31/10/2024
"Le Gazouillis des éléphants", avec ses 305 inspirés des bords de route, reparaît ce jour!
On a envie de prendre un grand portevoix pour clamer: Oyez! Oyez! Le Gazouillis des éléphants, vous l'aviez demandé, eh bien, le voici enfin qui reparaît, sous une livrée d'une autre couleur, histoire de marquer le passage du temps. C'est une réédition, il fallait l'indiquer par cette nouvelle couverture de teinte aubergine, et aussi en accomplissant une mise à jour de quelques informations, ce qui justifie qu'il soit marqué justement "édition revue et mise à jour". Il n'y a pas – je m'empresse de le préciser, car la question va m'être posée – de sites supplémentaires par rapport à la 1ère édition qui datait de 2017. Cela sera peut-être pour plus tard, "Le Gazouillis des éléphants, le supplément". Non, ici, on a des dates, des états actualisés de certains sites (dans la mesure où j'en fus informé, notamment par divers correspondants), un nom rétabli (Antoine Rabany, le sculpteur de certains Barbus Müller), des coquilles (rares) corrigées, la bibliographie légèrement augmentée, des choses comme ça...
Le communiqué de presse...
Le livre est relié plus solidement, la couverture n'est plus feutrée, mais plus lisse (et peut-être un chouïa plus rigide), je dirais, mais les caractères dorés des titres et sous-titres ressortent avec plus de contraste sur ce fond violet. L'éditeur est Hoëbeke, qui appartient au groupe Gallimard, et les éditions du Sandre co-éditent. La maquette, la mise en pages n'ont pas changé. Je pense, je le souhaite, que cette nouvelle mouture sera encore plus diffusée que la première édition. De ce fait, tous ceux qui le recherchaient ne devraient pas avoir de mal, désormais, à en trouver un exemplaire...
Roger Mercier (1926-2018), Poséidon et les sirènes, "Le Château de Bresse et Castille", à Damerey (Bourgogne) ; ce site serait visitable après demande en mairie... information de 2020 (exemple de mise à jour informative dans cette nouvelle édition, dans un domaine qui évolue perpétuellement) ; photo Bruno Montpied, 2013.
17:52 Publié dans Amateurs, Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art insolite, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Environnements singuliers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : le gazouillis des éléphants, environnements populaires spontanés, habitants-paysagistes, bâtisseurs du rêve, inspirés des bords de route, bruno montpied, art naïf, art brut, éditions hoëbeke, éditions du sandre, gallimard, diffusion des livres, roger mercier | Imprimer
17/09/2024
Une trouvaille dans un bar alsacien par Darnish
Henri Rogy, L'Oiseau de France, 1912 ; photo Darnish, 2024.
Grâces soient rendues à l'œil aiguisé de l'ami Darnish qui m'a transmis la photo ci-dessus, d'après un tableau déniché dans les toilettes (!) d'un bar de Strasbourg. Où se cache l'art naïf? Dans des recoins dédaignés, dirait-on.
Que dire de cette peinture, à part le fait qu'elle paraît représenter des Alsaciens saluant le passage d'un aéroplane venu de la France non occupée par les Prussiens, regardé avec les yeux de Chimène par des habitants nostalgiques de la France, la scène se déroulant au pied du poteau de frontière – datant de 1871! – entre ce dernier pays et le Reich allemand, ce dernier ayant annexé l'Alsace et une partie de la Lorraine, suite à la guerre perdue par Napoléon III.
1912... Encore deux ans, et la guerre se rallumera, avec pour conséquence la reprise de l'Alsace et de la Lorraine dépecée, en 1918 (jusqu'à la guerre suivante, pour quelques années de plus d'annexion). En 1912, les rapports avec l'Allemagne sont tendus depuis 1905. La Lorraine n'est pas totalement occupée, tandis que Metz, qui apparaît sous forme de pancarte dans ce tableau, l'est (voir la carte ci-contre avec la frontière en jaune qui matérialise le découpage postérieur à la guerre de 1870).
Des peintres prennent à cette époque le sujet de la revanche contre l'Allemagne pour sujet. Comme un certain Alfred Bettannier (Metz, 1851 - Paris, 1932) qui réalise quelques tableaux marquants comme La Conquête de la Lorraine en 1910 ou encore... Oiseau de France en 1912. "Oiseau de France", c'est précisément le titre du tableau retrouvé à Strasbourg. Tiens, tiens...
Il s'avère que le tableau de ce titre, de Bettannier, montre la même saynète. Il a été visiblement édité en carte postale et a dû beaucoup circuler, en particulier en Lorraine au début de la décennie des années 1910. Rogy l'a démarqué sans l'ombre d'un doute, dans une attitude fréquente chez les artistes populaires (j'ai évoqué déjà sur ce blog le cas d'un certain Kobus qui sculptait des panneaux en bas-relief d'après des gravures). Voici la carte (en noir et blanc) du tableau de Bettannier:
Alfred Bettannier, Reproduction photomécanique du tableau (original non localisé) L'Oiseau de France, Salon des Artistes français de 1912. ; cette reproduction sur papier est conservée au musée municipal de Nuits Saint-Georges.
Alfred Bettannier, L'Oiseau de France, 1912 ; reproduction trouvable sur Wikipédia...visiblement du tableau original.
Confronter les deux oeuvres permet de mesurer la différence entre la fraîcheur stylisée de l'art naïf et la banalité de l'art réaliste. On dirait aussi deux interprétations de classe vis-à-vis de mêmes gens réunis dans une même saynète. D'un côté, Rogy voit des gens simples (je dénombre 14 personnages dont deux enfants en avant du groupe, les pieds chaussés, les visages étant sommairement dessinés, les corps étant plutôt raides), là où Bettannier campe plutôt des gens respectables (je dénombre un peu plus de personnages: 18), certes choisis dans plusieurs catégories de la population (on voit un curé, des paysans, des garçons de la campagne en arrière-plan, avec les deux enfants de l'avant-plan qui sont pieds nus, cela dit, tous personnages peints avec souci du détail).
J'ajoute ci-après l'explication figurant dans la notice de la POP (Plateforme Ouverte du Patrimoine), qui commente la reproduction d'après Bettannier :
" "C'est un oiseau qui vient de France" est une chanson revancharde évoquant l'annexion par l'Allemagne de l'Alsace-Lorraine, créée en 1885 par Camille Soubise (paroles) et Frédéric Boissière (musique). Elle conte l'espoir rendu à une fillette et un vieillard par l'arrivée en Alsace d'une hirondelle venue de France. En 1912, le sentiment "anti-allemand" est encore présent et la chanson très populaire, au point que le peintre français Albert Bettannier expose au Salon des Artistes Français le tableau reproduit ici, sous le titre "L'Oiseau de France". Il s'agit d'une mise en images de la chanson, dans laquelle on reconnaît la petite fille et le vieil homme, figurés avec d'autres Alsaciens à la frontière séparant l'Alsace de la France. Ce n'est pas un oiseau qui leur redonne l'espoir, mais un avion français. Car c'est aux alentours de l'année 1910 que l'aviation fait son entrée dans les armées européennes. La nouvelle machine de guerre incarne, ici, la possible reconquête des terres perdues."
19:35 Publié dans Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art naïf, henri rogy, revanche, alsace-lorraine occupée, patriotisme, guerre de 14-18, oiseau de france, alfred bettanier, copie populaire, réalisme et art naïf, kobus, plateforme ouverte du patrimoine (pop) | Imprimer
06/04/2024
Les Francs-tireurs de l'art, l'exposition chez Tajan du 5 au 10 avril 2024, vente le 10 avril à 15h
L'exposition de plusieurs lots de la vente cataloguée des "Francs-tireurs de l'art" a débuté hier vendredi dans les salons de Tajan, là où aura lieu la vente du 10 avril. Et c'est assez réussi ma foi, aussi bien sinon mieux que dans une salle de musée.
Centre de la salle de vente et d'exposition, avec deux Boix-Vives, un Patrice Cadiou (la sculpture noire sur socle blanc au centre), des Armand Avril à droite, des Macréau dans le fond... ; photo Bruno Montpied, 2024.
A gauche dans le fond un grand Nedjar (très Golem), un Sucahyo à côté d'un Joël Lorand, des Nitkowski dans le fond sur le mur, encore le Cadiou toujours sur son socle blanc, etc. ; ph.B.M., 2024.
Vitrine à l'entrée de la salle d'expo, avec diverses œuvres: Gironella, Marie-Jeanne Faravel, Chomo, Charles "Cako" Boussion, Robillard, etc... ; Ph. B.M., 2024.
Un très beau Joël Lorand... ; ph. B.M., 2024.
De gauche à droite, une sélection d'outsiders américains: Gérald "Creative" de Prie, Henry Speller, Dwight McKintosh, Dan Miller, Inez Nathaniel Walker, auquel manque John Henry Toney, qui aurait très bien figuré selon moi dans cette sélection (à la place de Dan Miller que je trouve bien moins original) : ph. B.M.
John Henry Toney, pas exposé (à moins d'erreur de ma part ; serais-je passé trop vite?) mais présent dans la vente (lot 70) ; ph.B.M., 2023.
D'autres Anglo-saxons, Henry Faust, Ted Gordon, Madge Gill ; ph B.M., 2024.
Yvonne Robert, Mario Chichorro, Alain Lacoste... ; ph.B.M., 2024.
Boix-Vives, Hector Trotin, Inez Nathaniel Walker (au fond) ; ph.B.M., 2024.
12:21 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les francs-tireurs de l'art, tajan, vente aux enchères, outsiders américains, art singulier, art brut, art naïf, yvonne robert, boix-vives, macréau, john henry toney, alain lacoste, mario chichorro, joël lorand, gironella, hector trotin | Imprimer
25/03/2024
Une vente aux enchères chez Tajan, déclaration liminaire non gardée dans son catalogue
Art naïf, art brut, art singulier, outsiders, inclassables, étoiles filantes de l’art passées inaperçues, grands isolés, ermites de l’art, indomptés, rebelles, art hors-les-normes, passagers clandestins, art buissonnier, art immédiat, tous ces termes recouvrent un corpus de créateurs ou d’artistes que l’histoire de l’art dominant ignora longtemps, avant que les avant-gardes du début XXe siècle ne se penchent vers eux, les chantant, les défendant, les citant en exemples. Le positionnement de ces mouvements eut ainsi une conséquence qui n’est toujours pas perçue bien clairement : la reconnaissance d’un art qui dépasse les catégories usuellement établies, et qui remet en question les hiérarchies, les castes, les écoles, les professeurs distributeurs de brevets de créativité. Un art non séparé de la vie quotidienne était désormais reconnu.
J’ai longtemps admiré l’invention de l’art brut par Dubuffet, qui eut le mérite d’ouvrir la porte aux curieux de ces grands talents marginaux, issus des hôpitaux psychiatriques, des cercles de spirites, du monde des exclus. Avant qu’on parcoure les théories de Dubuffet, affectant de détester l’art cultivé, on peut s’intéresser d’abord, en effet, à ses sauvegardes, à ses collections désormais conservées, sans cesse enrichies, à Lausanne. Elles rassemblent des orthodoxes de l’art brut ‒ c’est-à-dire des créateurs non vénaux, œuvrant dans un cercle strictement intime, indépendant des Beaux-Arts ‒, mais aussi des créateurs relégués, dans les premières décennies de la collection de Lausanne, en « annexe », dans un département renommé par la suite, en 1982, « Neuve Invention », ce qui indiquait en creux comme un repentir vis-à-vis d’artistes que l’appellation « annexe » avait pu stigmatiser. Parmi ces créateurs refoulés et oubliés/négligés, nombre d’entre eux me paraissent tout à fait dignes d’être recherchés – je n'en citerai que quelques-uns, au hasard : Lambert Josèphe Degaude (actif au XVIIIe siècle), Madame Favre (créatrice entre 1858 et 1860), Louis Soutter (1871-1942), Berthe Coulon (1897-1979), Jules Godi (1902-1986), Jean Deldevez (1909-1983 ; dont l’œuvre est retombée dans l’oubli, après avoir circulé dans les années 1980-90), Claire Farny (1915-1988), Unica Zürn (1916-1970), Gérard Lattier, Marie-Rose Lortet, Alexis de Kermoal (1958-2002), etc., etc.
Jean Deldevez, une parodie du tableau "Les Epoux Arnolfini" (de Van Eyck), collection de la Fabuloserie.
La collection, dite primitivement « annexe », dans la Collection de l’Art Brut à Lausanne, ainsi que les premiers créateurs dont Dubuffet, au début de l’aventure de son « art brut », recueillit les productions ‒ que ce soit des masques populaires du Lötschental en Suisse, des peintures d’enfants, les sculptures en pierre volcanique des Barbus Müller ou les œuvres mystificatrices de Robert Véreux (alias le docteur Robert Forestier, qui produisait des tableaux naïfs plaisantins, parfois démarqués du Douanier Rousseau, voir ci-contre un de ses tableaux ayant appartenu à Boris Vian) ‒, reflétaient en réalité un corpus extrêmement étendu, et varié, de créateurs tantôt autodidactes, tantôt cultivés quoiqu’en rupture. Leur relégation, ou au contraire leur exclusion, dans des corpus tels que celui de l’art brut ‒ concept d’un art sans concession, un art « pur », rêvé par Dubuffet, qui se le souhaitait à lui-même pour sa propre création ‒ tendit à travestir et maquiller l’existence de ces artistes et créateurs indépendants, mais ne satisfaisant pas toujours aux critères d’originalité promulgués très subjectivement par Dubuffet, et, surtout, s’entêtant à communiquer avec les galeries, le marché et la critique d’art...
Dubuffet, parallèlement, rejeta l’art dit naïf, en le caricaturant comme un art du mimétisme et du réalisme. Cela cachait sa rivalité avec ceux qui avaient avant lui défendu les autodidactes ingénus (je pense à Anatole Jakovsky ou à Wilhelm Uhde).
Avec le temps, l’art brut, en tant que plus pure des collections, a perdu de son autorité, et l’ensemble des créateurs inclassables redevient davantage visible, suscitant une curiosité chez beaucoup de collectionneurs et autres amateurs d’art, d’autant que le marché de l’art a perpétuellement besoin de renouveler son lot de chair fraîche ! Qui plus est, la difficulté du public des amateurs à s’y retrouver dans la terminologie de l’art des autodidactes et des indépendants milite pour l’éclatement des frontières.
Le terme de Singuliers de l’Art, datant de l’exposition éponyme de 1978 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, est aujourd’hui devenu inadéquat pour qualifier les différentes catégories de créateurs venus de l’art naïf, de l’art brut, des marges de l’art populaire autodidacte. Le mot « singulier » s’applique davantage, comme je l’ai dit, aux artistes primitivistes semi-professionnels, des surréalistes inconscients bien souvent. Il vaudrait mieux en réalité utiliser le terme de francs-tireurs de l’art, qui a le mérite d’inscrire l’esprit de liberté et d’indépendance dans la démarche de ces créateurs et artistes hétéroclites.
Les festivals d’art dit « singulier », bien que l’on puisse y découvrir de temps à autre quelques bonnes surprises, ont eu tendance en effet à faire de ces semi-professionnels un équivalent modernisé de l’ancien terme de « peintres du dimanche », qui désignait les amateurs de peintures de genre (paysages, natures mortes, etc.), tous plus ou moins producteurs de « croûtes », flirtant parfois avec le kitsch. La « modernisation » des contenus a consisté chez nos semi-professionnels à intégrer, au lieu de l’impressionnisme et du naturalisme du XIXe siècle, les leçons des avant-gardes ayant prôné la spontanéité en art (par exemple le groupe COBRA de la fin des années 1940) ou le recours à l’inconscient (le surréalisme), ainsi que le goût des arts animistes dits « premiers », voire l’art brut de Dubuffet, ou encore des rudiments d’art naïf.
C’était au fond ce que recherchaient les avant-gardes, ce déferlement de créativité débordant des espaces professionnels de diffusion de l’art, une créativité qui s’exercerait dans la vie quotidienne.
Michel Macréau, De l'un à l'autre (2e version), Maman., j'en es Raz le Biberon De ton Cordon..., 1975, expo Halle Saint-Pierre, 2009 ; photo Bruno Montpied.
Ces nouveaux artistes « du dimanche » (alternatifs, en somme) ne peignent plus réaliste, à la manière d’une Rosa Bonheur, mais davantage sous l’influence d’un Gaston Chaissac ou d’un Michel Macréau, au style plus spontané, voire à l’image des peintures surréalistes célébrées et très médiatisées (Max Ernst, Yves Tanguy, Magritte, le Dali de la période surréaliste, etc.). On rencontre chez nombre d’entre eux des redites, des démarquages le plus souvent fades d’après les artistes ou créateurs singuliers inventifs qui n’ont pas su se faire connaître, ce qui les encourage ici ou là à des plagiats faciles. Mais on y trouve aussi des créateurs vraiment originaux et talentueux, et parmi eux beaucoup de femmes depuis quelques temps.
Ces artistes singuliers cherchent à faire connaître leur art ‒ contrairement aux « bruts » qui œuvrent de manière autarcique, non vénale, car la proie de pulsions ou d’esprits désincarnés (comme dans le cas des artistes dits médiumniques).
Les Naïfs, quant à eux, rassemblent des artistes, bien souvent issus de modestes milieux populaires de petits employés ou d’artisans, qui pratiquent une peinture ou une sculpture qui se réfèrent invariablement à la perception de la réalité extérieure, leur inconscient modifiant imperceptiblement cette réalité.
L. Plé, exemple de peinture semi anonyme représentant un homme à la mer, en train d'être dévoré par des requins assez ressemblant à des murènes, XIXe siècle? ; ph. et coll. B.M.
*
Joseph Baqué, extraits de ses planches zoologiques de monstres divers, revue Viridis Candela (le Correspondancier n°1 du collège de 'Pataphysique).
Ils sont légion, ces originaux, ces francs-tireurs de l’art. On peut citer pêle-mêle parmi eux : Ovartaci (Danemark), Fred Bédarride, Robert Coutelas, Joseph Baqué (Espagne), Roger Lorance, Louis et Céline Beynet, Armand Goupil, Lucien Blanchet… Ou encore, présents dans la vente de chez Tajan du 2 au 12 avril 2024 : Paban das Baul (Inde), Gilles Manero, Ruzena, José Guirao, Marie-Jeanne Faravel, Gérald « Creative » de Prie (USA), Henry Speller (USA), Victor Amoussou ou Benjamin Déguénon (tous deux du Bénin), Joël Lorand, Imam Sucahyo (Indonésie), Oscar Haus, Michel Delannoy, Yves D’Anglefort, Jean Pous, Yvonne Robert...
Un nouveau venu, Paban das Baul (Inde), qui sera en vente chez Tajan en avril 2024.
José Guirao, sans titre, en vente chez Tajan en avril 2024.
Oscar Haus, œuvre en vente chez Tajan en avril 2024.
Yves D'Anglefort, œuvre en vente chez Tajan en avril 2024.
Gageons que ces noms ne sonnent pas (encore) familiers aux oreilles des amateurs et collectionneurs d’art buissonnier, plus connaisseurs de quelques grands noms ‒ quelques grandes marques ? ‒ de l’art brut, de l’art naïf, voire de l’art dit singulier, imposés par quelques rares marchands ambitionnant une sorte de monopole de l’offre d’art brut sur le marché.
Pourtant ces œuvres moins connues fascinent tous ceux qui détectent leur valeur intrinsèque, sans se soucier de la rumeur médiatico-urbaine qui cherche toujours à imposer ses hiérarchies, ses palmarès obligatoires (souvent du fait de surdéterminations commerciales cachant mal le besoin de monopole ci-dessus pointé), rumeur qui cherche à trier parmi les œuvres hors système apparues depuis deux siècles. Ces créateurs différents, situés en dehors des écoles d’art, en dehors de l’art admis, il paraît à certains qu’il serait urgent de réduire leurs effectifs ‒ la contagion d’un déferlement de création sauvage non régimentée, non captive, non réservée à quelques marchands, étant à craindre, dirait-on…
Or, ce déferlement est bel et bien en marche. Petits musées de création alternative, grands musées redécouvrant dans ses réserves des cas atypiques (revenus du passé où on les avait oubliés), commissaires d’exposition ayant compris l’intérêt grandissant du public pour toutes formes d’art surprenantes, hors des chemins battus, historiens d’art et chercheurs eux-mêmes autodidactes battant la campagne dans les archives, ou les bords de routes, collectionneurs à l’affût de toutes formes de création poético-insolite oubliée, méconnue, et aussi, venons-en au fait, ventes aux enchères qui sont régulièrement le siège de surgissements de curiosités en tous genres, dans le brassage permanent qu’elles suscitent, d’une collection dispersée à l’autre (pas nécessairement spécialisées en art brut), tous militent pour accroître le corpus, le champ de l’art inspiré inopiné. Cela déborde les quelques rares galeries cherchant à dominer ‒ outre le marché ‒ surtout l’offre des créateurs atypiques, inclassables, sauvages, irréguliers, autodidactes à la naïveté ambiguë, l’offre des « pas comme tout le monde » en somme, qui remettent en cause, volontairement ou non, les certitudes en matière d’expression artistique.
