Créer en intérieur, une enquête (22/03/2020)
Nous voici confinés, et pour un bout de temps semble-t-il...
Je me demandais il y a quelques minutes si cette situation ne serait pas favorable (un mal pour un bien...) à métamorphoser les logements en zones recréées, avec des murs sculptés, incisés,, ou peints à la fresque, couverts de mosaïque ou de fragments d'assiette, voire avec divers éléments incrustés... Si vous avez eu vent de ce genre de décors ces jours-ci, si vous-même vous vous attaquez (il faut être propriétaire des lieux bien entendu), ou si vous vous êtes attaqués, aux murs de votre prison domestique autrefois, n'hésitez pas à m'en faire part, on pourra répercuter par vos images sur ce blog ce que vous m'enverrez. L'adresse mail pour ce faire n'est pas celle que vous donne le lien "me contacter", mais bien celle qui se trouve à la fin de mon "éditorial" du blog, cliquez sur la ligne "A propos" pour la trouver en faisant défiler le texte jusqu'au bout.
Les prisonniers gravaient des graffiti dans les murs de leurs cellules, qu'avez-vous envie d'infliger à ces nouvelles murailles du confinement?
Je vous donne ci-dessous un exemple de ce que j'entrevois, en l'occurrence un fragment du décor peint tout à fait ébouriffant qui existait chez Jean-Daniel Allanche à Paris près de la place Saint-Sulpice et tel qu'il a été révélé (et sauvé par dépôt des murs) par son ami Hervé Perdriolle.
Jean-Daniel Allanche, son plafond peint (détail), photo Pierre Schwartz.
Vue des moquettes peintes par Jean-Daniel Allanche, 166 x 194,5 cm et 165,5 x194,5 cm, coll. privée.
19:51 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : décors intérieurs créatifs bruts élaborés ou singuliers, jean-daniel allanche, hervé perdriolle, fresques, mosaïque, graffiti, architecture intérieure | Imprimer
Commentaires
Cela a commencé par des graffitis, des dessins et un peu de confiture étalée sur les murs que le père avait commencé par enduire avant un hypothétique coup de peinture. La mère un peu embêtée a montré la chose au père qui rentrait du travail. Le père a ri : "Faut bien qu'ils s'amusent, leur gâche pas leur plaisir!" Plus tard, dans la famille, l'expression est devenue proverbiale. Alors, rapidement, le logement s'est couvert de gribouillages. Puis j'ai commencé à faire des trous dans les murs en chipant le vilebrequin du père. On pouvait élargir les trous à la cuiller. J'ai creusé des galeries : il fallait gratter avec un clou tordu l'intérieur du mur entre deux trous voisins. Les murs se sont couverts de trous qui ne contournaient même plus les gribouillages. Un peu plus tard, comme j'avais peur de la nuit, j'ai inventé les "anti-nuits" : je bourrais les trous du papier d'argent qui entourait les tablettes de chocolat. J'avais cinq ou six ans.
