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21/08/2016

Le Poilu et le fantôme de l'amour

Cette note contient une mise à jour

Le Poilu et la femme fantôme, tableau à Aillant sur Tholon (2).jpg

Tableau non signé, huile sur toile, autour de 5 Figure (27x35 cm), sans date, peut-être peint du temps de la Grande Guerre, ph. Bruno Montpied (sur la brocante d'Aillant-sur-Tholon), 2016

 

     Ce soldat, probablement un Poilu de la Guerre de 14-18, est en faction dans un bois alors que le crépuscule enflamme les sommets des arbres alentour. La forêt en devient rousse, tandis qu'un bleu tendre s'attarde encore dans le ciel. C'est peut-être le contraste entre cette tendresse céruléenne et la lueur fauve s'immisçant entre les fûts qui suscite le souvenir. Car ce n'est pas un spectre. C'est peut-être l'épouse laissée au pays, ou la jeune fille rencontrée juste avant la mobilisation. Une Alsacienne, si l'on remarque sa coiffe et le châle enveloppant son buste... La pénombre envahissante, jointe à la solitude de la sentinelle, et jointe peut-être aussi à sa hantise d'une fin prochaine, l'ont fait sortir du bois, ambiguë, aux limites de l'hallucination, tout en opposition avec les contours si réels et si nets du soldat. Elle glisse entre les troncs, comme une image aperçue  dans les flammes. Et lui l'examine, sachant bien que c'est son souvenir, son terrible besoin de la revoir, qui l'a fait revenir, au bord du néant qui le guette, dans ce bois qui ressemble à une fourrure, à une toison pubienne presque...

    Ou bien, autre hypothèse interprétative (pouvant parfaitement se superposer  à la précédente cependant), ce tableau est simplement une allégorie nationaliste, le bidasse rêveur n'étant autre que la France rêvant de reconquérir l'Alsace-Lorraine, symbolisée par la femme dans les bois, et perdue alors depuis 1871 au profit des Allemands.

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Art populaire naïf, un autre soldat de la guerre de 14-18, sculpture sur bois peinte, auteur anonyme, ph. B.M., coll. privée, Paris.

Codicille

     J'en étais là de mes interprétations, souhaitant intimement que ce soit plutôt la première qui l'emporte, mais un lecteur collectionneur de cartes postales s'est rappelé d'une carte ayant un rapport étroit avec le tableau anonyme:

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P. Petit-Gérard, La vision ; il existe une autre version de cette carte, en noir et blanc (ou bistre, m'écrit mon lecteur), qui précise que le tableau de Petit-Gérard fut exposé au "Salon de 1912" ; cependant, on constatera que le pantalon du soldat est bleu sur le tableau et non pas garance comme il l'était au début de la guerre de 14 ; doit-on imaginer que les pantalons des soldats étaient bleus encore en 1912, puis qu'ils devinrent rouges, en 14, le temps de transformer en écumoires les pauvres pioupious français? Carte postale, coll. privée.

    En voyant ce tableau, on constate que le tableau vu à Aillant-sur-Tholon n'était en réalité qu'une copie, du reste non signée, avec quelques menues différences dans la façon  de dessiner les troncs, les frondaisons, entre autres. Sur le tableau de Petit-Gérard, on voit que la scène se passe dans une forêt de sapins.

    Quant à la femme... Mon lecteur a eu l'amabilité de m'envoyer une autre carte qui est sur un sujet fort voisin, quoique nettement plus caractérisé dans le sens patriotique. Intitulée "Vison bénie", la carte proclame en vers : "Sur ton sol reconquis [c'est moi qui souligne], Alsace bien-aimée / Ta douce vision enchante ma pensée."

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Carte où le soldat retrouve son pantalon garance, mais peut-être est-ce une licence de l'éditeur qui préférait voir les soldats de 14-18 ainsi... Le texte parle du sol reconquis de l'Alsace et, donc, permet de dater la carte plutôt d'après la guerre...