Bruno Montpied
Vente aux enchères "Les Francs-tireurs de l'art: Bruts, Naïfs, Singuliers et autres Outsiders" en deux parties, une d'abord "on line" du 2 au 12 avril 2024 à 14h, et une autre, sur place, dans les salons de la Maison Tajan, 37 rue des Mathurins (8e ardt), le 10 avril. J'en suis le consultant, pour une bonne partie des lots proposés (B.M.)
Liste des créateurs ou artistes proposés à cette vente par mézigue (à côté de ceux proposés directement par les deux commissaires-priseurs de chez Tajan, Eva Palazuelos et Loren Richard), soit en vente sur place, soit en vente en ligne :
Jean Ferdinand, Hector Trotin, Anselme Boix-Vives, Jacques Trovic, Khadija, Katia, Nikifor, Yves D'Anglefort, des anonymes (dont un attribué à Gabriel Jenny), Charles "Cako" Boussion, Gerald "Creative" de Prie, Inès Nathaniel Walker, Henry Faust dit "Pop-Eye", Patrick Chapelière, Kashinath Chawan, Paban das Baul, Jean Pous, Yvonne Robert, Michel Delannoy, Gérald Stehr, José Guirao, Johann Fischer, Christian Gauthier, Ilmari Salminen dit "Imppu", Martha Grünenwaldt, Genowefa Jankowska, Genowefa Magiera, Solange Lantier dite "Sol", Alexis Lippstreu, Dwight Mackintosh, Mimoune Ali, Benjamin Déguénon, Victor Amoussou, Ezékiel Messou, Masao Obata, Dimitri Pietquin, Henry Speller, Imam Sucahyo, Emmanuel Tharin, Simone Le Carré Galimard, John Henry Toney, David Braillon, Ted Gordon, Scottie Wilson, Ginette Chabert, Didier Estival, Patrick Gimel, Marie-Jeanne Faravel, René-François Gregogna, Alain Lacoste, Joël Lorand, Gilles Manero, Ruzena, Miguel Amate, Pierre Albasser, François Burland, Ignacio Carles-Tolra, Alain Pauzié, l'abbé Coutant, Mario Chichorro, Béatrice Elso, Michel Nedjar, Philippe Dereux, Jean Rustin, Ghislaine, Fred Deux, Louis Pons, Gilbert Pastor, Armand Avril, Emilie Henry, Léontine Indelli dite "Mimuna Indelli", Rosemarie Köczy, Natasha Krenbol, Pierre Lefèvre, Jaber, Francis Marshall, Jean Vernède, Pierre Bettencourt, Georges Bru, René Moreu, Patrice Cadiou, Jean Clerté, Alfred Kremer, Paul Duhem.
09:29 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art singulier, Art visionnaire, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : ventes aux enchères, francs-tireurs de l'art, art naïf, art brut, art singulier, art outsider, tajan, bruno montpied, consultant, inspirés, déferlement | Imprimer
18/09/2023
Le Singulier de l'art naïf, collection Bruno Montpied (un extrait choisi), au MANAS de Laval
Prévue pour débuter le 23 septembre prochain et durer jusqu'au 10 décembre 2023, cette exposition, que la directrice du Musée d'Art Naïf et d'Art Singuliers de Laval, Antoinette Le Falher, m'a fait l'honneur d'accepter dans ses murs, est l'occasion, à travers une sélection choisie au sein de ma collection d'œuvres éclectiques (relevant de l'art naïf, de l'art singulier, de l'art brut, de l'art populaire insolite, voire de quelques surréalistes pas trop chers (!)), de tenter une défense et illustration de ce que j'aime dans l'art naïf, et qui serait de nature à revaloriser et réévaluer ce dernier, que l'on a beaucoup trop associé à la mièvrerie, aux bons sentiments bêlant, à une sorte d'art gentillet, à relents d'encens et de chapelles.
Armand Goupil, sans titre (pioupiou dansant avec une partenaire fantôme), huile sur bois, 38 x 29 cm, sd (années 1960) ; ph. et coll. Bruno Montpied ; à noter qu'il y a quatre peintures d'Armand Goupil présentées dans cette expo.
L'art naïf, en effet, ce ne sont pas les mignons petits chats, les illustrations pour couvercles de boîtes à biscuits, les innombrables scènes de foules au marché rangées en rangs d'oignon, les natures mortes destinées aux loges de concierge, les croûtes en somme, lénifiantes, sucrées, qui font détourner le regard des amateurs d'art les plus exigeants, ceux qui savent que l'art n'est pas parfumé à la fleur d'oranger, et que ce n'est pas une tisane pour digérer, en attendant la mort...
Henri Trouillard, Winston Churchill en dieu Mars, huile sur toile, 1955, dépôt famille Neveu, collection permanente du MANAS de Laval ; ph. B.M. (2020)
Les collections permanentes du MANAS de Laval sont riches d'œuvres figuratives singulières justement (Lucien Le Guern, Trouillard, Bauchant, Rousseau, Claude Prat, Colette Beleys, Karsenty-Schiller, Dominique Lagru, Déchelette, Jean-Jean, Van der Steen, Le Gouaille, etc.), depuis son année de création en 1967, ce qui justifiait ma demande de proposer une exposition en cet écrin (elle se tient dans la salle en rez-de-jardin, à l'entrée du musée). La figuration dite naïve, c'est-à-dire aussi bien surréelle, sur-réaliste, cache de nombreux artistes autodidactes qui ont tenté de représenter des sujets empruntés à la réalité extérieure (c'est la peinture de genre qui caractérise l'art naïf: natures mortes, portraits, nus, paysages, sujets animaliers, scènes historiques...), tout en réinterprétant celle-ci grâce à l'intrusion, volontaire ou le plus souvent involontaire, de l'inconscient, de l'acte manqué, du lapsus, dans le rendu des objets et des êtres. Perspectives fausses, proportions aberrantes, hiérarchisation inhabituelle des dimensions des personnages, tout cela peut faire associer l'art naïf au "réalisme intellectuel", terme inventé par le critique d'art Georges-Henri Luquet qui voyait dans les dessins d'enfant des déformations en lien avec le retentissement psychologique des objets et des êtres dans le psychisme de ces dessinateurs en culotte courte. Leurs tailles étaient fonction de leur importance psychologique et non pas de leur dimension physique.
On devrait selon moi ranger dans l'art naïf toutes les œuvres d'autodidactes primitivistes ou "bruts" qui comportent une reproduction de sujets empruntés à la réalité extérieure. Ce qui entraîne que plusieurs œuvres que l'on range dans l'art brut peuvent être revendiquées aussi bien par l'art naïf. Le rapt de divers artistes naïfs (Wittlich, Auguste Moindre, Séraphine Louis, Emeric Feješ, Anselme Boix-Vives, and so on) par les thuriféraires de l'art brut peut se retourner dans l'autre sens, par conséquent.
Anselme Boix-Vives, sans titre, gouache ?, peinture industrielle ?, sur papier ou carton, sd, 49 x 66 cm ; ph. et coll. B.M.
"Boix-Vives"?, se récrieront ses partisans... Oui, Boix-Vives aussi, car je rejoins Anatole Jakovsky sur ce point, notamment quand il écrivait, à propos du peintre catalan installé en Savoie, dans son Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier (1976): "Partant du réel, ou du moins tel qu'il le voit, il le transfigure complètement sous une apparence primitive et barbare."
"Le singulier de l'art naïf", titre proposé par mézigue, regroupe 35 artistes en 40 œuvres.
J'ai divisé la présentation en trois sections : 1, le réalisme poétique (l'art naïf "classique"), 2, l'art naïf plus singulier, et 3, l'art naïf visionnaire. Donnons ci-dessous un exemple emprunté à chaque section.
1.
Anonyme (J.C.), sans titre (le voleur de melons), huile sur isorel, 33 x 41 cm,1945 ; ph. et coll B.M.
2.
Carter-Todd, sans titre, crayon graphite et crayons de couleur sur papier, 23 x 29 cm, 3-1-90 ; ph. et coll. B.M.
3.
Maurice Griffon, dit Maugri, sans titre, stylo sur papier, petits motifs ornementaux sur le cadre, 30 x 42 cm, sd (années 1980) ; ph. et coll. B.M.
L'exposition (gratuite, comme l'ensemble de la collection permanente du MANAS, du reste, qu'il ne faut absolument pas oublier de visiter) se tiendra au MANAS de Laval (Musée du Vieux Château, place de la Trémoille) du 23 septembre au 10 décembre 2023. Je ferai une visite commentée de l'expo le 1er octobre à 15h30 (visite gratuite, sans réservation). Un catalogue (7,80€) paraît à l'occasion de l'expo, disponible au musée et à la librairie de la Halle Saint-Pierre (à partir du 21 septembre), reprenant en reproduction la totalité des œuvres exposées, avec un texte de moi détaillant le projet de l'exposition section par section, avec des notices à chaque œuvre, ainsi qu'une préface d'Antoinette Le Falher.
A lire: un article éclairant d'Emma Noyant sur l'expo dans le n°181 d'Artension (septembre-octobre), à la suite d'un mien article sur l'art brut (Artension consacre en effet un intéressant dossier à l'art brut dans ce numéro).
Armand Goupil, sans titre (le clin d'œil), huile sur carton, 30 x 26 cm, datée « 5-XII-60 » ; ph. et coll. B.M. ; cette peinture sert de visuel principal à toute l'expo, et on la retrouve ainsi en affiche dans les rues de Laval, gloire (éphémère) pour cet "inconnu de la Sarthe", comme j'ai pu l'appeler dans le revue 303 il y a quelques années...
Et pour clore, provisoirement, le sujet, ci-dessous un petit poème de Joël Gayraud reçu, suite à l'annonce en privé de l'exposition:
Poème pour « Le Singulier de l’Art Naïf »
Naïf
mais pas niais
singulier
mais pas sanglier
brut
mais pas brutal
immédiat
mais pas immédiatiste
instinctif
mais pas extincteur
autodidacte
mais pas autocuiseur
inspiré
jamais expirant :
telle est la logique
authentique
poétique
rustique
extatique
voire mystique
mais sans casuistique
du créateur anarchique
Joël Gayraud
11:01 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art visionnaire, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art naïf, art visionnaire, réalisme poétique, musée d'art naïf et d'arts singuliers de laval, armand goupil, maugri, peintures anonymes curieuses, réalisme intellectuel, boix-vives, carter-todd, henri trouillard, le singulier de l'art naïf, bruno montpied, joël gayraud | Imprimer
26/07/2023
Rétrospective Martine Doytier en vue en décembre à Nice...
Martine Doytier, j'en ai quelquefois parlé sur ce blog. Cela a contribué à me mettre en contact avec ses anciens fils, ami et amant. J'ai signalé ainsi le voyage qu'elle avait accompli en 1977 avec Marc Sanchez qui prenait les photos, du côté des Inspirés du bord des routes qui commençaient d'intéresser divers amateurs de poésie de grand chemin buissonnier, tout ceci en lien avec le goût des cultures alternatives.
Voici que s'annonce une rétrospective pour décembre à Nice, montée par Alain Amiel et Marc Sanchez. Dans cette perspective, ils recueillent grâce à un questionnaire en cinq points des témoignages de gens qui ont connu Martine Doytier de près ou de très loin (comme mézigue, qui ne l'ai jamais rencontré, mais qui ai été frappé en 1984, l'année de son suicide, par la reproduction de son affiche pour le centième anniversaire du Carnaval ; cela m'a conduit à reparler d'elle sur ce blog, en demandant, de loin, à ce que l'on daigne nous en apprendre davantage). Si vous voulez en savoir plus sur ces témoignages, c'est ici: https://martinedoytier.com/ecrits/cinq-questions-a/
Où situer Martine Doytier, m'y est-il demandé? Pas dans l'Ecole de Nice, où elle n'était visiblement pas à sa place, ni dans l'art naïf auquel une partie de ses tableaux se rattacha pourtant à un moment, mais plutôt peut-être – mais elle était en avance là-dessus – dans l'art singulier, comme un Chaissac ou un Macréau qui furent eux aussi des précurseurs, avec d'autres (Fred Bédarride, par exemple ; Armand Goupil...).
Frédéric Altmann à l'extrême gauche, Martine Doytier au centre tenant son chien, Anatole Jakovsky à l'extrême droite ; photo X vers 1982.
Vous retrouverez par ailleurs à côté de ce questionnaire le site de l'Association des Amis de Martine Doytier, avec diverses rubriques, informations, galerie d'œuvres, etc...
La liste des auteurs de réponses au questionnaire sur Martine Doytier, telle qu'elle était constituée à la date du 26 juillet 2023.
Martine Doytier, Les autres,130 x 97 cm. collection privée, 1977; photo X.?
21:11 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art singulier, Art visionnaire, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : martine doytier, association des amis de martine doytier, marc sanchez, alain amiel, carnaval de nice, bruno montpied, frédéric altmann, anatole jakovsky, art singulier, art naïf, école de nice | Imprimer
14/07/2023
Les aventures de Napoléon dans le Tour de France
Je dois confesser mon amour des retransmissions du Tour de France cycliste, n'en déplaise aux mauvais esprits qui ne voient que le cirque médiatico-commercial qui l'accompagne, il est vrai de manière passablement parasite. La popularité du Tour, qui existe depuis plus de cent ans, est cause de cette exploitation éhontée par les marchands de saucisson et autres journalistes de télévision vendant les temps de cervelle des fans de vélo aux publicitaires en tous genres (cf. les flashs de pub ne cessant d'émailler les retransmissions). Tous les chimistes (on ne parle plus de dopage, mais qu'en est-il au juste? Il es toujours là, plus puissant que les contrôles anti-dopage ; il est instructif de suivre le site web d'Antoine Vayer: cyclisme-dopage.com) et journalistes s'en mêlent, et notamment les cultureux de service de France Télévision, les Franck Ferrand et autres Florent Dabadie qui profitent eux aussi de la fascination pour les forçats de la route (pas trop mal payés, cela dit, lesdits forçats ; c'est pas les salaires mirobolants des footballeurs, mais c'est tout de même conséquent, voir les montants sur le site Top Vélo) pour nous bassiner avec leurs églises et leurs châteaux de grands aristos et autres capitaines d'industrie dont visiblement ils adorent lécher les derrières, quand ce n'est pas l'occasion de nous tartiner les oreilles et les yeux avec leurs clichés relevant d'un insolite de pacotille, et des spécialités régionales incontournables (encore le saucisson).
Caricature d'Espé, site cyclisme-dopage.com
Il y a les "à côté du Tour", comme ils disent, et quand on parle de culture, il n'y en a que pour les superstitions et les architectures religieuses, l'art ne pouvant sans doute être que d'essence divine. Ferrand, causant avec sa cuillère d'argent dans la bouche, son style "Marie-Chantal" en extase perpétuelle devant les absidioles et autres arcs-boutants, donne une idée de la culture qui est ultra ringarde et scandaleusement unilatérale. Les "à côté du Tour" ne sont jamais pour l'art populaire, les créations véritablement singulières et inventives que le parcours du Tour pourtant relie bien souvent les unes aux autres. A tel point que je me prends à rêver devant mon poste de TV à d'autres chroniqueurs qui nous rafraîchiraient en nous présentant à chaque étape l'auteur d'art brut ou naïf situé dans un des endroits fréquentés par les coureurs durant l'étape.
Le Palais Idéal du Facteur Cheval,à Hauterives (Drôme), carte postale moderne (années 1980).
Cela viendra peut-être un jour, par le retour d'un nouveau Pierre Bonte (qui l'autre jour fut cité du reste parce que le Tour passait par chez lui), qui régala les auditeurs pendant longtemps de ses émissions sur la France dite "profonde", intitulées "Bonjour Monsieur le Maire", qui sait? Il y a deux ou trois ans, on vit ainsi le Palais Idéal du Facteur Cheval surgir vu d'une caméra embarquée sur un drone (Ô, cet œil dronesque qui court au-dessus de la France et de ses magnifiques paysages – là encore, on retrouve une exploitation, à des fins touristiques cette fois –, personnellement, c'est ce qui me retient le plus durant ces retransmissions, surtout lorsque la compétition se révèle morne). Et l'année dernière, je crois, ce fut au tour du LaM de Villeneuve-d'Ascq d'apparaître à l'écran un bref instant, le Ferrand prout-prout s'écorchant la bouche à prononcer le mot d'"art brut" que visiblement il rencontrait pour la première fois. Cette année, à Brantôme, on vit, l'espace d'un bref instant, le splendide bas-relief du Triomphe de la Mort – œuvre insolite et naïve d'un moine semble-t-il – au fond de la grotte qui se situe en marge de l'abbaye, abbaye qui fut bien entendu la seule à bénéficier de l'extase du Ferrand entré quasi en lévitation à ce moment-là. Tout à côté de cette grotte, en outre, se niche également un musée consacré au dessinateur médiumnique Fernand Desmoulin. Le Ferrand rance ignore bien entendu de telles références qui le dépassent.
Napoléon Ier par Jean Molette fils, "sabottier" (1819-1889), au Col des Echarmeaux, photo Bruno Montpied, 1995.
Pierre Martelanche, un exemple de ses sculptures naïves sauvées de la destruction: "L'exploitation par l'Eglise et les patrons", Musée Déchelette à Roanne.
Chaque fois, que le peloton passe dans telle ou telle ville, j'arrive à citer de mémoire dans mes conversations par sms avec un bon camarade d'exploration des lieux bruts les sites qu'on peut y trouver. Et hier, dans la 13e étape, un autre ami m'avait prévenu: le Tour, parti de Roanne (où l'on aurait pu citer les curieuses sculptures en terre cuite de Pierre Martelanche, récemment entrées dans le Musée Joseph Déchelette de la ville), passait, dans les Monts du Lyonnais, au Col des Echarmeaux, situé sur la commune joliment nommé Poule (-les Echarmeaux), fermant les confins de la vallée de l'Azergues.
Installation "artistique" à base de vélos entassés, dans une composition qui fait penser aux "mâts des élus" ; à gauche dans le fond on voit le Napoléon et sa "jaunisse" ; Col des Echarmeaux, photo Jean Branciard, juillet 2023.
Le Napoléon sous camisole jaune ; ph. J. Branciard, juillet 2023.
Et voilà-t-y pas que le maire (ça doit être lui, le "coupable") avait eu la brillante idée de vêtir le Napoléon Ier, qui trône sur la place centrale du village, dû au sculpteur-sabotier Jean Molette (cf. mon Gazouillis des éléphants où j'ai parlé tant et plus de lui et de ses sculptures sur pierre ou sur bois, ainsi que sur ce blog du reste), d'un... maillot jaune! Cela lui allait aussi bien qu'une camisole. A laquelle cette vêture ressemblait passablement du reste, puisqu'on n'avait pu la lui faire enfiler par les bras, ceux-ci étant solidaires du tronc. Derrière ce travestissement, se lit aussi la désinvolture qui marque les animateurs de l'endroit. Il y a quelques années, existait encore une maison de Jean Molette, où devaient être conservés diverses œuvres et documents relatifs à cet artiste populaire autodidacte, sabotier bonapartiste naïf. Une dispersion eut lieu à une date non précisée, puisqu'il m'advint de découvrir – et d'acquérir –, à Paris, dans une foire à la brocante, un magnifique panneau sculpté en relief qui provenait probablement de cette maison et de ce village (je l'ai reproduit dans diverses publications, notamment dans mon Gazouillis des éléphants) tout à la gloire de l'empereur Napoléon III, écrasant de sa gloire (de looser de la guerre de 1870 sans doute), tous les rois de France, présents sous forme de médaillons, autour de lui en train de caracoler. Molette sculptait la pierre (il existe d'autres statues de lui sur place, notamment une Madone géante et aussi un Napoléon III, cette fois en pierre, voir ci-dessous) et le bois aussi, sans doute en premier ce dernier, logiquement puisque son métier de sabotier le lui avait rendu familier.
Jean Molette, Napoléon III, carte postale XXe siècle (merci à Julien Gonzalez (et non pas Rodriguez) qui me l'a signalée), coll. B.M.
Exploit: la capture d'écran du moment où la télévision française a montré – Ô combien subrepticement! – les coureurs échappés passant devant le carrefour au Napoléon naïf et enjaunifié (voir en arrière-plan la statue à côté des panneaux de signalisation)... ; bien entendu, il n'en fut nulle part question dans les commentaires cultureux du jour... : ph. B.M., 2023.
09:27 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jean molette, sculpteur-sabotier, col des écharmeaux, napoléon ier, statuaire naïve, art naïf, tour de france, à côté du tour, franck ferrand, culture, art populaire et vélo, art populaire et tour de france, salaires des cyclistes, spectacle et cyclisme, pierre martelanche, camisole de force, maillot jaune, dopage | Imprimer
18/05/2021
Une caricature de Régis Gayraud
Régis Gayraud, "Pardon Madame...", dessin au crayon sur tache réalisée préalablement par Bruno Montpied aux crayons aquarelle sur papier, 31 décembre 2019, coll. B.M.
01:18 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : régis gayraud, bruno montpied, art naïf, caricature | Imprimer
04/02/2021
L'Enfer, et les péchés capitaux qui, paraît-il, y mènent tout droit...
A. Dip..., sans titre (les péchés capitaux et l'enfer), huile sur Isorel, 26 x 40 cm, sans date, photo et collection Bruno Montpied..
