Verbena à la collection de l'art brut: on brouille les pistes mais aussi le message (09/06/2012)
J'ai reçu récemment en lien une note de la galerie d'Alain Paire se félicitant de l'exposition prévue pour l'an prochain d'œuvres de Pascal Verbena, un ancien de l'art singulier (il était à l'expo des Singuliers de l'Art en 1978 au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, présenté dans ce cadre via l'Atelier Jacob d'Alain et Caroline Bourbonnais). Ce qui me chiffonne un peu, ce n'est pas l'annonce de cette expo – il y en a régulièrement, notamment à la galerie Alphonse Chave de Vence – mais c'est que cela se passera à la Collection de l'Art Brut, dont on sait que la direction a récemment changé de tête (Lucienne Peiry remplacée par Sarah Lombardi). Lorsqu'on s'avise que dans le même temps, on n'y parle plus depuis longtemps de la Neuve Invention, l'ex-"Collection Annexe", réservée aux marginaux coincés entre art brut et art contemporain, et que l'on paraît désormais y mélanger tout allégrement (Chaissac, qui se disait "rustique moderne" et non pas "brut"', est exposé à côté d'Aloïse sans plus de manières), on peut légitimement se demander si on n'est pas en train du côté de Lausanne de nous préparer une grande liquidation de la notion même d'art brut, ce qui serait une belle revanche –aux allures d'OPA?– des tenants de l'art plastique contemporain sur l'art brut.
Difficile de trouver des images grand format de Verbena sur la Toile, celle-ci provient d'un numéro des débuts de Raw Vision
Certes Verbena, on prend soin de nous l'indiquer soigneusement dans la note d'Alain Paire, "totalement autodidacte, (...) ne fréquenta jamais les cours des Ecoles de Beaux-Arts et sut se créer lui-même ses repères esthétiques". Certes, mais comme il est dit aussi ailleurs dans cette note, il donne des titres fort cultivés à ses dessins ou sculptures: ""Tatou", "Kachina", "Malebouche", "Phalène", "Allobroge", "Pachamama", "Cryptogame" ou bien "Boustrophédon", le très fascinant système d'écriture qui change ligne après ligne les sens dont on fait lecture". Ce sont là titres recherchés, ce que je ne dispute pas ici, car tout artiste a le droit d'aller chercher son miel où il veut, et de la manière compliquée qu'il veut. Ce que je discute, c'est qu'en l'occurrence cette recherche dans les titres accompagne une recherche plastique que je trouve elle-même personnellement fort lourde, pesante à l'excès, avec ces espèces de reliquaires d'assemblages aux teintes sombres qu'affectionne l'artiste, écrasant d'ennui le spectateur que je suis. Oui, Verbena s'est "créé lui-mêmes ses repères esthétiques", mais ce sont là repères cérébraux et sans émotion à la clé, un esthétisme massif et dépourvu de la moindre grâce, à la rigueur décoratif comme dans ses dessins aux arabesques élégantes mais sans âme. Toute grâce est absente, ainsi que toute innocence, au rebours des œuvres de l'art brut justement (du moins celles que je préfère, car même dans l'art dit brut tout n'est pas toujours fondé sur "la pierre angulaire de l'ingénuité" (Breton)). Ce qui justifiait entre autres qu'il ait pu être rangé à un moment dans la collection annexe de Lausanne. Oublier de le rappeler demain, en 2013, serait rendre un très mauvais service à ce qui se défend derrière la notion d'art brut, dans laquelle, par ailleurs, j'entends davantage la notion de "brut" que la notion "d'art".
Ce qui se défend derrière cette notion, et qui, jusqu'à l'invention de "l'art brut", selon moi, n'avait été représenté jusque là que par l'art populaire rustique et l'art naïf, c'est le secret de fixer dans une expression immédiate la poésie ressentie dans son instantanéité. L'art contemporain dans ce qu'il a de meilleur est parfois loin de nous le proposer, et c'est pourquoi il faut rendre grâce à la collection d'art brut d'exister, en évitant d'en brouiller le message avec ces propositions verbénesques, insuffisamment inspirées qui plus est (opinion qui n'engage bien entendu que moi).
00:46 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : collection de l'art brut, art brut, lucienne peiry, singuliers de l'art, collection neuve invention, collection annexe, pascal verbena, alain paire, sarah lombardi, art singulier | Imprimer
Commentaires
Comment vous répondre ? Vous estimez que le travail de Verbena est cérébral. Je connais son atelier depuis trois décennies, je le fréquente assez régulièrement. Pascal est quelqu'un de sincère, il est avant tout guidé par ses émotions beaucoup plus que par sa culture. Ce n'est pas un fabricant, un faiseur.
Et puis tout de même, Alain Bourbonnais ou bien Victor Musgrave avaient beaucoup d'affection pour lui. Je crois pouvoir témoigner, même si beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, que Verbena est aujourd'hui à deux nuances près le même homme que celui qu'ils avaient rencontré.
Autrement, vous préconisez "une expression immédiate"... "une instantanéité"... Je comprends mieux votre refus. Effectivement, Pascal Verbena c'est quelqu'un de lent, il ne produit pas plus de dix pièces par an.
