Le voleur des musées (2: le musée alsacien et ses dégorgeoirs) (12/09/2025)
A Strasbourg, il y a une vieille, vieille maison qui est le siège du musée alsacien. Il partage, je crois, avec le musée Arlaten, à Arles, le privilège d'être une des toutes premières collections d'art populaire à avoir recueilli des objets par delà le collectage des coutumes, des contes, des chansons traditionnelles, c'est-à-dire par delà l'aspect immatériel du patrimoine populaire. Cette maison est splendide, sur le quai Saint-Nicolas qui borde la rivière l'Ill. Le centre ville est juste de l'autre côté.


Deux photos de la cour intérieure du musée Alsacien de Strasbourg, avec un sonneur de cloche (peut-être en provenance d'un beffroi?), photos Bruno Montpied, 2017.
Parmi les nombreuses pièces conservées, j'ai eu plaisir à retomber sur des mascarons que j'avais découverts au préalable dans un album pour la jeunesse de Philippe Fix, visant à l'intéresser à l'histoire, intitulé Il y a cent ans déjà (voir ICI ce qu'en dit l'auteur, ainsi que l'illustration que j'avais photographiée, ci-contre). 
"Mascarons" n'est du reste pas le terme idoine, on parle plutôt en l'occurrence de "déversoirs" ou "dégorgeoirs" de moulins, voire même de "dégueuloirs".

Différents types de masques-dégorgeoirs tel que reproduits dans le n°3 du Cabinet de l'amateur ("Effroyables gardiens, figures protectrices de moulins dans le Rhin supérieur, musée Alsacien", éditions des musées de Strasbourg, 2015), collection d'albums brochés consacrés à divers sujets insolites.
Ces visages plus ou moins grotesques auraient très bien pu ne pas exister. On aurait pu se contenter de mettre de simples issues en bois pour laisser s'écouler le son que l'on séparait de la farine. Mais on avait besoin de créer ces figures pour éloigner les esprits maléfiques toujours prêts à abîmer les productions des hommes, en l'occurrence en y instillant le poison de l'ergot de seigle, responsable du "mal des ardents". Ces figurations cependant devaient aussi amuser les sculpteurs et les propriétaires des moulins, mobile de type ludique que l'on ne met pas toujours suffisamment en avant dans les motifs de création.

Cartel explicatif sur les dégorgeoirs au musée Alsacien, reprenant l'illustration de Philippe Fix ; ph.B.M.

Trois exemples de dégorgeoirs au musée Alsacien, ph. B.M., 2017.
A noter que la collection de dégorgeoirs du musée Alsacien (ouvert en 1907) fut constituée grâce à Robert Forrer, l'un des créateurs du musée. Il en parla dès 1889 dans la Revue alsacienne illustrée, date où l'on commençait chez les ethnographes à étudier de près la culture matérielle populaire (je remercie Valérie Rousseau d'avoir attiré ma curiosité sur ce point).


Parmi d'autres objets au musée Alsacien, cette collection de dossiers de chaises... On dira "ben oui, ce sont des chaises, quoi, que nous demandez-vous d'admirer là?" Précisément, la profusion et la variété des motifs décoratifs de ces chaises me paraît admirable, par ce goût de varier l'esthétique des meubles, souci "inutile" selon le point de vue utilitariste courant, mais selon moi, au contraire, bien utile puisqu'il contribue à enchanter la vie quotidienne.
10:22 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : le voleur des musées, musé alsacien, art populaire curieux, dégorgeoirs, vieille maison, déversoirs, dégueuloirs, ethnographie du patrimoine populaire matériel, ergot de seigle, motifs propitiatoires, masques, philippe fix |
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Commentaires
J'ai bonne mémoire de cette visite en votre compagnie, cher Sciapode. J'en garde - et notre ami Argo également - le souvenir d'un lieu extraordinaire, un de ces lieux qui, comme vous l'exprimez fort justement quelque part avec d'autres mots, opèrent une trouée enchantée dans l'espace - de surcroît en pleine ville.
J'aime ces articles où vous faites profession de voleur de musées. En voici déjà deux où je retrouve ce que j'y ai vu avec vous. J'attends impatiemment les prochains.
Écrit par : Régis Gayraud | 04/10/2025
Vous vous trompez, je crois, cher Régis. Nous n'étions pas ensemble pour cette visite. Mais il est vrai que nous sommes passés dans tellement de lieux enchantés ensemble que même lorsque je suis seul on peut croire que vous y êtes encore, telle une ombre indispensable qui précise les choses. A cette occasion, vous avez dû visiter le musée alsacien à un moment point trop éloigné du mien.
Écrit par : Le sciapode | 04/10/2025
Vous avez raison, beau doux ami, je confonds avec l'éco-musée en plein-air d'Ungersheim. Le beau musée alsacien de Strasbourg, je me rappelle maintenant l'avoir visité lors d'un des séjours professionnels qu'il m'est arrivé de faire à Strasbourg, où je me hâtais de quitter les lieux de mes interventions pour excursionner en solitaire. Et effectivement, vous me manquiez, car il me souvient maintenant que vous étiez en train de vous soigner d'une vilaine chose qui vous avait noirci le front - ce devait être en janvier 2018, si je ne m'abuse; je vous avais appelé de Strasbourg.
Écrit par : Régis Gayraud | 04/10/2025
"Une vilaine chose qui m'avait noirci le front"? Je devais avoir au moins la lèpre pour que je contracte une telle noirceur...
Écrit par : Le sciapode | 04/10/2025
Oui, cela y ressemblait vraiment. Une sorte d'infection généralisée du chef. Vous avez été soigné à Lariboisière, me semble-t-il. L'avez-vous oubliée?
Écrit par : régis Gayraud | 11/10/2025
Oh là là... Vous et votre imagination qui transpose en un quart de tour toutes choses! Oui, à présent je me rappelle, même si je ne puis relier comme vous les deux événements. J'ai bien eu une infection de la face qui avait tendance à se manifester par des rougeurs plutôt. Il n'a jamais été question d'un quelconque noircissement pour autant...
Écrit par : Le sciapode | 11/10/2025