     Il semble bien que, grâce à ce lecteur à la bonne mémoire, nous pouvons désormais conclure, vis-à-vis de notre rencontre d'Aillant-sur-Tholon, à un tableau patriotique, qui utilise pour les besoins de sa propagande le secours de l'art visionnaire et d'un certain romantisme. N'est-ce pas, Isabelle Molitor?

11/11/2015

Art populaire des soldats, pour dépasser par la merveille la grande boucherie...

   11 novembre... On se repasse les vieux souvenirs de la grande guerre lorsque des soldats venus de tous les horizons d'Europe et des empires coloniaux sont venus engraisser la terre de France. Et moi, je rassemble les quelques objets en provenance de soldats qui sont venus échouer entre mes mains, fragiles (ou non) traces de leur passage sur terre... :

 

 Anonyme -(Emi....),- statuette-souvenir-de 1917 (2).jpg                      Anonyme-(Emi.)-à-l'ange-(profil) (2).jpg

Sans titre, "fait le le 25.9 par EMI... 1917, Souvenir de (HMANL?) Auberville-la-Renault" (commune existant dans la Seine-Maritime), ph. Bruno Montpied

    Cet ange qui me fut un jour expédié du centre de la France dans une boîte pleine de paille par Stéphanie Lucas avec ce petit texte accroché autour de lui... "Je n'ai pas de nom. On dit que j'ai été créé dans une tranchée pour honorer un ami cher, c'était il y a près d'un siècle."

Anonyme-belge,-douilles-d'obus-1914-1916 (2).jpg

Anonyme, Albert Ier et Elisabeth, roi et reine des Belges, notamment durant la guerre de 14-18, avec des inscriptions, gravées comme les effigies des monarques : "Souvenir, L'Union fait la force" et avec l'écusson de la Belgique ; beaucoup d'objets et bibelots furent produits à l'image de ce roi populaire en Belgique au moment de la guerre notamment ; ph BM 

    Ces douilles d'obus dorées gravées d'effigies du roi et de la reine des Belges par un Poilu inconnu... On sait qu'il existe nombre de douilles ciselées en ouvrages de patience par les soldats, mais généralement plutôt gravées de motifs floraux décoratifs qui personnellement m'ennuient plus.

C. Desage,-Souvenir-de-soissons,-janvier-1916,-22x18cm, collage, tressage, découpage et crayons sur papier  (2).jpg

C. Desage, "Souvenir de Soissons 1916", avec monogramme au tampon "DC"; sont représentés en un bouquet relié par un nœud de soie verte les drapeaux de la France, de la Russie (probablement), du Commonwealth (probablement), de l'Italie (probablement), de la Belgique ; j'ai du mal à comprendre le dessin paraissant figurer deux tranches de pommes en haut à droite ; ph. BM

     Ce petit tableau confectionné avec une curieuse technique... où des bords cadrant l'image centrale (ainsi que les hampes et les contours des drapeaux) ont été réalisés grâce à un minutieux découpage dans du papier fin quadrillé, peut-être en double épaisseur, l'un teint en bleu au crayon de couleur, un autre comme doré. Du tissu de soie est collé en relief aussi à diverses places du premier filet de cadre intérieur, lui aussi brillant légèrement, même cent ans après... Le dessin est simplement exécuté aux crayons de couleur. Travail de patience d'un orfèvre cherchant l'exploit à n'en pas douter.

Art-populaire-anonyme,-pot-.jpg

Anonyme, pot en terre vernissée, XXe siècle? Ph BM

    Et ce pot représentant une tête d'officier au képi jaune dont je n'ai toujours pas réussi à situer la nationalité depuis la première fois où je l'ai mis en ligne sur ce blog... Joli dessin naïf, non?

