Complaintes et messages de Jean-Marie M. (04/11/2009)
J'ai récemment parlé de Jean-Marie M., le creuseur de tunnels sauvage du Lot. Antoine Boutet a fait un extraordinaire film sur lui, Le Plein pays (intitulé comme cela par allusion à sa manière de chanter Le Plat pays de Jacques Brel). Une de mes surprises en voyant le film fut de découvrir les insoupçonnables talents de chanteur-psalmodieur de cet archéologue pulsionnel. Il fait corps avec la nature, au creux de laquelle, après tant d'années de compagnonnage intime, il a besoin de se nicher pour chanter ses drôles d'incantations. Se rencoignant dans certaines grottes creusées par lui à mains nues, et s'y recroquevillant comme foetus régressant. Du reste, le contenu de ses chansons qu'il improvise en utilisant une technique de répétition parle de procréation qu'il faut cesser, de trop plein de population, d'apocalypse à venir (cela dure depuis trente ans). Il faut selon lui que les hommes restent avec les hommes et les filles avec les filles, sans préciser plus avant ce qu'il compte leur proposer comme occupations.
Une autre découverte est le talent artistique quasi enfantin de Jean-Marie. Il apparaît en fait plus flagrant lorsqu'on va sur le site internet qu'Antoine Boutet a consacré aux "complaintes et messages" de ce vieil enfant sauvage du Lot. En toile de fond, on aperçoit en effet des dessins aux traits tremblés qui sont touchants. Des collages aussi, au milieu desquels, la tête rejetée, il pose comme abattu, tel un cadavre. Des petites peintures tendant vers la recherche pictographique. Le site, intitulé " Les complaintes de Jean-Marie", permet d'entendre en outre les fameux chants de l'auteur (le site en a choisi quatre), proches du cantique et de la psalmodie médiévale telle qu'on a l'habitude de l'entendre plutôt résonner au fond des cathédrales à l'acoustique réverbérante. On trouve aussi quelques fragments de vidéo et des photos (dont celles que je reproduis pour illustrer cette note).
Chaleureuse gratitude à Antoine Boutet qui nous a révélé l'existence de son site plutôt secret, du moins peu connu des amateurs "d'art brut", ou de land art spontané, d'environnements étranges, et de proclamations apocalyptiques. A noter que, selon ce qu'il nous a confié, Boutet a longtemps constitué sa culture musicale à l'écoute de l'émission "Songs of praise" dont un des animateurs intervient depuis quelque temps sur ce blog. Il n'y a décidément pas de hasard...! Cette émission aura donc sans doute aidé cet auditeur inspiré à rechercher puis finalement à nous fournir un exemple supplémentaire de ce que l'on peut peut-être appeler de la "musique brute". Je gage que cela te mette du baume au coeur, cher Cosmo Helectra...?
Sinon, pour ceux qui l'auraient raté à Montreuil récemment, à signaler d'autres occasions de voir le film d'Antoine Boutet, Le Plein pays:
Festival les Ecrans Documentaires à Arcueil dans le 94 (compétition internationale)
jeudi 29 octobre 2009 - 22h00
http://www.lesecransdocumentaires.org/2009/
Festival International du Film de Belfort (compétition internationale). Du 28 novembre au 6 décembre 2009
http://www.festival-entrevues.com/-2009-/films-competition2009.htm
Les Hivernales du documentaire à Nègrepelisse
samedi 14 novembre 2009
http://leshivernalesdudoc.free.fr
Mois du documentaire - Cinéma Jean Renoir à Martigues
samedi 28 novembre 2009 - 20h30
http://cinemajeanrenoir.blogspot.com
20:42 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean-marie m., antoine boutet, environnements spontanés, musique brute, démographie, land art spontané, complaintes et messages de jean-marie | Imprimer
Commentaires
Bonjour Bruno, j'avais déjà les yeux écarquillés par la puissance des photos, mais la fin de l'article me surprend encore davantage !
Je crois qu'on a trouvé encore un futur invité pour l'émission.
Écrit par : Cosmo | 04/11/2009
Ces nouvelles révélations sur JMM (je ne révèlerai pas son nom de famille, puisqu'il y a, semble-t-il, black out sur ce point) - dont nous avions, vous et moi, appris l'existence, si je ne me trompe pas, par un article de Walter Lewino (c'est bien ainsi, ou je délire?), le lieu exact ayant été précisé ensuite par le regretté Gaston Mouly - sont pour moi très impressionnantes. Le sciapode se rappellera qu'Agnès et moi, en 1986, étions allés dans les bois du grand Creuseur, nous avions été assez impressionnés, voir plus, par l'ambiance qui régnait autour de sa maison (et de son vieil autocar sur cales) entourée de tranchées, de rondins, d'arbres creusés au bon endroit pour y prendre un plaisir d'autant plus solitaire que l'endroit est isolé. Dans les creux des arbres, près des pierres sculptées, sous une bâche, on avait trouvé, avec quelques détails vestimentaires inattendus, une ou deux vieilles photos de femmes, déformées par l'humidité, tirées de magazines, dont nous avions soupçonné un autre usage. mais voici que maintenant, tout s'éclaire.
Je vous rappelle, cher Sciapode, que si un jour vous en avez besoin, nous avons toute une série de photos, la plupart prises par Agnès en 1986, il y a 23 ans , donc (ce qui peut se révéler intéressant pour voir ce qui a changé?), sur ce lieu, les pierres gravées, les abords (un peu éloignés, nous avions pris peur!...) de la maison. J'ai également écrit, quelque temps plus tard, un petit texte sur cette expérience étrange. je le tiens aussi à votre disposition.
Un détail qui me reste encore et qui éclaire peut-être cet apartheid sexuel qu'il semble professer. Sur sa boîte aux lettres, l'homme avait fait porter non point Jean-Marie, son prénom, mais Jeanne-Marie (+ son nom, bien sûr). Après les petites culottes dans les troncs d'arbre, nous avions trouvé cela un peu... curieux, dira-t-on. En fait, cela s'explique : les filles avec les filles, et Jeanne avec Marie. Et si (je ne veux pas faire de la psychologie d'arrière-blog, mais bon...) l'origine de ce monde se trouvait dans ce prénom à deux sexes, cet assemblage de Jean avec Marie, qui sait vécu comment?
Nous attendons avec impatience que le film sur JMM sorte en DVD, à l'image de celui de RR sur les saltimbanques chinois, puisque visiblement, les programmateurs auvergnats les ignorent.
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 21/11/2009