09/08/2008
Les Amoureux d'Angélique (1)
Note dédiée à Pierre Gallissaires
Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu parler en France d'un nouveau musée d'art brut, ou naïf, ou simplement d'art populaire contemporain (étiquette qui en l'espèce correspond assez bien).
L'Aracine verra bientôt on l'espère ses collections présentées en un espace bien défini et distinct de l'art moderne dans les nouveaux espaces du musée de Lille-Métropole à Villeneuve-d'Ascq dans le Nord. La Fabuloserie, et ses collections d'"art-hors-les-normes" (dont pas mal d'oeuvres récupérées d'environnements spontanés qui allaient être détruits, exemple assez réussi de sauvetage et de déplacement de fragments d'environnements qui devrait faire taire les puristes toujours prompts à taxer ce genre de solution d'"ânerie" ou de "ridicule", cf Belvert et "J2L"), la Fabuloserie tient bien le coup dans l'Yonne à Dicy. Le Petit Musée du Bizarre (de tous, celui qui s'apparente le plus au musée dont je veux vous entretenir) semble perdurer en Ardèche à Lavilledieu, près de Villeneuve-de-Berg (on aimerait avoir des nouvelles fraîches de l'endroit, si un lecteur de ce blog passe par là...), premier musée sur la question en France (car créé en 1969). Nous avons également des musées d'art naïf de qualité (à Laval, collection ouverte au public au Musée du Vieux-Château depuis 1966 ; à Nice, musée construit à partir de la collection d'Anatole Jakovsky, depuis 1982). Un musée consacré à la création singulière (un zeste d'art brut, un peu d'art naïf, un soupçon de surréalisme et beaucoup de singuliers, alias des créateurs marginaux et autodidactes de l'art contemporain), le Musée de la Création Franche, créé par Gérard Sendrey depuis 1988, existe également à Bègles en banlieue de Bordeaux. Le Musée International d'Art Modeste de Di Rosa et Bernard Belluc à Sète montre aussi des oeuvres relevant davantage de l'art populaire manufacturé, comprenant parfois des créateurs aux limites des collections précédemment citées. Sans compter les divers musées d'art populaire ou écomusées, privés ou publics, qui contiennent également nombre de créations relevant de ces mêmes champs, l'art brut, l'art naïf, les environnements spontanés...
La découverte du musée des "Amoureux d'Angélique", fondé par l'association Geppetto, qu'animent Martine et Pierre-Louis Boudra au Carla-Bayle en Ariège, une cinquantaine de kilomètres en dessous de Toulouse, non loin de Pamiers, je la dois à un petit dossier qu'avait publié naguère Denis Lavaud à partir des notes et des photos de Bernard Dattas dans le bulletin Zon'Art (n°14, automne-hiver 2005). A dire vrai, ce dossier était avant tout centré sur l'évocation de divers sites et environnements bruts/naïfs de la région de Toulouse, sans trop insister sur les Amoureux d'Angélique, qui pourtant avaient indiqué aux auteurs les sites en question.
Pierre-Louis et Martine, chercheurs modestes mais acharnés de la poésie populaire cachée (du Sud-Ouest au Massif Central sans oublier la Région Parisienne dont ils sont originaires), sont à l'origine de nombreuses découvertes, ou de sauvetages de créateurs tout à fait insolites et intéressants. Installés depuis huit ans au Carla-Bayle (soit donc vers 2000, à l'orée du nouveau siècle), ils y ont aménagé une bâtisse sur plusieurs niveaux où finalement ils commencent déjà à manquer de place tant les oeuvres conservées et sauvegardées pullulent. La maison est rustique, la muséographie est simple et bon enfant, sans chichis, semblant inséparable d'une visite guidée en compagnie des propriétaires. Les portes, aux heures d'ouverture au public (mieux vaut téléphoner avant de venir), sont ouvertes dans la plus grande des confiances. Des chats, des chiens font la visite avec vous. Le village ressemble à un de ces villages d'artistes perchés sur une colline comme on en connaît du côté de la Provence par exemple, le snobisme et l'apprêt en moins. De ses remparts, par beau temps, on aperçoit la chaîne des Pyrénées au loin.