Chretien-Volckel-(auteur-pa.jpg

Chrétien Volckel, "Corps royal d'Artillerie 6ème régiment", sans doute entre 1830 et 1848 (époque de Louis-Philippe, voir la couronne entourée des drapeaux tricolores en haut de la composition) ; ph BM

    Depuis bien plus longtemps que le XXe siècle, on trouve des traces de l'attachement enfantin des soldats pour certains prestiges de l'armée, les boum-boum des canons, les uniformes, les képis à pompons, le spectacle des combats, en dépit des atrocités qui les accompagnent, comme le dessin aquarellé sur papier ci-dessus le montre bien, avec ces militaires à la parade comme des soldats de plomb qu'un enfant viendrait de sortir d'une boîte de jouets...

Poulet,-dragon,-1897 (2).jpg

Poulet, dragon dans le "1er régiment de dragons, 3= escadron,, 4= peloton, tirage 7, matricule 345, classe 1897...", photo surpeinte (apparemment), ph. BM

 

     Et que dire de ce tableau-ci, montrant un dragon à cheval, nommé cocassement Poulet (pour une fois qu'un poulet fait du cheval...), vers 1897, dont je ne suis pas sûr qu'il soit bien l'auteur, car l'œuvre a très bien pu être confiée à un artisan spécialisé dans la retouche de photographie. Je n'ai pas démonté le cadre centenaire pour examiner le support de l'image, mais il semble bien que ce soit un tirage photographique qui ait en effet servi de base à la peinture qui a tout recouvert hormis le visage du dragon, sa main droite tenant la lance aussi... Le cheval paraît avoir été inventé et non colorié à partir de la photo, ses pattes postérieures et antérieures sont projetées en parallèle en avant et en arrière, le peintre ayant ignoré le fait -révélé par les photographies de Marey ou de Muybridge pourtant à une époque précédente- que les chevaux vont l'amble, les pattes de gauche se déplaçant ensemble à l'opposé des pattes de droite... Et donc ne pouvant prendre l'aspect des pattes que l'on voit dans cette peinture.Muybridge_horse_pacing_animated.gif Peint ainsi le cheval du dragon paraît voler au-dessus du sol, comme on le voit dans certains tableaux d'époques plus anciennes représentant des courses équestres (j'ai dans l'esprit un derby d'Epsom peint où les cavaliers et leurs montures paraissent en lévitation au-dessus du gazon de l'hippodrome...).

Notre dragon s'est représenté en train de jouissivement caracoler dans la plaine avec ses petits camarades en arrière-plan, comme s'il s'agissait d'une sortie équestre agreste. On le croirait parti pour un tournoi de démonstration, tagada-tagada....

Poulet, la tête rapprochée.jpg

Les belles bacchantes des dragons fin de XIXe siècle...

    Sur cette œuvre, on consultera en complément d'information la note du 18 novembre, "Fantaisie militaire", que Laurent Jacquy a consacrée à notre dragon sur son blog Les Beaux Dimanches, où l'on verra que l'auteur nous y révèle posséder plusieurs autres de ces "cadres de réservistes" fréquents entre la fin du Second Empire et la guerre de 14-18.

  

02/06/2011

Les rêves du soldat Goupil

     La dispersion du fonds du peintre secret Armand Goupil (voir ma flopée de notes précédentes sur le cas) continue son petit bonhomme de chemin si je puis dire. Mais il continue de m'arriver parallèlement quelques renseignements. Je dois à Mme Martineau, heureuse passionnée du cas Goupil, la communication de nouvelles peintures inconnues du sieur Armand. Une d'entre elles en particulier m'a tapé dans l'oeil, sa propriétaire dit qu'on pourrait l'appeler le "Rêve du prisonnier". Voici l'image:

 

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Armand Goupil, 1917, 23-II-60, coll et ph. N.Martineau

 

      L'homme redressé sous la couverture grise probablement militaire, à cause de sa barbe semble bien être une évocation du peintre lui-même qui, comme je l'ai rappelé dans une de mes dernières notes, grâce aux souvenirs de son fils Armand Goupil (junior), par ailleurs auteur d'un ouvrage traitant de Jules Verne, a été fait prisonnier pendant la bataille de Verdun en 1916. La peinture porte le titre de 1917, date à laquelle Goupil était encore prisonnier (il ne fut libéré qu'en 1918). Il rêve peut-être, ou il a une vision, c'est du pareil au même. Une jolie succube vient le visiter dans les airs au dessus de sa couche, le buste suggestivement penché en avant. Si on le compare à d'autres peintures, on s'aperçoit qu'Armand Goupil paraît priser les corps féminins en train de se balader en apesanteur dans les airs. Voir ci-dessous cette image très cosmique.