Colère, orgueil, avarice, paresse, luxure, gourmandise, envie... De gauche à droite, ces mots sont inscrits. A chaque fois, ils sont illustrés de saynètes où des démons rouges comme les feux de l'enfer tarabustent les pécheurs, peints en bleu ou gris, symbolisant chaque péché capital. Le colérique tire les cheveux d'un personnage qui se renverse devant lui, ayant déjà perdu une touffe de sa chevelure, semble-t-il. Un diablotin s'enfuit avec le sac d'or d'un avare affolé qui lui court après. Trois démons se moquent d'un couronné ventripotent en retenant sa cape trop longue, ce qui le met sur le point de tomber en arrière. Le paresseux vautré sur un siège se fait titiller par un diable qui le pique sous le menton à l'aide d'une lance. La gourmandise et l'envie batifolent, dévorés par leur appétit qui métamorphose le ventre de l'un des deux en un visage à la bouche grande ouverte. Une femme nue aux seins lourds danse avec un être décharné que l'amour (symbolisé par une rose qu'il tient à la main) consume, tandis qu'un premier démon s'apprête à lui percer le flanc et qu'un second se prépare à les saisir. Sans doute pour les précipiter dans les marmites géantes et les flammes que l'on aperçoit en arrière-plan, au sommet de la composition, où d'autres pécheurs sont jetés pêle-mêle, certains tentant d'échapper à leur sort dans un ultime sursaut. Le roi des diables est assis sur un piédestal au centre, présidant aux supplices et à la damnation, curieusement habillé d'une veste à capuche qui laisse voir sa barbiche noire et pointue (il paraît avoir les jambes nues, chaussures aux pieds, et porte un curieux slip détendu qui laisse voir des poils de son pubis...). Il tient de sa main gauche un trident où paraît embroché un corps tandis que sa main droite écarte sept doigts, sept comme les péchés capitaux, semble-t-il rappeler aux spectateurs qui n'auraient décidément pas compris...
Ce tableau, trouvé aux Puces de Vanves, est signé, mais son écriture s'avère difficile à déchiffrer : A. Dip... eux? A. Dipunz? Je n'ai rien trouvé sur le Net qui puisse éclairer sur l'artiste auteur de cette peinture se voulant édifiante avec un écho lointain des tableaux médiévaux représentant les tourments de l'enfer promis par les gens d'église aux pécheurs de tous poils... La touche de ce petit Bosch naïf m'a sauté aux yeux et m'a séduit aussitôt.
01:23 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art insolite, Art naïf, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : enfer, sept péchés capitaux, diable, démons, diablotins, gens d'église, art naïf, feux de l'enfer, a. dipunz, bosch naïf, moyen-âge, colère, orgueil, avarice, paresse, gourmandise, luxureenvie | Imprimer
26/10/2020
Du nouveau pour la mémoire de Martine Doytier
M. Alain Amiel m'a écrit – suite aux notes que j'avais consacrées à cette artiste – pour me signaler la constitution d'une Association des Amies et Amis de Martine Doytier, forte à l'heure où je trace ces lignes de cent adhérents (pour en faire partie, cliquer ici). Cela fait beaucoup d'amis... Cela s'accompagne de la création d'un site web entièrement consacré à elle: http://martinedoytier.com/.
Martine Doytier "enchaînée" sous les essuie-glaces d'une camionnette, de Ben apparemment (je dis "apparemment" car la photo – extraite du site des Amis de M.D. – n'a pas de légende, me semble-t-il).
Martine Doytier avec son chien "qui n'aimait qu'elle", photo extraite du site web des Amis de M.D ; elle paraissait bien défendue...
Sur ce site, on trouve un lien vers Instagram avec des photos d'œuvres retrouvées ainsi que des portraits de Martine Doytier, cette artiste qui fut classable un temps dans l'art naïf (elle fréquenta Frédéric Altmann et Anatole Jakovsky) et aussi dans une forme d'art visionnaire (assez tourmenté). Les photos représentent, me semble-t-il, souvent des détails de peintures (pour avoir le titre, les dimensions de la totalité du tableau il faut cliquer sur l'icône montrant un schéma de maison en haut de l'écran, je dis ça pour les Nuls dans mon genre que l'on a oublié d'initier aux arcanes d'Instagram). Est frappante cette grande peinture sur triptyque, que l'artiste laissa inachevée après son suicide en 1984, une sorte de portrait grouillant, visionnaire, des différents protagonistes de la vie artistique niçoise que côtoya Martine Doytier (voir ci-dessous).
Triptyque de Martine Doytier (inachevé), Autour de Nice, avec son autoportrait en peintre vers la droite.
Dans la première Newsletter de l'Association, je retiens la déclaration suivante au sujet des peintures non encore répertoriées de Martine Doytier : "Nous avons lancé une opération de recherche pour tenter de retrouver certaines des œuvres qui ne sont pas localisées ou qui nous sont encore inconnues ! Peu à peu, nous avançons, mais il y a encore beaucoup à faire ! A ce jour, environ une soixantaine d’œuvres est identifiée dont moins de la moitié est localisée. Cela veut dire que nous en connaissons les propriétaires et que nous sommes donc en mesure de documenter les œuvres, voire d'en demander le prêt lorsque nous organiserons une exposition." Le but de ces recherches et de la fondation de l'association est bien de construire le catalogue raisonné de l'œuvre de cette peintre restée si longtemps dans l'ombre de l'Ecole de Nice. C'est ce à quoi s'est attelé Alain Amiel, en même temps qu'à une biographie actuellement en chantier, quoique bien avancée.
Martine Doytier, peinture au titre non identifié, 2F, huile sur Isorel, 1952, collection Jean Ferrero (que je remercie de me l'avoir montrée), ph. Bruno Montpied.
Verso de la peinture précédente, coll. Jean Ferrero, ph. B.M.
"Un appel est donc lancé à tous ceux qui détiendraient des documents ou des informations permettant de retrouver les œuvres de cette artiste." (Site web de l'association). Pour transmettre d'éventuelles infos inédites sur cette artiste, il faut écrire à : <catalogue.martinedoytier@gmail.com>. Un numéro de téléphone est aussi disponible pour ceux qui préfèrent causer de vive voix: +33 6 08 91 56 24.
Qu'on se le dise.
17:16 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art naïf, Art singulier, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : martine doytier, alain amiel, association des amis et amies de martine doytier, école de nice, jean ferrero, art naïf, art visionnaire, art moderne, catalogues raisonnés | Imprimer
04/05/2020
Le cahier d'une enfant, Blanche Nicard, pendant la Grande Guerre
Une ancienne voisine, sculptrice dans le binôme d'artistes Ange et Dam', Blandine Gautier, a mis récemment en ligne sur Youtube un petit film consacré à un cahier de dessins fort naïfs, retrouvé dans les archives de sa grand-mère, Blanche Nicard, mariée Rocchiccioli par la suite (elle vécut de 1905 à 1994). Il date de 1918, à la fin de la Grande Guerre donc. Blanche avait 13 ans.
Film de Blandine Gautier sur le carnet illustré de sa grand-mère Blanche Nicard (13 ans au moment du cahier).
Voici quelques scans extraits du cahier de Blanche, et prêtés par Blandine (que je remercie hautement ici) :
Pas si "confinée", la Blanche, puisque, apparemment, elle se réfugiait dans les abris souterrains qui protégeaient des tirs allemands du puissant canon appelé "la Grosse Bertha" qui bombardait de loin Paris.
Je trouve fort précieux ce type de manuscrit illustré. Non seulement, il touche émotionnellement par la fraîcheur de ses graphismes, mais aussi, il offre un exemple de ce que peut être une écriture graphique naïve dans sa transition de l'enfance à l'âge adulte. Chez la plupart, la naïveté disparaît au cours de cette transition. Chez quelques peintres, dits "Naïfs" (avec pertinence, et sans arrière-plan dénigrant), ou Bruts (pour les plus innovants d'entre eux), le don perdure inexplicablement, "l'écriture" s'approfondissant et se métamorphosant quelque peu. Pour Blanche, il semble qu'il n'y eut pas de prolongement à l'âge adulte de ces velléités graphiques. A peine se souvient-on dans sa famille (témoignage de Blandine Gautier) qu'elle pratiqua la musique par la suite au point de la faire apprendre aux sept enfants qu'elle mit au monde, dont l'un d'entre eux, Claude, tante de Blandine, joue du piano dans le film...
Ce carnet – intitulé par Blandine, par adaptation à la situation de pandémie actuelle, "Journal de confinement", alors qu'il ne s'agissait que d'un carnet au fond fait pour se distraire, par une adolescente qui dessinait des scènes de son époque, et sans rapport étroit non plus avec la grippe dite espagnole qui sévissait à la même époque (ma propre grand-mère a été fauchée par elle) –, ce carnet est à rapprocher, par la qualité de ses graphismes ingénus, d'autres cahiers ou journaux illustrés dont j'ai parlé sur ce blog dans des notes plus anciennes, par exemple le livre de Marguerite Bonnevay, celui de Joseph Laporte, ancien soldat de la campagne d'Egypte, ou encore le manuscrit de Gabriel Papel.
Le cahier de taches pliées de Gaston Croizé
J'avais été, dans cette même série de livres à un exemplaire, fort séduit par un autre cahier, rempli de taches symétrisées type des tests de Rorschach, qui était passé en ventes à Drouot voici plusieurs années. L'auteur s'appelait Gaston Croizé et son recueil datait des environs de 1910 (voir illustration ci-dessus). On peut aussi penser au journal illustré de l'ancien marin aux aquarelles japonisantes semi-naïves, Paul-Emile Pajot, dont la revue 303, consacrée au patrimoine des Pays de la Loire, publia un choix des plus belles pages dans son n°108 en 2008. J'aurais dû également parler des enluminures à la fois naïves et raffinées d'un disciple du Félibrige, réalisées autour de 1900 à St-Remy-de-Provence par Augustin Gonfond, sur qui je possède de la documentation depuis des années, mais dont j'ai négligé de m'occuper lorsque je vis un autre blog parallèle l'évoquer...
Augustin Gonfond, portrait de sa fille Joséphine, 1895, musée des Alpilles, St-Rémy-de-Provence.
Augustin Gonfond, monstre d'aspect satanique, extrait de l'Ouro de Santo Ano, 1904, musée des Alpilles, St-Rémy-de-Provence.
Journal du musée des Alpilles de St-Rémy-de-Provence qui servit en 2005 de catalogue à leur exposition sur Gonfond.
15:35 Publié dans Art Brut, Art de l'enfance, Art immédiat, Art naïf, Cahiers et manuscrits naïfs ou bruts | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : blanche nicard, manuscrits naïfs enluminés, blandine gautier, dessins naïfs de la grande guerre, art naïf, gabriel papel, gaston croizé, taches de rorschach, augustin gonfond, enluminures naïves, joseph laporte, paul-émile pajot, 303 | Imprimer
07/04/2020
La tour Eiffel, horizon pour aspirants aux chimères
La célèbre Dame de fer qui symbolise la ville de Paris a été reproduite à l'infini, notamment par (et chez) ceux qui sont eux aussi des sortes de bâtisseurs de rêve au petit pied, à savoir les habitants-paysagistes naïfs ou bruts, ayant laissé derrière eux maints jardins et environnements spontanés et insolites. L'art populaire aussi en est particulièrement hanté, son aspect de tour de Babel pointée vers l'infini plongeant dans une rêverie hantée de chimères tous les amateurs de travaux d'Hercule interminables. C'est un modèle insurpassable dans la direction duquel ils se doivent d'aller... Ils en perçoivent immédiatement l'absolue inventivité, le prodige de sa technique révolutionnaire pour l'époque (une architecture de fer, sa forme "babélienne").
Henri Travert (ancien ouvrier) et sa tour Eiffel (une quinzaine de mètres de haut environ), à L'Aunay des Vignes, Fougeré, Maine-et-Loire, photos (vue générale et détail avec les fers à cheval soudés qui composent la tour..) Bruno Montpied, 2003 et 1991.
Une représentation de la tour par un fils d'Henri Travert, peinture et assemblage de baguettes de bois sur panneau.
J'y repensais ces derniers jours après avoir reçu de M. Philippe Didion (j'en profite pour le remercier) la photo de la tombe d'un certain Claude Maudeux, maire de sa commune, dans le cimetière creusois de Vigeville, couverte par la maquette d'une autre tour Eiffel comme de juste, placée là non seulement par admiration pour les maçons creusois qui bâtirent tant de bâtiments célèbres de Paris, mais aussi pour faire la nique aux symboles religieux des sépultures voisines (l'anticléricalisme étant chose bien partagée dans le Limousin)...
Photo Philippe Didion, 2019.
La tombe à la tour Eiffel, ph. Philippe Didion, 2019.
Elle me fait penser par association d'idée à une autre maquette de tour, placée cette fois plus en hauteur, en tant qu'épi de faîtage, en Ille-et-Vilaine, telle qu'elle a été dévoilée dans le catalogue d'une ancienne exposition de l'Ecomusée du pays de Rennes (2010-2011) "Compagnons célestes, épis de faîtage, girouettes, ornements de toiture" (édité par Lieux dits en 2010).
Epi de faîtage à Plerguer, photo Norbert Lambart.
Chez les habitants-paysagistes naïfs ou bruts aimant animer leurs espaces intermédiaires entre habitat et route – une bonne partie d'entre eux le font pour le public des passants dans une communication immédiate avec leur voisinage, sans penser aux prolongements médiatiques que cela peut induire... –, des tours Eiffel surgissent de temps à autre telles des mascottes.
Tour Eiffel d'André Bindler à l'Ecomusée d'Alsace à Ungersheim près de Mulhouse, ph. B.M., 2013.
André Hardy (à Saint-Quentin-les-Chardonnets, Orne) avait confectionné au moins deux tours Eiffel, une dans chaque partie de son jardin, en voici une, coincée entre autruche et bœufs, ph. B.M., 2010.
Joseph Donadello a lui aussi réalisé à Saiguèdes (Haute-Garonne) une tour, parmi de nombreuses statues et autres monuments recréés naïvement, ph. B.M., 2008.
Emile Taugourdeau (Sarthe), dans son jardin aux 400 statues (environ, et non pas 900, comme dit Mme Taugourdeau dans Bricoleurs de paradis...), à côté de Bernard Hinault, avait installé une tour..., ph. B.M., 1991.
Jean Grard, à Baguer-Pican (Ille-et-Vilaine), avait sculpté une tour qu'il avait appelée la Picanaise (une version régionale de la tour, en somme) et où il avait installé des personnages aux yeux faits de billes, ph. B.M., 2001.
Marcel Dhièvre, sur sa maison à Saint-Dizier (Haute-Marne) qu'il avait nommé "Au petit Paris", avait, entre autres thèmes, lui aussi évoqué la tour Eiffel, ph. B.M., 2013.
Peut-être la plus extraordinaire des tours Eiffel, celle de Petit Pierre (Pierre Avezard) telle que conservée dans le parc de la Fabuloserie, à Dicy, dans l'Yonne, où a été sauvegardé son "Manège" (constitué d'autres réalisations étourdissantes d'ingéniosité naïve), en provenance du site originel qui était à la Faye-aux-Loges dans le Loiret ; cette tour fut bâtie par son auteur ayant grimpé à l'intérieur jusqu'à son sommet ; ph. B.M., 2015.
Tour Eiffel d'un certain Perotto à Darney (Vosges), parmi d'autres maquettes de monuments recréés, ph. B.M., 2016.
Une tour Eiffel très stylisée, en mosaïque, créée par Aldo Gandini à Montrouge (Hauts-de-Seine), ph. B.M., 2012.
En dehors des créateurs d'environnements spontanés, on trouve aussi chez certains auteurs d'art brut, ou d'art naïf et populaire, des effigies de la fameuse tour, réalisées à plat ou en volume.
Arsène Vasseur, meuble original d'hommage à la tour Eiffel, réalisé dans sa maison à Amiens (Somme), et conservé au Musée de Picardie.
Anonyme, vue de la tour Eiffel (peinture et gravure sur panneau de bois en léger relief), avec l'ancien palais du Trocadéro en fond vraisemblablement (à moins que ce ne soit l'Ecole militaire?), ph. et coll. B.M.
Détail d'une enluminure naïve d'Augustin Gonfond, extraite du Livre de communion de sa fille Joséphine, 1890.
M. Manilla, tour Eiffel en os et têtes de mort, calavera en zincographie, Musée national de l'estampe, Mexico ; tradition populaire mexicaine.
Rochelle, scène de mariage semblant se passer au début du XXe siècle à Paris (présence de soldats en pantalons garance (un garde suisse est aussi présent, mais il y en a eu jusque vers 1950 à Paris), dirigeable d'un certain type dans le ciel), mais peinte peut-être après 1920, car il s'agit là d'une huile peinte sur de l'Isorel, matériau apparu après cette date apparemment ; une tour Eiffel en arrière-plan signe la ville où se déroule l'action ; ph. et coll. B.M.
Miguel Hernandez, Les crêtes de Paris, 55 x 46 cm, huile sur isorel, 1951.
Virgili, tour Eiffel, ancienne collection de l'Aracine, aujourd'hui au LaM de Villeneuve-d'Ascq.
Joseph Donadello, autre effigie de la tour (datée de 1899, probablement par erreur, si Donal pensait à sa date de construction, 1889), cette fois à plat, parmi ses collections de peintures personnelles, ph. B.M., 2015.
Anonymes, carte postale ancienne, une tour probablement éphémère, bâtie pour une fête de bienfaisance en 1928 à Oyonnax.
Tour Eiffel en osier, Ecole nationale d'Osiericulture, Fayl-Billot (Haute-Saône), ph B.M., 2007.
Moins connue peut-être, il existe une tour Eiffel souterraine! En mosaïque d'ossements, dans les Catacombes parisiennes, ce qui la rapproche de l'estampe populaire mexicaine ci-dessus.
Enfin, pour ne pas fatiguer outre mesure nos lecteurs, terminons sur deux images véritablement inattendues, d'abord celle ci-dessous...
Cherchez la tour... parmi cette panoplie d'accroche-tableaux qui étaient encore récemment présentés en devanture de la boutique Sennelier sur les quais de la Seine.
Enfin, il fallait y penser, mais "ils" y ont pensé, les marchands de sex-toys du quartier de Pigalle à Paris, il fallait à l'évidence réunir les souvenirs touristiques de Paris aux jeux sexuels qui font l'apanage bien connu de ce quartier, l'aspect phallique de notre monument de fer y inclinant naturellement...
Godemichets en forme de tours Eiffel, pour bien la sentir passer..., ph. B.M., 2016.
Dernière image – car je me suis dit qu'elle manquerait par trop à cette note, qui nous la donne à voir sous différents regards - il me paraît judicieux de montrer ce que regarde la tour, elle... Du moins, comme ci-dessous, lorsqu'elle se tourne vers le nord-ouest, dans un tableau à l'étonnante perspective aérienne, véritablement fourmillant de détails... qui sont autant de petits hommes...
André Devambez (1867-1944), vue de la tour Eiffel, l'exposition de 1937 (le palais de Chaillot au fond de la perspective), Musée des Beaux-Arts de Rennes.
12:45 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Environnements populaires spontanés, Erotisme populaire, Paris populaire ou insolite | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : tour eiffel, art naïf, art brut, environnements populaires spontanés, joseph donadello, arsène vasseur, miguel hernandez, art populaire mexicain, sculpture en osier, catacombes parisiennes, augustin gonfond, virgili, petit pierre, aldo gandini, andré hardy, marcel dhièvre, jean grard, emile taugourdeau, andré bindler, épis de faîtage, art funéraire, anticléricalisme, claude maudeux, andré devambez | Imprimer
04/02/2020
Un tableau de Camille Van Hyfte, avec interprétation quasi automatique de Bihalji-Mérin
Ici, j'ai l'occasion, simultanément, d'entamer une nouvelle catégorie de ce blog, les écrits de personnalités en rapport avec les arts de l'immédiat ("Ecrivains et arts de l'immédiat"), en l'occurrence l'historien d'art Oto Bihalji-Mérin, pour sa façon d'interpréter un tableau sous une forme poético-littéraire, peut-être pas totalement contrôlée, comme je l'ai déjà pratiqué personnellement dans des notes précédentes de ce blog (voir cette autre catégorie que je crée aussi aujourd'hui, "Lecture d'images", à ne pas confondre avec la rubrique "Délires d'interprétation", quoique la frontière soit parfois ténue...). Le but premier est de rendre avant tout l'écho de l'image chez l'interprétateur, honnêtement, sans faire de fioritures littéraires, et en laissant passer des propos relevant d'associations d'idées, d'intuitions... Ici, on retire vraiment l'impression que Bihalji-Mérin a lâché les chevaux du rêve éveillé dans son évocation du tableau de Van Hyfte, d'une manière peu usuelle, me semble-t-il, chez lui.
C'est en cherchant des informations sur le peintre belge Camille Van Hyfte, peintre boucher hippophagique¹ d'origine flamande, et coureur cycliste aussi, par la suite installé en France, dans l'Oise, à Mouy (au nom curieux, on dirait un assentiment mou...) dont un vieux numéro de la revue Phantômas (n°7-8, de 1956, spécial Art Naïf) reproduisait en noir et blanc un tableau, que j'ai rebondi ensuite vers un livre de 1960 où il y avait le même tableau en couleur avec l'interprétation de Bihalji-Mérin, que je reproduis ci-dessous :
Camille Van Hyfte (1886-1960), Intérieur avec fleurs, ancienne collection Edmonde Charles-Roux, reproduit en couleur dans Oto Bihalji-Mérin, Les peintres naïfs, Delpire éditeur (1960).
