Joseph Donadello, "Ralenti regarde moi"... (05/09/2008)
A Pierre Gallissaires, fidèlement
On n'entendait plus parler de nouveaux environnements spontanés depuis longtemps. C'est pourquoi j'étais curieux de faire un tour du côté de Saiguède en Haute-Garonne, pour découvrir le jardin de statues de Joseph Donadello dit "Bepi Donal", site signalé discrètement avec quelques autres par Bernard Dattas et Denis Lavaud dans le bulletin Zon'Art (boudi que ce titre est dépréciatif, collant mal aux sujets qu'il servait pourtant à défendre...).
Ce fut un peu difficile à trouver. Sur le bord d'une route menant au bourg de Saiguède (Haute-Garonne), on finit pourtant par ne pas le manquer, le jardin de M.Donadello, grâce au témoignage classique, "vous verrez, c'est au coin, c'est plein de trucs, on ne peut pas ne pas le voir". On a déjà tourné un film sur lui (de Noémie Dumas, et intitulé "Le Jardin de Bepi", voir le programme des XIe Rencontres autour de l'Art singulier à Nice avec Hors-Champ au début juin de cette année). Avant Zon'Art, Joseph Donadello avait été signalé dans un numéro de La Dépèche du Midi (article de Sylvie Roux) à l'occasion d'une exposition avec Honorine Burlin, Roger Lemière (tous deux créateurs presque voisins de Donadello) et aussi Joseph Buil (qui était alors âgé de 95 ans, selon Donadello) ainsi que Joël Barthe, à l'Espace Saint-Cyprien à Toulouse en 1999 (elle avait un titre amusant, "Les Mains de Jardin" et était organisée par l'Association Vertical). De leur côté, les Boudra du musée Les Amoureux d'Angélique avaient découvert Donadello et les autres par eux-mêmes, comme des grands, en secret. On peut retrouver des oeuvres de Joseph ainsi que d'Honorine au musée des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle, voir nos notes sur cette collection.
Son jardin empli de statues épaisses et plates pour la plupart, faites grâce à des moules, trés colorées, serait terminé aux dires de son auteur (le dernier sujet sculpté étant, à ce qu'il nous a confié en juillet, un Bob l'Eponge...). C'est qu'il est arrivé à l'âge respectable de 80 ans (naissance en 1927). Et que la fatigue vient, légitime après "trente-six métiers, trente-six misères", expression qu'il aime reprendre avec le sourire. C'est vrai qu'il a exercé plusieurs boulots passant du bâtiment aux chauffeurs routiers, de l'agricuture aux charpentes, du cordonnier aux PTT. Construisant au passage de ses mains une douzaine de maisons pour sa parentèle, de nuit après ses journées de travail.
Ces métiers, on ne les sent pourtant pas omniprésents dans l'inspiration de ses statues (hormis une compositon avec des scies assemblées sur le fronton d'une remise). En dehors d'une inspiration hétéroclite puisant (c'est le cas de le dire, Donadello a commencé par un puits) passablement à des sources télévisuelles (mais aussi régionales, voire le 3ème commentaire ci-après de Michel Valière), il semble que l'une de ses passions dominantes soit avant tout la pétanque... Dans l'autoportrait en "Zozo" qu'il a planté dans un coin de son jardin, à côté d'un présentoir avec rayonnages envahis de petites sculptures, il a mis des boules à la place des mains de ce dernier. Lorsque je lui demandai de poser à côté de ce loustic, il s'appuya sur lui avec d'évidentes fierté et joie.
Le jardin (commencé vers 1985-1986, environ 240 statues selon leur auteur) s'étend en bordure de route, émaillé de panneaux où des avis sont destinés aux curieux qui s'arrêtent en voiture (je conserve leur orthographe): "Ralenti regarde moi", "Stop visites à l'oeil", "Propriété privé interdit de photographier" (ce qui n'empêcha pas qu'une fois que nous nous fûmes présentés, l'auteur me laissa photographier tout à mon aise, étant entendu que nous convînmes ensuite d'un échange qui pût nous satisfaire tous les deux), "Visites interdites depuis la route DANGER On visite à l'intérieur"... Cette dernière injonction est assez juste, car si les statues sont placées de façon à amorcer l'attention des passants motorisés (juste après un virage), elles se donnent plus facilement à voir de l'intérieur du jardin (et c'est aussi plus sûr car les bas-côtés ne sont pas assez sécurisés). Il est donc essentiel de faire courtoisement connaissance avec le créateur des lieux.