 

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Armand Goupil, 20-XII-59, rassemblement Philippe Lalane ; photo BM

 

     On m'a également communiqué depuis peu une autre peinture de Goupil, représentant un soldat de la guerre de 14 en train de crapahuter, le matricule 146 frappé au coin de sa vareuse et de son képi. Le soldat est-il un autoportrait là encore? On peut le supposer. La date dans le coin gauche inférieur de la peinture indique mai 1915. La date de l'oeuvre nous signale également qu'elle a été réalisée 13 jours avant celle du "rêve du prisonnier"...

 

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Armand Goupil, mai 1915, 10-II-60, ph. BM

    Si on retourne ce carton, on a la surprise de découvrir au verso, plus secrète, une esquisse représentant... Evidemment une femme, en train de danser semble-t-il le charleston... Un paraphe, ce qui paraît rare, accompagne l'esquisse, avec l'indication "Le Mans".

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14/02/2011

Lexique des arts populaires (1): l'art populaire rural

     Cela fait un certain temps que je me dis qu'il faudrait essayer de donner mes définitions des différentes catégories d'arts populaires, le rural, le brut, le naïf, le modeste, les graffiti, les environnements spontanés, le singulier, l'outsider, et peut-être pour finir, l'immédiat. Que je regrouperai dans ma colonne de droite à la rubrique "Catégories" sous le nom de "Définitions des arts populaires". Tant pis si cela paraîtra immodeste à certains. Cela éclairera peut-être un peu mes lecteurs, en même temps que moi-même, comme si je mettais la maison en ordre par la même occasion.

     Je vais commencer par...

L'art populaire ruralEpi de Faîtage, collection Michel Boudin, (photo Bruno Montpied 2009).jpg

     C'est un vaste corpus d’œuvres, la plupart du temps utilitaires, créées par des artisans habiles, dont le tour de main est empreint d’un goût de la stylisation et de la naïveté plus ou moins codifié, plus ou moins reconnu par la communauté rurale à laquelle ils appartenaient. Elles se caractérisent souvent par une bonhomie, une simplicité d'allure, un humour parfois rabelaisien, un sens de l'immédiateté, et une foi naïve aussi.

     On rangera dans l’art populaire des campagnes de jadis, les meubles, les outils, les vanneries, les vêtements, les coiffes, les dentelles, les plaques muletières, la vaisselle, les épis de faîtage (voir l'exemple ci-contre, extrait de la collection de l'antiquaire Michel Boudin) les jouets, les marionnettes, les objets forains, les chevaux de manège, les lettres de mariage, les bannières de procession religieuse, les bannières commémoratives de campagnes militaires, les douilles sculptées, les quilles de conscrits, les ouvrages en cheveux commémoratifs, les enseignes, les girouettes découpées et peintes,Girouette de vannier, ancien rassemblement du brocanteur Philippe Lalane.jpg les objets de patience, les bateaux en bouteille, les marques à beurre, etc., etc. Les ex-voto sont plutôt rangés dans l'art populaire.

