du macaque, comme dit "x" ci-dessous, à la classe des officiers ou sous-offs.
Écrit par : Le sciapode | 10/10/2017
Les boutons de col avaient des chiffres indiquant l'unité, non ? Et donc pas des lettres ?
Et je vois pas bien un militaire de cette époque avec les cheveux dans le cou ?
Donc, peut être, c'est le portrait d'un surveillant de Guyane ? Ou d'un biribi quelquonque ? (Des gens très doux, très gentils... ; d'où la tronche de macaque...)
Panneau sculpté par un détenu et conservé par un adjt chef qui l'offrit ensuite à quelqu'un ?
Sous toutes réserves, c'est juste des idées imaginées, cher Watson.
Et PS:
trop belles rencontres, moments de ciel, merci.
Écrit par : x | 10/10/2017
Effectivement, pourquoi pas?
C’est vrai que, je l’avais remarqué aussi, les cheveux dans le cou ne font pas très militaire.
R B : Ré Bagne, ce serait séduisant (il y avait un bagne sur l’île de Ré).
Mais ce n’est pas le nom officiel de l’endroit.
On cherche encore.
Écrit par : Isabelle Molitor | 12/10/2017
Il n'y avait pas à proprement parler de bagne sur l'île de Ré, mais une forteresse qui accueillait les futurs bagnards en attente d'un départ pour la Guyane.
Quant aux initiales RB, elles sont peut-être tout bonnement celles du sculpteur.
Écrit par : zébulon | 14/10/2017
Cher "x", "un militaire avec des cheveux dans le cou", ça ne se voit pas trop chez les militaires de cette époque, dites-vous, ni même aujourd'hui, ajouterais-je. Chez un militaire humain, certes, mais comment cela se passe chez les singes, ça, on ne le sait pas.
Écrit par : Le sciapode | 15/10/2017
Vous lisez trop vite, Mister Zébulon, "RB" ne peuvent être les initiales du sculpteur, puisque, comme je l'indique, la sculpture est signée en bas à droite, sur l'épaule du singe galonné : "J.Marbois".
Écrit par : Le sciapode | 15/10/2017
Zébulon est à ressorts, c'est dans sa nature d'être intempestif et taquin (vous semblez ne pas le connaître). Mais dans son erreur, Zébulon n'a peut-être pas entièrement tort : pourquoi ces deux lettres ne seraient-elles pas les initiales ‒ non du sculpteur ‒ mais, en clin d'œil, celles du personnage représenté et (on suppose) exécré ?
Écrit par : Pollux | 15/10/2017
Cette hypothèse est plus recevable, Pollux. Mais je ne vois pas où elle serait contenue dans l'erreur de Zébulon, que vous paraissez enclin à défendre à toute force. Seriez-vous de la même famille?
Écrit par : Le sciapode | 15/10/2017
Un drôle de zèbre, ce zébulon, foi d'animal.
Écrit par : Carcajou | 15/10/2017