D'Anglefort à Demin, nouvelle exposition chez Alain Dettinger à Lyon : deux univers originaux à découvrir... (03/04/2018)

     C'est une riche et originale exposition qui va bientôt commencer à la galerie d'Alain Dettinger au 4 place Gailleton à Lyon dans le 2e arrondissement (du 7 au 28 avril 2018).

Carton d'invitation à expo d'avril 18 chez Dettinger.png

Yves d'Anglefort, sans titre (mais qui doit être pourvu d'un numéro d'ordre non indiqué sur ce carton d'invitation...), 30x42cm, crayons de couleur et encre sur papier, 2017.

Carton d'invitation à la galerie Dettinger, avril 18.png

Demin, D 43, 29x42cm, stylo et crayon de couleur sur papier, 2017. Image du carton d'invitation.

 

     Les deux artistes présentés (en deux expositions parallèles dans les deux salles de la galerie : je parie pour d'Anglefort dans la première, ouverte sur la rue, et Demin – titre de son expo : "Les Altérations chimériques" - dans la seconde, plus intime) me sont chers en effet depuis quelque temps, m'ayant apporté la révélation de deux univers nouveaux et singuliers, tout en maintenant un rapport avec des traditions figuratives spontanées plus anciennes. C'est d'ailleurs la marque unificatrice de ces deux créations, outre le regard du galeriste émérite qu'est Alain Dettinger, dont j'ai maintes fois souligné le talent de dénicheur sur ce blog.

     Yves d'Anglefort a déjà exposé en plusieurs endroits : la Galerie Isola de Francfort ou la Galerie du Marché à Lausanne (c'est par eux que je suis tombé une première fois sur son œuvre). Pour en savoir plus sur sa biographie dont il ne fait pas mystère, on peut se reporter au site web qu'il anime lui-même. Il dessine en majorité (jusqu'à aujourd'hui tout du moins) des sortes de plans remplis de détails, de figures schématiques et d'inscriptions diverses, souvent aux thématiques historiques, le tout dans de vifs coloris. On peut se sentir désorienté de prime abord devant ces dessins multicolores où l'œil ne sait où se poser dans l'immédiat. Cela, du reste,  a été relevé par Sylvie Gallin-Lambert qui vient de lui consacrer un livre joliment illustré avec de nombreuses analyses détaillées de plusieurs dessins ¹. L'auteur, qui se qualifie lui-même "d'artiste art brut" (il a raison, il est un des rares à en avoir le droit, j'y reviens plus loin), se moque avec la plus grande des désinvoltures de la logique historique, en mélangeant les allusions, les citations à différentes périodes de l'histoire, comme le montre par exemple le dessin ci-dessous qui appartient à la collection ABCD...

Yves d'Anglefort ds la coll ABCD.JPG

Yves d'Anglefort, sans titre, coll. ABCD ; Cette "carte du courage.com" fait se rencontrer une cartographie romaine avec des références aux armées napoléoniennes, l'auteur se moquant allégrement de la continuité historique, cédant à tous ses caprices, pratiquant un dessin citationnel automatique au gré de sa fantaisie, souvent non dénué d'un besoin de provocation...

Yves d'Anglefort (Ferradou), dessin n°170, 2014 (2).jpg

Yves d'Anglefort, dessin n°170 (tous les dessins de d'Anglefort ont un numéro d'ordre plutôt qu'un titre, même si le recto dessiné comporte des encarts bourrés de texte, et le verso très souvent des commentaires fort développés (voir -ci-dessous)), 31x42 cm, 2014, ph. et coll. Bruno Montpied.

Yves d'Anglefort, C'est un plan pour envahir l'île de Ré...(2).JPG

Yves d'Anglefort, verso du dessin n°170 : "C'est un plan pour envahir l'île de Ré..." ; le dessin au recto représente les armées de Napoléon s'apprêtant à attaquer l'Ile de Ré pour aller délivrer l'aimée du dessinateur...

 

     Le dessinateur dit ne pas mettre de titre, trouvant cela l'apanage des faiseurs et des prétentieux (opinion discutable, il me semble), mais il strie ses compositions, et les versos de ses œuvres, de commentaires, de remarques marginales, qui ressemblent à des titres, comme autant de rebondissements produits par associations d'idée. Je me suis laissé dire que la galerie Dettinger-Mayer avait l'intention de placer dans son expo certains textes des versos à côté des œuvres exposées, ce qui est en effet une bonne idée .

N° 356 Plan du dessin du destroyer... vers 2017.jpg

Yves  d'Anglefort, dessin n°356, "plan du dessin du destroyer qui combat les ennemis de toi...", 31x42cm, vers 2017 ; comme on le voit, ce ne sont pas seulement des cartes que concocte Yves d'Anglefort, mais aussi des véhicules, des gros animaux...

