Une hypothèse inédite que je formule au sujet de certaines sculptures de l'ermite de Rothéneuf (07/07/2014)
Voici donc l'été des vacances, l'époque de transhumance (enfin, pour les plus chanceux d'entre nous parce que l'étau du travail se resserre de plus en plus, même sur ceux qui n'en ont pas, en chercher, ou simplement survivre étant une autre forme d'aliénation). Et donc, pour ceux qui partent, si vous allez du côté de Rothéneuf, à côté de St-Malo, allez donc regarder de plus près ce qui subsiste des sculptures de l'abbé Fouré.
Abbé Fouré en pose sculpteur, vers 1908? Coll. BM
Le temps passant, on le sait, les roches sculptées il y a plus d'un siècle à présent (de 1894 à 1908) s'estompent toujours plus, certaines ayant disparu depuis longtemps (voir carte ci-dessous).
Sur cette carte colorisée, on aperçoit de dos des statues de Bretonnes, épouses fouillant du regard l'horizon dans l'attente du retour de leurs maris marins ; les deux femmes représentées en pied et peintes en blanc (l'abbé on le sait peignait ses statues) ont aujourd'hui disparu, sans qu'on sache exactement à quelle époque ; on notera cependant leurs emplacements, en hauteur, disposées qu'elles sont sur des sortes de socles de roches faisant piédestal ; coll. BM
C'est pourquoi les touristes qui passent ayant de plus en plus de mal à discerner les sculptures, chaque jour qui passe les ayant passablement érodées, et confondu avec le commun des autres roches de la falaise, les touristes se concentrent logiquement sur ce qu'ils peuvent plus facilement voir, certaines têtes restées nettement visibles et comme placées en évidence, trois en particulier, une de forme triangulaire avec son menton en pointe de botte, une avec un bonnet de marin à moins que ce ne soit d'un lutin (nain de mer au lieu de nain de jardin?), et une autre belle tête de vieux loup de mer, barbu.
Abbé Fouré, tête de profil triangulaire, ph. Bruno Montpied, 2010
Abbé Fouré, l'homme au bonnet (de marin ou de lutin), ph.BM, 2010
Abbé Fouré, le barbu les yeux clos (?), ph. BM, 2010
Ces trois-là sont de la belle sculpture savante, taillée avec maestria et inspiration. Justement... Tout à coup, depuis quelque temps, cela me rend perplexe. Si les autres sculptures, correctement déchiffrables sur les anciennes cartes des années 1900 et parfois encore aujourd'hui ici ou là, montrent que l'abbé parvenait dans son art à un certain réalisme puissant, appuyé toujours sur la forme naturelle donnée au départ par la roche brute, ces trois sculptures-là sont d'un style plus affirmé, infiniment moins rognoneux que les autres, plus rondes généralement (il paraît que Raymond Humbert, le fondateur du musée d'art populaire de Laduz, trouvait ces formes assez analogues à des étrons, que l'on me pardonne cette digression peu romantique). Et puis, autre argument qui accentue ma perplexité parce que plus frappant, on ne les voit apparaître sur aucune carte éditée du vivant de l'abbé (et même après, dans les années 20-30)...