Cordialement, Alain Paire
Écrit par : Alain Paire | 11/06/2012
cher monsieur votre droit est de ne pas aimer mon travail travail n'est pas le mot qui correspond à mon esprit je prefaire le mot éxutoire j'ai 71 printemps je n'ai jamais revendiquer mon appartenance à l'art brut alain bourbonnais l'avais préssenti art hors normes sous le vent de l'art brut ect....ect...enfin michel ragon dans sa lettre preface à mon livre la bise de l'ane
le precise et je vous le recommande pour mieux me connaitre je n'aime pas les fausses polemiques et je vous conseille de me renconter si vous le désirer
je n'ai rien demander j'usqua present rien recu soyez indulgent je l'apprecierai merci
Écrit par : verbena | 11/06/2012
Bonjour Bruno,
Ton commentaire des oeuvres de Pascal me laisse perplexe. Bon, tu n'aimes pas, c'est ton droit.
Mais est-ce bien utile d'en faire une tartine ? Moi j'aime depuis longtemps et j'aime très fort.
Tu ne partages pas mon point de vue. Bon. Mais personnellement je ne vois pas l'utilité de se répandre en textes ou autre sur les créations que l'on apprécie point. Je préfère parler et défendre ce que j'aime. D'autant que ton distinguo sur l'art brut et autres m'amuse pour moi qui ne croit pas que l'art brut éxiste. Et sur la spontanéité je suis perplexe. Chaissac que tu admires était loin d'être un spontané.
Bien à toi.
Charles
Écrit par : Charles Soubeyran | 11/06/2012
Je partage le point de vue des trois commentaires ci dessus (dont celui de Pascal Verbena que je connais très bien moi aussi) qui vous renvoient soit au silence, soit à une rencontre avec Verbena pour mieux apprécier son travail. Il semblerait que la nouvelle direction du Musée de Lausanne vous chagrine et cela vous rend amer, voire agressif. Vous regrettez également les expositions "Neuve invention" qui étaient elles aussi fort intéressantes je vous l'accorde , mais que pouvons nous y faire? Laissons à Pascal Verbena cette fabuleuse "opportunité" d'une reconnaissance internationale de son œuvre si foisonnante et passionnante. Si elle vous ennuie, éviter de vous rendre à Lausanne en 2013 et laisser aux autres le bonheur de le découvrir et/ou voir certaines pièces entrées depuis fort longtemps dans les meilleures collections (d'art brut ou pas!)publiques et privées.
Écrit par : vallauri | 11/06/2012
A Charles Soubeyran:
Je ne me répands pas si souvent que cela contre des créations que je n'apprécie pas. Et pourquoi n'aurait-on pas le droit -cela dit- de le faire? Cela soulage aussi.
On a dû inventer les blogs pour cela entre autres.
Dire du mal par exemple de toutes ces affreuses peintures se complaisant dans la représentation avilie du corps humain que produit Jean Rustin, ou ces corps abîmés, voire démantelés, de Joël-Peter Witkin dont se repaissent aujourd'hui tant d'intellectuels fatigués?
Sur Verbena, ce n'est pas tant le fait que je ne ressens rien devant son travail (à part une écrasante sensation de lourdeur esthétisante, la pesanteur de la matière vainement esthétisée) qui compte, mais bien plutôt la confusion qui s'installe à Lausanne en l'y faisant exposer que je voulais mettre en évidence.
Mais je pense que tu l'avais très bien compris.
Pour certains (des artistes, des professeurs en général à qui l'art brut fait de l'ombre) l'art brut, ça commençait à bien faire, on en parlait bien trop. Pour toi il n'existe même pas, comme tu l'écris. Pour moi au contraire, il y a quelque chose qui existe dans l'art brut, qui n'a rien à voir avec tant de propositions d'art contemporain, serait-il "singulier". Comme le dit du reste M. Verbena ci-dessus son travail "exutoire" ne relève pas de l'art brut. Que va-t-il faire à Lausanne? Il y a maldonne, c'est surtout cela que je voulais pointer dans ma note ci-dessus (et certes il faut le reconnaître ce n'est pas Verbena qui l'a demandé, puisque c'est suite à un don de Sam Farber). Comment se fait-il que ce soit la conservatrice de la collection qui devrait faire référence sur la question qui fasse cette proposition?
Quant à la spontanéité... Ce n'est pas seulement la pulsion irrépressible. Quand Chaissac cherchait des moyens de se soumettre la mise en forme de la création de hasard, moyens qui pouvaient lui arriver à la suite de longues rêveries ou méditations précédant le passage à l'acte, il recherchait à apprivoiser la spontanéité du hasard. Quand il jetait au sol de ciment une serpillière mouillée, pour ensuite reporter les contours de la tache obtenue sur une feuille, c'était cette spontanéité qu'il tentait de se soumettre.
