L'étrange fontaine de Soleymieux, passons une deuxième couche... (11/09/2012)
La réaction de Régis Gayraud, surtout son deuxième commentaire à ma note précédente, me conduit à proposer une nouvelle hypothèse.
Le fait est, qu'à ma grande honte (je n'avais pas vérifié), Soleymieux et Saint-Jean-Soleymieux, comme nous le signale Régis, sont bien deux communes distinctes. Cela a une conséquence importante pour mes raisonnements précédents. D'autre part, je reconnais que moi aussi j'étais quelque peu chiffonné devant la carte Cim de St-Jean, montrant la statue avec un casque, statue que je proposais de voir déplacée ensuite plus bas sur la place de Soleymieux, quand je la comparais à la photo de cette dernière place où l'on voit mal la fontaine et surtout le personnage qui la surmonte. Je pensais que cette photo pouvait peut-être dater des mêmes années que la carte Cim parce que j'étais persuadé que la statue du triton provenait de St-Jean, trompé que j'étais par les affirmations de l'instituteur mentionnées dans ma note précédente... Les détails que nous indique Régis sur son ancienneté probable font déduire que la statue qui se trouve dans ces années de début XXe siècle devant le bureau de tabac ne peut être la même que celle qu'on voit, bleutée, sur la carte montrant la fontaine de St-Jean-Soleymieux. Il est possible qu'une confusion se soit opérée dans la mémoire des habitants puisque les légendes des deux fontaines donnent le même château de Chénereilles comme lieu d'origine des statues des deux fontaines.
Je parlais ci-dessus d'une conséquence importante qu'apporte l'information que les deux communes sont distinctes. Le rapport sur la délibération du conseil municipal que j'ai cité dans ma précédente note indique formellement qu'une fontaine surmontée d'un triton a été érigée en 1808 sur la place de Soleymieux (et non de St-Jean). Il est dès lors possible d'imaginer que le triton est resté en place pendant les deux siècles sur la place, et que c'est lui qui, victime d'un dégât à une date indéterminée (probablement après-guerre, et peut-être même dans les années 70, voir les images ci-dessous?), a été "métamorphosé" dans l'état où je l'ai photographié, état étrange, Ô combien... L'autre statue de St-Jean, qui ressemble elle davantage au fameux "soldat romain" (et moins à un triton à dire vrai) proposé par un témoin le jour de notre rencontre de cet été, et qui fait passablement rêver notre ami Régis, cette autre statue est probablement complètement distincte de celle de Soleymieux. L'hypothèse d'un déplacement de statue n'était étayée que par les souvenirs trompeurs de notre ami instituteur, qui n'en était pas tout à fait certain du reste (comme dit Régis, et c'est bien sûr cela qui nous séduit infiniment dans cette petite recherche qui ne se voudrait rationnelle en apparence que pour laisser en sous-main l'imagination se déployer, "ainsi naissent les légendes"...).
J'ai cherché sur la toile d'autres cartes montrant la fontaine de Soleymieux. L'objectif étant d'en trouver une qui montrerait enfin plus exactement l'état antérieur de la fontaine de Soleymieux. Voici quatre images qui font progresser le schmilblic, je trouve.
Une carte aux alentours des années 20 peut-être... On voit la fontaine et son personnage sur la droite...
qui en dépit de son aspect d'amas blanchâtre accentué par la pixélisation ne paraît vraiment pas ressembler à un soldat, mais bien plutôt à une sorte d'animal...
Autre vue de la même place, toujours à Soleymieux, la statue est à droite, même difficulté à la discerner précisément, mais ce ne paraît décidément pas être un soldat...
Carte moderne dentelée (1971), la "bestiole" de la fontaine paraît pourvue d'yeux proéminents, à la différence de l'aspect lissé d'aujourd'hui, sa cuisse gauche est bien dessinée, et à la réflexion ne correspond en rien à la statue de la fontaine de St-Jean... Cependant, il est à noter que l'on n'a toujours pas vu sur ces images quelque chose qui pût ressembler à une queue de poisson...
Une photo (date indéterminée) telle qu'on peut la trouver sur le site de la mairie de Soleymieux ; à noter un aspect lissé de la statue comme si elle était en argile... (Un peu comme mes hypothèses, remodelables à volonté?)
