Dirk Geffers au Madmusée de Liège (12/09/2013)
Et ça y est, c'est reparti pour une nouvelle brassée d'expositions de "rentrée". Tout le monde a fourbi ses armes, on sort les trouvailles et c'est un festival de découvertes sans doute, des petits nouveaux et des grands anciens, tandis qu'à côté de cela se préparent les expositions qui aident le marché de l'art à se fournir en viande fraîche (il y aura bientôt l'Outsider art fair décentralisé à Paris à l'Hôtel le A près des Champs-Elysées, quartier modeste comme on sait, et parallèlement à l'expo des 25 ans de Gros Vison, pardon Raw Vision, à la Halle Saint-Pierre).
Le Poignard Subtil, fidèle à ses tropismes, cherche plutôt du côté de ce que l'on ne voit pas forcément tout de suite, ce qui est la vraie façon d'avoir "une longueur d'avance". Et donc, je ne sais si l'on parlera beaucoup ici des Anglo-saxons qui viennent sur notre vieux continent faire augmenter la cote des marchandises esthétiques brutes d'Outre-Manche (même si les Américains ont le chic pour être réactifs avec une remarquable efficacité, le marché a toujours une longueur de retard). Je préfère de loin mettre le projecteur sur des créations discrètes, qui ont de fortes chances de passer inaperçues, parce qu'elles n'ont pas forcément les media de leur côté (ces derniers préférant toujours s'adresser au plus spectaculaire, au sens debordien du terme, au plus couru, au plus ressassé, au plus visible, sans jamais prendre le temps de rechercher la valeur intrinsèque). Par exemple, dans cette note, je pointerai Dirk Geffers, créateur de l'atelier Geyso20 à Braunschweig (c'est entre Hanovre et Berlin au nord de l'Allemagne), qui me paraît produire de magnifiques œuvres où l'écrit se mêle harmonieusement et très librement à l'image comme on s'en convaincra ci-dessous. C'est dans un atelier allemand que cette œuvre est produite, ce qui me confirme dans l'intuition qu'il y a beaucoup de créateurs intéressants en Allemagne (comme me l'avait appris Jean-Louis Faravel qui prospecte souvent par là-bas et a déjà fait pas mal de belles découvertes ; qui saura nous monter une bonne exposition des créateurs handicapés mentaux produisant en Allemagne? Une idée que je lance en l'air...).
Dirk Geffers, Le canard Dräyhta voon Saydte se baigne dans un bassin orange et se fait chasser par le jardinier Schorse Spittel, Madmusée, Liège
Il est exposé à partir du 14 septembre, jusqu'au 23 novembre, au Madmusée (Parc d'Avroy, 4000 Liège, chez nos voisins belges), en compagnie d'un autre créateur, Fred Bervoets que personnellement j'apprécie moins (je ne me base que sur l'image du carton d'invitation, je m'empresse de le préciser). Sur l'exposition, intitulée "Chronique", voir le dossier de presse.
09:06 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : dirk geffers, madmusée, art des handicapés mentaux, ateliers pour handicapés mentaux en allemagne, atelier geyso20, jean-louis faravel | Imprimer
Commentaires
Eh bien, étant allé sur le lien, j'ai vu l'oeuvre de Bervoets reproduite sur cette invite, et je dois dire que je trouve quand même ça pas mal du tout, et assez amusant, ce peintre clodo mystique et ces deux visiteuses petites-bourgeoises pas très malignes dont l'une suçote une glace. Ca me rappelle une scène du "Portrait" de Gogol et si j'étais un éditeur devant éditer cette nouvelle, j'en ferais l'illustration de couverture.
Écrit par : Régis Gayraud | 12/09/2013
Eh bien, de temps à autre, nous pouvons vérifier, mon cher, que nous n'avons pas les mêmes goûts. Je ne jugeais pas le sujet de la peinture de Bervoets, mais son aspect esthétique que je trouve triste et laid, bien en accord avec une inclination très contemporaine pour la caricature dénigrante qui n'a rien à voir avec les caricatures bien plus efficaces des Georges Grosz et autres Otto Dix des débuts du XXe siècle.