Alors? Qu'est-ce à dire? Ne serait-ce pas qu'elles sont "arrivées" sur le site à une époque bien ultérieure, dans la seconde moitié du XXe siècle, après la seconde guerre, de façon posthume donc, transportées là par l'exploitant des rochers de l'époque qui reprenait l'exploitation des Rochers après l'occupation de Rothéneuf par les Allemands, le fameux Henri Brébion, auteur d'une brochure appelée "la Légende des Rochers Sculptés" où il se livre à des interprétations fantaisistes purement subjectives (reprises ensuite à l'envi par tant de plumitifs peu rigoureux jusqu'à nos jours) sur une histoire de famille de corsaires qu'aurait voulu représenter l'abbé dans ces rochers? Il aurait pu, de même que dans ses "légendes", dans l'agencement des sculptures sur le site originel, se livrer à des modifications en voulant "l'améliorer"...? Si mon hypothèse se révélait fondée, il faudrait alors s'interroger sur celui qui a réellement sculpté ces trois pièces. Est-ce bien l'abbé lui-même qui les aurait stockées à part? Dans ce cas, où étaient cachées ces sculptures que l'on ne voit ni sur les cartes des rochers début 1900 ni sur les cartes montrant l'intérieur du musée de l'ermite dans le bourg? Est-il possible d'imaginer que l'abbé les a sculptées à part et planquées, remisées sans jamais les laisser se faire photographier? Connaissant son goût de la communication via les éditeurs de cartes postales (il en existerait environ 400 paraît-il), cela paraît curieux à tout le moins, d'autant que ces sculptures paraissent les plus belles parmi celles qu'il a faites (trop belles?). On notera enfin qu'elles occupent aujourd'hui une position en hauteur, ou à tout le moins des emplacements situés de façon à bien les voir, comme si elles avaient été destinées à remplacer les statues des femmes bretonnes en train de guetter disparues à un moment donné (vol? Déplacement? Destruction?).
Peut-on imaginer que ces trois têtes sculptées soient le résultat d'une manipulation restée inaperçue, et qu'elles soient en bref dues au ciseau d'un autre sculpteur? Je lance l'hypothèse...
00:20 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : femmes de marins, abbé fouré, ermite de rothéneuf, rochers sculptés de rothéneuf, environnements spontanés, poésie naturelle, habitants-paysagistes naïfs | Imprimer
Commentaires
Ebouriffant!
Écrit par : Isabelle Molitor | 07/07/2014
Beau pavé dans la mare (mer). Mais je me pose une question : si ces sculptures ne sont pas visibles sur les cartes postales anciennes, qu'y a-t-il à leur place, sur ces cartes? Votre article, sur ce point, n'est pas tout à fait clair. Seraient ce justement ces trois Bretonnes anxieuses, ou autre chose, ou rien? On doit bien pouvoir retrouver précisément l'endroit sur les cartes, vu à quel point ce site a été photographié. Précisez, que diable, précisez!
Écrit par : Régis Gayraud | 07/07/2014
"Qu'y avait-il à leur place?". Bonne question. Mais figurez-vous que l'hypothèse que je formule ci-dessus ne l'avait jamais été à ma connaissance jusqu'à présent et que c'est donc tout nouveau comme problématique. Une période nouvelle s'annonce à présent. Il aura fallu plus de cent ans pour la voir éclore cela dit. La période de l'exégèse des rochers sculptés de l'abbé Fouré commence. Pour répondre à votre question, il faudrait aller avec sa collection de cartes postales des années 1900 se livrer à des comparaisons devant les rochers. Pas évident, le vent pourrait tout emporter...
Au moins une peut être à peu près situable. Comme je l'insinuais dans ma note, la tête triangulaire un peu plus sombre que les autres est placée à peu près là où se trouvait sur les photos du temps de l'abbé une statue de femme les mains jointes priant pour le retour de son époux parti en mer. Elle occupe une place qui surplombe la marée des corps allongés en dessous, gisants qui de loin affectent la forme d'ondulations qui ressemblent à celles des vagues.
Pour les deux autres, je pense qu'il n'y avait rien avant elle. C'était des roches approximativement plates, dont une, celle où est aujourd'hui le barbu, servait de balise en quelque sorte pour signaler aux visiteurs les limites des chemins de visite, en escalier souvent. Cela avait été prévu en effet par l'abbé, qui devait se méfier de perdre des visiteurs pouvant basculer sur la pente...
La tête au bonnet que je prends pour un lutin, alors que comme le dit Darnish c'est peut-être plutôt un marin en effet, cette tête surgit d'un groupe de roches qui devaient être sans sculpture autrefois.