Pour moi, la vérité commence peut-être enfin à se dessiner. La fontaine de Soleymieux était surmontée d'un triton, ce qui est assez banal au fond pour une fontaine, mobilier urbain de transition entre milieu aquatique et milieu terrestre, dont le symbole peut facilement être un homme- poisson. Il y a eu une "restauration" à un moment donné. Qui en fut l'auteur? On peut chercher à le savoir sans pouvoir attirer les foudres sur lui, car contrairement au christ de Mme Gimenez à Borja, la profanation est ici bien moindre. Qui se soucie d'un triton? Du coup, l'insolite de la statue actuelle a plus de chance d'apparaître aux yeux de tous. Quant au soldat romain, cher Régis, on ne sait où il s'en fut, car il est désormais bien absent du socle entrevu à St-Jean.
Triton de Qasr Lybia, époque byzantine (il me semble...)
20:55 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tritons, soleymieux, fontaines, forez, art immédiat, restauration rapide, qasr lybia, st-jean-soleymieux | Imprimer
Commentaires
Finalement, ce serait assez banal : le triton, un jour ou l'autre, est cassé, un artisan local en remodèle un bout, mais il n'est pas très habile. Sur la carte postale colorisée par les petites mains de chez CIM, on dirait une sorte de lémurien, un tarsier, un pangolin, ou bien une sorte de gros nounous encore.
Sinon, l'hypothèse la plus plausible, à mon avis, reste encore la suivante. Il y a eu une guerre de quarante ou cinquante ans entre Soleymieux et Saint-Jean Soleymieux, ceux de Soleymieux disant "C'est nous les mieux!" et ceux de Saint-Jean Soleymieux répliquant "C'est nous les seuls mieux!", guerre menée respectivement, à Soleymieux, par Joseph Sautel, l'abbé latiniste et archéologue, et à Saint-Jean Soleymieux par Mario Meunier, l'helléniste républicain et anticlérical qui rêvait de mettre à bas l'homme en croix pour restaurer le culte des vrais Dieux. Cette guerre sans merci entre les deux cités jumelles se cristallisa vite sur les deux fontaines des différents villages, arrachées toutes deux aux ornementations du vieux château de Chenereilles. Les gens de Saint-Jean, sous les ordres de l'helléniste, furent tous rebaptisés de noms rappelant un autre conflit dont le bon Mario, qui prit d'autorité le nom de Ménélas, connaissait le moindre détail. Il y eut ainsi Nestor, Diomède, Ptélamon, les deux Ajax (le cantonnier et son aide)... L'instituteur, car il était malin (c'était l'ancêtre de celui qui officie aujourd'hui à Soleymieux), fut bien sûr Ulysse. Le maréchal-ferrant, boiteux, bossu et borgne, que tout le monde, dans le village appelait depuis belle lurette Héphaïstos, conserva son surnom. Le garde-champêtre devint Achille et obtint vite la renommée pour avoir été voler à Soleymieux une branche du fameux ormeau de 4m de circonférence taillée comme une lance (en effet, comme moi, il avait cru qu'il s'agissait d'un frêne et se rappelait ce passage de l'Iliade où Homère vante le dure pointe de frêne de la lance d'Achille). Ils commencèrent par voler le triton de la place de Soleymieux pour le transférer sur leur propre place, en conséquence de quoi, Sautel fit placer constamment un homme de garde sous l'ormeau, avec arc et cette fameuse lance faite dans le bois de l'arbre que le garde-champêtre Achille parvint, la nuit, à voler. A la suite de quoi, le garde fut renvoyé, on édifia à la place une sorte de moulage en glaise du triton. Puis on alla voler la fontaine de Saint-Jean, l'autre fontaine, celle qui représentait un garde romain, celle qui trônait à Saint-Jean à côté du triton volé. Mais en chemin, elle fut brisée, juste à l'endroit où, sur la route, le macadam hellénique, à la sortie de Saint-Jean, s'arrêtait pour faire place à la terre battue du curé. On plaça de bric et de broc la statue à Soleymieux, Saint-Jean, alors, se vengea en allant reprendre son bien. Du coup, Soleymieux décida de reprendre son triton, mais comme à Soleymieux, on buvait beaucoup au bar-tabac de la douce tenancière et aux grands banquets municipaux, on n'avait jamais les gestes bien précis et cette fois, c'est le triton qui fut