22/11/2023
On ne se gêne pas, et on présente aux enchères n'importe quoi sous l'étiquette "Barbus Müller"
Le 2 décembre aura lieu à Sées, dans l'Orne, une vente aux enchères caritative où, parmi des lots très hétéroclites, figure une tête en pierre abusivement associée à Antoine Rabany et aux Barbus Müller (merci à Michel L'Egaré de me l'avoir signalée). Qu'on en juge ci-dessous:
Et de trois quart:
Pour comparer: un véritable Barbu Müller, à double face, attribuable (sans certitude, car sans preuve définitive) à Antoine Rabany, actuellement chez un collectionneur français (vente à Art Paris en 2018) ; les deux manières de faire les yeux par le sculpteur des "Barbus" figurent sur cette pièce double.
Ainsi, on ne s'embête plus. N'importe quel amateur ou collectionneur peu au fait de ce à quoi ressemblent réellement les sculptures du corpus "Barbus Müller", peu au courant de mes publications diverses et variées sur le sujet, peut se permettre de qualifier de rabaniesco-barbu n'importe quel caillou sculpté représentant une tête stylisée. Ici, pourtant, pour ceux qui ont fréquenté le sujet un tant soit peu, on ne reconnaît aucun indice du style caractéristique des Barbus (aucune traçabilité non plus n'est donnée dans la fiche d'information hyper sommaire). Le nez n'est pas en goutte, au contraire sa pointe est ici triangulaire avec esquisse de narines, ce que l'on ne voit jamais chez les "Barbus". Les yeux de la tête de Sées paraissent avoir les paupières closes, ou bien ils sont seulement vides, alors que chez les "Barbus", ils sont soit proéminents, cernés de creux, soit troués. La bouche de Sées est ouverte, montrant des dents, dirait-on, sous des lèvres finement modelées, alors que chez les "Barbus" les lèvres sont beaucoup plus frustes, soit sommairement formées, soit épaisses... Bref, on n'est absolument pas en terrain "Barbus Müller", ici (auxquels, par surcroît, il faut toujours faire attention de ne pas systématiquement associer le nom d'Antoine Rabany, comme je l'ai déjà dit sur ce blog). Et le commissaire-priseur de cette vente – au profit d'œuvres catholiques semble-t-il (par la maison Orne Enchères SARL) –, s'il était un tant soit peu rigoureux, se devrait de retirer cette attribution plus que désinvolte. L'estimation donnée de "100-200€" est, en revanche, tout à fait adaptée à cette tête de pierre, qui devrait simplement être qualifiée de "sculpture populaire anonyme" (ce qui est peut-être moins vendeur, mais infiniment plus adapté à ce qui est su de son origine). D'ailleurs, si le commissaire-priseur qui a donné cette estimation croyait vraiment à sa billevesée sur l'attribution aux Barbus Müller, il n'aurait pas donné une estimation aussi ridicule.
10:44 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : palais d'argentré à sées, ventes aux enchères, faux barbu müller, attribution abusive, antoine rabany, fausses expertises, orne enchères sarl, ventes caritatives | Imprimer
10/10/2023
Un Montpied à vendre aux enchères
Signalée par Michel L'Egaré (que je remercie ici), oyez, oyez, amateurs de peintures de Bruno Montpied, il va bientôt y avoir une vente aux enchères de la collection d'une certaine "Madame Y" (en fait Mme Line Hélias) à Nantes. Cela se passera exactement à l'Hôtel des Ventes de cette bonne ville dans l'étude Couton Jamault Hirn le 7 novembre prochain à 11h. Et dans cette vente, il y a une petite peinture que j'avais primitivement exposée, et vendue, à Carquefou au Manoir des Renaudières en 2015. Son, ou sa, propriétaire ne l'aura pas gardée longtemps (je n'en connais pas les raisons)...
