Le monde est une toile constamment peinte (27/07/2008)
Le 14 juillet, la population descend danser et va voir le feu d'artifice. On se pose sur le pont où l'on est bien placé pour assister au grand spectacle pyrotechnique qui sera donné (pour l'occasion à Montauban). La foule, relative, s'agglutine gentiment au parapet, aux réverbères et attend sagement. Lorsque la nuit est enfin bien noire, aux environs de 22h30, sur le fond d'encre, les tirs commencent. Pas de cris, pas de soupirs collectifs cette fois-là. Le public assiste dans un silence étonnant au spectacle des gerbes et des bouquets éclatants, aussi multicolores qu'éphémères.
Ils regardent avec acuité, ne loupent pas la moindre étincelle. Dans le ciel nocturne, analogue à la toile de fond du sommeil où les rêves et les cauchemars se déploient, toutes sortes d'images crépitent, dans le bruit (assourdi) et l'éclat scintillant des fusées, des araignées de fumées dont les panaches s'évanouissant semblent semer des figures fantômatiques que l'appareil photo peine à capter-capturer... La même foule qui n'ira jamais voir une seule exposition dans le musée Ingres tout proche (les gerbes se peignent dans le ciel au-dessus de lui, du violon caché de monsieur Ingres...) assiste religieusement au spectacle éphémère des grands bouquets de lucioles et sillages de couleurs enflammées. La taille du spectacle, aux dimensions du paysage, art créé sur la toile de fond du monde, absolument immédiat (l'oeuvre se dissout dés l'instant où elle apparaît), est peut-être la raison de l'engouement populaire. Ce plaisir éphémère, cette conscience qu'il ne faut pas en manquer une miette, qu'il faut le vivre intensément au moment fugace où il se déploie, cela fascine sans doute. Et puis il y a la beauté des dessins dans le ciel, analogue à celle qu'on trouve dans l'art en deux dimensions, comme un créateur anonyme -déjà montré sur ce blog- l'avait en son temps évoqué (rare exemple à ma connaissance de tentative de représenter en le figeant un feu d'artifice ; intelligemment, l'auteur y a ajouté les figures fantastiques que sa fantaisie a cru y deviner).
L'art se fait partout à tout moment par la grâce de notre imagination, et de nos perceptions. J'aime assez le projet pictural qui consiste à mêler aux reflets du monde réel les projections de nos fantaisies intérieures, tel que cela s'effectue, par exemple, dans l'art naïf au réalisme poétique injustement sous-estimé par les tenants de l'art brut (mais un heureux revirement se dessine depuis quelques années).
12:09 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bruno montpied, pyrotechnie, robert roseff | Imprimer
Commentaires
Bien sûr vos photos sont bien belles et poétiques à souhait... mais vous ne nous dites rien des folles nuits de Bagdad. Dans le genre, ça a duré plus longtemps, fait rêvé quelques galonnés et affidés et sorti de leurs rêves Bagdadi et jeunes recrues en quête de naturalisation "estatsunidense" comme disent nos voisins européens et ibériques. Et je ne vous parle pas de la Première G.M. ni de la Der des Der..., sans même parler des Malouines si télévisuelles.
De quel côté serait la métaphore des ces feux multicolorés qui vous enflamment aussi vite l'âme que le pailler de la ferme d'à côté ?
Je sais, cher LSC, chui pas marrant !
Écrit par : Bonnet d'âne (du Poitou) | 28/07/2008
Allah, que la guerre est jolie!
Notons toutefois que le feu d'artifice est antérieur à la mitraille, la poudre ayant d'abord servi à égayer le ciel avant de servir à gorger la terre de cadavres.
Sur la toile noire, pirosmanienne, du ciel, il y a aussi les astres, et la recherche d'étoiles filantes qui tracent leurs itinéraires dans le noir. Occupation individuelle s'il en est, que la vieille sorcière Société n'a pas pu s'empêcher de voler aux promeneurs solitaires pour inventer la ridiculement nommée "nuit des étoiles", comme si les étoiles se décrochaient uniquement cette nuit-là, pour le plaisir des poux qui grouillent à la surface de la terre. Tant pis pour la bienpensance, mais je comprends assez ce despote chinois qui éloignait les populations sur des kilomètres autour de chez lui pour faire le vide et jouir en solitaire, dans son coin de Chine, du feu d'artifice que lui tirait son vieux serviteur aveugle. (Même si j'apprécie tout autant le paysan rebelle qui se cachait pour ne pas être raflé et observer la chose en cachette).
A propos d'étoiles, l'exposition Ernst, avec "Maximiliana" en vedette, n'est toujours pas terminée chez Chave, à Vence! Chave en a profité pour éditer un joli reprint du livre. Une illustration de plus de l'arcane aux cheveux d'or qui ne cesse pas de nous charmer.
Amitiés du vacancier,
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 18/08/2008