brisé. Etc. etc. La guerre dura deux générations, encore dans les années cinquante, on en fait mention. Sur une carte des établissements CIM (Corbier Imprimeur à Mâcon) prise à Saint-Jean, sur la départementale déserte avant l'attaque, on voit un voltigeur à bicyclette, surnommé Antiloque, donner des nouvelles du front à Mario Meunier lui-même. A chaque nouveau raid, à chaque nouveau vol, les statues étaient brisées, rognées, refaites à la hâte. Le triton devint franchement indéfinissable, il se transforma peu à peu en une sorte de monstre grimaçant, légèrement salace. En 1955, l'abbé Sautel sauta dans l'autre monde. Alors, Mario Menelas, las, eut un geste pacificateur. Son vieil ennemi était mort et il tint à lui rendre hommage (lui-même expira cinq années plus tard). "Allez, on ne dira pas que les Grecs sont plus revanchards que les curetons. Que la paix soit sur Soleymieux, laissons leur leur tortue". Ainsi s'acheva la guerre entre les deux cités. Un grand banquet eut lieu alors sur la place de Soleymieux, au café-tabac du père Mondon qui, comme nous l'apprend une autre carte postale de chez Cim vue sur le site de Saint-Jean, possédait aussi l'hôtel restaurant de Saint-Jean, conservant pendant tout le conflit une stricte et commerciale neutralité. C'est lors de ce banquet mémorable que la fontaine laissa pour la première fois couler du vin, de ce bon vin des côtes roannaises qui donne toujours envie de boire, et ce soir-là aussi qu'un invité passablement éméché, la fontaine ayant de nouveau été brisée, pratiqua la dernière restauration, en bétonnant la tête de la bête et en y insérant ces deux yeux de Nounours qui semblent suivre chaque voyageur s'arrêtant sur la place.
Voilà ce qui me semble le plus probable, pour ma part.
Écrit par : Régis Gayraud | 12/09/2012
Je suis avec beaucoup d'intérêt et de curiosité votre enquête sur le mystère de la fontaine de Soleymieux, c'est du direct, spontané et plein de fraicheur. Il est vrai que la "chose" en question est loin d'être banal, je voulais attiré votre attention sur la première photographie en couleurs (CIM, années cinquante ?) où elle parait avoir déjà la silhouette actuelle (je ne me prononcerais pas sur son terrible regard).
J'attends impatiemment la suite du feuilleton "tritonesque" mystérieux...
Gilles
PS : La version légendaire de RG est, dans son inspiration, proche des "Papous", mais elle manque cruellement de détails.
Écrit par : gilles | 13/09/2012
Note tout de même la différence dans la face. Les yeux paraissent proéminents alors qu'aujourd'hui la face de "la bête" est aplatie et lissée.
Pas de traces de rapiéçage en ciment par-dessus la pierre d'origine comme aujourd'hui (mais la statue est visible de loin seulement, ce qui empêche de voir les détails des matières).
Il est fort possible au fond qu'il y ait eu plusieurs réparations et tentatives de "restauration" plus ou moins fidèles au fil des décennies, jusqu'à en arriver à l'étrange bestiole pénienne actuelle...
Écrit par : Le sciapode | 13/09/2012
Après les hauts faits relatés dans la Batrachomyomachie, La Guerre des boutons, Clochemerle, Don Camillo, L'Enéide et la Henriade travesties, la guerre des Soleymieux attendait son aède. Honneur à Régis Gayraud, digne successeur d'Honoré d'Urfé pour chanter la geste forézienne et sa nouvelle emblème tritonno-triturée [ce féminin est des plus rares, cher Emmanuel, même si Littré rapporte l'avoir vu dans une seule lettre d'une dame publiée par Tallemant des Réaux, ce qui fait tout de même assez loin de notre époque, Note du Sciapode].
Gilles a raison. Après ce digest, on réclame la version complète, en vers octosyllabes évidemment. Et en 60 livres (comme l'Astrée) si possible.
Écrit par : Emmanuel Boussuge | 14/09/2012
Moi je lui trouve un air d'ET à cette fontaine, et si c'était la trace de la visite d'une civilisation d'outre espace ?
Écrit par : Cosmo | 17/09/2012
Et une loutre... un triton déguisé en loutre
Écrit par : lievre | 19/09/2012
Tortue, grenouille, triton, et maintenant une loutre, une ménagerie hydrophile en tout cas.
Écrit par : Le sciapode | 19/09/2012