Chaque été, en sus de la collection permanente forte d'une dizaine de créateurs, Pierre-Louis et Martine organisent une petite exposition temporaire. Si la saison dernière, ce furent des "jouets" de Pierre et Raymonde Petit (venus de deux collections privées), l'été 2008 est consacré à Roger Beaudet, créateur ouvrier de la région de Roanne, où il sculpte des jouets, des maquettes, et des personnages organisés en saynètes dans un local exigu. Les Boudra indiquent qu'au début ces oeuvres étaient destinées aux enfants, et que par la suite des collectionneurs sont arrivés pour lui en acheter. Beaudet oeuvre à la commande paraît-il, étant capable sur la foi d'une photographie de reproduire, passée bien sûr au tamis de son imagination et de ses déformations, l'image du collectionneur et de sa femme par exemple.
La collection permanente, à l'image des oeuvres de Roger Beaudet, est fortement marquée par l'empreinte de l'enfance. Que ce soit dans les dessins de Thierry Chanaud, qui ressemblent à des imagiers enseignant le vocabulaire aux enfants quoique réinventés par leur auteur, ou dans ses sculptures archaïsantes, dans les peintures de Gilbert Tournier, ancien maréchal-ferrant (spécialisé dans les chevaux d'hippodrome) découvert par les Boudra du côté de Champigny-sur-Marne (une de leurs premières découvertes, je pense) qui dessinait le nez collé sur le support, ou d'autres sculpteurs comme Joseph Donadello -par ailleurs auteur d'un environnement remarquable dans la région sur lequel je ferai bientôt une note à part- ou le fils de tzapiuzaïre (faiseur de copeaux, selon P.Mamet dans Les Artistes Instinctifs, Almanach de Brioude, 1924...) Denis Jammes en Haute-Loire. Les attelages d'Henri Albouy, par leur côté miniaturisé, eux aussi font penser à des maquettes et à des jouets. Les statues d'Honorine Burlin, elles aussi venues d'un environnement de la région à côté de Cintegabelle, à Picarou, ont quelque chose de fortement candide.
Pourrait-on forger pour ce petit musée fort sympathique l'étiquette d'art populaire enfantin? Pourquoi pas... Cependant, au coeur de ce musée, existe aussi une autre salle consacrée à un autre créateur à qui l'étiquette ne colle pas tout à fait... Mais cela, je vous en parlerai dans un épisode suivant...
Contacts:
Les Amoureux d'Angélique, 09130, Le Carla-Bayle, tél: O5 61 68 87 45, e-mail: amoureuxanges@hotmail.com
Pour le moment, pas encore de catalogue sur place, seulement des cartes postales et des mini-dépliants comme ci-dessous (merci à Pierre-Louis et Martine Boudra pour m'avoir laissé prendre toutes les photos que je voulais):
15:55 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : les amoureux d'angélique, pierre-louis et martine boudra, joseph donadello, roger beaudet, denis jammes, thierry chanaud, burlin | Imprimer
Commentaires
Parfait monsieur Bruno votre inventaire de sites; parfait. Vous me citez (merci) dans un contexte d'ânerie et de ridicule. Parfait.
Simplement, souvenez-vous, Gabriel Albert a refusé de son vivant que la moindre de ses statues aille à Bègles (Bordeaux, dans son discours !), et quitte son jardin qu'il souhaitait rempli de ses statues. Par respect, je m'opposerai, autant que possible à l'équarrissage de cet ensemble qui pour moi n'a de sens que complet, même si des vols ont créé des lacunes. Le géopositionnement de chaque œuvre, même perturbé par la tempête de 1999, est producteur de sens.
Vous êtes un vrai artiste, mais vous avez, et je le regrette, un esprit de collectionneur, certes on ne peut plus érudit, et je vous en félicite ; mais vous sacrifiez le sens pour un hypothétique sauvetage de quelques centaines de kilos de ciment pigmenté que vous voudriez voir dispersés plutôt que d'essayer de comprendre la difficile relation d'un artiste dans un environnement hostile. J'ai on espoir que la force de l'œuvre de Gabriel Albert s'imposera...
Vous voulez polémiquer là-dessus au lieu de mettre tout votre poids et votre talent dans la révélation d'une œuvre in situ...