Chaissac, oui je l'admire fort, il a réussi à fixer avec une écriture en apparence simple toute l'immédiateté poétique, que l'on retrouve aussi parfois dans le brut. Et à nous en parler tant et plus au travers de sa correspondance en zig-zags. Il a pensé son art. Un art de l'immédiat obtenu non par don absolu comme pour les bruts (quoique ses débuts nous laissent souvent penser qu'il avait un don naïf dès le départ), mais par un travail acharné. Car il y a deux types de créateurs, comme disait Edgar Poe. Ceux à qui tout est donné dès le départ ,et ceux qui arrivent au sublime par le travail, par le labour. Chaissac m'a donné plus d'une fois l'exemple, à moi qui n'ai pas de don et qui suis plutôt un "horrible travailleur".
Écrit par : Le sciapode | 11/06/2012
On peut aimer un peintre, une œuvre et pour aimer parfois il nous faut en désaimer d'autres.
Mais pour moi qui ai vu l'exposition Pascal Verbena dans les années 70 à L'Atelier Jacob, je peux dire ici le fabuleux étonnement de l'avoir vu, austère, magnifique et hiératique à la fois.
Ne peut-on apprécier un univers qui vous change de la foire d'empoigne d'un art dûment étiqueté entre les fonctionnaires infirmiers de l'art brut et les dames patronnesses des inventions pas très neuves et leur catéchisme plutôt réchauffé?
Cette lourde peine ne vient pas que des universitaires, hélas, mais aussi de ces indécrottables dénicheurs obsessionnels de la perle rare, qui malheureusement pour l'histoire, emplissent nos imaginaires des mêmes formes stéréotypées et éculées d'un "art dit brut" ou post art brut qui se répète à souhait.
Vous avez fort justement dénoncé cette situation, Bruno Montpied, pour ne pas en rajouter en subjectivisation.
On peut jouer au j'aime, j'aime pas. Cela a-t-il un grand intérêt pour une taxinomie de l'art qui nous préoccupe ici?
Parfois, il faut un excès de culture pour être un sauvage, Artaud et Chaissac, par exemple.
Pour ma part, je ne connais pas les "politiques muséales" de Lausanne, mais historiquement parlant, la place de Pascal Verbena ne me paraît pas usurpée.
Bien cordialement à vous.
Écrit par : Versus | 12/06/2012
S'il y a polémique, elle concerne moins les créations de Pascal Verbena elles-mêmes que le choix de les présenter à Lausanne. Indépendemment de ce que l'on peut penser de celles-ci, le problème soulevé par le sciapode me semble pertinent par le fait que son auteur lui-même ne se reconnaisse pas dans la notion d'art brut. En toute logique on peut se demander en effet ce qui justifie alors qu'on l'y associe. Ce n'est pas là Verbana qui est en cause mais bien l'intention qui préside au choix de cette exposition.
Après cela, renvoyer le sciapode soit au silence, soit à une rencontre avec Verbena pour mieux apprécier son travail s'apparente pour le coup à une volonté d'unanimisme plutôt étrange et préjudiciable à la bonne réception de son oeuvre. Moi qui contrairement au sciapode apprécie cette oeuvre, je n'aurais pas l'outrecuidance de m'insurger contre le fait de la voir critiquée, c'est là affaire de principe. Mais si en l'occurence je ne partage pas sa sensibilité, je m'inquiète pourtant comme lui de la confusion que cette exposition à Lausanne va immanquablement créer dans l'esprit des visiteurs. Qu'est-ce que l'art brut alors et quelle est la fonction de ce musée si elle consiste désormais à brouiller les notions dont il tirait sa spécificité ?
Écrit par : J.A | 12/06/2012
le fait que son auteur lui-même ne se reconnaisse pas dans la notion d'art brut. En toute logique on peut se demander en effet ce qui justifie alors qu'on l'y associe. Ce n'est pas là Verbana qui est en cause mais bien l'intention qui préside au choix J.A.
Est-ce que les Collections de L'Art Brut, "officialisent" Verbena en tant qu'artiste Brut, pur jus?
Non, à ce que nous sachions.
Il reste un apparenté, et l'histoire des mouvements artistiques auxquels on peut se référer en ce domaine est sans ambiguïté.
Ce serait la même chose que de critiquer le légitimité d'un Musée de l'impressionnisme à exposer des post-impressionnistes ( ou des petits maîtres de l'impressionnisme)!
Écrit par : Versus | 12/06/2012
La Neuve-invention avait précisément été destinée à accueillir les "apparentés", ce qui créait une distinction claire et intelligible avec la collection initialement consacrée aux oeuvres relevant de l'art brut. Dans ce corpus Pascal Verbena y a évidemment sa place. Mais pourquoi aujourd'hui vouloir tout mélanger ? Quelle en est la justification intellectuelle et la finalité ? J'aimerais qu'on m'explique. Je vais vous dire ce que je crains: l'estampille "art brut" est aujourd'hui très porteuse sur le marché de l'art et je subodore que l'enrôlement sous cette banière de divers créateurs (même talentueux, le problème n'est pas là) répond à des préoccupations qui sont moins artistiques que bassement mercantiles. Sinon, expliquez-moi les raisons de cette confusion délibérée.
Écrit par : J.A | 12/06/2012