Je commençais à grandir. Vues de haut, les plinthes en bas des murs me rappelaient la ligne des boutiques qui courait au pied des immeubles, que je voyais depuis la fenêtre du sixième étage, quand je me penchais grisé par la peur de la défenestration. J'ai commencé à coller en haut des plinthes des bandelettes de papier qui formaient des enseignes de boutiques et j'y ai écrit ce qu'on était censé échanger dans ces boutiques; à certains endroits, j'ai dessiné des plaques de rue et à d'autres, j'ai dessiné au-dessus des plinthes, sur les murs, quelques fenêtres comme celles des immeubles d'en face. Aujourd'hui, je me demande même si mes premiers gribouillages, des sortes de rectangles grossiers au crayon, n'étaient pas déjà des fenêtres, seul paysage extérieur devant nos yeux. Plus tard, j'ai peint de manière plus réaliste au bas des murs quelques-unes de ces fenêtres qui faisaient à peu près six ou sept centimètres de hauteur, avec de petites persiennes bleu-gris. Mais avant - je devais avoir douze ans - j'ai commencé à rapporter du lycée des craies blanches. Ma première idée était de les écraser pour reboucher avec le plâtre dont elles sont fabriquées les trous pratiqués plus tôt dans les murs. Ce procédé ne fonctionnait pas. J'ai voulu façonner les craies pour les faire entrer dans les trous. Un jour, en triturant une craie avec une épingle, j'ai découvert que je pouvais les sculpter finement, les trouer, les denteler, et je commençai ainsi à créer de petites statuettes de quelques centimètres de hauteur, en reproduisant avec un minuscule outil et dans un petit espace cylindrique des décors beaucoup plus fins et beaucoup plus évocateurs que ce que j'avais autrefois pratiqué dans les murs avec mes clous et mes cuillers. Je découvris que tremper la pointe de l'épingle un instant dans le vinaigre facilitait ma tâche. Je faisais de minuscules arches, je me souviens de mon chef-d'œuvre, qui comportait plusieurs ogives entrecroisées. Je n'arrive plus à imaginer comment j'ai pu être aussi minutieux. C'était un travail délicat et il y eut des ratés, des efforts anéantis par un coup d'épingle trop énergique. J'étais terriblement calme, concentré et tout entier pris par ce travail. Je le faisais en cachette, le soir, dans mon lit, et je rangeais ensuite matériau et outillage derrière les livres de mon étagère. Il m'est venu une nouvelle idée et quand j'eus un nombre suffisant de craies, toujours en cachette, j'ai dessiné sur le mur de la chambre, derrière un dessin punaisé que j'enlevais le temps de faire ce travail, plusieurs petites niches que j'ai entrepris de creuser. Sitôt que je me retrouvais seul dans le logement, j'enlevais le dessin, je creusais dans le mur mes niches avec un couteau et un clou, puis je replaçais le dessin devant mon travail et je ramassais les gravats que je jetais dans la poubelle familiale en prenant bien soin de ne laisser aucune trace apparente. La fin de mon travail de sape a coïncidé avec mes premières promenades en solitaire dans la ville. Une des toutes premières fois où je suis sorti seul, je suis allé chez un droguiste acheter un pot d'enduit tout-prêt. Autour de mes niches, j'ai recouvert d'enduit bien lisse un grand rectangle de mur qui magnifiait les niches, j'ai modelé deux petits modillons d'enduits circulaires pour la décoration. Quelques jours après, une fois l'enduit séché et poncé, j'ai installé mes craies sculptées dans les niches, celle que je considérais comme mon chef-d'œuvre au milieu. J'ai replacé le dessin par-dessus pour cacher l'ensemble une dernière fois et quelques jours après, je l'ai enlevé, dévoilant l'œuvre à l'indéniable cachet antique. Cris de stupéfaction et d'admiration de toute la famille!
Plus tard encore, mon frère a eu un projet. Un couple de ses amis, Olivier V. et sa compagne, avaient entrepris de couvrir l'escalier de leur immeuble, rue Sibuet, dans le XIIe, de fresques naïves. La porte de notre chambre était un hideux panneau de bois dont la peinture blanc-crème écaillée en maints endroits laissait voir par plaques une ancienne couche de peinture brune. Prenant exemple sur cet environnement de la rue Sibuet sans doute aujourd'hui disparu, il décida de peindre sur notre porte un château, un ciel bleu, une montagne verte, un chemin jaune montant vers le château, et dans le panneau inférieur, une tête de chat sur fond bleu. De mon côté, j'ai commencé à ouvrir avec délicatesse les noix, à conserver les coquilles, et j'ai confié à mon frère mon projet : couvrir de coquilles de noix collées tout le cadre de la porte autour de sa future fresque. Cela fut fait. Les noix furent vernies. Quelque part, une des coquilles de noix renferme toujours un papier expliquant comment fut réalisée cette œuvre. Un peu plus tard encore, j'ai peint tout un chambranle de porte de formes abstraites lyriques. Les murs étaient partout couverts de dessins, de tableaux, sur cartons ou sur toiles. Une plante envahissante, ne sachant qu'envahir, envahissait le plafond. Un piano dormait sous la poussière.
Écrit par : Régis Gayraud | 22/03/2020