"Ainsi son Intérieur avec fleurs, d'une perspective gauche et ramassée, offre-t-il une harmonie de tons fanés, comme étouffés, où même le bouquet traité en touches vives semble s'éteindre dans l'atmosphère vieillotte et petite-bourgeoise. On dirait que les tables aux pieds tournés, les deux chaises et les deux fauteuils, seuls meubles de cette chambre vide, attendent d'entrer en scène. Sous les énormes fleurs, le vase de porcelaine blanche ornée de motifs, a quelque chose d'insolite. Il n'y a jamais eu personne pour le poser là. La disproportion dans le rapport des objets entr'eux, comme le rapprochement inattendu des tons, laissent une impression étrange : on croirait que quelque chose vient de se passer là, que nous sommes incapables de savoir, ou que quelque chose d'insoupçonnable va arriver, et peut-être pas dans le domaine humain."
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¹ Le seul boucher hippophagique de l'art naïf à ma connaissance!
16:45 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Ecrivains et arts de l'immédiat, Lecture d'images, Littérature, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : art naïf, camille van hyfte, boucherie hippophagique, phantômas, oto bihalji-mérin, lecture d'images | Imprimer
10/08/2019
Réhabiliter l'art naïf de qualité, trier le mauvais grain de l'ivraie...
Louis-Auguste Déchelette
Erich Bödeker, Autoportrait assis sur une chaise, musée de Thurgovie, Suisse.
Erich Bödeker, groupe, photo transmise par les Amoureux d'Angélique.
Erich Bödeker, Famille royale (?), photot transmise par les Amoureux d'Angélique.
Bruno Bruno, Romantica, huile sur toile, 65 x 50 cm, Lyon, 1973, ph. et coll. Bruno Montpied ; ce tableau a été chiné à l'origine par Jean-Louis Cerisier qui a eu la gentillesse de me le céder.
L. Plé, sans titre (un homme en train de se noyer), huile sur toile, 22,5 x 33,5 cm, sd (milieu XIXe siècle ?), ph. et coll. B.M.
Abram Topor, un paysage, collection privée région parisienne (Abram était le père de Roland Topor), photo B. M.
E. Daider, Le Grand bal, bas-relief en plâtre peint, oeuvre découverte par Claude Massé, don famille Michel, Atelier-Musée Fernand Michel,1970 ; ph. B.M. ; cet auteur est inconnu, ce me semble dans le corpus connu de l'art naïf, du moins dans celui qui a été circonscrit par les livres de Jakovsky ou de Bihalji-Merin ; de celui-ci, on consultera toujours avec fruit, pour se faire une idée des plus qualitatives et variées, son monumental ouvrage, rédigé en compagnie de Nebojša-Bato Tomašević, L'Art naïf, Encyclopédie mondiale, paru chez Edita en 1984.
12:47 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : art naïf, art brut, surréalisme et art naïf, déchelette, louis roy, trouillard, séraphine, fejes, bosijl, réalisme intellectuel, beranek, trillhaase, erich bödeker, anonymes naïfs, bruno bruno, anatole jakovsky, otto bihalji-merin, abram topor | Imprimer
09/07/2019
Info-Miettes (34)
Jean-Louis Cerisier à l'ouest
L'ami aux cerises expose avec une certaine Emilie Collet grâce à l'association LFLF2015 au 56 Ile d'Errand 44550 Saint-Malo-de-Guersac. Du 17 Juillet au 31 Juillet. Et ce, tous les jours de 16h à 20h. Ou sur rendez-vous : 06 18 97 13 63. Qu'on se le dise. Info pour tous ceux qui iront traîner leurs guêtres par là. Le 44, c'est la Loire Atlantique, où je me suis laissé dire que Jean-Louis Cerisier, né à Châteaubriant dans le même département, habitait désormais. Retour aux sources...
Peinture récente de Cerisier...
François Monchâtre et Alain Pauzié au Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier (MANAS) de Laval
Restons dans l'Ouest. J'aurais même dû commencer par là pour un voyageur venant de l'est, et de Paris par exemple, à Laval, au musée du Vieux Château qui a ajouté à sa déjà riche collection d'art naïf tout un département consacré à l'art singulier (dont le signataire de ces lignes fait partie), va ouvrir une expo consacrée à un ancien de l'art singulier, Alain Pauzié, qui s'était fait connaître autrefois (dans les années 1990) en peignant sur des semelles de chaussure. A l'exposition "Art brut et compagnie" les animateurs de la Halle St-Pierre à Paris, qui montaient l'expo en 1995, avaient du reste trouvé très spirituel de m'exposer à côté de lui. Montpied avec les semelles... Très finement observé, vous dis-je.
"La rétrospective qui lui est consacrée présente 110 œuvres datées de 1969 à 2016. On pourra y retrouver peintures, dessins, art posté, semelles peintes, « Bons à rien », et cuirs scarifiés", nous dit le dossier de presse.
Déjà commencée depuis le mois de juin, on pourra également voir tout l'été (ou presque) une autre personnalité importante de la mouvance des grands singuliers, François Monchâtre, à qui le musée de Laval consacre une rétrospective également, en 55 oeuvres, qui va de ses premiers OPNI (Objets Peints Non Identifiés) montrés chez Iris Clert dans les années 1970, en passant par ses machines dites "automaboules" (dont la Fabuloserie a toujours montré un brillant exemple à Dicy), jusqu'à ses cohortes de "Crétins", personnages clonés redoutables.
Comme on le voit, le MANAS de Laval, qui édite désormais des "Petits MANAS illustrés", accompagnant chaque exposition-dossier, a mis les petits plats dans les grands pour cette saison estivale.
"Du Bic dans le buisson", Saint-Sever-du-Moustier
Dessin de Gabriel Evrard
Pour cette expo-là, cette fois, il faudra descendre plus au sud, vers Saint-Affrique, dans l'Aveyron, dans le charmant et discret village de St-Sever-du-Moustier où chaque été le Musée des Arts Buissonniers s'efforce d'organiser une manifestation artistique hors des chemins battus (d'où le "buisson" dans le titre de l'expo qui renvoie aussi au nom du musée).
Cette année, les responsables du lieu sont allés creuser du côté des oeuvres exécutées à coup de stylo Bic. Bonne idée. L'outil en question facile à se procurer, traîne dans les poches, disponible à tout instant pour satisfaire le besoin irrépressible de griffonnage. Plus immédiat que lui, il n'y a rien. A part le café renversé, la tache de sang, le jus des fruits ou des sèves...
La liste des artistes, dont on pourra apercevoir sans doute une oeuvre pour chacun d'entre eux, paraît alléchante et foisonnante que l'on s'en convainque en la détaillant ci-dessous. Parmi eux, je distinguerais particulièrement Kashinath Chawan, Karl Beaudelère, Janko Domsic, Guyodo...
Au Carla-Bayle (Ariège), un certain Lucien Grelaud...
Peintre et créatif varié apparemment, ce monsieur qui n'est exposé que durant cinq jours, du 10 au 15 juillet (ça commence demain donc), porte un patronyme qui pourrait faire jaser les amateurs d'aptonymes. Il serait trop facile, et surtout malveillant, en effet, de l'accuser d'être porteur des fameux grelots que l'on attribue aux bonnets des anciens fous... C'est Martine et Pierre-Louis Boudra, qui animent toujours leur petit Musée des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle (village d'art comme St-Paul-de-Vence, la notoriété en moinsse...) qui m'ont avisé de cette exposition (c'est eux, "l'association Gepetto"). Cela m'a l'air tout à fait alléchant.
Dimitri Pietquin et "Art Brut et apparentés, 30 ans de création franche"
Dimitri Pietquin est un quadragénaire (et non pas un "quarantenaire" comme je l'ai entendu dire dans les media à plusieurs reprises ces jours-ci, nouvelle mode idiote de journalistes illettrés sans doute) épris de véhicules, ce qui est assez fréquent parmi les pratiquants d'ateliers pour handicapés mentaux – sans doute par réminiscence d'anciens jouets manipulés durant l'enfance? –, qu'il dessine grâce, nous dit le carton d'invitation à son exposition à Bègles (du 7 juin au 1er septembre 2019), à sa "technique mixte", en tout cas souvent auréolés d'une brume comme due à une vaporisation de fixatif trop zélé... Voir le trolley figurant ci-dessous...
A Bègles, autre exposition en parallèle (du 7 juin 2019 au 5 janvier 2020), consacrée à l'anniversaire de ce qui s'appela autrefois la galerie Imago, puis le Site de la Création franche, puis enfin le Musée de la Création Franche, une aventure qui a duré trente ans déjà... Et, coïncidence aussi, on attend également en ce début de juillet (il tarde beaucoup d'ailleurs, je trouve) le n°50 de la revue du même nom dont les trente ans ne seront fêtés que l'année prochaine (le 1er numéro a paru en octobre 1990 en effet). Un certain nombre de rencontres sont prévues dans le cadre de cette expo ("Art brut et apparentés, 30 ans de création franche"), voir ci-dessous.
Rature ci-dessus parce qu'on m'a invité, en tant que "partenaire particulier", à remplacer Nico Van der Endt, indisponible, alors que le carton était déjà imprimé (eh oui, j'ai été dès le départ un soutien de la création franche, en 1989 ; à tel point que je pourrais moi aussi prétendre au qualificatif d'"historique", au même titre qu'un Bernard Chevassu, par exemple...).
13:46 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jean-louis cerisier, lflf2015, île d'errand, art naïf, art singulier, alain pauzié, manas de laval, du bic dans le buisson, arts buissonniers, saint-sever-du-moustier, gabriel evrard, guyodo, kashinath chawan, karl beaudelère, françois monchâtre, création franche, dimitri pietquin, 30 ans de création franche | Imprimer
05/07/2019
Antonio Ligabue, proposé par le museum Im Lagerhaus à St-Gall comme un "Van Gogh suisse"
Antonio Ligabue, ce peintre autodidacte, présenté depuis belle lurette comme un Naïf ou un Expressionniste spontané italien par divers commentateurs (Zavattini en Italie, José Pierre ou Jakovsky en France), qui vécut entre 1899 et 1965, est né, on le sait peu, à Zürich, et a passé sa jeunesse en Suisse dans différentes régions, dont l'Appenzell, jusqu'à ses 19 ans, âge auquel il fut expulsé de Suisse vers l'Italie – où il dut se résoudre à vivre, en dépit d'une nostalgie de son pays de jeunesse qui le poussa quelquefois à des velléités de retour, bien vite réprimées par les carabiniers...
Ligabue, c'est le Douanier Rousseau qui aurait lâché les fauves dans ses jungles.
"Antonio Ligabue, le Van Gogh suisse"...
Ayant vécu la majeure partie de sa vie en Italie, et ayant des parents tous deux originaires de ce pays, l'attribution de la nationalité italienne est généralement conférée au peintre... Le musée Im Lagerhaus ("L'entrepôt"), à St-Gall, spécialisé dans l'art brut et naïf de Suisse orientale, lui consacre une exposition du 2 avril au 8 septembre 2019 pour souligner qu'en fait on pourrait tout autant attribuer une imprégnation culturelle suisse à Ligabue, histoire en quelque sorte de réparer ce que le musée considère comme une injustice commise par le pays à l'égard de cet artiste sauvage étonnant, à la vie terrible... Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette tentative de réparation, il faut plonger quelque peu dans la biographie d'Antonio Ligabue...
Violence des luttes prédatrices... Un des nombreux tableaux de luttes ou de menaces bestiales de Ligabue.
Antonio Ligabue, renard fuyant avec son butin...
Sa mère, Elisabetta Costa était une émigrante, donc, originaire d'Italie (précisément la province de Belluno) ainsi que, semble-t-il, son père, sur lequel sa biographie ne peut donner de renseignement bien précis. Il y a beaucoup de mystère autour de celui-ci... On sait seulement que sa mère épousa deux ans après la naissance d'Antonio, et un an après que ce dernier avait été confié à des parents adoptifs d'origine allemande (Ligabue gardera du coup toute sa vie l'allemand comme langue maternelle...), un Italien, Bonfiglio Laccabue, qui légitima l'enfant, sans que l'on sache s'il était son vrai père biologique ou seulement un beau-père. Ce Laccabue était originaire de Gualtieri, ville proche de Reggio-Emilia. C'est à partir de ce patronyme qu'Antonio changera son nom, au départ celui de sa mère, Costa, en adoptant Ligabue, dérivatif de Laccabue. Le musée Im Lagerhaus souligne que le petit Antonio ne rencontra cependant jamais ce père (il fut remis à ses parents adoptifs après ses neuf premiers mois), qu'il n'avait pas reçu la nationalité suisse et que donc il était officiellement domicilié à Gualtieri, la ville de l'homme qui l'avait reconnu...
Un des nombreux autoportraits d'Antonio Ligabue.
Comme si ces rapports troublés avec ses parents biologiques ne suffisaient pas, le jeune Antonio entama avec sa mère adoptive, Elise Hanselmann, une relation d'amour/haine particulièrement étrange (à se demander s'il n'y eut pas une relation "symboliquement incestueuse" sous-jacente ?). Il semble, de plus, qu'Antonio ait développé des difficultés relationnelles avec ses semblables assez tôt, puisque, à son adolescence, il est admis dans un institut pour handicapés dont il sera expulsé trois à quatre ans plus tard, en raison de "mauvais comportements" (sa biographie précise qu'on lui avait reconnu parallèlement une certaine habileté dans le dessin). A la suite d'une crise violente contre sa mère adoptive (crise passionnelle?), il est interné quatre mois. De façon intermittente, il tente d'exercer le métier d'agriculteur, et mène une vie errante. Durant ces vagabondages, on pense qu'il fut peut-être amené à rencontrer certains peintres naïfs ambulants de l'Appenzell. Sa biographie n'est pas diserte là-dessus, mais on peut penser qu'il est fait allusion ici à cette "école" de peinture spécialisée dans les "poyas", ces peintures d'alpage montrant des cortèges de bovins serpentant dans la montagne au moment de l'estive (dont j'ai parlé dans le passé sur ce blog).
En 1919, une nouvelle crise de violence à l'égard de sa mère adoptive pousse cette dernière à porter plainte contre lui. Il semble qu'elle n'ait pas mesuré la portée de cet acte. La Suisse l'expulse du pays en estimant qu'il n'a qu'à revenir au fameux bourg de Gualtieri. Il va tenter d'y vivre malgré son désir de retourner en Suisse vers sa mère adoptive (il a 20 ans), avec un statut d'étranger parmi les autochtones, de même souche que lui pourtant. Toute sa vie, il gardera l'accent allemand, et conservera la langue du reste (ce qui l'amènera pendant la guerre à servir d'interprète à l'armée allemande ; cela ne lui portera pas bonheur puisqu'il aura une altercation avec un soldat qui le mènera à se faire interner un moment, une fois de plus). Cela ne l'aide pas à trouver du travail. La municipalité lui apporte un peu de secours, certains habitants lui font la charité, sa mère lui envoie quelques subsides. Il vit de petits boulots occasionnels, et continue à errer le long du Pô, et dans les bois. Il reste un "Autre" partout où il va, étranger en Suisse comme en Italie. Il se met à peindre avec plus d'assiduité à la fin des années 1920, à sculpter l'argile aussi. Certains artistes s'intéressent à lui et le soutiennent. Des périodes d'internement psychiatrique à Reggio-Emilia se suivent régulièrement. Entre temps, sa notoriété en tant que peintre a grandi. Il reçoit des prix, on tourne des documentaires sur lui (voir ci-dessous) il gagne de l'argent, il peut donner libre cours à sa passion des motos, il a un chauffeur et une voiture... Il expose à Rome, il devient une gloire nationale, et s'éteint en 1965.
Film de Raffaele Andreassi, 1962 (23 min.).
Sa peinture représente souvent des bêtes tous crocs dehors, la gueule ouverte exagérément soulignée, leurs yeux dilatés, comme s'il fallait faire peur aux spectateurs, souligner la peur que ces spectacles inspirent, souligner la force bestiale de prédateur de ces animaux si terriblement concentrés dans leurs actes de prédation... Ligabue s'est fait photographier et filmer en train de se mesurer à ces gueules ouvertes, en imitant leurs postures, comme s'il fallait qu'en les singeant il puisse s'incorporer la signification, le sens de leurs actes, et un peu de leur "âme". La violence et la force brute des animaux devait puissamment faire écho en lui, étant donné qu'il avait lui-même éprouvé à plusieurs reprises dans sa vie des élans d'agressivité.
Antonio Ligabue, photographe non identifié.
Dans le film d'Andreassi ci-dessus, on le voit errer, un miroir autour du cou (on pense au miroir de l'Indonésienne Ni Tanjung), sur les rives marécageuses du Pô, poussant des cris d'oiseaux sauvages, regardant son visage dans le miroir pour voir s'il se rapproche de l'aspect des gueules ouvertes des bêtes qu'il tente d'imiter, pour ensuite peut-être mieux les représenter. Il y avait du chaman en lui...
Antonio Ligabue, Le grand jaguar.
01:33 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : antonio ligabue, art naïf, art immédiat, peintres autodidactes, expressionnisme naïf, van gogh suisse ou italien?, musée im lagerhaus, gualtieri, errances, prédateurs, violence, raffaele andreassi, laccabue, peintres de l'appenzell | Imprimer
26/06/2019
A. Dumas? En réalité: Antoinette Dumas
Le 9 février 2018, je m'étais fait l'écho d'une rencontre avec les toiles d'une certaine A. Dumas ("une naïveté toute en rousseurs", titre de ma note...) dont la signature était la seule trace que j'avais trouvée pour identifier l'auteur de peintures d'assez grand format, dénichées sur un trottoir des Puces, et ma foi, qui avaient capté mon regard. A l'époque, on avait bien cherché un peu sur internet, et on n'avait rien trouvé, Régis Gayraud et moi-même.
Antoinette Dumas, sans titre (une cueillette de champignons - des cèpes?), 90 x 105 cm, huile sur toile, entre 1963 et 1977, photo (2019) et coll. Bruno Montpied.
Et puis, l'autre jour, encore aux Puces, chez le même marchand que l'autre fois, je suis retombé sur trois autres tableaux nouveaux de cette Mme Dumas... Le premier, ci-dessus, avec ses troncs laiteux hallucinés, a des teintes de coulis à la fraise, surtout pour le sol de son sous-bois où les paysans de Mme Dumas cueillent des gros champignons que je crois identifier comme des cèpes, très stylisés, autant que les personnages, qui sont tous dessinés d'après deux modèles uniques, masculin et féminin, répétés de tableau en tableau, comme par exemple dans cet autre ci-dessous, avec son cortège de couples clonés (il n'y a que les robes qui sont diverses, par la couleur, cette dernière étant visiblement la grande affaire de la peintresse).
Autre tableau sans titre d'Antoinette Dumas (un cortège de mariage apparemment), env. 90 x 100 cm, huile sur toile, entre 1963 et 1977, ph. B.M., 2019.
Il ne faut jamais se décourager avec internet. Certaines informations y apparaissent parfois en différé, comme si les moteurs de recherche moulinaient, frustrés de ne pas nous avoir fourni tout de suite ce que nous cherchions la fois précédente avec nos mots-clés. Peut-être aussi que certaines données sont numérisées progressivement. Cette fois-ci, c'est le camarade Régis Gayraud qu'il faut louer d'avoir été persévérant avec cette A. Dumas. Il a en effet trouvé une notice, d'un Dictionnaire biographique peu connu, le Delage des arts plastiques modernes et contemporains, qui était tout à coup visible pour tout lecteur qui demandait "A . Dumas art naïf". Je la résume et l'adapte, ce qui nous permet de disposer d'une première identification de notre peintresse :
« DUMAS, Antoinette, née le 30 décembre 1888 à Saint-Laurent-de-Belzagot, Charente (16). Meurt le 20 octobre 1977 à Saint-Laurent-de Belzagot. A commencé à peindre en 1963 [donc à 75 ans]. Auteur d'art naïf, sur toiles de grand format récupérées sur des sacs. Elle commence tardivement à peindre des scènes qui mêlent des figures à des frondaisons de couleur rouille ‒ La Promenade au bois (s.d) qui figure au musée du Vieux Château de Laval ‒ ou dorées, Les Foins en Charente (s.d.). [Il existe une autre toile au Musée du Vieux Château de Laval, la Clairière, selon la Base Joconde du Ministère de la Culture]".
Antoinette Dumas, sans titre (les paons), env. 90 x 100 cm, huile sur toile, entre 1963 et 1977, ph.B.M., 2019.
Curieuse peintre, il me semble, qui commence très tardivement la peinture – 75 ans, c'est attendre bien longtemps pour s'y mettre, tout de même... – et décide de ne faire que des grands formats, apparemment toujours des toiles, assez fragilement fixées sur des châssis de fortune, et de surcroît pas très tendues. Durant les quatorze dernières années de sa vie. La touche ne cherche pas la netteté, les compositions sont parfois peu élaborées, les personnages se ressemblent tous, stéréotypés, les troncs des arbres la fascinent, tandis que leurs frondaisons servent de motifs de remplissage, aux limites d'une ornementation abstraite décorative qui fait songer à de la tapisserie... On aimerait en apprendre encore davantage sur cette Antoinette Dumas dont deux toiles, de 1969, sont conservées au musée d'art naïf et d'art singulier de Laval depuis cette année-là justement (offertes par l'auteur).
