Un tableau de Camille Van Hyfte, avec interprétation quasi automatique de Bihalji-Mérin (04/02/2020)
Ici, j'ai l'occasion, simultanément, d'entamer une nouvelle catégorie de ce blog, les écrits de personnalités en rapport avec les arts de l'immédiat ("Ecrivains et arts de l'immédiat"), en l'occurrence l'historien d'art Oto Bihalji-Mérin, pour sa façon d'interpréter un tableau sous une forme poético-littéraire, peut-être pas totalement contrôlée, comme je l'ai déjà pratiqué personnellement dans des notes précédentes de ce blog (voir cette autre catégorie que je crée aussi aujourd'hui, "Lecture d'images", à ne pas confondre avec la rubrique "Délires d'interprétation", quoique la frontière soit parfois ténue...). Le but premier est de rendre avant tout l'écho de l'image chez l'interprétateur, honnêtement, sans faire de fioritures littéraires, et en laissant passer des propos relevant d'associations d'idées, d'intuitions... Ici, on retire vraiment l'impression que Bihalji-Mérin a lâché les chevaux du rêve éveillé dans son évocation du tableau de Van Hyfte, d'une manière peu usuelle, me semble-t-il, chez lui.
C'est en cherchant des informations sur le peintre belge Camille Van Hyfte, peintre boucher hippophagique¹ d'origine flamande, et coureur cycliste aussi, par la suite installé en France, dans l'Oise, à Mouy (au nom curieux, on dirait un assentiment mou...) dont un vieux numéro de la revue Phantômas (n°7-8, de 1956, spécial Art Naïf) reproduisait en noir et blanc un tableau, que j'ai rebondi ensuite vers un livre de 1960 où il y avait le même tableau en couleur avec l'interprétation de Bihalji-Mérin, que je reproduis ci-dessous :
Camille Van Hyfte (1886-1960), Intérieur avec fleurs, ancienne collection Edmonde Charles-Roux, reproduit en couleur dans Oto Bihalji-Mérin, Les peintres naïfs, Delpire éditeur (1960).
"Ainsi son Intérieur avec fleurs, d'une perspective gauche et ramassée, offre-t-il une harmonie de tons fanés, comme étouffés, où même le bouquet traité en touches vives semble s'éteindre dans l'atmosphère vieillotte et petite-bourgeoise. On dirait que les tables aux pieds tournés, les deux chaises et les deux fauteuils, seuls meubles de cette chambre vide, attendent d'entrer en scène. Sous les énormes fleurs, le vase de porcelaine blanche ornée de motifs, a quelque chose d'insolite. Il n'y a jamais eu personne pour le poser là. La disproportion dans le rapport des objets entr'eux, comme le rapprochement inattendu des tons, laissent une impression étrange : on croirait que quelque chose vient de se passer là, que nous sommes incapables de savoir, ou que quelque chose d'insoupçonnable va arriver, et peut-être pas dans le domaine humain."
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¹ Le seul boucher hippophagique de l'art naïf à ma connaissance!
16:45 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : art naïf, camille van hyfte, boucherie hippophagique, phantômas, oto bihalji-mérin, lecture d'images | Imprimer
Commentaires
Pour ma part, au premier coup d'œil, je vois dans le sujet central, non un bouquet de fleurs planté dans un vase, mais une mégère bourgeoise coiffée d'un chapeau emplumé, les mains sur les hanches, solidement campée sur de frêles guiboles, qui vous darde d'un regard de cyclope enjôleur.
Écrit par : L'aigre de mots | 04/02/2020
Cher Aigre, je m'apprêtais à écrire un commentaire allant exactement dans le même sens quand je découvre votre propre commentaire. Nous avons la même vision. Oui, c'est une évidence.