Les statues sont nombreuses, pas très hautes, vivement colorées, sans trop de nuances. Des noms, parfois sibyllins, sont généralement apposés dessus les pièces (là aussi je respecte l'orthographe): Amanda [Lear], Rika [Zaraï], Belmondo, Lolobrigida, O no Lulu [Honolulu], Babar, Fernandel, Bourvil, Kali [l'ours dans le film Zorba le Grec], Papinette [un personnage inventé par l'auteur ; du reste, il y en a d'autres de même inspiration, ce qui me rappelle l'abbé Fouré], Cazanova, Serge [Blanco, ex-champion de rugby], Adam [bien membré] et Eve, Bomba [au lieu d'Alberto Tomba], Catinou et Jakouti [personnages comiques régionaux, selon Michel Valière], Laurel et Hardi [curieusement intervertis dans leurs noms], Marilyn [sans aucune ressemblance avec Monroe], Vénus, Eric [Cantona], Serge ["Lama", voua, le jeu de mots, car le nom est porté par un lama],
Shirley et Dino, Aldo [Maccione] et la Mama, le Père Noël, etc.,etc... A côté, quelques maquettes de monuments (la Tour Eiffel, le Mont Saint-Michel et un autre monument intitulé "Qui l'aurait dit", le Panthéon et ses "grands hommes" -cette citation par maquette interposée est évidemment malicieuse, le jardin tout entier de Bepi Donal proposant un autre Panthéon, nettement plus alternatif).
Distincte du jardin proprement dit, autre sas avant l'habitat intime du couple Donadello, on trouve ensuite une véranda qui fonctionne à la fois comme une galerie et une salle des trophées. Trophées gagnés dans les multiples concours de pétanque auxquels participa le créateur, coupes se bousculant sur les rayonnages qui courent le long des murs de cette grande salle.
Dans cette "galerie" bien remplie, on découvre que Bepi Donal, signature que Joseph Donadello préfère apposer sur ses oeuvres, est aussi un peintre hésitant entre naïveté et art brut, lorgnant de temps à autre vers une certaine expérimentation. A côté de saynètes souvent proches de l'esprit satirique ou caricatural, il peint en effet par des coulures aléatoires des tableaux où il superpose parfois des silhouettes. Le résultat faisant penser à des effets proches du papier marbré pour reliure. L'"artiste" ne s'arrête pas là, il peint sur tuiles aussi, et ne dédaigne pas à l'occasion de mêler à la peinture des collages de personnages découpés d'après des photos.
Au total, un lieu joyeux, où la couleur règne en maîtresse, et où, en dépit d'une certaine hâte du créateur (qui "aime que ça aille vite") qui est peut-être cause de l'inégalité d'inspiration des diverses sculptures, on rencontre à maintes reprises des oeuvres de très belle facture, à la fois comiques et étranges... Chefs d'oeuvre primesautiers masqués derrière une apparence de bonhommie?
18:39 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : joseph donadello, art brut, boudra, dattas, inspirés du bord des routes, amoureux d'angélique | Imprimer
Commentaires
A mon avis, le bâtiment intitulé "qui l'aurait dit", s'il ressemble un peu au Panthéon, avec son triangle tricolore pour signifier un monument national, ne l'est sans doute pas.
Je pense que ce bâtisseur de douze maisons (dans sa parentèle) a des accointances avec le compagnonnage. En effet, en haut à gauche il a représenté une effigie du Roi Salomon, tête couronnée et cheveux longs (le Pouvoir, la sagesse, la règle, le Devoir...), et sur sa poitrine, des emblèmes compagnonniques: l'équerre et le compas entrecroisés.
Vous ne proposez pas cette lecture, ce qui fait que votre Panthéon serait plutôt le Temple, symbole compagnonnique, en souvenir du temple de Jérusalem qui est, selon la légende (biblique), le point de départ du compagnonnage historique.
Et donc votre citation, "qui l'aurait dit ?...." prend tout son sens, sous entendu que je serais devenu moi-même un bâtisseur (des douze maisons dont il se glorifie à juste titre). Et cela donne plus de prix à son environnement poétique puisqu'il renvoie à des faits personnels, biographiques qu'il charge ensuite des symboles les plus prestigieux en matière de bâtir ! On peut en rediscuter.
Merci de nous avoir fait connaître cet univers.