15:30 Publié dans Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : a.dumas, antoinette dumas, art naïf, charente, saint-laurent-de-belzagot, musée d'art naïf et d'art singulier du vieux château de laval | Imprimer
02/05/2019
Je parie que vous ne connaissez pas Vivi Fortin
Yves Fortin, dit VIVI Fortin, signe aussi de temps à autre 6+6. Moins mystérieux que ça en a l'air de prime abord, c'est en fait – comme les plus déchiffreurs de mes lecteurs l'auront tout de suite déduit! – une traduction numérique de son diminutif (présenté en majuscules) où il voit le chiffre 6 en caractères latins répété deux fois. Monsieur 12 donc... Comme les douze apôtres, ou les douze salopards au choix (ou les deux ensembles fusionnés...)? Il habite en Vendée, non loin de chez Pierre Sourisseau, le sculpteur de la Croix-Bara, avec qui il travailla du reste comme plâtrier-carreleur, son ancien métier (suite à des problèmes de santé, il a été obligé de s'arrêter, mais ne pouvant rester inactif, il s'est lancé dans "l'art"). Tous deux se sont fait sculpteurs, plutôt naïfs – à la limite, surtout en ce qui concerne Vivi Fortin, du fabricant de santons. Donc, un peu à la limite du naïf basculant dans le kitsch (peut-être par excès d'amour pour la réalité photographique et la ressemblance)... Sourisseau a en effet, pour sa part, dans son œuvre sculptée multiforme et multi-styles de ces tendances au moulage plus vrai que nature. Ce n'est pas de cette manière qu'il fait preuve de talent et d'originalité d'après moi, mais plutôt quand il dévie dans le visionnaire et la "naïveté". De même, Fortin peut s'éloigner du réalisme kitsch, mais lui, c'est plus par goût de la fantaisie et de la blague.
Vivi Fortin (6+6), Bière + Viagra = effet, 30 cm de haut env., entre 2011 et 2019. Ph. Bruno Montpied, 2019.
Vivi Fortin, Branchés pour la vie, 25 cm de haut environ, entre 2011 et 2019, ph. B.M, 2019.
Vivi Fortin, Humains pris dans la toile du Net!, 40 x 40 cm env., entre 2011 et 2019, ph.B.M., 2019.
Le santon, c'est un peu la décadence de la naïveté populaire. Vivi Fortin est au bord de ce précipice. Il veut aller vers le vérisme, mais quelque chose en lui le retient d'y basculer complètement : sa fantaisie foncière, sa truculence peut-être, ses impulsions, comme celles qui le poussent à flanquer un écureuil sur la façade de la maison où le propriétaire commanditaire des travaux lui avait demandé simplement de refaire le crépi, tout simplement parce que l'idée lui en a été "imposée", dit-il, et qu'il n'a pu faire autrement que se libérer de cette idée en l'exécutant...
Vivi Fortin a dispersé dans son jardin nombre d'animaux, 40 cm de haut env., entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019
Il utilise un matériau très ductile apparemment, le MAB (rien à voir avec la reine du même nom...), acronyme de Matériau Adhésif du Bâtiment, d'après ses dires, une sorte de ciment-colle qui permet de former des personnages bien lisses – de taille plutôt réduite dans leur majorité (30 cm en moyenne?) – presque aussi lisses que s'ils avaient été modelés. C'est cela qui les fait ressembler à des santons.
Vivi Fortin aime les sirènes de toutes couleurs, entre 2011 et 2019, ph.B.M., 2019
Vivi Fortin aime aussi les libellules, à qui il confère des visages à l'expression benoîte, entre 2011 et 2019, ph.B.M., 2019.
Vivi Fortin, d'autres libellules installées dans la cour de la maison, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Il a commencé sa série de sculptures (qu'il estime aux environs de 700 sujets) en 2011. Il ne les laisse pas beaucoup dehors dans le jardin, parce que cela l'ennuie d'avoir à repeindre tout le temps ses statuettes (plutôt que "statues", car elles ne mesurent pas plus de 30 à 40 cm de haut). Son garage s'est aménagé à la longue comme une sorte de galerie avec des rayonnages présentant pêle-mêle ses réalisations comme des articles d'un magasin qui hésiterait à prendre le qualificatif de petit musée... Il lui arrive d'en céder, mais ce n'est pas le but de l'opération au départ.
Vivi Fortin, exemple de rayonnages à saynètes sculptées en MAB, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Ses sujets sont fort divers, la plupart du temps inspirés de ce qu'il voit à la télévision. Si certaines saynètes servent à illustrer un jeu de mots, comme dans le cas des "branchés" ci-dessus, d'autres sont des allusions nettes à l'actualité politique ("Arrêtez les Réseaux sociaux, passez au Rosé social"). Je trouve même Fortin assez représentatif d'une composante sociologique à l'œuvre ces temps-ci en France, celle qui irrigue en grande partie (du moins au début du mouvement?) ceux qui se rangent sous l'étiquette de ces "gilets jaunes" qui ne se revendiquent d'aucun parti politique, et répudient tout porte-parole qui tenterait de la leur confisquer, justement, la parole. Il y a, non pas une forme de "populisme"chez Fortin, mais plutôt un rappel républicaniste populaire marqué, avec des saynètes rappelant des thèmes révolutionnaires de l'histoire de France (comme le soulèvement de 1830 avec sa copie du tableau de Delacroix, "La Liberté guidant le peuple", qui fut popularisé par sa reproduction sur les billets de 100 frs avant 2002). Ce rappel de la Révolution ne va pas sans contradiction, car Vivi Fortin paraît révérer également les Vendéens des guerres contre le pouvoir républicain, comme un bas-relief récemment installé à l'arrière de sa maison paraît le prouver... Et si la référence au "peuple" est marquée ici et là dans certaines de ses oeuvres, on n'oubliera pas de pointer aussi une référence à Napoléon (plutôt dans son époque de Bonaparte que dans son époque impériale, ce qui constitue ici, chez Fortin, une résurgence contemporaine d'une tendance bonapartiste qui fut, aux alentours de 1850-1860, dans les campagnes françaises, très vive dans les milieux ruraux, avec l'arrivée au pouvoir de Napoléon III). Bonaparte est représenté à cheval dans un coin du jardin, non loin de Henri IV et de sa poule au pot du reste, souvenir scolaire d'un roi cher au peuple. Donc, Fortin est-il un républicaniste avec vague réminiscence bonapartiste? On sait que, sous Bonaparte, pointait l'empereur, le dictateur qui engloutit le peuple des campagnes dans l'enfer des guerres européennes...
Vivi Fortin, La liberté guidant le peuple, saynète inspirée du tableau de Delacroix, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, au-dessus d'un coq, symbole des Gaulois, qui symbolise aussi le peuple, a inscrit un texte nettement anti Macron ; à noter la présence du billet de 100 frs qui reproduisait le même tableau de Delacroix que celui évoqué par la saynète ci-avant, où "les casseurs et les Femen", selon ce qui est écrit, étaient déjà "dessus"... ; à noter encore la statuette à gauche représentant Jean-Marie Le Pen caricaturée en molosse avec la légende: "Calmos"... ; entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, Travail, Famille, Pâtes-riz, Pour les invisibles, saynète clairement en référence aux Gilets jaunes (la première à ma connaissance dans l'art naïf contemporain à les représenter), avec devise pétainiste détournée et moquée, 2018-2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, Napoléon Bonaparte à cheval, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, bas-relief compartimenté, avec Vendéen, cœur vendéen, Van Gogh, transposition de l'Angélus de Millet, glaneuses..., 2019 ; © photo Vivi Fortin, 2019.
A noter que Fortin, si son goût voulait le porter davantage vers la peinture en deux dimensions, sans nécessairement ajouter du relief, pourrait très bien nous donner de belles œuvres naïves, comme le prouve un tableau en ciment peint, servant de plateforme dans sa cour et montrant divers paysages.
Vivi Fortin, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
16:31 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés, Napoléon et l'art populaire, Sirènes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : environnements populaires spontanés, art naïf, mab, vendéens, delacroix, républicanisme, gilets jaunes, santons, fantaisie, truculence, libellules, vivi fortin, napoléon | Imprimer
16/03/2019
Mme Delavaux, grande prêtresse de l'art brut orthodoxe, prend des pincettes pour évoquer ma découverte sur les Barbus Müller
Céline Delavaux, qui s'est fait connaître avec le Collectif de réflexion autour de l'Art Brut (CrAB), il y a quelque temps, et par quelques livres, déjà, sur l'art brut – dont un qui était fort bien écrit, L'Art brut, un fantasme de peintre, aux éditions Palette - sort un nouveau livre chez Flammarion, Art Brut, le Guide.
Autant vous dire qu'il aurait pu aussi bien s'appeler l'Art brut pour les nuls. On vous y dit ce qu'il faut penser de l'art brut, en proscrivant certaines assertions, classées comme fausses, d'un coup de tampon appuyé ("Faux", nous proclame-t-on : "l'art brut, c'est comme l'art des fous", "l'art brut, c'est fait avec des matériaux bruts", "l'art brut, c'est comme l'art naïf", etc.). C'est que Mme Delavaux se positionne comme championne de la vision orthodoxe de l'art brut. Elle tient à ce que l'on pense l'art brut correctement.
Personnellement, ça me gêne un peu. Qu'il y ait du flou, des tâtonnements pour aborder le sujet ne me dérange pas tant que cela. L'orthodoxie a tendance à apporter une forme d'ossification ou de vitrification.
Cela dit, cet auteur pense surtout que l'art brut est un cheval de bataille pour repenser l'art (why not?). Et c'est pourquoi elle veut continuer d'employer le terme d'"artiste", pour les auteurs d'art brut, parce que ce serait un moyen selon elle de faire entrer dans le crâne de chacun que l'art est constitutif de l'humanité, et n'a donc pas à se penser comme le privilège d'une caste, privilège que Dubuffet, avec raison, je trouve, avait dénoncé (Céline Delavaux le rappelle aussi, avec honnêteté). Pas sûr cependant, selon moi, que ce terme d'artiste, employé pour les créateurs bruts comme pour les artistes professionnels, suffise à lui seul à constituer le cheval de Troie qui remettra en question de l'intérieur les conceptions dominantes de l'art dans le public et la clique des historiens et médiateurs de l'art. C'est même plutôt le contraire que cela produit, et qui va bien avec la fusion, que tentent d'opérer les marchands, et tous ceux qui sont intéressés à ce genre de confusion, entre art contemporain, art moderne et art brut (comme la constitution du musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art moderne du LaM à Villeneuve-d'Ascq l'a inaugurée d'ailleurs voici déjà vingt ans, en 1999, avec le dépôt de la collection d'art brut de l'Aracine). De plus, mettre tous les auteurs d'art dans le même sac – au lieu de remettre en question l'art séparé de la vie quotidienne – constitue une régression propice à la vision d'un art comme le produit d'une élite. Les marginaux de l'art brut, par leur côté maudit insinué dès l'origine dans la notion d'art brut, viennent ainsi augmenter simplement le bataillon des nouvelles marchandises culturelles. Le cheval de Troie est retourné contre lui-même.
Ce guide m'a, par ailleurs, passablement étonné à cause de l'un de ses paragraphes où mon travail sur ce blog est mentionné. C'est dans un chapitre sur les anonymes, où Mme Delavaux parle surtout des Barbus Müller, auxquels, comme les les vrais lecteurs de ce blog le savent, je suis très attaché, pour avoir mis en ligne sur le Poignard, l'année dernière, du 12 au 7 avril 2018, une enquête où je dévoilais que j'avais trouvé l'identité de l'auteur (et comment je m'y étais pris, avec l'appoint de Régis Gayraud) de ces fameuses statues de lave ou de granit, que Dubuffet avait choisi de présenter dès les origines de sa collection d'art brut.
Le dernier paragraphe de ce chapitre du livre de Céline Delavaux est reproduit plus bas dans cette note.
Il n'est pas sorcier de se reporter à cette enquête, il me semble. C'est gratuit, qui plus est... Pour ceux qui ne l'auraient pas fait, suivez ce lien et vous tomberez sur la première note (j'ai étagé les notes de la date la plus avancée dans le mois d'avril, le 12, à la plus éloignée six jours plus tard, le 7, avec six "chapitres"). Pour passer d'une note à l'autre, il suffit de cliquer sur les mots "à suivre", placés en toute fin de note (ou de chapitre). Mais, bien sûr, il y a de la lecture... Ce que Mme Delavaux a peut-être eu la flemme d'entreprendre, se contentant peut-être de Wikipédia où une main amie a fait une mise à jour de l'article qui existait encore naguère sur les Barbus...
Car, après avoir souligné le mystère dans lequel Dubuffet, en 1947, aurait volontairement plongé ces "pièces de la statuaire provinciale", elle évoque, dans un paragraphe étrange, d'une manière désinvolte, la découverte "que j'aurais faite" (Ô, ce conditionnel... C'est lui qui m'irrite) sur "un blog spécialisé dans l'art singulier", blog qu'elle n'a, bien entendu, pas jugé nécessaire de mentionner dans son libellé exact, ce qui aurait permis à ses lecteurs de se faire une opinion, et blog qu'elle qualifie au passage de manière fautive, mais surtout, assez méprisante... Voir ci-dessous.
Le passage en question...
Je ne vais pas argumenter outre mesure, et encore moins vitupérer, contre ce merveilleux petit paragraphe bien pesé, semblant brandir des pincettes invisibles, sans la moindre justification. Il suffit peut-être de donner la version qui aurait dû être celle d'un paragraphe plus juste, et plus pensé, si son auteur avait fait l'effort de lire mon enquête du blog (ou celle que j'ai publiée, résumée, dans le n°17 du Publicateur du Collège de 'Pataphysique) :
"En 2018¹, Bruno Montpied, rédacteur d'un blog, Le Poignard subtil, a découvert l'identité de cet anonyme célèbre dans l'histoire de l'art brut : il s'agit d'un cultivateur auvergnat, ancien zouave, nommé Antoine Rabany, mort en 1919. Ce sculpteur autodidacte exposait ses statues dans un jardin, au Chambon-sur Lac (Puy-de-Dôme) et les vendait pour quelques francs..."
J'attends toujours que les chercheurs spécialisés (ou non!) viennent contester les arguments et les preuves, a priori incontestables, que j'ai apportés dans cette enquête. Seuls certains collectionneurs ont su tout de suite reconnaître le sérieux de ce travail (nommons les premiers : Bruno Decharme, et James Brett).
Barbus Müller agrandis, d'après photo stéréoscopique publiée dans mon livre, Le Gazouillis des éléphants. Pour le moment, ces deux-là, parmi plusieurs autres visibles sur la photo, sont portés disparus... Jusqu'à quand?
______
¹ Il y a une erreur dans le texte de Mme Delavaux. C'est en 2018, et non pas en 2017, que j'ai dévoilé l'identité du sculpteur des Barbus. En 2017, j'avais seulement avancé, en publiant deux photos inédites montrant le jardin aux statues au sein de mon ouvrage Le Gazouillis des éléphants (paru en septembre 2017), que les statues présentes sur les photos devaient être très probablement des Barbus Müller, et que ces œuvres avaient été exposées à Chambon sur Lac dans le Puy-de-Dôme. Je ne donnais donc à cette occasion que la localisation exacte du lieu de production. Mme Delavaux a visiblement pris ses informations dans la notice de Wikipédia, sans la lire attentivement. Cette notice est correcte (si ce n'est une petite erreur sur le prénom de l'archéologue Lejay, qui s'appelait Albert et non pas "André"...)
12:23 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : céline delavaux, art brut, le guide, orthodoxie de l'art brut, art naïf, barbus müller, le gazouillis des éléphants, antoine rabany, la vérité sur les barbus müller, anonymes de l'art brut, bruno montpied, le poignard subtil, art de l'immédiat, régis gayraud | Imprimer
22/02/2019
Jacques Trovic s'en est allé sur la pointe des pieds...
A Priscille Coulaud
Une de mes lectrices m'a aiguillonné il y a peu de temps pour que je signale la disparition, le 27 octobre 2018, de ce grand peintre naïvo-brut qui s'appelle Jacques Trovic. Et elle a bien raison.
Jacques Trovic, "Le Cordonnier" (inscription à l'envers, puisqu'on est à l'intérieur de l'échoppe et que le mot est gravé dans le bon sens de l'autre côté de la vitre, pour être lu par les clients à l'extérieur), 1963, ph. Bruno Montpied, 2009.
Je traînais les pieds... Surtout pour cette raison que je ne tiens pas toujours à me spécialiser dans les nécrologies. Le Poignard n'est pas forcément à tout coup un bulletin d'actualités des arts spontanés, j'aimerais parfois qu'il se contente d'être comme une abeille qui butine ici ou là du côté de la poétique de tous les jours...
J'ai déjà parlé, dans le temps, de Trovic que j'avais rencontré (ce fut la seule fois) en compagnie de Jean-Louis et Juliette Cerisier, en 2009, lorsqu'il habitait encore à Anzin, cette commune proche de Valenciennes, où il faisait, ce jour-là, un temps à ne pas mettre un canard dehors (c'est Brel qui chante, je crois, que par là-bas, de temps à autre, même les canards se pendent...).
Anzin en 2009, au 486 rue Jean-Jaurès... Ph. B. M., 2009.
C'était un bon bonhomme, gourmand et bon vivant, gentil comme tout. Il brodait, tricotait des tableaux en tapisserie-patchworks (voir ci-contre une de ses aiguilles) qui racontaient la vie et les souvenirs d'autrefois du pays du Nord, des mines... En restituant une vision familière, primesautière, cordiale, des gens qu'il côtoya durant la majorité de ses soixante-dix années de vie, en montrant bien tout l'amour qu'il leur portait, à leur us et coutumes, à leur alimentation.... Parfois son évocation des pays, comme dans la tapisserie ci-dessous consacrée à la Fabuloserie (et à la Bourgogne), servait en effet aussi de prétexte à l'évocation marginale, qu'on devinait pâmée, par Trovic des produits locaux, le fromage de Chaource (qui est en Champagne dans l'ancienne Bourgogne), le vin bien sûr, la moutarde de Dijon, le pain d'épices, les escargots, la crème de Cassis, bref, toute une série de délices qui constituent les accessibles plaisirs de la vie...
Sur ce patchwork, tenu par Jean-Louis Cerisier, consacré à la Fabulsoerie de Dicy, je me demande si ce n'était pas un moyen pour Trovic d'évoquer les deux fondateurs de cette collection fabuleuse, à savoir Alain, à gauche avec un grand chapeau, et Caroline Bourbonnais à droite, en costume folklorique ? Ph. B.M., 2009.
Il fit de nombreuses expositions, tout à tour dans des manifestations d'art naïf ou d'art singulier. Je ne crois pas qu'il fut intégré à l'art brut proprement dit, mais plutôt dans les collections annexes, dites de la Neuve Invention. L'art modeste pouvait le faire sien à l'occasion, comme lorsqu'il lui fut consacré un bel hommage, au sein de l'exposition "Sur le Fil", sur un ensemble de créateurs textiles à la Folie Wazemmes à Lille en 2009. Et comme la Fabuloserie s'est sans doute intéressée à lui, il pouvait également entrer sous l'étiquette d'"art hors-les-normes"...
Jacques Trovic, une majorette, tableau en mosaïque, années 1970, ph. B.M., 2009.
Dans la dernière partie de sa vie, ne pouvant continuer à vivre seul à Anzin, après avoir perdu sa sœur qui était comme une deuxième mère pour lui, il fut recueilli par le Centre de La Pommeraie animé par Bruno Gérard en Belgique, près de la frontière. Nul doute qu'il y fut bien accueilli et protégé.
Jacques Trovic va manquer dans le paysage, c'est bien certain.
00:50 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art naïf, art brut, la pommeraie, art modeste, folie wazemmes, sur le fil, cordonnier, fabuloserie, jacques trovic, mosaïque naïve, jean-louis cerisier, alain et caroline bourbonnais | Imprimer
27/01/2019
Ferdinand Desnos à l'Hôtel des Ventes Drouot, une belle et rare exposition
Ph. Bruno Montpied, janvier 2019.
Ce n'est pas tous les jours qu'une exposition suffisamment fournie dévolue à un bon peintre naïf est montée à Paris, et ce, dans un lieu prestigieux. Exposition gratuite qui plus est, de près de 80 huiles et dessins, qui constitue, paraît-il, la première rétrospective parisienne de Ferdinand Desnos. C'est dans deux grandes salles de l'Hôtel des ventes Drouot (la 1 et la 7) que cela se passe, et il faut se presser si l'on est amateur, car sa durée est assez courte, du 17 janvier au 8 février.
F. Desnos, autoportrait, ph B.M.
Ferdinand Desnos, le cousin du poète Robert, ne vécut pas très longtemps, de 1901 à 1958. Mais il dessina et peignit très tôt, dès son enfance. S'il vécut longtemps à la campagne (en Touraine dont il était originaire et qui influença profondément ses paysages), il passa aussi du temps à Paris, où il eut l'occasion de fréquenter Apollinaire, Paul Fort (dont il brossa le portrait), Max Jacob, Picasso, puis plus tard Léautaud qu'il aimait beaucoup, semblait-il. Après la Seconde Guerre, à la fin de laquelle il vit disparaître la même année son frère et son cousin, il tient une loge de concierge rue Gay-Lussac, de manière anticonformiste. Il accroche ses toiles dans la cage d'escalier, comme s'en souvient Salah Stétié dans un livre de souvenirs (L'extravagance).