Bruno Montpied, L'enfant qui joue malgré les menaces, technique mixte sur papier, 29,7 x 21 cm, 2014 ; à vendre le 7 novembre 2023 à Nantes ; ph. Bruno Montpied.
Je la trouve séduisante encore et toujours (je renie rarement mes anciennes productions) et j'estime qu'un amateur de peinture automatique serait bien avisé de l'acquérir pour l'extirper de cette vente à l'encan. Son estimation est assez offensante. Mais il est vrai que je ne figure que rarement dans des ventes aux enchères et donc il est difficile pour un commissaire-priseur de se faire une idée de l'estimation, le jeu consistant à ne pas déboucher sur un prix ravalé.
*
Note du 11 novembre: Résultat des courses, cette peinture s'est vendue à 60€... Faut-il croire qu'elle continue son chemin à travers d'autres collections? Je l'espère.
07:35 Publié dans Art singulier, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : bruno montpied, ventes aux enchères, hôtel des ventes de nantes, peinture automatique, vente à l'encan, couton jamault hirn, enfant, menaces | Imprimer
03/05/2023
Et ça continue à sortir, les Barbus Müller....
Le 16 mai prochain, aura lieu à Drouot une mise aux enchères dans le cadre de la maison de ventes De Baecque et associés. C'est de l'art populaire, envisagé dans sa dimension de curiosité. Plusieurs pièces ont été par le passé présentées aux Rencontres d'art de Montauban qui étaient organisées par le collectionneur, critique d'art et artiste surréalisant Paul Duchein, par ailleurs grand rédacteur de la revue Le Pharmacien de France où il passait de nombreux billets sur des sujets liés à la singularité spontanée présente dans les arts populaires, naïfs ou bruts. Quelque chose me dit – ce n'est absolument pas spécifié par la maison de ventes, je m'empresse de le souligner – que beaucoup des objets proposés en vente, sinon tous, ce 16 mai prochain, pourraient bien venir de la collection de ce monsieur Paul Duchein qui a toujours été très éclectique dans ses admirations et ses passions, créant en parallèle tout un ensemble de boîtes à coloration onirique, dans un style surréaliste un peu trop marqué. Mais ce n'est que mon opinion, le collectionneur qui est derrière la vente restant secret. Cependant, en comparant les pièces du catalogue de la vente avec les pièces que publia Paul Duchein dans son livre La France des Arts populaires chez Privat en 2005, on s'en assure davantage...
Dans la panoplie des pièces présentées, on retrouve (une fois de plus) une sculpture qui à l'évidence peut faire partie du corpus des Barbus Müller, cette série de sculptures en granit ou en roche volcanique, qui représentent la plupart du temps des têtes aux caractéristiques stylistiques semblables, grosse bouche, nez en goutte, yeux proéminents, un air un peu éberlué, voire halluciné, hypnotique, souvent hiératique.
Ce Barbu Müller, en vente à Drouot le 16 mai 2023, figurait dans le livre de Paul Duchein (voir dans l'illustration précédente sa reproduction, ne serait-ce que sur la couverture du livre) ; ce n'est donc pas totalement un inédit.
J'ai démontré dans divers articles et essais que plusieurs des pièces que l'on range dans ce corpus qui est à l'origine de la collection d'art brut de Jean Dubuffet (c'est lui qui a forgé le terme de Barbus Müller, sans rien savoir en 1946 de leur auteur) proviennent d'un paysan auvergnat, ex-soldat, Antoine Rabany, dit "le Zouave" (1844-1919). Actuellement, je dénombre onze sculptures provenant assurément de son jardin ou de son atelier à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Ces dernières devraient, sur les cartels des collections ou des musées qui les détiennent, indiquer qu'elles sont d'"Antoine Rabany, dit le Zouave, sculpteur de Barbus Müller". Toutes les autres – non encore certifiées par moi comme provenant du jardin du sieur Rabany – peuvent être marquées "attribuées à Antoine Rabany". C'est l'étiquette qu'a choisie avec raison l'experte de cette vente, Martine Houzé, pour la sculpture de cette vente prochaine chez De Baecque. Donc, ci-dessus on n'a qu'un Barbu Müller, peut-être venant de chez Rabany, mais sans certitude absolue...
