Aimer s'entourer d'œuvres pour sublimer sa vie (07/04/2024)
Je sais pas, moi, mais j'aurais aimé qu'un consultant, autrement dit un conseiller artistique, vienne me suggérer des œuvres d'art poétiques et stimulantes à des prix accessibles. C'est à cela que peut servir une vente aux enchères telles que celles qui arrivent ou se tiennent en ce moment chez Tajan (vente du 10 avril prochain et vente en ligne jusqu'au 12). Le problème de ces ventes, c'est qu'elles sont arrivées très vite, sans grande information et tam-tam préalables, et elles risquent de passer avec ses bonnes occasions envolées. Alors, tentons quelques signalements d'œuvres proposées à des estimations et des mises à prix incroyablement basses – cela fait hurler les marchands et les galeristes spécialisés, à ce que j'entends dire, mais cela à soi seul devrait vous alerter justement, chers collectionneurs sans grands moyens...
Christian Gauthier par exemple est proposé dans la vente en ligne pour deux dessins de 54x73 cm. C'est un créateur peu connu dans le monde des auteurs handicapés, il n'a pas la notoriété des Paul Duhem et autres participants des foyers d'art plastique de la S Grand Atelier, que l'association ABCD et certains galeristes mettent régulièrement en avant en dépit de l'austérité de leur production... Christian Gauthier est plus enfantin, et partant de là, plus enchanteur.
Christian Gauthier, mise à prix 500€...
Prenons un autre exemple... L'Envol de Ginette Chabert, ancienne "élève" de l'Atelier du Quinconce Vert qu'animait Raymond Reynaud dans les années 1990 (j'ai dû la croiser vers 1990 quand j'avais rendu visite à l'Atelier pour voir comment travaillait Raymond, professeur de liberté ; les participants étaient des gens variés, qui voulaient des pistes pour s'exprimer, manquant d'audace pour ce faire et cherchant des compagnons pour l'émulation), cette peinture, campant comme une femme papillon qui déborde de son cadre, est proposée à une mise à prix de 130€... Alors, me dira-t-on, vous ne comptez pas les 30% de frais versés à Tajan sur le prix de vente. Mais, si vous l'emportez à 130€, 30% en plus, cela ne grève pas le prix final de tant que ça, tout de même... Vous l'aurez pour 170€ à peu près, et ça reste un prix très favorable tout de même. OK, il faudra que vous soyez présent sur Paris pour le récupérer, si vous ne voulez pas des frais supplémentaires de transport, mais bon, ça reste accessible tout cela, pour un petit collectionneur, race d'amateurs à laquelle moi-même j'appartiens et que j'encourage à proliférer à côté des "gros", que visent davantage les galeristes et les marchands (pas tous, j'en connais au moins deux qui savent aiguillonner les collectionneurs apprentis, à Paris et à Lyon).
Ginette Chabert
Il y a maints autres cas, comme... Béatrice Elso, avec deux de ses compositions en provenance de la collection de M. et F.L., proposées respectivement à 45 et 70€ (une vraie opportunité, non?)...:
Béatrice Elso
Ou bien encore Paban das Baul, dont quelques dessins étonnants sont aussi proposés, littéralement en catimini dans la liste des œuvres en ligne. Quels collectionneurs assez fouineurs et curieux sauront les distinguer ? Il faut aussi savoir que cet homme est un des "musiciens mystérieux, vagabonds mystiques de l’Ouest du Bengale" que l'on appelle "les Bauls" et qui apparaissent dans le livre de Mimlu Sen, Les Vagabonds enchantés, livre qui fait partie de la collection Etonnants voyageurs édité autrefois par Hoëbeke (Paban apparaît sur la photo de couverture du livre, voir ci-contre). Paban vit aujourd'hui à Paris en compagnie de Mimlu Sen.
Paban das Baul (Paban des Bauls, en fait), 24x32cm, encre sur papier, mise à prix 400€.
Dans la foule des œuvres jetées en pâture du feu des enchères, je remarque aussi un dessin de Robert Baffreau, intitulé La Grand-mère. Il s'agit là d'un créateur handicapé qui faisait partie de l'atelier L'Arc-en-Ciel animé par l'artiste Jean Boccaccino. Ses œuvres me paraissent souvent excellentes (j'ai consacré un article récemment à cet auteur – « Robert Baffreau, un professeur Tournesol dans l’art brut » – dans le n°57 de la revue Création Franche, en décembre 2022). Elles sont cependant rares en vente, son atelier ayant décidé de les verser dans une Artothèque dépendant de lui. 90€ est le chiffe de la mise à prix. Encore une œuvre qui viendrait enrichir une collection d'art populaire autodidacte et atypique...
Robert Baffreau, La Grand-mère.
