Postérité des environnements (9): la maison recombinée d'Antoine Puéo en danger de mort résiste encore... (03/09/2014)
Des architectures d'autodidactes populaires, à part quelques exemples fameux comme le Palais Idéal du Facteur Cheval à Hauterives, la maison de Picassiette à Chartres, celle de Joseph Meyer à Berck-Plage, le collage de maquettes de monuments autour de la villa des époux Billy dans le Rhône la tour Travert et ses fers à cheval soudés dans le Maine-et-Loire, les demeures troglodytiques ornées comme celle de M. Roux dans le même département, les galeries souterraines de Jean-Marie Massou dans le Lot, la maison caparaçonnée de Jeanne Devidal à St-Lunaire, il n'y en a pas tellement en France, si on les compare aux nombreuses autres disciplines artistiques rencontrées dans les espaces populaires entre habitat et route. C'est plutôt les réalisations mobilières qui l'emportent sur l'immobilier, statues, mosaïques, fresques, accumulations, jardins topiaires, etc.
Sans doute ce cliché des archives familiales conservées par Mme Ruig, petite-fille d'Antoine Pueo, montre un des états antérieurs de la "maison fleurie" de Lézignan ; merci à Jean-Louis Bigou de nous avoir transmis ce document
Carte postale peut-être des années 70 montrant la même maison en rocaille, après déconstruction-reconstruction, Antoine Pueo apparaissant vraisemblablement au sommet de la construction, ainsi que sa femme (peut-être) à une fenêtre du premier étage, coll. Bruno Montpied
C'est pourquoi la maison, l'immeuble plutôt, d'Antoine "Tounet"¹ Pueo à Lézignan-Corbières, fait partie des exemples architecturaux très rares, réalisés en pleine ville qui plus est par un autodidacte qui se permit de tripatouiller lui-même sans architecte sa propre demeure, en la recombinant, eut-on dit, d'étage en étage, rajoutant une balustrade par ci, éventrant des murailles par là, installant un système d'arrosage de ses nombreuses plantations en jardin suspendu qui recueillait les eaux de pluie, incrustant des statuettes dans des niches (qui ont été mises de côté par sa petite fille, voir le blog de J-L. Bigou), etc. Le tout prenant au fil du temps l'allure d'une gigantesque rocaille éruptive poussée en pleine zone urbaine.
La maison ex-fleurie, photo BM, juillet 2014
Elle a résisté près de cinquante ans. Je la croyais même disparue depuis belle lurette, jusqu'à ce que je découvre par une note du blog de Jean-Michel Chesné, puis par les nouvelles informations glanées par Jean-Louis Bigou sur son sympathique blog De l'art improbable dans l'Aude et ses environs, qu'elle était encore debout. Un répit de dernière minute me permit de photographier ce qui en subsistait en juillet dernier. En effet, la découverte de vestiges archéologiques tout près du bâtiment avait suspendu les travaux de démolition qui affectent de façon idiote tout le quartier de la "maison fleurie", surnom donné par les habitants et les journalistes à la construction rocailleuse de Pueo.
Comment mieux mettre en évidence la guerre totale que mènent les urbanistes à la solde du pouvoir face aux demeures du peuple? Art "contemporain" contre art brut... Ph. BM ,juillet 2014
Parce qu'il faut dire que la municipalité a décidé de passer un grand coup de balai dans ce vieux quartier populaire de Lézignan, aux petites boutiques simplissimes, au charme convivial, habité entre autres par des familles de Gitans, pour construire à la place des clapiers déshumanisés et sans âme comme aiment en produire au kilomètre les édiles et les urbanistes contemporains. Déjà, comme on le voit ci-dessus, on a placardé une espèce de fresque creuse et mochissime juste devant la maison en rocaille, prélude spatialement évident à la censure définitive annoncée pour bientôt de la maison d'Antoine Pueo.
Et pourtant, habitants de Lézignan et gens de passage, cette maison était un des rares exemples français de création architecturale foutraque et naïve encore tolérée sur notre territoire. Vous aviez des amateurs qui se déplaçaient de loin pour venir la photographier. Si vous la détruisez, que viendront-ils faire à Lézignan ? Il n'y aura plus rien à voir...
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¹ Et non pas "Quinet" comme l'appela de manière erronée Yves Rouquette dans un article ancien de la défunte revue Les Cahiers de l'Office.
22:57 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : maison fleurie de lézignan, antoine puéo, architecture brute, environnements spontanés, jean-louis bigou, art improbable, architecture naïve, art contemporain de merde, urbanisme totalitaire | Imprimer
Commentaires
Les urbanistes et les architectes n'en finissent pas de détruire ce qui fait le charme de la vie urbaine : l'ornement, la fantaisie, l'inutile, le tortueux, le non-fonctionnel, le non-rectiligne, la labyrinthe, le double-fond, le jardin secret au bout de l'impasse. Ces gens-là et les édiles qui leur passent commande ne cessent de commettre crime sur crime contre l'esprit et la sensibilité.
Écrit par : L'aigre de mots | 05/09/2014
Je serais le maire de cette bonne ville de Lézignan-Corbières, je gèlerais immédiatement tous les funestes projets de destruction du centre. Lézignan est une des toute dernières cités dont le coeur est encore habité par les plus pauvres. Et quels pauvres! Les Gitans demeurent depuis des centaines d'années dans ce lacis de ruelles et de placettes à l'ombre de Saint-Félix, encore sonores des appels des rémouleurs, des chants des vanniers, des querelles des mères et des enfants, des vagissements des nourrissons. Je serais le maire de Lézignan, j'irais voir le majoral des Gitans, et je m'appuierais sur son autorité pour recruter les plus tenaces, les plus malins, les plus artistes, et avec eux, nous commencerions par détruire ce trompe l'oeil que personne n'ose même taguer, que personne n'ose approcher. Avez-vous noté le respect des lieux, des murs, des vieilles boutiques closes? Nulle destruction, sauf celles émanant de la mairie, dans ce quartier pourtant populaire. C'est sur cet esprit que je m'appuierais. Puis ensuite, muni des photos et des souvenirs des anciens, nous réparerions la maison du Pueo, et nous en ferions, ensuite, réouvert, le lieu de la joie des Gitans, des salles pour leurs fêtes, leurs concerts, leurs banquets. Puis nous rouvririons les vieilles boutiques abandonnées, une fois préalablement expropriées les enseignes de grande distribution de la zone commerciale des faubourgs. Mais je ne serai jamais maire de Lézignan ou d'ailleurs.
Écrit par : Siger du Haryag | 16/09/2014
bonjour et bravo pour ce superbe article. merci aussi aux personnes uqi ont répondu, avec le coeur. La maison est-elle détruite désormais ? Quelle tristesse... Je me demande si des photos d'archive ont pu être faites, pour conserver des traces de ce lieu merveilleux et fascinant, à défaut de ne pas le détruire (!!!)
Écrit par : anne-laure | 13/12/2014
Oui, Anne-Laure, il y a souvent, et plus qu'on ne le croit, beaucoup de photos qui sont prises de ce genre de lieux sans compter d'autres témoignages, livres, qui ont pu paraître à un moment où à un autre et qui ont été oubliés à leur tour, toutes documentations qui attendent les chercheurs et les curieux de la poésie vivante en action. La découverte de ces lieux s'effectue dans un double mouvement, sur le terrain et dans les bibliothèques. La main à fiches vaut le pied à croquenots.
Écrit par : Le sciapode | 13/12/2014