Mais je ne suis pas sur place, et nous ne disposons pas d'un relevé qui serait exhaustif avec croquis-plan, de toutes les pièces sculptées dans les rochers. C'est ce qui aurait dû être accompli depuis bien longtemps par les gérants du site qui il faut le dire ne se sont jamais beaucoup foulés pour aider le public à mieux lire le site.
Il faut espérer que l'association des amis de l'abbé, animée par Joëlle Jouneau, qui s'est créée avec beaucoup de retard ces dernières années avec l'intention louable d'expliciter l’œuvre de l'ermite, il faut espérer que cette association sera suffisamment armée pour apporter plus de lumière sur toutes les questions que soulève l'énigme Fouré.
Écrit par : Le sciapode | 14/07/2014
"Peut-on imaginer que ces trois têtes sculptées soient le résultat d'une manipulation restée inaperçue, et qu'elles soient en bref dues au ciseau d'un autre sculpteur".
Le raisonnement est convaincant, mais ne peut-on pas aller plus loin et imaginer qu'il y aurait non pas un seul, mais plusieurs sculpteurs, car à y regarder de plus près je trouve que la première tête (de profil triangulaire) est d'une autre facture que les deux autres dont on sent qu'elles ont été sculptées dans un autre esprit, plus réaliste peut-être. En tous cas ce qui est sûr c'est qu'elles ont été ajoutées et scellées au ciment sur la roche, ce qui n'est pas le cas des autres têtes qui émergent (je pense à cette autre qui porte une pierre plate en guise de couvre-chef). La question que vous posez est donc pertinente: à quelle époque ont-elles été ajoutées sur le site ?
Écrit par : RR | 07/07/2014
Il n'y a du reste pas que ces sculptures qui posent problème sur leur date d'installation et leur auteur. D'autres pièces sur les côtés du chemin d'accès sont invisibles sur les cartes d'époque.
Elles apparaissent du temps de l'édition du livret d'Henri Brébion publié en 1947 pour la première fois semble-t-il.
Ce qui me conduit a penser que des réaménagements importants eurent lieu sur le site a cette époque. Avec ajouts de statues peut-être récupérées de réserves de l'abbé.
Écrit par : Le sciapode | 08/07/2014
Des scellements, de la maçonnerie furent exécutées du vivant de l'abbé. On voit sur les anciens clichés des murs qui ont visiblement été dressés entre autres par besoin de soutènement. L'abbé avait un aide que l'on aperçoit sur les cartes postales, puisqu'il posa avec la complicité de l'ermite. Je me suis toujours dit que ce personnage était peut-être là pour les besoins de maçonnerie et autres scellements. Les femmes de marins en prière, "l'avocat de l'ermite" (qui était au sommet du mur maçonné où se trouvait représenté l'ermite couvrant de ses bras déployés ses ouailles) avaient été très certainement scellés au ciment sur les pierres qui les supportaient.
Écrit par : Le sciapode | 14/07/2014
Je peux vous donner une date en tout cas pour une des trois statues. Dans le livret de Henri Brébion, toujours vendu sur le site je crois, et dont la première édition date de 1947 environ (le plus ancien exemplaire que je possède date de 1955, merci à Darnish), le barbu figure en photo. L'auteur l'a affublé du nom de "Lucifer", par pure affabulation très probablement. Par contre on n'aperçoit pas les deux autres têtes sur les photos (assez mauvaises) présentes dans ce livret. Ces clichés paraissent cela dit assez anciens, datant peut-être d'avant la seconde guerre mondiale, peut-être les années 30.
Écrit par : Le sciapode | 14/07/2014
"L'homme au bonnet" ne serait pas simplement un portrait de marin portant un ciré? Ce bonnet me fait en effet fortement penser à une capuche de ciré, ce vêtement imperméable si utile pour se protéger de la flotte. C'est un vêtement emblématique de la marine, une sorte d'archétype du loup de mer...Et ça ressemble en effet à un bonnet de lutin par sa forme en pointe. Sinon, votre hypothèse me parait tout à fait intéressante...Il faudrait se rendre sur place pour mieux y voir. Il faudrait par exemple tenir compte de l'orientation des sculptures. Les vents dominants viennent de l'ouest et une face orientée à l'est se retrouve protégée. Il me semble que cet "homme au bonnet" est justement tourné vers l'est.
