D'Anglefort en force (29/10/2023)
Yves D'Anglefort (majuscules, à la particule comme au patronyme, il y tient), ne dirait-on pas le nom d'un aristocrate peut-être breton (?), à la personnalité bien trempée, vivant au secret d'un quelconque ténébreux manoir où il s'adonne à des jeux aux règles de lui seul connues ?
Yves D'Anglefort, photo Matthieu Chandelier, extrait du livre de Sylvie Gallin, "Yves D'Anglefort, Un aperçu de son œuvre" ("Einblick in sein Werk"), 2017.
Ce grand seigneur, de fait, aime à jeter sur le papier, et parfois sur d'autres supports, ses armées de figurines (pas très loin de quelques Playmobil ultra schématisés), auxquelles il trace des plans d'action, en fin stratège que trop d'amateurs continuent d'ignorer (par manque de liberté d'esprit, je crois). Ce qui, il faut bien l'avouer, ne l'incline pas à leur pardonner. Il veut en effet à toute force qu'on lui prête attention. Il a tant de choses à dire, et avec tant de manières de le dire (et de l'écrire, souvent au verso de ses compositions ébouriffantes).
Yves D'Anglefort fecit: Semi-remorque de vin avec sa citerne remplie, c. 2023 ; exposition "Cash", Galerie Dettinger-Mayer, 2023 ; ph. Bruno Montpied.
Il aime en effet se renouveler, n'appréciant guère ceux qui se complaisent dans les redites, prisonniers d'un système. C'est l'un des aspects de la dignité qu'il guigne. Ces derniers temps, on voit donc une nouvelle évolution de son œuvre. La galerie lyonnaise (place du Docteur Gailleton, 2e arrondissement) d'Alain Dettinger nous en administre la preuve depuis le 14 octobre (cela se termine le 4 novembre, pressez-vous donc). Dans ses deux salles, ont surgi, en parfait contraste : pour celle sur rue, de petits formats, certains en simple noir et blanc auquel notre artiste brut (un des rares pour qui j'accepte d'accoler les deux termes) ne nous avait jusqu'ici pas habitués, et pour celle en retrait, deux grandes compositions fort ambitieuses.
Yves D'Anglefort, Mont de piété, voilà... (ce n'est pas forcément le titre, car généralement, auparavant, YDA professait ne pas aimer mettre de titre, mais plutôt des numéros d'ordre qu'il apposait au verso ; lorsque j'ai pris la photo, je n'avais pas accès à ces versos), date : aux alentours de 2022-2023 ? ; exposé chez Dettinger ; ph. B.M.
Yves D'Anglefort, autre composition sans titre, date? : vers 2022-2023?, exposition chez Dettinger ; ph B.M.
Yves D'Anglefort, sans titre, 2022 ; expo chez Dettinger ; ph. B.M.
Yves D'Anglefort, sans titre (AAAAA), date: 2022-2023? ; exposé chez Dettinger; ph. B.M.
A ces dernières, je dois avouer préférer, dans la première salle sur rue, lorsqu'Yves D'Anglefort pratique la couleur, comme dans le fort charmant paysage ci-dessous, à la composition délicate, absolument pas claironnante (comme c'est le cas dans les deux grandes œuvres de la deuxième salle ; ouh... je sens qu'Yves ne va pas me pardonner ce jugement ; mais, comme le titre qu'il a donné à son expo chez Dettinger ("Cash"¹), il m'arrive d'être, plus souvent qu'à mon tour, moi aussi, "cash"...).
Yves D'Anglefort, sans titre (paysage avec avion de Vatican Airway...), date : 2022-2023? ; exposé chez Dettinger ; ph.B.M.
Les petits formats de la salle sur rue sont denses, rythmés, bien construits. On a plaisir à les regarder. Parfois un seul personnage se tient frontalement, nous dévisageant dans une "apostrophe muette" (comme l'a écrit Jean-Christophe Bailly dans son livre sur les Portraits du Fayoum que l'on vient de rééditer tout récemment). Et ce personnage bleu, qui sert d'amorce à l'exposition sur le carton d'invitation de la galerie Dettinger, une sorte de ménagère hirsute flanquée de dreadlocks, à la bouche barrée de chiffres, je ne sais pourquoi, me fait quant à elle penser au prince D'Anglefort lui-même, et à son visage carré de John Wayne de l'art brut... Etrange déplacement, n'est-il pas?
Carton d'annonce de l'exposition "Cash" avec une œuvre d'Yves D'Anglefort: Lady of now, technique mixte sur papier, 29,7x21cm, 2023.
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¹ Yves D'Anglefort aurait-il inventé, au-delà de l'art brut, l'art cash?
11:25 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : yves d'anglefort, galerie dettinger-mayer, cash, art brut, art cash, apostrophe muette, ménagère hirsute | Imprimer
Commentaires
L'histoire du D majuscule que j'ai choisi c'est justement pour pas faire "noble". Parce que le petit d étant nobiliaire, lui, mais pas le grand D. Et n'étant pas noble du tout j'ai donc pris un grand D.
Wesh tranquille .....
Et merci Cher Bruno pour ce si bel article.
y
Écrit par : Yves D'Anglefort | 29/10/2023
"Pas noble du tout", ça reste à voir. Il doit bien.y avoir un zeste de noblesse tout de même, quelque part en vous. Avec une ancienne connaissance à moi, on se donnait bien du "baron" et du "marquis" de façon.plaisante, en toute gratuité. Alors pourquoi pas vous?
Écrit par : Le sciapode | 29/10/2023
je suis adopté ; donc de provenance ..........
y
Écrit par : Yves D'Anglefort | 29/10/2023
Je faisais allusion, Yves, à cette 3e acception du mot noblesse que donne le dictionnaire Larousse en ligne: "Caractère de quelqu'un, de quelque chose qui est grand, élevé, généreux : La noblesse de cœur."
Écrit par : Le sciapode | 29/10/2023
Quel hasard ? Celui que je préfère est justement celui qui est avec un "petit" a...
Écrit par : gilles | 29/10/2023
Le seul dessin qui a un petit "a" au nom de l'artiste, qui est le 4e en commençant par le haut, résulte d'une erreur de frappe. Je corrige aussitôt cette coquille...
Écrit par : Le sciapode | 08/11/2023
De la réjouissante citerne de vin à l'énigmatique AAAAA, belle comme une fusée sur un pas de tir où s'accrocherait un King Kong pansu, tout en traversant le paysage ensoleillé aux beffrois de cocagne, tout me plaît chez D'Anglefort : j'aime ses visions oniriques et ses entrelacs de couleur, mais j'apprécie aussi, pour ce qu'elle porte de symbolique, cette "Lady now", avec sa tronche de caisse enregistreuse, telle une icône féminine de notre temps où le modèle offert aux jeunes filles par la société spectaculaire-marchande est celui d'une virago oscillant entre Alice Coffin et Kim Kardashian, les deux faces monstrueuses d'une même fausse conscience. C'est quelquefois en un artiste à la sensibilité particulièrement vive que se concentre l'entendement d'une époque. D'Anglefort est de ces artistes-là, qui sont médiums et révélateurs.
Écrit par : Isabelle Molitor | 30/10/2023
La photo d'Yves D'Anglefort a été publiée dans le livre "Yves D'Anglefort, Un aperçu de son œuvre" ("Einblick in sein Werk"), 2017, écrit par moi-même. Le crédit photographique revient à Matthieu Chandelier, à Chambéry.
Merci de cet article tellement juste !
Écrit par : Sylvie Gallin | 05/12/2023