Je me demande, si vous persistez à prôner indirectement la dispersion des statues, c'est-à-dire la négation du sens de l'œuvre de G.A. si nos chemins ne vont pas diverger et se séparer définitivement. Désolé. Vous devriez relire Michel Leiris et son Afrique fantôme, lorsqu'il parle du pillage organisé et légalisé des objets rencontrés en cours de mission. Détestable.
Écrit par : Belvert | 09/08/2008
Répondre à ce commentaireComme d'habitude vous vous enflammez, Monseigneur de Belvert, et faites mine de ne pas comprendre mes propos (cela dure depuis un bout de temps). Comme dirait une de nos connaissances, vous caricaturez.
Vous me calomniez en affirmant à l'emporte-pièce que je "voudrais voir dispersées" les statues de Gabriel Albert. Jamais je n'ai voulu cela. Vous renversez les positions, et c'est assez malhonnête (quoique je pense que c'est surtout précipitation de votre part, car je vous sais débordé). Je n'ai de cesse depuis des années d'accumuler de l'information sur les environnements spontanés de ces créateurs improvisés, type Gabriel Albert, précisément dans l'arrière-pensée de fournier le maximum d'éléments qui permettent de comprendre plus tard le sens global de la démarche de ces créateurs.
Ce n'est pas MOI qui disperse, ce sont tous ceux qui ont volé ce site, c'est celui qui a replacé aussi les statues dans un autre ordre que celui qui existait du vivant de Gabriel (toutes les statues comme celles de de Gaulle ou du Christ qui étaient dans la cour le long de l'ancienne maison de Gabriel Albert ne sont plus à leur place : quel est le bon "géo-positionnement"? Celui qui fut le dernier? Ou les précédents? Les Inspirés renouvellent souvent leurs organisations, leur scénographie, je pense même que cela fait partie de leurs caractéristiques spécifiques). Ceux qui dispersent, ce sont ceux qui sur place ne font rien. Ce sont les bureaucrates qui dorment ou méprisent du fond de leurs bureaux. Vous renversez, vous dis-je.
Je ne dis donc pas qu'il faut disperser. Bien entendu qu'il faudrait garder tout ce qui était dans ce jardin, comme ailleurs, en l'état. J'en suis même tellement persuadé que c'était pour ça qu'à ma visite en 1988 j'ai filmé le jardin dans toute sa splendeur alors. Je l'ai également abondamment photographié (hélas, il ne me restait qu'une pellicule en noir et blanc à l'époque).
Je dis seulement que dans le cas où un environnement en arrive au point de se déliter, de s'anéantir prochainement (et cela peut aller très vite, voir Raymond Guitet et tant d'autres), on peut et on doit, au même titre que l'on fait des films, des photos, qu'on prend des témoignages, garder ce qui peut être gardé, comme des documents en trois dimensions qui seront chargés, malgré le fait qu'extraits de leur contexte créatif global ils ne soient plus significatifs de la même manière, qui seront chargés de rameuter nos souvenirs, de faire resurgir le sens vital de l'environnement original. C'est dans ce sens-là, et dans ce sens-là seulement, que je trouve admissible de vouloir garder un fragment d'un environnement qui, je suis bien d'accord avec vous, n'avait bien sûr pas été prévu pour être ainsi dépecé.
J'ai parfois l'impression que vous faites exprès de ne pas comprendre mon propos. Votre souci de protéger le jardin de Gabriel est bien sûr louable et je l'ai loué déjà plus d'une fois, mais j'en arrive à me demander si votre amour pour lui ne pourrait faire qu'un jour on préfère laisser complètement pourrir cet endroit plutôt que d'en sauver ce qui pourrait en être sauvé. Nous n'en sommes pas là, je le sais bien. Mais il paraît légitime de s'en inquiéter. Et donc lancer le débat sur une telle possibilité n'est pas inutile. Ni une ânerie, ne vous en déplaise. J'aurai l'occasion de montrer que j'ai par mon action déjà commencé à sauvegarder certains éléments de sites qui sont soit détruits, soit sur le point de l'être. Effectivement en les acquérant avec des espèces sonnantes et trébuchantes, parfois auprès des créateurs vivants eux-mêmes, et en poussant d'autres collectionneurs à en acheter (je pense à l'exemple de Jean Grard, dont l'environnement à côté de Dol-de-Bretagne s'est trouvé remisé par ses héritiers après sa disparition). Les créateurs sont parfois d'accord (plus souvent qu'on croit même) pour vendre des éléments de leur environnement. Quel est alors le "géo-positionnement" des oeuvres morcelables dans ce cas?