Cela ne veut pas dire cependant de façon absolue que tous les Barbus Müller, ou prétendus tels, proviennent bien de chez Rabany... Plusieurs de ceux qui font partie du corpus, ce dernier étant disséminé dans plusieurs collections publiques ou privées, sont parfois fort hétérogènes, comme par exemple celui qui a été exposé l'année dernière chez Ritsch-Fisch à l'OAF. Même s'il provenait de l'ancienne collection de l'Art Brut qui avait été déposée un temps chez Alfonso Ossorio durant une dizaine d'année aux USA (Dubuffet l'aurait laissé à Ossorio quand il a rapatrié vers 1962 sa collection en France en prétendant qu'il s'agissait d'un "Barbu Müller": une sorte de blague, je pense, ou une attribution à la louche plus ou moins mystificatrice de la part de Dubuffet...), il n'a que fort peu de rapports avec les autres Barbus Müller:
Deux faces de la même pièce, ex-collection ABCD, en vente à un moment dans la galerie Ritsch-Fisch, un "Barbu" douteux, ressemblant plus à un galet gravé du catalan français Jean Pous, lui aussi classé dans l'art brut.
En tout cas, on constatera que depuis mon élucidation du nom de l'auteur d'une partie des Barbus Müller, diverses pièces sortent régulièrement dans les ventes, les prix qu'elles atteignent (les deux dernières chacune aux environs de 100 000€) n'étant évidemment pas étrangères au désir de les vendre... Petit à petit, les contours du corpus Barbus Müller/Rabany s'acheminent vers la plus complète des résolutions.
16:26 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : antoine rabany, barbus müller, de baecque, ventes aux enchères, drouot, martine houzé, art brut, jean dubuffet, ritsch-fisch, paul duchein, arts populaires, curiosité | Imprimer
27/04/2013
Art populaire, le retour? Une vente à Marseille
Je dois à un correspondant mystérieux l'information qu'une vente d'art populaire curieux a lieu ce jour à Marseille via la maison de vente aux enchères Leclère, sans doute en écho de l'ouverture prochaine (le 7 juin prochain) du MUCEM (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée) à côté du Vieux-Port et du Fort Saint-Jean (de multiples expositions y sont prévues à partir de cette date qui plus est). C'est la collection de Marc Billioud montée "durant quarante ans" avec la collaboration de Jean-Yves Roux (qui fait une présentation dans un petit court-métrage incrusté dans le catalogue éléctronique de la vente) qui est dispersée ici, avec un catalogue sur papier à la clé. Les objets et peintures offerts à la vente sont suffisamment beaux, émouvants et intriguants pour que j'en extrais ici cinq pièces, choisies arbitrairement, enfin pas tout à fait. elles correspondent à ce que j'aurais acheté si j'en avais eu les moyens...
Deux moines quelque peu indécents... Collection Billioud
Anonyme, 29 x 19 cm, bois peint, coll Billioud (je trouve à cet homme au canotier un aspect proche des personnages des dessins animés de Paul Grimault, le réalisateur du Roi et l'oiseau...)