     Beaucoup d’objets rattachés à ce dernier corpus, comme les fourneaux de pipe sculptés, ou les dessins de bagnards, les tatouages, pourraient cependant très facilement être associés à l’art brut ou à l’art naïf. De même, quelques œuvres orphelines, comme certains tableaux de chêne, des marquèteries, des paysages brodés dont la technique génère un climat onirique particulier, parce qu’elles sont restées anonymes, sont classées en art populaire alors qu’elles pourraient tout aussi bien être jointes à l’art brut. On distingue cependant l'art populaire de l'art brut par le fait qu'il est d'essence avant tout collective.Cadre de Miroir, art populaire, rassemblement Michel Boudin, photo Bruno Montpied, 2008.jpg C'est un langage reconnu par une communauté particulière celle des gens du commun, ouvriers, paysans, artisans. Au sein de ce corpus se détachent cependant des oeuvres parfois insolites, surtout du côté des objets curieux, de patience, que les brocanteurs spécialisés ont tendance ces temps-ci sous l'influence de la recherche d'art brut peut-être à mettre de plus en plus en vitrine. Les objets les plus singuliers de l'art populaire, la plupart du temps anonymes, du fait de cet anonymat, de leur statut d'orphelins de l'art, et aussi parce qu'ils n'ont pas été forcément en rupture vis-à-vis de la communauté populaire au sein de laquelle ils ont été produits, irradient d'une très grande force aujourd'hui. Ce sont comme des oeuvres d'art brut avant la lettre, qui auraient le pouvoir d'être communicantes, elles.

Cadre de miroir sculpté,détail,Adam et Eve, collection Michel Boudin, photo Bruno Montpied, 2008.jpg

Collection Michel Boudin, détail d'un cadre de miroir ciselé, art populaire, Adam et Eve, Dieu le père sont représentés ; ph.Bruno Montpied, 2008

Porte-montre sculpté, collection Michel Boudin, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg

 Collection Michel Boudin, porte-montre sculpté, photo BM, 2009

 

27/12/2008

Le Graffiti de tranchées dans le Soissonnais

 

Le graffiti des tranchées, couverture, éditions Le Soissonnais 14-18.jpg
Achevé d'imprimer en octobre 2008

     Un très bel ouvrage historique est paru il y a peu, cet automne 2008, sur les graffiti des tranchées et plus précisément sur ceux des carrières du Soissonnais où les Poilus de l'armée française se reposaient ou étaient casernés, en alternance avec leurs homologues allemands, au gré des avancées et des reculs des deux belligérants. On a retrouvé également des traces du passage de soldats américains dans ces fameuses carrières, où régnait une pénombre trouée de l'éclat de multiples chandelles jetant sur les parois de ces grottes des lueurs et des ombres propices aux caprices de l'imagination.

Carte postale, Napoléon,la République victorieuse, guerre 14-18.jpg
Carte postale du temps (pas éditée dans le livre "Le Graffiti des Tranchées"), "Dans les carrières du Soissonnais, sculptures par nos soldats artistes. Napoléon et la République victorieuse...", coll.B.Montpied

     Personnellement, j'ai découvert vers 1988 l'existence des graffitis de soldats, notamment au Chemin des Dames, grâce à la visite que je fis à l'époque au Musée des Graffiti Historiques de Verneuil-en-Halatte, situé dans l'Oise et animé par Serge Ramond (je m'en suis ouvert notamment dans l'article Un musée des graffiti dans l'Oise, dans Artension n°8 (deuxième série), mars 1989).graffito représentant Paris, gravé dans une carrière du Chemin des Dames en 14-18, musée Serge Ramond.jpg Ce dernier avait moulé les graffiti incisés dans le tuf des carrières par les Poilus qui allaient parfois jusqu'à dégager de grandes portions de la roche, la creusant, l'évidant jusqu'au bas-relief, jusqu'à la sculpture en trois dimensions. Son musée avait fort belle allure, car Serge Ramond avait reproduit les empreintes positives des graffiti d'origine à partir du plâtre qu'il coulait dans ces moulages. Il leur donnait ensuite une teinte pour leur conférer l'illusion des originaux.graffito dans une creute du Chemin des Dames en 14-18, la liberté quittant le monde, musée Serge Ramond.jpg L'éclairage oblique et rasant dans des salles sombres achevait de donner au visiteur l'impression de se retrouver dans les mêmes conditions que les chercheurs de graffiti au fond des oubliettes, des cachots et des carrières. Ramond avait ainsi sauvé de la destruction et de l'oubli (car il y avait, il y a encore, beaucoup de vandalisme dans ces souterrains)  un certain nombre de graffiti étonnants. Le musée, aujourd'hui rebaptisé Musée Serge Ramond, possède plus de 3500 moulages. Il ne s'arrête pas aux graffiti de 14-18 mais va bien au delà.

