Les éditions Ion (04/03/2021)
On peut se demander si cet éditeur, afin de dénicher un nom original, n'aurait pas par hasard délibérément choisi de redoubler la dernière syllabe – ou diphtongue? (je sens qu'un linguiste distingué de ma connaissance va nous préciser cela) – du mot "éditions". Ion, c'est donc son nom, maison située à Angoulême, avec un site web: www.ionedition.net. A feuilleter leur catalogue, on se dit que l'on a affaire à des graphistes nouvelle génération, peut-être stimulés par le festival de la Bande Dessinée qui se tient régulièrement dans la préfecture de la Charente. Un libraire qui m'alimente depuis longtemps en documentation intrigante, Pascal Hecker "de" la Halle Saint-Pierre (il n'est pas encore anobli, mais ça pourrait venir), a sélectionné deux opuscules au sein de leur catalogue qui valent le coup d'être signalés.
Paravent couvert de collages d'Hans Christian Andersen, édité sous forme de marque-page pliant par la Galerie 1900-2000 en 2003, à l'occasion d'une exposition sur le collage surréaliste.
L'un est consacré aux découpages d'Hans Christian Andersen, qui nous rappelle que ce merveilleux conteur fut aussi adepte d'expérimentations primesautières, comme le collage (il composa ainsi tout un paravent) et les découpis de silhouettes. La plaquette éditée par Ion (en 2018, avec un titre, je dois dire, un peu approximatif, "Les Contes découpés"... ; j'écris "approximatif" parce que les découpages d'Andersen n'étaient pas spécialement des illustrations pour contes qu'il réécrivait), cette plaquette, si elle a le mérite de raviver la mémoire de ces travaux oubliés, ne s'élève cependant pas à la qualité d'un autre petit livre édité par Jacques Damase qui, en 1990, avait déjà présenté les mêmes productions d'Andersen, qui étaient plus diverses et variées, parfois en couleur, mêlant écritures manuscrites, collages et découpages que ce que présente un peu chichement l'édition de Ion. Cette dernière fonctionne comme un rappel.
Deux pages du livre des éditions Jacques Damase sur Andersen.
Le petit livre de Jacques Damase, intitulé Le Monde magique d'Hans Christian Andersen. Papiers collés, déchirés, découpés, avait eu en outre l'heureuse idée de proposer deux petits textes biographiques sur le "vilain petit canard" d'Odensée, l'un assez idéalisé d'H.G. Olrik, daté de 1930, et un autre, de Patrick Griolet, paru dans le Monde en 1984, rétablissant des vérités plus réalistes concernant le conteur, qui resta vierge toute sa vie, et craignait par-dessus tout d'être enterré vivant, entre autres angoisses.
La brochure sur les découpages d'Andersen, version Ion.
L'édition Jacques Damase de 1990.
C'est une deuxième brochure de cet éditeur charentais qu'il faut surtout mentionner, à la vilaine couleur de couverture, hélas (on reste perplexe devant un tel ratage, lorsque l'on découvre le contenu, excitant pourtant, de cette même plaquette) : Boîtes, consacrée aux sculptures au couteau de Levi Fisher Ames (18433-1923), conservées à la Kohler foundation, dans le Wisconsin, aux USA bien sûr (voir la page consacrée sur leur site web à cet ancien charpentier, vétéran de la Guerre de Sécession).
La couverture de la brochure consacrée par Ion aux sculptures en boîte, genre mini dioramas, de Levi Fishers Ames.
Cet autodidacte réalisa ainsi une "immense galerie de figurines en bois: animaux tant naturels que mythologiques ou bizarroïdes (...) qu'il abritait dans des vitrines articulées qui s'ouvraient comme des livres. il les montrait dans les foires sous des tentes..." (présentation anonyme du livre). Il lui arrivait de raconter des histoires tout en sculptant devant le public, dans des sortes de démonstrations. Il ne vendit jamais lui-même sa collection, conscient qu'on la comprendrait mieux en la contemplant dans son entier. C'est sa famille qui s'en chargea au moment de la crise de 1929. Heureusement, un petit-fils racheta l'ensemble dix ans plus tard pour le donner à la Kohler foundation. Il faut faire confiance aux petits-enfants...
Levi Fisher Ames, oryx et léopard, lion et buffle, Ion éditions.
