Le Graffiti de tranchées dans le Soissonnais (27/12/2008)
Un très bel ouvrage historique est paru il y a peu, cet automne 2008, sur les graffiti des tranchées et plus précisément sur ceux des carrières du Soissonnais où les Poilus de l'armée française se reposaient ou étaient casernés, en alternance avec leurs homologues allemands, au gré des avancées et des reculs des deux belligérants. On a retrouvé également des traces du passage de soldats américains dans ces fameuses carrières, où régnait une pénombre trouée de l'éclat de multiples chandelles jetant sur les parois de ces grottes des lueurs et des ombres propices aux caprices de l'imagination.
Personnellement, j'ai découvert vers 1988 l'existence des graffitis de soldats, notamment au Chemin des Dames, grâce à la visite que je fis à l'époque au Musée des Graffiti Historiques de Verneuil-en-Halatte, situé dans l'Oise et animé par Serge Ramond (je m'en suis ouvert notamment dans l'article Un musée des graffiti dans l'Oise, dans Artension n°8 (deuxième série), mars 1989). Ce dernier avait moulé les graffiti incisés dans le tuf des carrières par les Poilus qui allaient parfois jusqu'à dégager de grandes portions de la roche, la creusant, l'évidant jusqu'au bas-relief, jusqu'à la sculpture en trois dimensions. Son musée avait fort belle allure, car Serge Ramond avait reproduit les empreintes positives des graffiti d'origine à partir du plâtre qu'il coulait dans ces moulages. Il leur donnait ensuite une teinte pour leur conférer l'illusion des originaux. L'éclairage oblique et rasant dans des salles sombres achevait de donner au visiteur l'impression de se retrouver dans les mêmes conditions que les chercheurs de graffiti au fond des oubliettes, des cachots et des carrières. Ramond avait ainsi sauvé de la destruction et de l'oubli (car il y avait, il y a encore, beaucoup de vandalisme dans ces souterrains) un certain nombre de graffiti étonnants. Le musée, aujourd'hui rebaptisé Musée Serge Ramond, possède plus de 3500 moulages. Il ne s'arrête pas aux graffiti de 14-18 mais va bien au delà.
J'en reviens au livre Le Graffiti des tranchées édité par l'Association Soissonnais 14-18. Curieusement, aucune mention n'y est faite du musée et des sauvetages de Serge Ramond, pourtant entreprise parallèle à la leur. Le graffiti en lui-même n'occupe que la seconde moitié de l'ouvrage, la première étant réservée à des courts textes relatifs à des événéments chargés de restituer l'ambiance de l'époque dans cette boucherie absurde que fut la dite "Grande" Guerre. Ce qui n'est pas inintéressant mais laisse tout de même sur sa faim l'amateur pur et dur de graffiti. La perspective des auteurs est avant tout historique, et patrimoniale. L'association a beaucoup fait pour qu'on préserve les graffiti in situ. Certains d'entre eux sont placés en vis-à-vis dans leur état actuel et dans l'état où les ont conservés les cartes postales en noir et blanc de l'époque. Ces dernières se sont en effet intéressées aux Poilus comme elles se sont intéressées par ailleurs aux sites d'art fantastique populaire. Là aussi, elles s'avèrent une source documentaire fort précieuse.
Diverses cartes ont immortalisé ainsi les réalisations sculptées des soldats durant leurs temps de répit entre deux assauts, entre deux coups de dés à la vie à la mort. Et ce ne sont pas des graffiti exceptionnels qui sont montrés mais plutôt la trace d'un moment émotionnel intense, le souvenir d'êtres engloutis dans le carnage et l'oubli du temps, morts pour servir l'indépendance d'un pays en butte à l'emprise d'un autre, hommes jetés en pâture au néant par des officiers absurdement tenaillés par des visions grandioses d'"offensive à outrance" (théorie du général de Grandmaison en 1914).
Les auteurs de ce livre, semble-t-il le premier ouvrage historique à traiter des graffiti des tranchées, on le sent bien, n'ont pas beaucoup de sympathie pour la guerre qui a dévoré les hommes. Leur souci premier est avant tout l'évocation des êtres humains qui ont souffert de cette tragédie, leur tourment étant d'effacer au maximum l'angoisse que ces hommes dont ils recherchent une trace la plus tangible, la plus étoffée possible, aient pu mourir sans qu'on les reconnaisse, sans que leur souvenir ait été fixé. Leurs graffiti sont cette expression qui permet d'étayer leur présence qui nous hante. Expression pour les auteurs du livre, au delà d'être un art.
Pour trouver où se procurer le livre (43 €), on trouvera tous les renseignements utiles en cliquant ici: sur l'association Soissonnais 14-18 (adresse, bon de commande...)
23:44 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : graffiti, art populaire militaire, association soissonnais 14-18, serge ramond | Imprimer