Le graffiti des tranchées, la Poisse, ph. Association Soissonnais 14-18.jpg
Graffito montré dans le livre édité par Soissonnais 14-18, "La Poisse"... ; photo Association Soissonnais 14-18

     J'en reviens au livre Le Graffiti des tranchées édité par l'Association Soissonnais 14-18. Curieusement, aucune  mention n'y est faite du musée et des sauvetages de Serge Ramond, pourtant entreprise parallèle à la leur. Le graffiti en lui-même n'occupe que la seconde moitié de l'ouvrage, la première étant réservée à des courts textes relatifs à des événéments chargés de restituer l'ambiance de l'époque dans cette boucherie absurde que fut la dite "Grande" Guerre. Ce qui n'est pas inintéressant mais laisse tout de même sur sa faim l'amateur pur et dur de graffiti. La perspective des auteurs est avant tout historique, et patrimoniale. L'association a beaucoup fait pour qu'on préserve les graffiti in situ. Certains d'entre eux sont placés en vis-à-vis dans leur état actuel et dans l'état où les ont conservés les cartes postales en noir et blanc de l'époque. Ces dernières se sont en effet intéressées aux Poilus comme elles se sont intéressées par ailleurs aux sites d'art fantastique populaire. Là aussi, elles s'avèrent une source documentaire fort précieuse.

Carte postale 14-18,la nymphe d'Aveluy, coll.B.Montpied.jpg
Carte postale, "La nymphe d'Aveluy", coll.B.M.
Le graffiti des tranchées, ph. Association Soissonnais 14-18.jpg
Quatre profils de femmes taillés dans la roche des carrières, ph. Association Soissonnais 14-18

    Diverses cartes ont immortalisé ainsi les réalisations sculptées des soldats durant leurs temps de répit entre deux assauts, entre deux coups de dés à la vie à la mort. Et ce ne sont pas des graffiti exceptionnels qui sont montrés mais plutôt la trace d'un moment émotionnel intense, le souvenir d'êtres engloutis dans le carnage et l'oubli du temps, morts pour servir l'indépendance d'un pays en butte à l'emprise d'un autre, hommes jetés en pâture au néant par des officiers absurdement tenaillés par des visions grandioses d'"offensive à outrance" (théorie du général de Grandmaison en 1914).

Le graffiti des tranchées, ph. Association Soissonnais 14-18.jpg
Inscription figurant dans "Le graffiti des tranchées": "La guerre finira à la fin du monde", ph. Association Soissonnais 14-18

     Les auteurs de ce livre, semble-t-il le premier ouvrage historique à traiter des graffiti des tranchées, on le sent bien, n'ont pas beaucoup de sympathie pour la guerre qui a dévoré les hommes. Leur souci premier est avant tout l'évocation des êtres humains qui ont souffert de cette tragédie, leur tourment étant d'effacer au maximum l'angoisse que ces hommes dont ils recherchent une trace la plus tangible, la plus étoffée possible, aient pu mourir sans qu'on les reconnaisse, sans que leur souvenir ait été fixé. Leurs graffiti sont cette expression qui permet d'étayer leur présence qui nous hante. Expression pour les auteurs du livre, au delà d'être un art.

Pour trouver où se procurer le livre (43 €), on trouvera tous les renseignements utiles en cliquant ici: sur l'association Soissonnais 14-18 (adresse, bon de commande...)