F. Desnos, François Desnos (le frère de Ferdinand) sur son lit de mort, 1945 ; ph. B.M.
Son œuvre, dans la mesure où l'on peut s'en faire une idée d'après seulement les 80 œuvres exposées (il en aurait laissé au total 800), n'est pas conventionnelle pour un peintre dit naïf. Le terme, comme toujours, n'est bien entendu pas synonyme de simplet, mais indique que l'on a affaire à un autodidacte audacieux, sans complexe quant à ses choix de compositions figuratives. La malice sous-jacente de ses sujets, son goût pour la nudité féminine, et les aspects énigmatiques des objets, son habileté à rendre ses sujets en volume, contrairement aux aplats de bien d'autres Naïfs moins bien outillés que lui, le rendent particulièrement attachant.
F. Desnos, nature morte, ph. B.M.
F. Desnos, titre non référencé (des singes se recueillant devant une femme nue), ph. B.M.
F. Desnos, La Création (du monde), hommage à Jérôme Bosch, 123 x 194 cm, ph. B.M.
N.B.: Cette notice s'inspire du dossier de presse démarqué du travail de la commissaire d'exposition, Mme Natacha Carron Vuillerme.
20:20 Publié dans Art naïf, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ferdinand desnos, art naïf, drouot, salah stétié | Imprimer
20/11/2018
Emile Jouve et René Rigal, deux artistes rustiques modernes de plus
"La peinture rustique moderne", c'est un terme inventé par Gaston Chaissac dès 1946¹, pour qualifier sa propre peinture, avant de connaître Dubuffet et son Art brut². C'était pas mal trouvé, du point de vue de ce que ça signifiait. Un peu moins du point de vue publicitaire. L'"art brut", certes, cela a une autre allure sur le plan de la "communication" (pour quelque chose, le brut, qui ne se préoccupait pas spécialement de communiquer, comme le soulignait autrefois avec délectation Michel Thévoz). Exactement comme le "réalisme intellectuel" pour l'art naïf, terme inventé par Georges-Henri Luquet et repris par Georges Schmits, très précis dans ce qu'il voulait désigner mais peu aisé à mémoriser. Cette nécessité d'être repérée facilement, immédiatement, du public est souvent cause que telle ou telle invention conceptuelle, désignée de façon trop précise, est négligée et, peu à peu, tombe dans l'oubli.
Gaston Mouly (1922-1997), peinture sur bois (acrylique ou huile), ph. B.M. 1989 (chez Gaston Mouly), non localisée actuellement (peinture exécutée, donc, avant que l'auteur ne se mette à systématiquement dessiner aux crayons de couleur après une demande de Gérard Sendrey pour sa galerie Imago qui préfigura le Site, puis le Musée, de la Création Franche à Bègles) ; Mouly, ancien entrepreneur en maçonnerie d'origine rurale, marqué par la fréquentation d'artistes modernes qui avaient été ses clients (Bissière, Zadkine), à la retraite, se mit à peindre sur bois et sculpter le ciment, puis par la suite à dessiner ; il était conscient d'être un autodidacte, de culture rurale occitane, mais se piquait de faire "moderne" dans ses œuvres, adoptant une posture indubitablement artistique, se confrontant à d'autres formes d'art( lorsqu'il "montait" de sa région lotoise jusqu'à Paris par exemple ; je peux en témoigner, l'ayant souvent accompagné dans des galeries ou musées de la capitale).
Pour Chaissac – et cela peut s'appliquer à d'autres (Gaston Mouly par exemple, actif entre 1982 et 1997, alors que Chaissac était disparu depuis 1962) – il s'agissait de créer dans le respect d'une certaine tradition populaire, avec des naïvetés, des raccourcis expressifs, des couleurs franches, etc., tout en cherchant à faire nouveau (un sens de la composition encore plus affranchi du réalisme que dans l'art naïf, par exemple). Ce désir de novation s'enracine dans une imitation de l'attitude observée chez les artistes modernes, cherchant à s'affranchir des valeurs établies de leur temps.
Dans mon Gazouillis des éléphants, consacré à des créateurs œuvrant essentiellement en plein air, entre leur habitat et la route le bordant, on pouvait ainsi découvrir deux cas de créateurs populaires influencés par l'art moderne, Maurice Guillet à Olonne-sur-Mer (Vendée) – un ferronnier mêlant du démarquage de Calder à de l'imitation de nouveaux réalistes sans oublier une pratique de la sculpture allégorique ou symbolique – et François Llopis, de Céret (en pays catalan français), qui a produit des sculptures et autres bas-reliefs ou mosaïques, influencé par l'exemple des artistes qui fréquentaient autrefois sa ville comme Braque ou Picasso, mais surtout par des exemples artistiques plus lointains (les mosaïques de Ravenne, voire des croix de chemins de sculpteurs régionaux).
Chez Maurice Guillet, à l'arrière de sa maison, à Olonne sur-Mer, ph. Bruno Montpied, 2008.
François Llopis, une Vierge inspirée semble-t-il des Madones de croix de chemin du Massif Central, Céret ; ph. B.M., 2014.
Mais on peut également songer à rallier à ce corpus de l'art rustique moderne ("art", parce que cela ne se limite pas à la peinture, mais englobe aussi la sculpture) deux autres cas, d'origines ouvrière ou rurale.
René Rigal tout d'abord, ancien cheminot originaire de Capdenac, qui arrivé à la retraite se prit d'amour pour les branches choisies parmi les plus filiformes d'entre elles, qu'il écorçait scrupuleusement et interprétait ensuite en leur trouvant à chaque fois une incarnation. C'était une sorte de Giacometti populaire, qui pouvait en sculptant enfin se permettre, loin des trains où il avait bossé toute sa vie, de "dérailler" en toute liberté. C'est du reste ce qu'évoque le titre de l'article que j'ai publié à son sujet dans le n°36 de la revue Création Franche en juin 2012 : « René Rigal, hors des rails ». Certes, on peut lui trouver des ressemblances avec d'autres sculpteurs populaires travaillant comme lui à partir de la forme des arbres et arbustes ( par exemple Michel Maurice à Cornimont, dans les Vosges, voir le "Musée des Mille et une racines" dont j'ai aussi parlé dans le Gazouillis des éléphants et dans Création Franche n°45, en décembre 2016), mais il a un style qui lui est propre, avec ses figures systématiquement longilignes (voir ci-dessous). Cette signature plastique proche d'une certaine forme d'"abstraction" est peut-être la cause de son adoption par les galeries aveyronnaises, comme celle de la Menuiserie, de Jeanne Ferrieu, à Rodez, qui l'ont régulièrement exposé au milieu d'artistes contemporains. Peu d'amateurs d'art populaire ou d'art brut ont su le repérer jusqu'à présent. Personnellement, je le découvris grâce à un film de messieurs Pennet et Macary, "René ne tape pas la belote" (2000), vu au Festival de cinéma autour des arts singuliers organisé par l'association Hors-Champ à Nice. En projetant ce film dans un contexte de documents autour des arts spontanés, les animateurs de ce festival réintroduisaient malicieusement (et peut-être sans y penser plus que ça?) René Rigal parmi les créateurs spontanés, où est sa véritable place, à mon sens.
Salle d'exposition dans la maison de feu René Rigal, ph.B.M., 2012.
Livret de "petites histoires et anecdotes" (des témoignages des uns et des autres qui ont connu René Rigal) paru aux éditions La Menuiserie en juillet 2016, archives B.M.
Cela faisait plusieurs années que, par ailleurs, j'avais entendu parler d'Emile Jouve, sculpteur et peintre autodidacte qui habitait St-Côme d'Olt dans l'Aveyron et qui était né plus haut, en Aubrac, à Laguiole, ville célèbre pour un excellent fromage souvent associé au Cantal même s'il est fabriqué dans l'Aubrac voisin. Jean Estaque, le sculpteur de la Creuse, m'avait évoqué ce Jouve, connaissant mon goût pour ces créateurs de l'ombre venu des milieux populaires, mais sans pouvoir me montrer des images de ses œuvres. Il avait été éleveur de bovins la plus grande partie de sa vie, les bovins qui sont une autre spécialité de Laguiole où un fier taureau trône sur la place du village, spécialité qui ne doit pas faire oublier cependant l'autre produit qui a fait la renommée du lieu, le couteau avec son célèbre design...
Emile Jouve, sans titre (il me semble), 50x0cm, technique mixte, coll. privée (Aveyron), ph. B.M..
Autre tableau d'Emile Jouve, sans titre (il me semble), pastel ou craie sur bois, 40x60cm, coll. privée (Aveyron), ph. B.M.
Je finis par tomber sur deux de ses tableaux par hasard, chez un sympathique amateur de bonne chère et de vie au grand air, habitant tout près de Marcillac (Aveyron encore), au secret d'une gorge oubliée...
Là encore, cet artiste autodidacte avait été exposé (plusieurs fois, semble-t-il) à la galerie La Menuiserie de Jeanne Ferrieu. Mais, loin de Rodez, comment le savoir? Il aurait fallu scruter tous les jours la presse régionale du coin, où de rares magazines relayant l'information artistique en province (comme Artension, dont c'est un des principaux mérites). La femme de René Rigal, Micheline Rigal, intervint opportunément en me prêtant le catalogue que là encore la Menuiserie avait édité sur ce créateur d'origine populaire (édition de 2001).
Catalogue consacré à Emile Jouve par la galerie La Menuiserie, Rodez, 2001.
L'ouvrage contenait, un peu comme dans le cas du livret récemment édité sur Rigal (voir ci-dessus), de nombreux témoignages et surtout plusieurs illustrations en couleur, de peintures mais aussi, ce qui achève de permettre de se faire une opinion favorable sur les talents de ce monsieur Jouve, de sculptures peintes réalisées à partir de bois trouvés et de bois flottés qui sont, à mon goût, ce que Jouve a fait de mieux, dans l'état actuel de mon information. On sent chez cet homme de pleine nature un appétit évident pour les recherches formelles qui l'apparente aux élaborations sophistiquées d'artistes des villes.
Emile Jouve, Le Dragon du Golfe, 30cm de hauteur ; reproduit (en image compressée) d'après le catalogue de la Menuiserie.
Emile Jouve, Brigitte Bardot et les animaux, 20 cm de hauteur. Extrait du catalogue de la Menuiserie (image compressée).
_____
¹ Cf. Gaston Chaissac, "Peinture rustique moderne", paru initialement dans le n°3 de la revue Centres, 1946, et réédité dans Je cherche mon éditeur, Rougerie, 1998.
² Dubuffet enrôlera, au début de sa collection, Chaissac dans l'Art Brut avant de l'en retirer, à juste titre si l'on se rapporte à ses critères (art brut = inventivité hors des milieux artistiques), pour le verser dans la collection annexe rebaptisée "Neuve Invention" par la suite. Chaissac lui était apparu au fil du temps trop en contact avec les milieux littéraires et artistiques (avec lesquels cependant Chaissac pratiquait des rapports relativement réservés). Cela n'empêchait pas ce dernier de développer, selon moi, une expérimentation à tout va, et de déployer une grande inventivité plastique et littéraire.
00:18 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art rustique moderne, Art singulier, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Lexique et définitions des arts populaires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture rustique moderne, art rustique moderne, chaissac, gaston mouly, maurice guillet, françois llopis, rené rigal, emile jouve, galerie la menuiserie, art naïf, art singulier, le gazouillis des éléphants, croix de chemin, poésie naturelle interprétée, association hors-champ | Imprimer
12/11/2018
7e Biennale de l'Art partagé à Rives (Isère), plus que quelques jours...
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de parler des biennales "d'art partagé" organisées par Jean-Louis Faravel dans le cadre de son association Œil-Art. Tantôt installées dans l'Île d'Oléron, à St-Trojan-les-Bains, tantôt, comme en ce moment et pour quelques jours encore (cela se termine le 18 novembre prochain), à Rives, en Isère, pas très loin de Grenoble, là où fut fondée la première de ces expositions, me semble-t-il.
Le grand intérêt de ces biennales est de nous faire découvrir à chaque fois, et à des prix la plupart du temps modiques, plusieurs créateurs ou artistes aux œuvres parfaitement attirantes. La dernière édition de cette Biennale (la 7e, pour celles qui sont organisées à Rives) ne déroge pas à la règle, comme en témoignent ci-dessous les quelques images reprises du site web d'Œil-Art parmi les plus frappantes que l'on peut voir, nombreuses, sur le site. On soulignera que ces festivals montés par Jean-Louis Faravel et son équipe, mêlant artistes singuliers et créateurs handicapés ou bruts, voire naïfs, sans hiérarchie aucune, constituent véritablement le haut du panier en ce qui concerne l'ensemble des festivals d'art singulier ou "hors-les-normes" qui se montent ici et là en France. A suivre donc, impérativement.
Thomas Schlimm (un créateur handicapé allemand).
Gabriel Evrard
Imam Sucahyo, un auteur aux limites de l'art brut, indonésien, déjà exposé à la dernière biennale de St-Trojan-les-Bains ; il devrait être incorporé à une grande exposition d'art brut qui est en préparation en Indonésie, avec Ni Tanjung.
Raymond Goossens, créateur qui décline une série d'images campant un détective prénommé Raymond, sorte de projection de lui-même dans un univers de film policier... (Merci à Alain Dettinger et Fatima-Azzahra Khoubba qui me l'ont signalé dans la sélection de Jean-Louis Faravel)
Didier Hamey
Farchat Mobin, peintre naïf du genre "visionnaire", apparemment d'origine slave ; la scène ci-dessus se déroule durant la révolution russe de 1917 (la prise du Palais d'Hiver).
Et... Gilles Manero, un habitué, toujours habité, des biennales de Jean-Louis Faravel... Un surréaliste qui s'ignore, j'ajouterai...
17:50 Publié dans Art Brut, Art naïf, Art singulier, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : farchat mobin, imam sucahyo, gille manero, biennale de l'art partagé, art partagé, jean-louis faravel, rives, art brut, art singulier, art naïf, raymond goossens, gabriel evrard, thomas schlimm, art des handicapés en allemagne, œil-art | Imprimer
13/07/2018
La Fabuloserie, aperçu au "Consulat", espace open de style berlinois à Montparnasse
Très actif depuis quelque temps, Antoine Gentil, qui s'était déjà fait remarquer par des organisations d'expo au MAHHSA (musée de Ste-Anne émanant du Centre d'Etude de l'Expression), a invité la Fabuloserie à taper l'incruste dans un sacré foutoir installé provisoirement (quelques mois) dans une espèce de friche industrielle, aux murs nus, tout près de Montparnasse, dans ce quartier où les aménagements de Ricardo Bofill, il y a déjà longtemps (1985), avaient contribué à enfoncer le clou de l'effacement, vingt ans auparavant, de tout un quartier de petites maisons et d'ateliers d'artisans qui ne surent et purent résister – à rebours des habitants qui le réussirent plus loin, dans ce même XIVe arrondissement, du côté de la rue des Thermopyles et de la Cité Bauer. Ce sont les chantiers de l'actuelle gare Montparnasse (gare qui ne ressemble à rien), en effet, qui avaient entraîné en 1965, par exemple, la disparition du bâtiment où se trouvait l'atelier du Douanier Rousseau, rue Perrel, que l'on aperçoit dans l'admirable film de Jacques Brunius, Violons d'Ingres (1938) – atelier qui fut, par la suite, également, le lieu de travail de Victor Brauner.
Formulette recueillie par Jacques Brunius dans un recueil (de comptines et formulettes) resté inédit (merci à Lucien Logette de nous l'avoir communiqué) ; lue par B.M., 2018
Le "Consulat"¹, donc, est un vaste espace sur deux niveaux, prêté pour quelques mois, où l'on trouve disséminés sur des centaines de m², une friperie, des buvettes, un restaurant, une salle de concert, des tables de ping-pong, des chaises dépareillées et des canapés défoncés distribués au petit bonheur, des espaces d'exposition (au 2e étage) où voisinent, dans deux espaces distincts qu'on ne pouvait confondre, art contemporain d'une part, présenté anonymement, tel des puces, sous l'autorité d'un texte liminaire d'une prétention insondable (intitulé le "blind marché", titre d'un snobisme au ridicule achevé), et d'autre part, l'art hors-les-normes de la Fabuloserie, exposé jusqu'au 15 août, et mêlant lui-même art brut (Emile Ratier, Pierre Petit, Giovanni Battista Podesta, Guy Brunet, Jean Tourlonias, François Portrat, Edmond Morel, un grand tableau de fleurs, assez rare, d'Abdelkader Rifi) et artistes singuliers (Le Carré Galimard, Nedjar, Francis Marshall, Alain Bourbonnais, Verbena).
Des éléments de l'environnement créé par François Portrat dans les années 1980, ph. Bruno Montpied, 2018.
Si l'on oublie cependant le contexte désordonné de la première exposition, la zone dévolue à la Fabuloserie permettait de découvrir des ensembles d'œuvres souvent méconnues. Dommage cependant qu'on n'ait pas souhaité, du côté du responsable des expos (un certain Samuel Boutruche), laisser les animateurs de la Fabuloserie, ainsi que le commissaire d'exposition, Antoine Gentil (le bien nommé), apposer tout de suite les noms des auteurs exposés, dès le vernissage (cela a changé par la suite), au nom d'un anonymat revendiqué (l'anonymat paraît devenir par les temps qui courent un argument à la mode, ici employé très superficiellement (comme souvent, avec tout ce qui est à la mode), puisque les noms des artistes circulent par dessous...).
Emile Ratier, deux musiciens, ph. B.M., 2018.
Michel Nedjar, quatre assemblages de tissus colorés, ph. B.M., 2018
Pour ma part j'ai découvert dans l'expo de la Fabuloserie, parmi les cinq pièces d'Emile Ratier – des maquettes et machineries de bois brun, faites au départ pour être actionnées –, trois dispositifs qui sont des machines à produire des sons, en fait des instruments de percussion ultra bricolés à ranger au nombre des instruments de musique alternatifs. J'ai été également surpris par des assemblages de tissus colorés de Michel Nedjar, exposés seulement le jour du vernissage, que j'ai trouvés bien plus séduisants, et moins montrés que ses sempiternels "chairdâmes", sorte de poupées noirâtres d'exorcisme imaginaire, qui personnellement me dégoûtent, et qui sont faites pour dégoûter (scandale facile à produire). Hélas, l'artiste, victime d'un caprice de diva, a fait retirer ses œuvres les jours suivants, n'appréciant pas l'exposition voisine semble-t-il. Je publie ci-dessus les quatre assemblages dont je parle plus haut, présentés dans l'expo, donc, de façon éphémère. Même si le voisinage avec l'expo d'art contemporain assez inconsistante était discutable, il n'en reste pas moins que l'idée de montrer l'art hors-les-normes de la Fabuloserie en un tel lieu fréquenté par la jeunesse et par un public n'ayant peut-être jamais entendu parler de l'art brut l'art singulier, etc., n'en était pas moins une bonne initiative. Il faut tenter ce genre de passerelle, pour que les transmissions s'effectuent entre générations. Et peut-être aussi détourner le public de l'art contemporain absurdement mis en avant par les temps qui courent par toutes sortes d'intérêts capitalistiques². Il y va d'une forme de résistance.
Pierre Petit, Laboratoire Frela, ph. B.M., 2018.
L'accrochage, dans le fond, à droite, sur un mur où ils sont seuls, de divers éléments provenant de l'environnement créé par François Portrat à Brannay dans l'Yonne (voir mon Gazouillis des éléphants où je lui ai consacré une notice), agencé par Marek de la Fabuloserie, frappait l'esprit du visiteur. Podesta était également présent par des peintures qui relèvent davantage de l'art naïf, en tout cas inattendus. Surtout, on restait charmé par le "Laboratoire Frela" et ses personnages délicieusement angéliques, humanoïdes ineffables, du retraité Pierre Petit, qui vivait autrefois à Bourges, et dont nous avons ici quelques maquettes et autres "maisons de poupée" d'un nouveau genre.
Rien que pour cette exposition, rare à Paris – reléguée en marge de tout le reste dans ce labyrinthe de béton, de façon cohérente au fond, car on n'a pas affaire ici à de "l'art hors-les-normes" pour rien! : il reste en marge quel que soit le contexte d'exposition – il faut se rendre dans ce Consulat, en traversant jusqu'à l'espace fabulosant ces 3000 m² d'un trait, sans se disperser outre mesure dans les autres espaces, plutôt vides de sens (si ce n'est pour aller se boire une bière sur une terrasse aux herbes sauvages poussant sous des gratte-ciels ou des immeubles du genre cages à lapins, en rêvant des fantômes de Rousseau et de Brauner).
Abdelkader Rifi, sans titre, env. 1m sur 1,20m, sans date, ph.B.M., 2018.
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¹ Ce "Consulat", nous apprend un article du Quotidien de l'Art, "est issu de l’association GANG, dirigée par Lionel Bensemoun, petit-neveu du fondateur des casinos Partouche. Il a créé avec l’artiste André Saraiva son agence événementielle La Clique et le club Le Baron, et vient de s’installer à Paris dans le 14e, pour une nouvelle saison (jusqu’en octobre 2018), dans l’espace des futurs Ateliers Gaîté de 3000 m2..." L'adresse de ce Consulat éphémère est au 2 de la rue Vercingétorix, 14e ardt donc.