Les sculptures contenues dans ces boîtes articulées sont proprement étonnantes, et pleines de charme. qu'on en juge ci-dessus et ci-dessous où je donne deux exemples, parmi beaucoup d'autres présents dans ce livret.
Levi Fisher Ames, ours et porc, the Imp and kirchers winged dragon, Ion éditions.
On trouvera le(s) livre(s) des éditions Ion à la librairie de la Halle Saint-Pierre et bien sûr aussi en commande sur leur site web.
22:49 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : hans-christian andersen et ses papiers découpés, ion éditions, jacques damase, patrick griolet, levi fishers ames, sculptures au couteau, bestiaire bizarroïde, pascal hecker, librairie de la halle saint-pierre | Imprimer
Commentaires
Peut-être est-ce également une référence au "centre de création" créé par Marc O (Marc-Gilbert Guillaumin) dont la revue "Ion" était l'organe de communication. Cette revue n'a eu qu'un seul numéro publié en 1952. Celui-ci était consacré au cinéma (on pouvait y lire des articles des lettristes d'alors, Jean Isidore Isou, Poucette, G. Pomerand, Gil J Wolman, Serge Berna, Guy-Ernest Debord..) ce qui a pu faire dire à certains que c'était une revue de cinéma, mais dans l'esprit de son animateur, elle était ouverte à toutes les expérimentations graphiques. Une des hypothèses pourrait donc être que cette édition est héritière du "centre de création" sus-cité.
Écrit par : RR | 05/03/2021
Ce serait très surprenant qu'une telle hypothèse se trouve vérifiée, à mon humble avis...
Écrit par : Le sciapode | 05/03/2021
Ion est surtout le titre et le personnage central d'un célèbre dialogue de Platon sur la poésie et l'art des rhapsodes. C'est sans doute la référence commune à la revue de Marc'O et à cette assez récente maison d'édition. Quant à savoir si phonétiquement le mot «Ion» est une diphtongue, rappelons que la diphtongaison a disparu en français normatif moderne. On a juste ici une semi-consonne suivie d'une voyelle nasale.
Écrit par : L'aigre de mots | 05/03/2021
Bon, l'Aigre est catégorique sur la diphtongaison. Mais, encore bon, nonobstant le "français normatif moderne", on trouve toujours cette définition du mot diphtongue, à laquelle je me référais implicitement dans ma note: "Voyelle qui, au cours de sa tenue (ou émission), subit une variation de timbre et qui, de ce fait, peut être considérée comme la fusion en une seule syllabe de deux éléments vocaliques perçus comme différents, successifs, et dont l'un est plus fermé que l'autre." La diphtongue "ion" paraît être même une "diphtongue mouillée", si j'en crois le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales présent sur le Net. Jolie, je trouve, l'expression "diphtongue mouillée"...
Écrit par : Le sciapode | 06/03/2021
En fait, sans préjuger, de ce que pourrait expliquer un des animateurs de cette maison d'édition, il est fort probable que ce nom de "ion" a été simplement choisi en rapport avec la notion d'atome chargé d'électricité positive ou négative.
Nul besoin de profiter de cela pour étaler votre culture, messieurs RR et l'Aigre...
Écrit par : Le sciapode | 06/03/2021
Oh, avec vos ions positifs ou négatifs, arrêtez d'étaler votre culture... physique, M. le Sciapode ! A culturé, culturé et demi.
Écrit par : L'aigre de mots | 06/03/2021
En l'occurrence, je suis juste réaliste..
Écrit par : Le sciapode | 06/03/2021
Moi, la diphtongue mouillée, ça me botte, surtout quand le semi-con sonne...
Écrit par : Félicie Corvisart | 06/03/2021
Je vous trouve bien sévère pour le petit livre d'Ion sur Andersen : quoique limité dans son choix, il est d'une réalisation superbe ! à vrai dire, j'ai même refilé à un ami le vilain bouquin de Damase, à la maquette fleurant bon les débuts de la PAO…
Écrit par : Franz | 11/03/2021
Vous êtes libre de vous tromper bien sûr. Heureux ami qui aura récupéré le petit livre des éditions Damase. Qui n'est pas limité à une plate reproduction de découpages (choisis), où l'on se borne aux visuels, mais aussi un petit travail d'éclairage sur Andersen, ce qui manque quelque peu dans l'édition Ion.
Écrit par : Le sciapode | 11/03/2021