Enfin, je signale une toile étonnante, due à Miguel Amate (né en 1944, toujours en activité), représentant un "frénétique" hidalgo – peut-être un peintre espagnol célèbre? (il tient un pinceau) –, qui n'est pas du tout dans la manière que je connais plutôt de ce peintre, davantage connu pour des expressions outrancières et provocantes, grosses femmes sanglantes aux sexes apparents, aux bouches dévorantes. Elle provient de la collection M. et . L., où l'on rencontre nombre d'œuvres aux limites de l'expressionnisme des décennies récentes. Elle est mise à prix pour la somme dérisoire de 90€... Avis aux amateurs...
Miguel Amate, huile sur toile, 62x50 cm.
11:00 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : ventes aux enchères, les francs-tireurs de l'art, tajan, robert baffreau, christian gauthier, mises à prix, ginette chabert, raymond reynaud, béatrice elso, paban das baul, mimlu sen, vagabonds enchantés, étonnants voyageurs, miguel amate | Imprimer
Commentaires
Vous avez bien résumé les enjeux, et cloué le bec aux ignares et aux bestiaux qui, tel MSC, réagissent par coups de menton réflexes au moindre signal "capitalistique". Il suffit qu'ils voient le mot "vente" pour qu'ils se cramponnent sur leurs ergots. Comme dans d'autres domaines, plus haut-perchés sont les cris d'orfraie, plus ils recouvrent un vrai problème personnel en lien avec le sujet qu'ils entendent dénoncer. Je ne serais pas étonnée d'apprendre un jour que ce MSC soit une personne cupide, thésaurisatrice, tout occupée à la constitution de son petit empire matériel derrière de grandes allures révolutionnaires. Vous avez bien fait de clarifier ainsi les choses. Et d'inciter les amateurs à suivre cette vente aussi.
Écrit par : GS1015 | 09/04/2024
Cher Bruno Montpied,
Ce petit mot public pour vous remercier d'avoir organisé cette vente chez Tajan. Mes oeuvres s'y sont très mal vendues.... soit....et peut être ne valent-elles pas grand chose en fait. C'est la dure loi du marché, de l'offre et de la demande, sempiternelle question de cote. C'est pas facile à vivre. Mais c'est ainsi.
D'autant qu'on attend parfois de certains Valaisans qu'ils eussent pu un peu jouer le jeu des enchères... Comme récemment fit immédiatement un groupuscule d'entre eux et une Parisienne ; afin de promouvoir un proche de Rimbaud ; alors lui carrément sur Mars.
Mais fi ! Merci beaucoup à vous, cher Bruno, d'avoir permis par votre énorme travail aux plus obscurs d'entre nous (me first) de voir un peu de lumière.
Y.
Écrit par : Yves D'Anglefort | 01/05/2024
Mon cher Yves,
Il n'a jamais été promulgué qu'il était obligatoire de s'intéresser à vos œuvres. Comme m'avait écrit un jour, en substance, Michel Thévoz, il est d'abord essentiel que vos travaux soient avant tout conçus pour votre propre jubilation, sans le souci du regard des autres. Pondez comme les poules de Chaissac, en ignorant pour qui vous pondez. Peut-être même en ignorant si vos œufs seront un jour ramassés...
Votre exigence d'être aimé - car au fond on en revient toujours là - peut devenir passablement insupportable à la longue. Je vous le dis amicalement.
Je commence à comprendre l'intérêt que vous affectez d'afficher pour ces horribles enfants tyranniques nommés Pourump et Trumpine
Écrit par : Le sciapode | 10/05/2024
Cher Bruno,
tu reproduis instinctivement la même position pour moi indéfendable que tu condensas critiquant mon projet "Deni d'art, l'art du déni" par cette conclusion : Un artiste singulier est un artisan particulièrement habile.
Or il ne peux pas être question d'Art dans la vente TAJAN , il s'agit simplement d'humanité.
L'expression populaire a une grande valeur largement sous-estimée et c'est cette vérité simple qu'exprime Yves d'Anglefort et il a raison. Sa valeur réside dans sa singularité et elle doit être reconnue inconditionnellement. Michel Thévoz , s'il l' a ainsi formulé , a écrit une formidable bétise.L'Art Brut réalisé pour soi à la différence de l'art singulier, a surtout une grande valeur pour le regard de l'Autre. Cette discussion n'aurait pas lieu sinon . Depuis les origines de l'humain, l'écran est un lieu de passage réconfortant pour les regards . Yves d'Anglefort, vous avez du être blessé profondément, je suis totalement de votre bord.
Écrit par : clement | 07/06/2024
Toujours aussi obscur le Jean-Louis Clément...
Écrit par : Le sciapode | 07/06/2024