La maison de la gaieté de Chérac: un autre chef-d'oeuvre en péril (26/09/2014)

     Des camarades m'ont signalé depuis plusieurs mois l'existence à Chérac (à deux pas de Cognac en Charente-Maritime) d'une maison couverte de mosaïques où s'étale sur une des façades l'inscription visible de loin, "LA MAISON DE LA GAIETÉ". Il s'agit d'un travail d'autodidactes, un père et son fils, Ismaël et Guy Villéger, qui de 1937 à 1952 avaient choisi de décorer d'un million de cassons de vaisselle les murs extérieurs de leur cabaret de campagne. Cela mettait à l'évidence de la couleur au bord de la route, signalant de façon immédiate aux soiffards de passage qu'ils trouveraient là bonne humeur et joie de vivre. Des fenêtres en trompe-l'œil et des grappes de raisins avaient été représentées pour égayer les parois en mosaïque.

 

maison en mosaïque de chérac,ismael et guy villéger

La Maison de la Gaieté, photo Eric Straub, 2012 ; à noter que la façade à droite derrière les palmiers (qui ont depuis disparu, ce qui est déjà bien dommage) possédait aussi des mosaïques qui sont tombées au fil du temps

 

     Eh bien, cette maison qui s'était maintenue vaille que vaille jusqu'à nous depuis les années 50 de l'autre siècle, voilà-t'y pas que la nouvelle équipe municipale arrivée au pouvoir récemment s'est mise en tête de s'en débarrasser Elle en est en effet la propriétaire. Comme paraît-il elle coûte trop cher (ah bon? Faudrait voir ça de plus près), le conseil municipal veut la vendre. Et le candidat au rachat a demandé si on ne pourrait pas la démolir... Histoire de mettre à la place sans doute quelque banalité architecturale qui n'attirera plus aucune attention.  Elle est prudente, la dite équipe municipale, elle s'est dite, on va demander à l'architecte des monuments de France si une étude de la démolition pourrait être faite. C'est que par ailleurs, si je suis l'article de Sud-Ouest qui évoque la question (merci à Michel Valière de me l'avoir transmis), "la maison et ses objets étaient en cours d'instruction pour être inscrits à l'inventaire général du patrimoine, au titre des Monuments historiques". Sans doute quelques esprits un peu avertis du patrimoine populaire des bords de routes avaient dû s'inquiéter de la sauvegarde de ce décor, et avec juste raison selon moi.

 

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La Maison de la Gaieté, détail, les grappes de raisin, ph. Eric Straub, 2012

 

 

      On avait pourtant parlé d'en faire un musée, ce qui aurait pu être une bonne idée. Ignore-t-on à Chérac qu'il existe dans cette même région un autre site, décoré de 400 statues cette fois, là aussi naïves, par un menuisier nommé Gabriel Albert pour lequel la région s'est récemment mobilisée afin de chercher la possibilité de le préserver durablement? C'est à Nantillé, entre Saintes et St-Jean-d'Angély. Tout près de Nantillé, à Brizambourg, existe aussi le jardin naïf rempli d'animaux en ciment de Franck Vriet. Et un peu plus loin à Lavaure, près d'Yviers, en dessous d'Angoulême, n'oublions pas le site étonnant de Lucien Favreau. En France, on recense ainsi des dizaines et des dizaines d'environnements tous plus excentriques et merveilleux, plus anti conformistes les uns que les autres, créés par des autodidactes d'origine populaire, qui mériteraient qu'on les documente par des centres d'information et des petits musées qui constitueraient un réseau de points de documentation et de sauvegarde relié les uns aux autres à travers la France. C'est la culture créée par le peuple pour le peuple qui est ici en jeu. Sans oublier qu'en préservant ainsi ce genre de sites artistiques rares, on crée une ressource touristique supplémentaire pour des communes qui n'en ont pas forcément tant que cela.

 

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Détail de la fenêtre en trompe-l'œil imaginée par Ismaël Villéger et son fils, ph Eric Straub, 2012

 

     Souhaitons donc que le nouveau maire de Chérac laisse tomber son projet funeste, et que la population de cette commune se rende compte qu'en le laissant agir comme un vandale institutionnel elle perdrait un fleuron de l'architecture populaire insolite, et qu'elle fasse pression pour que cela n'arrive pas.

 

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On tapait le carton aussi à la Maison de la Gaieté, comme l'indiquent les piques, carreaux, trèfles, cœurs qui dégringolent à gauche... Ph. Eric Straub, 2012

 

10:06 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : chérac, maison en mosaïque de chérac, ismael et guy villéger, michel valière, mairie de chérac, vandalisme institutionnel, mosaïque populaire, café et auberges insolites, gabriel albert, franck vriet, lucien favreau, patrimoine populaire, élections et vandalisme, censure municipale |  Imprimer