Écrit par : Darnish | 07/07/2014
La tête triangulaire est d’une couleur différente, est-ce une pierre issue de la roche de Rotheneuf ? Je ne sais pas si cela est possible, mais ne pourrait-on pas faire analyser la composition minérale des pierres pour connaitre leur lieu d’origine ou encore analyser la composition des scellements et tirer des conclusions sur leur ancienneté ?
Écrit par : lucm.reze | 07/07/2014
Bonnes suggestions Luc... Vous devriez les proposer directement au gérant actuel des rochers. Vous verriez sans doute alors ses jolies prunelles s'arrondir passablement éberluées...
Écrit par : Le sciapode | 14/07/2014
Bonjour,
Réflexion intéressante !
En ce qui concerne « la tête de profil triangulaire », il faut constater que la composition de cette pierre n’est pas la même pierre constituant l’ensemble sculpté par l’abbé Fouré. Elle se différencie par sa couleur et provient donc d’un autre lieu. Cette sculpture a été rapportée et scellée. Cette tête interpelle par sa physionomie qui ne ressemble pas au travail de l’Abbé.
Pour les deux autres interrogations, notre association a commencé un long travail de recherches et d’inventaire de l’ensemble des sculptures de l’Abbé Fouré. A noter que nos actions sont actuellement tournées vers la Pointe du Christ, où un vrai travail scientifique vient de démarrer. Nous allons de surprises en surprises et venons de découvrir encore un ensemble sculpté, orienté vers la mer. Cette découverte confirme les risques que prenait l’abbé en sculptant sur des falaises escarpées.
Dernière petite précision : la collection des cartes postales a dépassé le chiffre de 450 !
Alors si vous passez en Bretagne cet été, venez nous rendre visite, nous irons nous balader sur les pas de l’Ermite de Rothéneuf.
Joëlle JOUNEAU – Association « LES AMIS DE L’ŒUVRE DE L’ABE FOURE ».
Blog : http://rochersrotheneuf.wordpress.com
Écrit par : Joëlle JOUNEAU | 07/07/2014
Merci Joëlle de ce commentaire. La tête triangulaire n'est effectivement probablement pas de la même origine que les autres roches sculptées du site. Qu'elle soit d'un aspect très différent des autres n'implique pas absolument qu'elle n'ait pas été sculptée par l'abbé. Ce dernier a très bien pu être interpellé par la forme particulièrement atypique de ce morceau de roche, à la matière nouvelle pour lui, dont quelque ami ou visiteur lui avait peut-être fait don. La sculpture en tout cas est une interprétation d'une forme au départ trouvée dans la nature, ce qui est bien la démarche récurrente de l'ermite. Je ne serai donc pas aussi affirmatif que vous sur ce point.
Écrit par : Le sciapode | 14/07/2014
C'est notre vœu le plus cher que de réussir à expliciter l’œuvre de l'ermite !
Nous travaillons en ce sens, avec des partenaires (collectivités et administrations) engagés à nos côtés.
On avance ! nos efforts sont en ce moment portés sur la POINTE DU CHRIST.
Je rappelle que le site des rochers sculptés est géré par une société commerciale privé.
Si vous passez par la Bretagne cet été, n'hésitez pas à venir nous rencontrer à l'HOTEL TERMINUS à Rothéneuf.
Joëlle JOUNEAU – Association « LES AMIS DE L’ŒUVRE DE L’ABBE FOURE ».
Blog : http://rochersrotheneuf.wordpress.com
Bel été
Écrit par : Joëlle JOUNEAU | 20/07/2014