² A ce sujet, on lira avec fruit le livre d'Annie Le Brun, Ce qui n'a pas de prix, récemment paru chez Stock.
00:06 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine gentil, consulat, vandalisme urbain, atelier du douanier rousseau, art brut, art hors-les-normes, art naïf, art singulier, pierre petit, emile ratier, françois portrat, environnements spontanés, nedjar, prétention muséographique, abdelkader rifi, annie le brun, la fabuloserie paris, le gazouillis des éléphants, jean tourlonias, francis marshall, simone le carré galimard | Imprimer
21/05/2018
Le LaM et sa cartographie des "habitants-paysagistes", un début d'inventaire numérisé des inspirés
Fondée sur plusieurs fonds iconographiques et archives (pêle-mêle, les archives de l'Aracine, le fonds de photographies de Francis David, les fiches d'André Escard, le fonds Claude et Clovis Prévost – pour l'instant 10 documents en ligne, à l'heure où j'écris ces mots –, les archives audio-visuelles de l'INA, le fonds Louise Tournay – qui, s'il est intéressant, ne relève pas pour autant des habitants-paysagistes à proprement parler...), a été mise en ligne depuis mars dernier une esquisse de cartographie de ce que le LaM a choisi d'appeler "les habitants-paysagistes", reprenant ainsi un terme quelque peu "scientifique"– quoique pas très exact – inventé par l'architecte-paysagiste Bernard Lassus, qui avait publié un livre sur la question, Les Jardins imaginaires, en 1977 aux Presses de la Connaissance. Il avait forgé cette appellation par projection de son propre métier. Il cherchait à se documenter sur les habitats d'ouvriers, en particulier de la région Nord-Pas-de-Calais, leurs façons d'orner leurs jardins, et d'y parler un langage par le truchement de ces agencements. Ce n'était pas l'affaire de Bernard Lassus d'y repérer une poésie, de chercher l'insolite, un possible surréalisme inconscient. Il rabattait sur eux son métier d'architecte, tirant d'eux de la matière, des questionnements, de solutions venus d'en bas, du terrain des habitants, sans leur demander véritablement leur avis... Cela se voulait probablement démocratique comme démarche. Au service de projets paysagistes que Lassus serait amené dans les annnées suivantes à créer.
Personnellement, je me suis résolu à utiliser le terme d'"environnements spontanés" qui me paraît plus précis, si tant est qu'on puisse arriver à trouver des mots suffisamment satisfaisants pour qualifier ces travaux visant à embellir, recréer, divertir, bâtir une poésie discrète dans l'espace. "Environnements", parce que cela désigne la zone où l'action a lieu, à savoir, majoritairement, entre habitat et route. Et "spontanés" parce que cela indique un phénomène d'expression empirique, bricolé avec les moyens du bord, sans formation artistique, surgi très souvent inopinément, une chose entraînant l'autre, quelquefois inspiré par des rêves, chez des gens qui ne sont pas des professionnels de l'art. Car j'ai centré mes enquêtes surtout sur des gens du peuple, ouvriers, artisans, paysans (voir mon livre Le Gazouillis des éléphants, pour les internautes qui n'auraient pas encore repéré cet ouvrage)...
La carte que l'on trouve sur le site des habitants-paysagistes du LaM ; Elle indique trois sortes d'informations quant à la pérennité ou non de ces créations: "site existant" en bleu, "site disparu" en rouge, et "site indéterminé" en orange. Cette carte est appelée à se couvrir de pastilles dans l'avenir, et l'on espère y voir davantage de bleu... Il faut dire que ces environnements sont très souvent éphémères, souvent sur le point de disparaître après être apparus brièvement dans les media.
Mais revenons à cette cartographie du LaM. Elle n'est pour le moment qu'une esquisse, puisqu'on peut y trouver une quarantaine de sites indiqués sur la carte que l'on trouve dès l'accueil du site (voir ci-dessus). Alors qu'il en existe beaucoup plus. En ne se limitant qu'aux créateurs d'origine populaire, j'en ai inventorié dans mon Gazouillis jusqu'à 305 (du passé et du présent). Mais ce chiffre s'élève en réalité bien au delà... Atteignant vraisemblablement, au moins, les 400.
Déjà, en parcourant cette cartographie en ligne, je suis tombé sur deux sites dont je n'avais jamais entendu parler – deux que je retiens parmi les plus inventifs, les plus "artistes", les plus naïfs (primesautiers), en refoulant les faiseurs de maquettes, les accumulateurs de déchets, etc. Car ce qui m'intéresse avant tout, c'est de mettre en valeur la créativité chez les autodidactes non artistes professionnels. Ce sont des environnements qui ont été comme de juste découverts, dans les années 1980, par cet incroyable fureteur qu'est le photographe émérite Francis David. Il avait, dans ces années là, probablement déjà fait un premier tour de la France de ces modestes excentriques, adeptes du ciment armé, de la mosaïque, de la racine interprétée en plein air. Il aurait pu en dresser l'inventaire, daté de l'époque, si le public avait répondu présent après la publication d'un premier volume de son Guide de l'Art insolite, consacré aux régions (elles n'étaient pas encore réunies dans les "Hauts de France") Nord-Pas-de-Calais et Picardie (Herscher, 1984). Hélas, ce fut un échec, et l'éditeur ne poursuivit pas la publication d'autres volumes. L'auteur, que je croisai brièvement un jour de vernissage dans les locaux de Neuilly-sur-Marne à l'Aracine, paraissait quelque peu désabusé. Personne depuis cette date ne voulut s'atteler à nouveau à l'entreprise risquée d'inventorier les sites français d'art brut ou naïf en plein air. Je fus finalement le premier à y arriver... Grâce aux audacieuses éditions du Sandre et à son animateur, Guillaume Zorgbibe.
David, Francis, "Le jardin de Marcel Mazière. [Marcel Maziere dans son jardin],” HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, 1989.
Deux sites, disais-je, des années 1980, dont on peut se demander s'ils existent encore... : celui de Marcel Mazière à St-Astier en Dordogne (le site du LaM donne à chaque site son emplacement exact sur un plan) et celui de Raoul Justet à Allègre-les-Fumades dans le Gard.
Marcel Mazière, que la notice du LaM indique dans un état "indéterminé" (ce qui laisse un espoir à tous ceux qui voudraient aller voir sur place s'il en est resté quelque chose), fut rencontré par David en 1989. Peu de photos furent prises, quatre, nous dit la notice, peut-être parce que l'auteur n'avait que peu sculpté? Mais les statues animalières et humaine que l'on aperçoit sont d'une très belle facture naïve. Je n'avais personnellement jamais entendu parler de ce site.
David, Francis, “La maison de Raoul Justet. [Détail d'une fresque 2]”, HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, 1985.
Idem avec celui – encore plus extraordinairement séduisant, c'était un créateur naïvo-brut de première force! – de Raoul Justet dans le Gard. Là aussi, on aimerait savoir de toute urgence si ces travaux ont pu être sauvegardés depuis 1985, date des clichés pris par Francis David. Sa façon de tracer ses personnages me paraît du genre à s'être complètement perdue aujourd'hui, hélas...
David, Francis, “La maison de Raoul Justet. [Détail d'une fresque 1]”, HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, ph.1985.
Le LaM sur ce site consacré au habitants-paysagistes se veut interactif avec les internautes et tous ceux que la question des environnements d'autodidactes passionne. Il est fait appel aux bonnes volontés, par des formulaires de contact, voire des appels à contribuer même, si l'on a idée de faire découvrir des sites non répertoriés, ou de compléter telle ou telle information, par exemple sur l'état actualisé des sites indiqués sur la carte, ou le destin des œuvres postérieurement aux dates des clichés ou des informations données dans les notices (les sites "indéterminés" devraient à terme tous se trouver renseignés exactement sur leur durée réelle...). A chacun de voir donc...
Nota bene : "Les habitants-paysagistes, une cartographie du LaM" figure également (sous ce libellé) dans mes "doux liens", dans la colonne de droite de ce blog.
13:12 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : habitants-paysagistes, cartographie des maisons et jardins singuliers, aracine, francis david, lam, art brut, art naïf, environnements populaires spontanés, gazouillis des éléphants, marcel mazière, raoul justet, guide de l'art insolite, l'aracine | Imprimer
01/05/2018
Ceija Stojka, le coup de poing de la mémoire
La Maison Rouge à Paris va bientôt fermer, on le sait bien, hélas. Ce sera un haut lieu de la culture alternative, avec des propositions très souvent illuminantes, qui disparaîtra sans que rien d'équivalent ne naisse pour la remplacer, du moins à l'instant où j'écris ces lignes (ce sera un grand trou dans le paysage culturel parisien). Et les dernières expositions qu'elle organise, comme celle consacrée à la créatrice et témoin rom autrichienne, "Ceija Stojka" (1933-2013), "une artiste rom dans le siècle", ou celle présentant la collection de Mme Déborah Neff, consacrée à des poupées noires américaines, "Black dolls", expo tout à fait étourdissante, excellemment muséographiée, posant plein de questions sur la place des Afro-américains aux USA sous le regard des Blancs, ou bien encore l'exposition finale à venir en juin, "L'Envol", sur le thème des artistes qui ont rêvé d'envol (du 16 juin au 28 octobre 2018), organisée conjointement par Aline Vidal, Barbara Safarova, Antoine de Galbert et Bruno Decharme, toutes ces manifestations sont comme un feu d'artifice où le bouquet final ne pourrait cesser. Hélas (bis repetita)...
Vue parcellaire de l'exposition "Black Dolls, collection Déborah Neff" à la Maison Rouge, ph. Bruno Montpied.
L'expo Ceija Stojka, qui comme celle consacrée aux "Black dolls", se terminera bientôt, le 20 mai prochain, je l'ai vue dès le deuxième jour d'exposition, et quel coup de poing ce fut... On y revit la tragédie de la persécution et de l'extermination des Roms (100 000 morts en Autriche et en Allemagne ; on estime à 90% du total de leur population la disparition des Roms et Sintis en Autriche) par les Nazis à travers les yeux d'une enfant de 12 ans, qui peignit, et écrivit cela, à l'âge adulte (55 ans) en 1988, 45 ans après les faits, tout en ayant gardé sa fraîcheur d'enfant : sa déportation avec sa mère et des membres de sa famille dans les camps d'Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen, d'où elle réchappa par miracle et grâce à des sacrifices terribles. Elle raconte comment elle et sa famille s'y prirent pour survivre (en mangeant des feuilles d'arbre par exemple, ou des lacets de cuir, du tissu... ou en se réchauffant sous des cadavres) dans quelques livres que l'on trouve en traduction française, comme Je rêve que je vis, libérée de Bergen-Belsen, ou Nous vivons cachés, récits d'une Romni à travers le siècle, tous deux aux éditions Isabelle Sauvage.
Ceija Stojka, Ravensbrück 1944, tableau de 1994, 70x99,5cm, coll. privée, Montreuil.
Ceija Stojka a voulu parler, premier témoin parmi les siens, qui eurent longtemps le secret en héritage vis-à-vis des assassins nazis (les raisons en paraissent multiples – mais c'est aussi qu'il y eut peu de rescapés des massacres et des camps, rien qu'en Autriche à peine 1200 à 1500 individus, d'après Gerhard Baumgartner dans le catalogue de l'exposition – et que les Roms se méfiaient des non Roms, vu le racisme ambiant, toujours prêt à reprendre flamme). Le souvenir la hantait, et déborda d'elle certainement. Il lui fallut se mettre à peindre, et à raconter (dans ce dernier cas grâce à Karin Berger qui cherchait des témoignages), dans les deux cas avec des moyens qu'elle s'inventa au fur et à mesure, dans un même mouvement les persécutions et les morts mais aussi la vie d'autrefois ou d'après dans la beauté de la campagne d'été (jamais d'hiver...). Un torrent d'images torturées, colorées, âpres, se déversa durant vingt ans. Elle n'eut aucun doute semble-t-il quant à la forme, aucun complexe vis-à-vis de la qualité esthétique de son témoignage, et c'est ce qui fait aussi une grande part de la force de cette œuvre au message violent, à l'expression immédiatement branchée sur le vécu atroce. Dans le film qui est diffusé sur le site de la Maison Rouge, Antoine de Galbert souligne que lorsqu'elle raconte, Ceija Stojka a toujours douze ans. Dans ses peintures aussi. Les angles de vue sont adaptés à la taille d'un enfant de cet âge. Et la facture des tableaux, si rude et fruste, est plus efficace et plus évocateur qu'une description réaliste, elle touche davantage en transmettant directement par ses lignes et ses couleurs bouleversées, et bouleversantes, le tourment de la vision et du souvenir de la peintre, à la fois psychologiquement enfantine et immergée dans l'enfance de l'art¹...
Cette exposition est si forte, qu'elle entraîne presque le spectateur à revivre le traumatisme de Ceija Stojka, et à travers elle, l'horreur de ce que durent subir tant de ses semblables. C'est pourquoi on a du mal à en parler après, parce que l'on touche un peu du bout de l'âme les raisons du silence des rescapés, l'immense silence de mort et d'horreur qui saisit celui ou celle qui voit tout à coup ce qu'un homme peut infliger comme supplice à un autre homme, au nom de mythes, de mensonges, d'idéologie, de lubies funestes.
Ce qui a contribué Ceija Stojka à parler s'explique derrière un de ses tableaux par cette inscription laconique qui murmure, comme dans un souffle, qu'il lui semble toujours qu'Auschwitz n'est pas complètement mort et qu'il dort seulement... Et donc que jamais il ne faudra baisser la garde.
Ceija Stojka
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¹ L'enfance est peut-être le trait d'union des deux expositions, davantage que le racisme. Cette enfance qui porte en elle l'espoir d'abolition de la haine raciste. Car le racisme, tant qu'il ne lui a pas été inculqué par les adultes, n'existe pas chez l'enfant.
23:12 Publié dans Art de l'enfance, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ceija stojka, la maison rouge, blacks dolls, déborah neff, antoine de galbert, génocide des roms, camps de concentration, nazis, extermination des roms, art naïf, art populaire américain | Imprimer
25/04/2018
Retour de chine: un dessin de Lucie Valore, une peinture de "Bl.Mouron"
Lucie Valore, sans titre, sans date (entre 1940 et 1965), crayons de couleur sur papier, 20x23cm, coll. et ph. Bruno Montpied.
Dimanche dernier, au milieu de cet océan de drouille et autres rossignols qu'est la Réderie d'Amiens, il fallait pouvoir trouver quelques îlots où gisent les trouvailles qui rachèteront de tant d'errance au milieu des laids produits de notre contemporanéité. J'ai fini par tomber sur l'étal d'un couple de braves gens de la région qui vendait le petit dessin ci-dessus. J'ai cru sur l'instant à un magnifique dessin d'enfant. Il me faisait signe avec insistance, il me fallait l'acquérir. Le couple en question m'apprit alors qu'il s'agissait d'une œuvre d'une femme qui avait été l'épouse du peintre de Montmartre, Maurice Utrillo, fils de Suzanne Valadon. Elle s'appelait Lucie Veau dans sa jeunesse. Née à Angoulême en 1878, elle disparut à Paris en 1965. Amie de Suzanne Valadon, ancienne épouse d'un banquier, dont elle prit le nom passagèrement (Lucie Pauwels), elle épousa en 1935 Utrillo et changea alors une troisième fois de nom, pour s'appeler Lucie Utrillo. Au contact de ce peintre qu'elle protégea des ses penchants à l'alcoolisme, en l'abritant au Vésinet dans une charmante demeure, "La Bonne Lucie", elle put manifester à son tour sa vision incontestablement ingénue et naïve du monde, dans des paysages, des portraits et des natures mortes. On sait qu'Utrillo lui-même a parfois été qualifié de peintre naïf. Et c'est vrai que certains tableaux, par leurs coloris et les axes difformes de leurs perspectives, peuvent faire songer par association au "réalisme intellectuel" des Naïfs. Sans doute Lucie fut-elle lasse de ses changements multiples d'identité, et profita de l'occasion pour se créer enfin un nom qu'elle se serait choisi en tout indépendance. Elle s'appela alors Lucie Valore, magnifique patronyme qui, en raison de "l'or" qu'il renferme – se le dit-elle? –, pourrait lui assurer un certain succès... Rappelons qu'Anatole Jakovsky a cru bon, dans un ancien numéro des Cahiers du Collège de 'Pataphysique des années 1950, de relever ce fait que nombre de patronymes contenant les lettres "O,R" sont souvent liés à des destinées fastes et prospères...
Lucie et Maurice...
Lucie Valore, Autoportrait à l'aigrette.
Lucie Valore, Printemps.
Lucie Valore, paravent peint, 1959.
Tombe de Lucie et Maurice Utrillo au cimetière St-Vincent, à Montmartre, tout près de chez moi...
Je n'ai pas retrouvé pour autant trace de son inscription dans une quelconque histoire de l'art naïf. Jakovsky, Dasnoy, ou Bihalji-Merin l'ignorent superbement. Mais cela ne nous étonnera pas, il manque beaucoup d'autres artistes du même genre au bataillon, surtout bien entendu du côté des naïfs récents, mais aussi du côté des anonymes, ou des artistes autodidactes dont la production est restée limitée ou a été dispersée (et parfois détruite?) comme j'en donne un autre exemple ci-dessous, chinée aux puces, en compagnie d'un autre tableau (un portrait de Charles Maurras...).
Bl.(Blanche? Blandine?) Mouron, Autoportrait, 22x29 cm (3 Figure), 1958 ; ph et coll. B.M ; Qui connaît cette Bl. Mouron, avis aux amateurs...?
10:58 Publié dans Art naïf | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lucie valore, maurice utrillo, peintres de montmartre, bl. mouron, art naïf, anonymes de l'art naïf, réderie d'amiens, puces, chine | Imprimer
17/02/2018
Disparition d'une peintre naïve-brute, Yvonne Robert (1922-2018)
Je me fais volontiers provocateur avec ce qualificatif de "naïf" mais c'est que ce terme paraît adéquat, sans pour autant être pénalisant à mon humble avis, pour qualifier l'œuvre, riche et multiple, de cette paysanne vendéenne qui plongea dans la peinture, comme on se jette à l'eau pour apprendre à nager. Classée dans l'art brut depuis l'article que son frère, le collectionneur d'art précolombien Guy Joussemet, lui consacra dans le fascicule 14 de la Collection de l'Art Brut (1986), Yvonne Robert y gagna une certaine célébrité dans le monde des amateurs d'art d'autodidactes, sans que cela atteigne nécessairement un développement considérable, peut-être justement en raison de cet aspect résiduel "naïf" de sa peinture, mal vu des partisans orthodoxes de l'art brut, alors que ce n'est que l'autre face d'une même pièce (comme le sentait bien André Breton, à la différence de Jean Dubuffet)...
Yvonne Robert, Bonjour Sidonie Tiens la vieille est encore là..., 2005, dimensions non renseignées, communiqué par J-L. Faravel ; Le plaisir du spectateur des peintures d'Yvonne Robert se renforce à la lecture de leurs titres qui sont plutôt des récits des chroniques villageoises (pas très éloignées de l'esprit de Chaissac ou de celui de Gérard Lattier), des commentaires, des dialogues, parfois acides... Ce qui donne une double lecture (au moins) de ces œuvres.
Les spéculateurs et collectionneurs en quête de nouvelles viandes fraîches qu'ils espèrent trouver du côté de cet art brut dont on parle beaucoup, tentent de l'insérer de force dans leur connaissance cérébrale. On met au pinacle, chez certaine galerie parisienne, les faiseurs de diagrammes, les adeptes de numérologie lettriste spontanée, les "écrituristes" de tous poils, les gribouilleurs gâteux dont les productions sans la moindre émotion peuvent donner l'impression qu'on est toujours avec elles sur le terrain de la cérébralité adulée par les amateurs d'art contemporain. Avec Yvonne Robert, hélas, pour ces trafiquants d'ennui intellectualisé, il est difficile de retrouver le même genre d'escroquerie. C'est trop frais, trop touchant, trop authentique. On choisit alors de la regarder de haut, de la tenir en lisière, voire de l'ignorer. D'où le peu de développement de sa notoriété dont je parlais plus haut.
Yvonne Robert, ce sanglier du bois Charto, de 2014, est-ce un peu la peintresse elle-même, cernée par les corolles carnivores de ses détracteurs? Photo et coll. Bruno Montpied.
Guy Joussemet, qui fait partie de sa fratrie (au total sept enfants), a crûment dessiné le contexte familial misérable d'où est issue Yvonne Robert : "Elle est la sixième – et l'unique fille – d'une famille de sept enfants. Ses parents exploitaient une fermette de dix hectares [à Saint-Avaugourd-des-Landes dans le bocage vendéen], dont six en fermage. Querelles multiples, brouilles sans fin, agressions verbales constantes, ivresses prolongées du père, tentative de suicide de la mère, manque permanent d'argent, conditions de vie quasiment médiévales, voilà l'ambiance familiale." Je ne cite pas la suite des avanies que subira toute sa vie Yvonne Robert, dont une agression sexuelle, et des dépressions chroniques consécutives à des problèmes de santé à répétition¹. La peinture fut visiblement sa bouée de secours face au naufrage qui lui était promis. Elle commande en mai 1974, dans un magasin de Luçon, une boîte de couleurs pour aquarelle et du papier au nom d'une enfant de dix ans imaginaire (mais pas si imaginaire que cela, en définitive). Son frère Guy l'encourage vivement à continuer. Elle passe au bout de très peu de temps à la toile et à l'huile. Et elle ne s'arrête plus, créant par là même un double monde, plus accordé à ses espoirs et à son rêve d'une autre société.