Page extraite d'un recueil de contes et histoires divers illustrés à la gouache ou à l'aquarelle par un certain Gabriel Papel
Huile sur carton, 39 x 48,5 cm ; curieuse peinture naïve au verso de laquelle se trouverait un monogramme en lien avec Séraphine de Senlis (pourtant le style de cette peinture en paraît fort éloigné)
11:08 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Galeries ou musées bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : mucem, marc billioud, jean-yves roux, ventes aux enchères, leclère, art populaire, objets de curiosité, art populaire érotique, séraphine de senlis | Imprimer
24/10/2010
Art brut et art singulier à l'encan
Je ne vais que fort rarement aux ventes aux enchères. Une question avant tout d'habitude, bien sûr. Je ne connais pas trop les moeurs de la peuplade qui séjourne dans ces lieux. J'ai toujours peur en particulier qu'en me frottant par mégarde l'aile du nez, je me retrouve acquéreur de quelque horrible rossignol. Mais bon, je consulte les catalogues quelquefois, comme celui de la vente chez Tajan, rue des Mathurins dans le VIIIe arrondissement, qui aura lieu demain à Paris. C'est l'occasion de voir défiler de belles images (1), et parfois de belles découvertes, même chez des créateurs aussi connus que Chaissac par exemple (2). On peut également bien entendu découvrir à ces occasions de nouveaux venus non encore repérés (3). Tout en se confirmant par devers soi à quel point vieillissent mal certaines fausses valeurs (Jean-Pierre Nadau, Chomo, par exemple souffrent du voisinage avec les autres oeuvres proposées ; c'est parfois inhérent à l'aspect de bazar que prennent parfois les ventes aux enchères).
(1). Alexandre Lobanov, sans titre, aquarelle, encre et crayons de couleur sur papier, extrait du catalogue de la vente chez Tajan, 25 octobre 2010
(3). Baudoin Fierens, sans titre, stylo bille sur papier, catalogue de la vente Tajan ("provenance" Art et Marges, Bruxelles)
(2), Gaston Chaissac, composition aux personnages, collage et encre sur papier, 18,5 x 13,5 cm, catalogue de la vente Tajan
Et l'on peut aussi avoir la surprise de découvrir des oeuvres annoncées "en provenance de" l'association ABCD, et non des moindres, comme ce magnifique dessin de Jaime Fernandes, dont on se demande pourquoi ABCD aurait songé à s'en défaire (ou pourquoi il ne l'a pas acquis)... Est-ce le début de la grande dispersion? Sur le site de l'association, nulle information à ce sujet heureusement. Au point qu'on se demande s'il n'y aurait pas quelque erreur du côté des rédacteurs du catalogue de la vente Tajan. (Voir cependant le commentaire de "Lem" au bas de cette note qui semble indiquer qu'il pourrait s'agir d'oeuvres ayant été vendues lors d'expositions à la galerie ABCD de Montreuil)
Jaime Fernandes (1899-1968), Personnage, stylo à bille sur carton, 32 x 25 cm, catalogue de la vente Tajan, " provenance collection ABCD"
De même, autre sujet d'étonnement, deux oeuvres de Noël Fillaudeau, une valeur sûre de l'art singulier (ce continent en marge de l'art brut, ce surréalisme inconscient et inachevé...), sont également à vendre, en "provenance"... du Musée de la Création Franche ! Je croyais ce dernier pourtant en train de bâtir une collection en évitant d'en perdre la moindre brique. Le fondateur de cette dernière collection, sollicité par moi, m'a aimablement fait savoir que cette information concernant cette problématique "provenance" des deux Fillaudeau était tout bonnement fausse! La collection de la Création Franche est par principe "invendable et incessible". Cette formule "en provenance" est bien confusionnelle, je trouve, et peut créer des inquiétudes chez ceux qui ont fait des donations aux collections mentionnées, par exemple...
Noël Fillaudeau, sans titre, gouache sur papier (en réalité, cette oeuvre semble faire partie de la série dite des "Métamorphoses" dans laquelle Fillaudeau peignait en "modifiant" des reproductions photographiques de magazines et autres), catalogue de la vente Tajan, donc pas en "provenance" du musée de la Création Franche
15:38 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : tajan, ventes aux enchères, art brut, neuve invention, création franche, chaissac, noël fillaudeau, art et marges, abcd, lobanov, baudoins fierens, yassir amazine, jaime fernandes | Imprimer