Voici en outre quelques lignes du dossier de presse de cette expo (dont le titre est "Chronique") que j'ai reçu hier, elles servent à décrire le sujet de la peinture de Bervoets: "Tout comme Saint-Antoine ou le Christ face à leurs tentations, Fred Bervoets se protège, une bouteille dans la main droite, un crucifix dans la gauche, d’un fantôme à l’allure d’un Pierrot morbide". Les femmes qui attendent à l'extérieur ne sont pas spécifiquement des bourgeoises je crois, mais plutôt simplement des femmes non spécialement caractérisées autrement que comme femmes, c'est-à-dire comme des objets de tentation en l'occurrence...
Je signale au passage que ce Bervoets est un ancien professeur à l'école des Beaux-Arts d'Anvers.
Écrit par : Le sciapode | 13/09/2013
Avec Bervoets on est en effet très loin des "portraits frappants" de Georges Grosz à propos desquels Gûnther Anders écrivait que "le "frappé" auquel on songeait n'était pas le portraituré mais le spectateur". Tout le contraire donc de la caricature dénigrante où là "le frappé" est le portraituré.
Écrit par : RR | 13/09/2013
Vous êtes féroces. Moi, ce que j'aime bien, c'est justement qu'il y ait une anecdote, une histoire que l'on peut décrypter d'une manière ou d'une autre. Ca change.
Écrit par : Régis Gayraud | 13/09/2013
Mais moi itou, j'aime la narrativité dans une peinture (c'est d'ailleurs le thème de cette expo "Chronique"). Ce qui me repousse dans ce tableau de Bervoets, c'est les références sous-jacentes à des iconographies plus anciennes, la volonté de ne pas se montrer dupe de la foi qu'on professe (le crucifix d'une main, la bouteille de l'autre, pour montrer qu'on n'est pas seulement une grenouille de bénitier, qu'on est aussi un peu crapule), l'aspect caricatural un peu grinçant du dessin, l'aspect sinistre du paysage, le côté ridicule des personnages qui invite à partager avec l'artiste une vision amoindrissante de l'humanité.
Tout cela me retient en arrière et m'empêche d'adhérer à cet art. Tandis que chez Geffers, tout coule de source, l'inspiration est directement traduite sur le support d'expression, on sent le créateur avant tout plein de son sujet, ne cherchant pas l'épate mais à coller au plus prés à ce qu'il exprime. De l'art direct, immédiat, brut en somme.
Écrit par : Le sciapode | 14/09/2013
Au fond, Bervoets serait le Bernard Buffet de la l'art outsider... Oui, peut-être, finalement. Mais bon, je suis plus indulgent.
Écrit par : Régis Gayraud | 14/09/2013
A moins de considérer que tous les graphistes branchouilles relèvent de l'art outsider, je ne vois pas pourquoi Bervoets en ferait partie pour la seule raison qu'il est exposé au Madmusée. Dans le monde du graphisme contemporain, il me semble au contraire très "insider". Mais ne battez pas votre coulpe, mon cher Régis, vous avez également le droit d'avoir quelques vices comme celui d'aimer ce Bervoets.
Écrit par : RR | 14/09/2013
Ah, je reconnais bien là RR, toujours taquin.
En fait je crois que le Madmusée s'amuse, comme le musée Art et Marges à Bruxelles, à confronter art contemporain (ici Bervoets, proche d'un certain graphisme contemporain, c'est vrai, RR) et art "brut" (terme que je continue de préférer, cher Régis, à "outsider" qui, transféré en français, devient assez confusionniste, à moins de vouloir tout ramener à l'Art (à majuscule et puant l'encens), les mercantis, les profs d'art plastique comme les grands bruts, dans un mélange intéressé à la conservation des castes d'artistes séparés du vulgaire...). Je m'en suis avisé seulement après la première impression ressentie à la réception du carton d'invitation, je le souligne.
Le Madmusée à l'évidence n'a pas voulu que cette confrontation débouche sur un duel. Et pourtant, le résultat à mes yeux s'en est approché.
Geffers contre Bervoets: 1 à 0.
Écrit par : Le sciapode | 14/09/2013
Moi aussi (tout comme Regis Gayraud) je trouve le dessin de Fred Bervoets vachement bien, j'y vois une parenté avec les dessins de Mattt Konture, le fameux auteur de BD. C'est vrai que c'est sale, un peu sinistre, un peu poubelle, un peu terrain vague mais ça me parle...
Écrit par : darnish | 17/09/2013