Yvonne Robert, La Garache ne sortait que le soir pour faire peur aux gens, 2001, coll. privée, Gironde, ph. B.M.
Yvonne Robert, Les deux lotus, 2005, coll. privée, Loire-Atlantique ; exemple de peinture de pure composition non réaliste...
Son frère balaie dans son article la connotation "naïve" de ses compositions, affirmant que cela fut vite dépassé par sa sœur, qui se serait après 1984 davantage dirigée vers l'art "brut". Conscient du critère sociologique de la notion, il souligne dans cette même notice de 1986 qu'elle ne souhaitait pas se séparer de ses œuvres, n'en ayant laissé partir qu'une dizaine du côté de la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Et c'est vrai que les sujets peints ne sont pas toujours des paysages, des portraits, des saynètes rurales, mais aussi parfois débouchent sur une forme d'"abstraction" ou sur des compositions d'art informel, où des motifs ornementaux prennent l'essentiel de l'espace.
Yvonne Robert, Bonjour Monsieur Vous n'avez pas l'honneur de me connaître Je suis Léo Crépeau et j'habite à La Roche sur Yon, 2007, ph. et coll. B.M.
Yvonne Robert, Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina Je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi, les autres vont arriver, 2002, ph. et coll. B.M.
Il reste cependant que jusqu'à ces dernières années, Yvonne Robert, aura alterné les deux types d'expression, n'abandonnant jamais les sujets narratifs, les paysages, les anecdotes régionales, etc. Et qu'apparemment aussi, elle avait bien changé son fusil d'épaule quant à la communication de son œuvre, que l'on pouvait acquérir à un prix raisonnable en divers endroits. Elle représente de ce point de vue un exemple de créateur appartenant à un second marché des arts spontanés, aux prix abordables, n'éloignant pas les œuvres des auteurs primesautiers des amateurs au standing fort modéré certes, mais peut-être plus proches au point de vue social des auteurs d'art naïvo-brut.
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¹ Rien n'est dit dans le témoignage de Guy Joussemet sur la possible bigoterie diffuse dans les milieux vendéens, mais cela a pu également jouer sa part dans cet enfer.
12:23 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art rustique moderne | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : yvonne robert, art naïf, art immédiat, art brut, guy joussemet, marché de l'art brut, art rustique moderne, chaissac, gérard lattier | Imprimer
09/02/2018
Une naïveté toute en rousseur : A. Dumas (?)
"A. Dumas", une signature en rouge tracée en grosses lettres au bas de deux tableaux récemment dénichés aux Puces, le "A" correspondant peut-être à "Alice", d'après ce que me confia le marchand qui exhibait ces peintures sur le trottoir, car l'auteur étant, paraît-il, une femme... Les informations étaient chiches à son sujet, il s'agirait d'une peintresse inconnue, trouvée par un médecin qui aurait ramené quelques toiles à Nice, où le marchand vendant aux Puces les aurait à son tour choisies... Au moment de sa découverte par ce médecin, elle vivait dans une maison de repos à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris. A quelle époque? Probablement pas plus loin que le dernier siècle... Comme on le voit, et comme à l'habitude avec nos amis les brocs', il est bien dur d'avoir une traçabilité bien cernée...
A. Dumas, sans titre (deux visiteurs d'un moulin dans les bois, celui qui s'en vient, celui qui s'en va ; celui qui s'en vient a le sourire, celui qui s'en va fait une grimace : le prix de la farine lui a-t-il vidé la bourse?), sans date, 90x106 cm, huile sur toile, photo et coll. Bruno Montpied.
Ce paysage me plaît énormément. Il ne faut évidemment pas se contenter de le juger d'après votre écran, la photo ne rendant que malaisément de son charme physique. Il y a un effet de matière, aux teintes rousses, rouges, brunes, jaunes, teintes automnales comme perpétuelles qui est envoûtant. Et plus je vis à côté d'elle, plus l'envoûtement grandit. L'esprit se fait progressivement aspirer dans ce paysage sylvestre aux arbres étranges. Se dressent ici, parmi ces corolles piquetant harmonieusement la composition (procédé habile d'autodidacte pour remplir le tableau d'une manière foisonnante), des bouleaux apparemment, tenant par de simples traînées blanchâtres aux dessins incertains, aux limites de l'anthropomorphisation... Et ces deux hommes aux têtes disproportionnées, aussi grosses que les roues de leurs carrioles (qui sont pour leur part passablement minuscules), que leurs expressions paraissent opposer... comme ils retiennent et interrogent nos regards, sur ces deux routes qui dessinent un V, ou le sommet d'une fourche, V que l'on retrouve en écho dans l'écartement des ailes du moulin, ailes comme désolidarisées du toit de ce moulin par ailleurs...
A. Dumas, sans titre, sans date, 81x100 cm (un jardin aperçu dans l'axe d'une charmille, avec cinq personnages - deux femmes et trois hommes - qui paraissent s'échanger des propos, ou des plantes (un homme tenant un panier semble-t-il), devant des parterres de fleurs visible sen arrière-plan ; photo et coll. B.M.
Dans ce tableau aussi, on retrouve la même gamme chromatique tournant autour d'une prédilection de l'autrice pour les teintes jaunes, rouges, oranges et brunes d'une saison figée par la magie d'une préférence. Il y a à l'évidence chez notre artiste un goût marqué pour les fleurs, l'abondance des couleurs de la nature, le foisonnement de la fertilité, apparent à la fois dans le jardin aux fleurs rouges de l'arrière-plan, et dans les ramures surchargées de grappes fleuries qui encadrent harmonieusement ce ballet de rencontres entre des personnages venus pour une récolte, semble-t-il, si l'on considère les brouettes placées à la base de chaque arbre, le tablier de la deuxième femme qui paraît concernée par le panier que lui tend l'homme devant elle, ou cet autre homme qui se penche à gauche pour cueillir des fleurs... Il y a peut-être là un moment de pur bonheur, un souvenir d'autrefois tel que voulut le revivre peut-être, au fond de sa maison de retraite, cette Mme Dumas, inconnue des radars de l'histoire de l'art, y compris naïf¹, au soir de sa vie, nostalgique peut-être, et ayant trouvé le moyen de revenir dans le passé à volonté par la magie de sa peinture.
C'est l'occasion de répéter une fois de plus le plaisir que l'on peut goûter au spectacle d'une œuvre dite "naïve" (figuration poétique... Réalisme intellectuel...), contrairement à ce qu'affirmait Dubuffet, dans le but d'imposer son Art Brut. On n'a pas forcément affaire à un artiste ne se résumant qu'à une recherche de réalisme à l'académisme plus moins raté. Il y a chez les meilleurs naïfs, qu'ils soient frustes ou raffinés, une délicatesse de vision qui restitue la sensibilité immédiate des auteurs, une sensibilité brochée sur une perception enchantée – du fait de dispositions particulières pour voir le côté poétique des choses, des situations, des relations entre les gens, des paysages... Le résultat de leurs œuvres est d'autant plus fort que ces artistes, qui se sont faits eux-mêmes, ont choisi de perpétuer la représentation extérieure du monde en y mêlant l'écho de leur perception intérieure de ce même monde.
M'est avis que dans un proche avenir, l'art naïf merveilleux (car je n'ai pas en tête l'art naïf commercial du genre cul-cul) pourrait bien faire retour auprès des amateurs d'art autodidacte, par lassitude devant les recherches répétitives d'un certain art brut par trop déconnecté de la figuration, ou par trop ésotériques.
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¹ J'ai consulté ma documentation, demandé autour de moi, et nous n'avons pour l'instant rien trouvé sur cette "A. Dumas" (ou Alice Dumas, le prénom "Alice" ayant été suggéré par le marchand, ce qui reste toutefois très incertain...). Si des lecteurs reconnaissaient l'œuvre et la dame, qu'ils n'hésitent pas à se manifester...
Mise à jour : cependant, si l'on veut bien sauter quelques mois sur ce blog, et se reporter à une nouvelle note, celle du 26 juin 2019, on verra que le hasard nous a finalement permis d'identifier cette artiste...
00:07 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : a. dumas, art naïf, art naïf féminin, art immédiat, bruno montpied, trouvailles de puces, meuniers, alice dumas, art brut, retour de l'art naïf | Imprimer
02/11/2017
"Le Gazouillis des éléphants", premier inventaire des environnements populaires spontanés en France, par Bruno Montpied, paraît aujourd'hui
Trente-cinq ans que je le méditais cet inventaire... Longtemps, je me suis dit que je n'y arriverais jamais. Et puis un soir... A la Maison de Victor Hugo, j'ai fait une rencontre, j'ai fait connaissance avec le responsable des éditions du Sandre, Guillaume Zorgbibe, qui accompagnait un vieux camarade à moi, Joël Gayraud. Guillaume éditait alors la revue de Marco Martella, Jardins, qui cessa malheureusement après six numéros. Martella m'avait invité à publier un article pour son n°2. Par la suite j'en fis un autre dans le n°5. Bref, les Editions du Sandre, c'était donc déjà mon éditeur... Je le signalai en souriant à l'ami Guillaume. Il me semble qu'il m'a regardé avec curiosité, mais peut-être mon souvenir enjolive, mythifie ce qui s'est réellement passé ce soir-là. Ce fut le début de notre collaboration plus étroite autour d'un projet qui m'était cher depuis longtemps, faire l'inventaire des environnements spontanés français...
Après Eloge des jardins anarchiques en 2011...
Andrée Acézat, oublier le passé, en 2015...
Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, en 2016...
Voici donc :
Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, etc., éditions du Sandre, novembre 2017.
Ce projet d'inventaire des environnements populaires spontanés français (= "inspirés des bords de routes", "habitants-paysagistes", "bâtisseurs de l'imaginaire"...) me trottait dans la tête depuis des décennies. Chaque fois que je commençais à accélérer dans l'idée de le finaliser en m'y mettant sérieusement, un livre sortait sur la question, parcellaire, toujours insuffisant à mon avis (par exemple le Bonjour aux promeneurs d'Olivier Thiébaut chez Alternatives en 1996), ou mixé de façon peu judicieuse (mais commerciale!) avec des sujets insolites plats (par exemple Le Guide de la France insolite de Claude Arz chez Hachette en 1990, où le sujet était mêlé à l'évocation de lieux hantés, de trésors cachés, de musées de l'épicerie, de la sorcellerie de bazar...).
Le Gazouillis présent à l'étalage du stand de la Halle St-Pierre à la dernière Outsider Art Fair, du 19 au 22 octobre dernier, où il fit une apparition temporaire en avant-première... pour une dédicace.
Le Gazouillis ouvert sur une notice consacrée à Denise Chalvet en Lozère. Ph. B.M.
En rassemblant tous les sites recensés dans les différents ouvrages d'un certain volume traitant de la question, il me semblait toujours qu'on ne dépassait pas la centaine de créateurs environ, tout compris, dispersés qui plus est sur plusieurs ouvrages distincts publiés à des années de distance. En outre, les découvertes se renouvelaient fort lentement (je ne veux pas jeter la pierre à Claude et Clovis Prévost, mais au fil des années, ils ne nous ont parlé que des mêmes 15 créateurs, dont certains, comme Chomo, Tatin ou Garcet étaient plutôt des artistes singuliers et marginaux que des créateurs totalement hors système des Beaux-arts). Dans Eloge des Jardins anarchiques, moi-même, je n'évoquais qu'une cinquantaine de sites (dont plusieurs avec une seule photo).
Couverture de Jardins n°5, 2014 ; avec un texte de Bruno Montpied sur la Mare au Poivre d'Alexis Le Breton (Morbihan)
Alexis Le Breton, dans son arboretum de La Mare au Poivre, Locqueltas, ph. Bruno Montpied, 2010.
Ainsi, si l'on voulait se faire une idée de l'ensemble des sites qui avaient existé, existaient encore, ou étaient en train d'apparaître, l'information était éclatée, parfois dans des publications devenues très difficiles de se procurer, uniquement consultables pour beaucoup en bibliothèque, ou bien se trouvait sur des cartes postales anciennes rarement rassemblées en un livre unique (la collection de cartes postales sur les Inspirés de Jean-Michel Chesné, si elle fut dévoilée dans la défunte revue Gazogène de Jean-François Maurice, ne paraît l'avoir été que de façon fragmentaire et, là aussi, éclatée sur les différents numéros ; de plus ce rassemblement de documents anciens, séparé d'un rassemblement plus général qui aurait montré la continuité des sites présents sur les cartes postales, donnait une impression tronquée du phénomène). Ces cartes postales anciennes (en l'occurrence, venues de ma propre collection), il me semblait nécessaire – c'est une autre caractéristique importante de mon inventaire - de les associer dans mon livre à une iconographie en couleur illustrant les mêmes sites conservés jusqu'à l'époque présente, ainsi, bien sûr, que des sites nettement plus récents. D'une manière immédiate, devant ce noir et blanc confronté à la couleur, le lecteur comprend que les environnements existent depuis bien avant le Palais Idéal du Facteur Cheval (commencé en 1879) et se poursuivent aujourd'hui...
Bas-relief de Louis Licois, daté de 1843, toujours présent sur la façade d'une maison à Baugé (Maine-et-Loire), Photo B.M., extraite du Gazouillis, 2009.
J'ai longtemps déploré dans mes débuts de recherche de ne pas trouver une ressource qui me permettrait d'avoir la liste complète des lieux existants ! C'est une question qui m'a souvent été posée au cours des débats que j'ai pu faire à la suite de la sortie d'Eloge des jardins anarchiques : comment faites-vous pour trouver ces sites? Pour aller voir ces sites étonnants, c'est un truisme, il faut d'abord apprendre qu'ils existent, et trouver l'endroit où on les évoque. Ce sont des lieux privés, où il y a une exhibition certes, mais qui restent des lieux privés, des habitats supposant une approche discrète et respectueuse des habitants. Dans les années 1980, années où j'ai commencé ma quête, il n'y avait bien sûr pas d'annuaire des inspirés! Ce dernier n'est d'ailleurs pas souhaitable. J'ai patiemment cherché, sans me presser (cette lenteur m'a toujours paru essentielle ; aujourd'hui les nouveaux venus dans ce genre de recherche, habitués à tout trouver très vite sur internet, sont trop pressés...), accumulant des fiches, des références... Une bibliographie condensée et fournie, commencée dans Eloge des JA, et légèrement augmentée dans mon nouveau livre, fait office à mes yeux de premier signe de pistes... Il n'est pas aventuré ou has been de considérer cette recherche des Inspirés hors système des Beaux-Arts comme une longue dérive au sein d'un labyrinthe... Un sens préservé du merveilleux est à ce prix.
Entrée du Paradis, chez son auteur, Léopold Truc, à Cabrières d'Avignon (Vaucluse), ph. B.M. (extraite du Gazouillis), 1989.
Le Gazouillis n'est donc pas un annuaire. Je n'y ai donné des adresses que lorsque j'étais sûr que cela correspondait au désir des créateurs inventoriés, ou des collections qui préservent des fragments d'environnements (comme la Fabuloserie dans l'Yonne, la collection de l'Art Brut à Lausanne, le LaM de Villeneuve d'Ascq à côté de Lille, ou le Jardin de la Luna Rossa à Caen). C'est plutôt une immense stimulation à découvrir la création primesautière française se déployant hors les cadres des beaux-arts traditionnels, et aussi, point remarquable, hors du marché de l'art (ce qui explique qu'on n'en parle pas tant que cela!).
Les Ruines de la Vacherie, exemple de carte postale ancienne (début de XXe siècle), montrant un site réalisé par un récupérateur de gravats nommé Auguste Bourgoin, alentours de Troyes (Aube), aujourd'hui disparu, coll. B.M.
Il rassemble, avec discrétion et parfois un peu de mystère, en un seul volume, tout ce que j'ai pu voir et trouver dans des ouvrages ou des revues, pas forcément des publications spécialisées en art brut d'ailleurs, et tout ce que j'ai découvert de mon côté, ou éclairé, ou remis en perspective. A partir de ce rassemblement, il me semble qu'on pourra se faire une idée plus précise du phénomène des créations d'autodidactes en plein air, entre habitat et route, associables tantôt à l'art brut, tantôt à l'art naïf, sur le territoire métropolitain en France.
Le Gazouillis des éléphants recèle ainsi jusqu'à 305 notices consacrées à ces créations d'hier et d'aujourd'hui. En donnant l'état des lieux, dans la mesure de mes connaissances, et en particulier les solutions diverses qui ont été trouvées pour sauvegarder ou prolonger, en partie ou en totalité, divers sites. Depuis quelque temps, il me semble en effet que la notoriété de l'art brut et des environnements d'inspirés allant en augmentant, le public se montre de plus en plus sensibilisé à la question du prolongement à donner aux environnements spontanés post mortem. Ce que les héritiers de ces décors foutraques auraient jeté naguère, il arrive plus fréquemment qu'il soit désormais conservé ou, quand on veut à tout prix s'en débarrasser, au moins mis en vente par exemple (voir le cas du site d'André Hardy en Normandie).
André Hardy, lion en ciment peint et collage de faux crin, ph. B.M. en 2010.
Le même lion d'André Hardy dans les réserves du LaM à Villeneuve d'Ascq, après acquisition et en attente de restauration, © photo LaM 2011.
Fidèle à mon angle habituel pour aborder ces créations de plein air, je me suis cantonné dans cet ouvrage aux environnements populaires, en écartant tous les environnements créés par des artistes modernes ou singuliers (marginaux), hormis quelques cas-limites qui permettent de faire ressortir la spécificité du corpus retenu (comme par exemple le jardin de Monsieur X dans la Presqu'île de Crozon en Bretagne, de son vrai nom Jacques Boënnec - je donne à présent son nom car il vient de disparaître ; auparavant, il m'avait demandé de taire son identité, d'autres que moi n'avaient pas eu ce respect...). Pas de Cyclop de Tinguely, ou de musée Robert Tatin, pas davantage de maison de "Celle qui peint" (Danielle Jacqui), manifestant une culture artistique préalable (Jacqui m'a toujours donné l'impression de connaître Picassiette, par exemple).
Primo, il fallait circonscrire à tout prix le champ d'étude (déjà, arriver à 305 notices m'a amené à un livre-monstre qui fait 930 pages avec plus de mille photos, pour un poids de 2,7 kgs...). Secundo, j'ai un faible pour les créations d'autodidactes populaires, qui œuvrent artistiquement sans se revendiquer artistes, et dont les travaux, détachés de toute attitude référentielle – y compris quand il leur arrive de démarquer ou de copier/transposer des œuvres d'art vues à la télé ou dans les magazines –, gardent une fraîcheur authentique. Fraîcheur brute ou naïve, je ne fais pas de hiérarchie sur ce point, si l'œuvre me surprend et m'enchante (critère premier!).
C'est ce qui explique que l'Introduction du Gazouillis insiste sur ce slogan que je reprends régulièrement, depuis quelque temps, dans mes textes : il s'agit bien d'un Art sans artistes. Comme on parla à une époque d'une architecture sans architectes.
Bon vagabondage à tous!
Bruno Montpied, Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage, Editions du Sandre, 2017. 950 pages, 220x240x70 mm, plus de mille photos couleurs et noir et blanc. Disponible au prix de 39€ dans toutes les bonnes librairies (si vous ne le trouvez pas, faites-le commander par votre libraire favori) à partir de la première semaine de novembre. Diffusion Harmonia mundi.
Les professionnels des éditions du Sandre, sans qui il n'y aurait jamais eu de multiplication du Gazouillis, de gauche à droite: Guillaume Zorgbibe, Stefani de Loppinot et Julia Curiel, ph. B.M., 2017 ; merci à eux! Heureusement que ces gens existent...
QUELQUES DATES A RETENIR :
Durant tout le mois de novembre, exposition de photos et d'objets de la collection de Bruno Montpied dans la librairie Atout-Livre, 203 bis avenue Daumesnil dans le XIIe arrondissement. Causerie et débat avec le public le vendredi 24 novembre à 19h30, en présence de B.M. et de Régis Gayraud, camarade d'enquête de B.M.
Le samedi 9 décembre, à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, à 15h, projection de photos extraites du livre (rangées par ordre chronologique de dates de création) et débat avec le public en présence de B.M. Suivie d'une dédicace. Organisée en partenariat avec la librairie de la Halle St-Pierre.
Le mercredi 20 décembre, au Musée de la Création franche à Bègles, à 19h30, projection de photos et rencontre-débat avec le public dans le cadre du LAB et en partenariat avec la librairie bordelaise La Machine à lire.
Dessin de Jade, 8 ans (qui sert de cul-de-lampe à quelques endroits du Gazouillis, notamment sur les pages de garde)
00:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : le gazouillis des éléphants, éditions du sandre, bruno montpied, environnements spontanés, art brut, art naïf, éloge des jardins anarchiques, revue jardins, marco martella, alexis le breton, andré hardy, claude et clovis prévost, marcel vinsard, andrée acézat, premier inventaire des environnements spontanés, guillaume zorgbibe, julia curiel, louis licois, léopold truc, cartes postales anciennes | Imprimer