Écrit par : Michel Valière | 06/09/2008
On va en rediscuter tout de suite, mon cher Michel Valière.
Le monument sur la photo est bien le Panthéon, comme me l'a précisé lui-même son auteur sur place. Ce n'est pas une interprétation de ma part (pour faire allusion à la discussion que l'obervateur du bizarre a eu récemment avec vous sur votre propre blog), c'est le choix de son créateur, Joseph Donadello.
Le monument "Qui l'aurait dit?" est placé à un autre endroit du jardin. Vous avez été trompé par l'ambiguïté de ma phrase décrivant les maquettes du jardin, le monument "Qui l'aurait dit?" et le Panthéon ne sont pas en apposition, c'est une simple énumération dans ma phrase. Les deux monuments sont donc des monuments distincts.
Bon, cela dit, vous avez tout de même raison sur un point, le compagnonnage. Je n'en ai pas parlé, parce que je suis moins cultivé que vous sur la question. Mais j'ai relevé dans les confidences que M.Donadello a bien voulu me faire, à moi et au camarade qui m'accompagnaient, que, quand il avait entre 18 et 20 ans, il avait été compagnon charpentier (ce que j'ai évoqué très succinctement je l'avoue, mais ma note était déjà assez longue). Bravo pour le repérage du roi Salomon dont Donadello ne nous avait pas parlé. Il nous avait en revanche signalé avoir travaillé au Sacré-Coeur à Paris (des travaux de réparation sans doute). Il a arrêté le bâtiment à la suite d'un accident vers 1962,pour devenir cordonnier...
Ce signe de son anciennne appartenance au compagnonnage me paraît cependant un des rares indices de ses anciens métiers, comparé à la foule de personnages plus "médiatiques" qu'il a semés sur son bord de route.
Écrit par : Le sciapode | 06/09/2008
Quant au couple Catinou et Jacouti, il n'appartient pas du tout au folklore local, mais sont des anti-héros radiophoniques créés par Charles Mouly prestigieux animateur du radio-Toulouse de mon enfance, dans les années 45/50... J'en ai déjà parlé sur Belvert ; mais pour faire plus court, courez voir en suivant ces deux notes :
"Festival Occitània 2003 : la programmation détaillée
Réservation, Renseignements : 05-62-14-71-71 " Journées Catinou et Jacouty " Venez fêter avec Charles Mouly le 58ème anniversaire du plus célèbre couple de ...
www.ieotolosa.free.fr/VF/Festival/prog_detail2003.htm - 38k - En cache - Pages similaires"
"La France vue d'en bas o lo Païs d'en Jacme, utopia o democràcia ...
Ai encontrat aital una brava dauna que legís Charles Mouly a l'antena d'una ràdio ... Mots claus Technorati : folclorisme, Jacouty, Catinou, divertiments. ...
jacmetolosa.spaces.live.com/?_c11_BlogPart_ pagedir=Last&_c11_BlogPart_BlogPart=blogview&_c=BlogPa... - 193k "
Je vous dis, chaque personnage, réalisation mérite que l'on y regarde de plus près sauf qu'à caricaturer par le terme généralement péjoratif de "FOLKLORE" sous certaines plumes... [...]
Que votre temple soit Panthéon, soit. mais la présentation du Roi Salomon, près de "ce" temple renvoie sans ambage aux diverses estampes compagnonniques et donc votre créateur a fait jouer intelligemment au Panthéon le rôle du Temple cher aux Compagnons. On voit à la fois qu'il a fréquenté le compagnonnage, qu'il y a acquis de la fierté et surout qu'il en connaît signes, emblèmes et légendaire.
Quant aux métiers, cherchez bien: chauffeur routier... et j'aperçois au moins un panneau routier (sens interdit), cordonnier et j'aperçois des animaux pourvoyeurs de cuirs, etc...
Et surtout le dur désir de durer, d'être vu et exister en ce bas monde frénétique. Comme nous tous. Rien que de très humain. [...]
Merci aussi de votre prompte réaction.
Écrit par : Michel Valière | 06/09/2008
C'est qui "les animaux pourvoyeurs de cuir"? La vache Bella sur le mur d'entrée?
Vous voyez que je tiens compte de vos observations puisque j'ai rajouté des modifications dans ma note suite à vos commentaires éclairants. Merci pour Catinou et Jacouti que Bepi Donal ne nous avait pas très bien expliqués.
Écrit par : Le sciapode | 06/09/2008