Écrit par : Régis Gayraud | 04/02/2020
J'ajoute que cet être me rappelle, parce qu'il paraît mi-objet inanimé mi-humain, un peu comme les personnages du dessin animé de "La Belle et la Bête", certaine chaise d'une chambre où je me suis trouvé il y a deux mois à Florence et dont j'ai fait une photographie où elle a vraiment l'air de m'écouter, de me regarder comme un chien qui attend qu'on le prenne au sérieux, attristé de ne pas savoir parler. Les chaises, Bihalji-Merin a raison de trouver que les chaises paraissent ici en train d'attendre leur tour de scène. Mais si on regarde bien, les chaises vides ont souvent l'air d'attendre quelque chose. C'est le meuble le plus proche de nous, il nous connaît de manière, si j'ose dire, fondamentale, il est un peu, dans le règne mobilier, comme le chien dans le règne animal, et comme le chien, la chaise nous a fait le don de sa fidélité.
Écrit par : Régis Gayraud | 04/02/2020
Par la fenêtre dehors il fait noir, mais le plafond strié de poutres est un plafond à ciel ouvert.
Le sol se dérobe, les lignes sont comme des marches d'escalier et rejoignent le pied d'une flaque en forme de petit nuage, table plate, table spirite qu'interroge à travers nous la gardienne aux fleurs ébouriffées.
Où sont-ils donc ceux que nous cherchons du regard sur les chaises, sur les fauteuils ?
Écrit par : Valérie | 08/02/2020
Il y a un autre détail dans ce tableau qui m'intrigue personnellement. Le rideau de la fenêtre à droite paraît à la fois extérieur et intérieur. Plus extérieur à la pièce qu'intérieur du reste. Le bas de son tissu pend à l'extérieur, de même qu'il paraît indubitablement accroché à une tringle extérieure. Cette extériorité du rideau trouble nos repères. Est-ce la pièce qu'il faut considérer comme extérieure et la nuit comme intérieure? Quel être inconnu va venir depuis la ténèbre jeter ses regards dans cette loge au vase disproportionné? Tout cela milite pour considérer cette scène comme purement onirique en dépit d'une première impression de réel toute superficielle...
Écrit par : Le sciapode | 08/02/2020
Bien vu, cher Sciapode, cela m'avait échappé, effectivement. Il y aussi la porte à gauche dont la perspective est un peu étrange. On pourrait croire à un défaut de maîtrise des artifices qui permettent de représenter la perspective, mais le reste du tableau nous montre que l'auteur se débrouille en ce domaine. Donc, pourquoi la porte, dans sa moitié haute, nous paraît vue de face, et vue de côté dans sa partie basse. Et puis, le sol aussi est étrange, quand on y réfléchit bien : on a l'impression qu'il s'enfonce dans un espace ouvert, un peu comme si les objets qui s'y trouvent (ce fameux guéridon supportant la plante) flottaient au-dessus d'un abîme. Et puis, regardez le mur du fond. Il semble fait, en-haut, de trois panneaux verticaux : ce n'est qu'en regardant plus attentivement, en regardant plus bas derrière les fleurs, qu'on découvre qu'il s'agit des angles du conduit de la cheminée. Mais regardez bien cette cheminée. Elle paraît s'enfoncer dans le mur comme un tunnel. Oui il y a quelque chose d'onirique dans ce décor de maison qu'on dirait de carton.
Écrit par : Régis Gayraud | 09/02/2020
Je vous signale qu'avec votre remarque sur le sol qui s'enfonce... Vous enfoncez vous-même une porte ouverte... par Valérie, dans le commentaire précédent, puisqu'elle en parlait déjà : "Le sol se dérobe, les lignes sont comme des marches d'escalier..."
C'est pas bien de ne pas lire les commentaires des autres, tss, tss...
Écrit par : Le sciapode | 09/02/2020
Elle avait du nez, pour dénicher l'art naïf, la femme de Gaston Defferre. Il faut dire qu'elle avait été la maîtresse d'André Derain aussi (et de Khadafi, mais ça, c'est une autre histoire).
Écrit par : Isabelle Molitor | 09/02/2020
Et Derain lui-même, comme vous le savez certainement, madame Molle e-Thor, avait un goût marqué pour l'art populaire dans sa collection, dont on aimerait savoir ce qu'elle contenait... Car il ne faut pas compter sur les historiens d'art conventionnels pour nous le révéler. Ils ne voient pas l'intérêt d'en parler, de par leur morgue d'amateurs d'art enseigné académiquement...
Écrit par : Le sciapode | 09/02/2020