 

    Yves d'Anglefort se dit "artiste art brut". On sait que, personnellement, je trouve ce mot d'artiste confusionniste, lorsqu'on l'applique aux auteurs d'art brut. On ne retient, en disant cela, que l'aspect de plasticien de ces individus créatifs, en évitant de rappeler que pour correspondre complètement à ce terme d'artiste, il faut aussi un numéro d'INSEE par exemple, vendre soi-même ses œuvres, en faire profession, démarcher des galeries, être reconnu par la société sous cette raison sociale, et aussi s'auto évaluer ainsi (comme me le faisait remarquer récemment un connaisseur du problème, Marc Décimo). Tout ceci peut s'appliquer à Yves d'Anglefort, mais beaucoup moins à la majorité des créateurs dont les œuvres sont collectionnées à Lausanne ou à Villeneuve-d'Ascq. Peut-on, cela dit, continuer à classer notre dessinateur dans l'art brut? La question est plus délicate. L'homme n'est absolument pas dépourvu de culture, notamment artistique, quoique l'histoire paraisse être sa discipline préférée. On a affaire à un homme qui s'est forgé sa propre culture sans passer par les grandes écoles et les universités. Il semble que ce soit par la complexité de ses compositions, parfois passablement foutraques, tout emplies de coq-à-l'âne visuels et écrits, que l'on peut tout de même le ranger aux côtés d'autres bruts. Complexité qui a peut-être quelque chose à voir avec le caractère bipolaire de sa personnalité, avoué par l'intéressé lui-même.

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Demin, dessin sans titre (dialogue de deux monstres ?), stylo et crayons de couleur, 29,7x42 cm, fév. 2018, ph. B.M.

 

    En ce qui concerne le second dessinateur exposé à la galerie Dettinger à partir de samedi prochain, il s'agit d'une autre tisane... L'homme dessine depuis seulement quelques mois, après avoir d'abord tenté la sculpture comme on peut en voir des exemples sur son site internet (encore un qui maîtrise la chose). Ces statues, ainsi que des peintures de Marie Morel, avaient d'ailleurs causé quelque émoi durant le dernier festival d'art singulier à Aubagne, lorsque les édiles municipaux (de droite) avaient demandé leur retrait pour "pornographie", ce qui avait provoqué la fin du festival, ses organisateurs n'acceptant pas la moindre censure. Personnellement, indépendamment de cette question de censure - idiote et rétrograde, cela va sans dire –, j'avais trouvé les statues, quelque peu "expressionnistes", assez peu réussies (c'est le moins que je puisse dire). Alain Dettinger me mit alors, à la fin de l'année dernière, deux dessins du même Demin sous les yeux et je fus au contraire tout de suite conquis, en en acquérant immédiatement un.

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Demin, dessin sans titre (l'auteur pour le moment ne met aucun titre, ni rien qui permette d'identifier ses œuvres), 40x29,7cm, stylo et crayons de couleur sur papier vers 2017, ph. et coll. B.M.

 

      Certes, Demin est par ailleurs psychanalyste (il n'en fait pas mystère). On pourrait croire par voie de conséquence à une inspiration qui serait brochée sur les hallucinations de ses clients. Il paraît particulièrement pressé de faire connaître son œuvre: cela a pour effet de provoquer la méfiance chez plusieurs médiateurs des arts spontanés, se demandant s'ils n'auraient pas affaire à une sorte d'arriviste. L'intéressé répond qu'il doit cela à sa posture d'hyperactif. Il faut que ça pulse...! Il expose ainsi dans plusieurs endroits, galeries, librairie, biennales... Moi, je ne veux regarder que le résultat de ses recherches graphiques, ces monstres obsessionnellement dessinés, sans titre, sans qualifications, aux extrémités souvent bourgeonnant en phallus de toutes tailles, en zigzags coralliens, en guirlandes de crocs... Ils se dressent face au regardeur, les yeux quelque peu hagards, comme fous et hilares, brindezingues au plus haut point, un peu hindous, un peu asiatiques...

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Demin, sans titre (la cage-poisson, titre que je lui donne à part moi), 42x29,7 cm, fév. 2018, ph.B.M.

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Demin, autre dessin sans titre (la femme et l'escargot?), vers 2017, ph. Demin.

 

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¹ Sylvie Gallin-Lambert, Yves d'Anglefort. Un aperçu de son œuvre, Einblick in Sein Werk, auto-édition, bilingue français-allemand, sans lieu ni date (2017 en fait). Ce livre est un premier document précieux sur les dessins d'Yves ; une seule fausse note : une couverture à l'illustration fort mal choisie, qui n'invite pas à ouvrir le livre (voir ci-dessous). On se procurera le livre auprès de divers sites de vente par internet en tapant les mots-clés "Yves d'Anglefort".

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18:06 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : yves d'anglefort, demin, galerie dettinger-mayer, alain dettinger, art brut, art singulier, cartographie imaginaire, bipolaire, altérations chimériques, monstres, sexualité foutraque, hyperactif, sylvie gallin-lambert |  Imprimer