A propos du géo-positionnement des statues de Gabriel Albert, je serais fort curieux de le connaître. A ma première visite (mais je peux bien sûr me tromper et être victime d'une grossière illusion), j'avais eu l'impression que les statues avaient été placées au fur et à mesure de leur réalisation et disposées en fonction de la place restante. Le sens de l'ordonnancement général ne m'était pas du tout apparu évident à l'époque.
Écrit par : Le sciapode | 10/08/2008
Répondre à ce commentaireJe vous ai lu avec toute l'attention nécessaire, soyez-en-persuadé. je trouve cependant que votre insistance au "sauvetage" fait violence aux élus ruraux qui n'ont que de très petits budgets pour prendre en charge un tel lieu, et pousse au découragement. Si je n'avais pas une volonté de fer, vous me désespéreriez. Vous incitez au pire, drapé que vous êtes dans votre habit d'académicien de l'art brut.
Non, Bruno, je ne vous suivrai jamais dans votre raisonnement. Ce discours qui consiste à vouloir sauver des œuvres malgré tout est celui professé hier par des esthètes qui ne supportaient pas de voir des objets à leurs yeux plein d'intérêt dans de misérables cabanes en train de s'abîmer... "volez-les, si on ne veut pas vous les donner ou vous les vendre!" me suis-je entendu conseiller/ordonner par de grands formateurs des jeunes conservateurs, encore au début des années 1970 !... Pourquoi cette violence ? au non de quoi ? de quelle valeur suprême ?
Avec votre raisonnement, je DEVRAIS m'appliquer à enlever de je ne sais combien de vieilles chapelles tombées en désuétude tabernacles, reliquaires, statues, cloches etc... pour les mettre dans le lieu, le musée de tous mes désirs ?
Non, Bruno. Je ne vous suivrai pas sur ce terrain car vos principes affichés, votre violence symbolique, comme votre désinvolture, me heurtent profondément.
Ne parlons plus de cela, et restons bons amis.
Écrit par : Belvert | 10/08/2008
Répondre à ce commentaireJ'insiste à sauver parce que J'AIME ces lieux.
Les élus ruraux ont de très petits budgets, dites-vous? Mais quel était le budget de ceux qui ont créé ces environnements?
Ne plus parler de cela...? Mais vous rêvez...! Je ne m'arrêterai jamais d'en parler.
Vous mélangez tout afin d'avoir raison à tout prix. Les chapelles tombées en désuétude sont tout de même bien plus protégées, même si je sais à quel point elles sont pillées à l'heure actuelle. Elles bénéficient, malgré une foi en berne, d'une reconnaissance collective bien supérieure à celle qui entoure les habitants des "cabanes".
Je n'ai pas de solutions toutes faites. Je me suis simplement rendu compte qu'il existe un grand nombre de solutions mises en route ici et là en France pour faire perdurer ces créations. L'information n'existe que peu là-dessus. La possédant, je trouve urgent de la mettre devant les yeux du plus grand nombre. Mon blog sert beaucoup à cela, comme plusieurs de mes notes l'ont déjà prouvé.
Oui, vous mélangez, vous amalgamez quand vous faites mine de me confondre avec vos "esthètes formateurs" conseillant de voler ce que l'on ne voulait pas leur donner ou leur vendre. Personnellement, je n'ai acheté des pièces qu'avec l'accord plein et entier de leurs créateurs. Pour Jean Grard, il y avait des témoins. Nous avons bien fait. Peu de temps après le site disparaissait complètement de son emplacement à la mort du créateur.
Je ne veux pas que l'exemple de ces créateurs modestes du bord des routes se perde. Je ferai tout pour que nous ayons le maximum d'informations et de documentation sur leur oeuvre.
Encore une chose. Mon académisme en matière d'art brut. J'ai toujours poussé au débat démocratique (d'une démocratie directe, certes assez rarement pratiquée dans notre société, mais c'est là mon choix). Si on n'a pas les mêmes idées que moi, je suis toujours prêt à discuter. Pourquoi ce blog existerait sinon?
Vous aussi savez pratiquer une certaine violence symbolique comme vous dites. Ca n'est pas moi qui ai traité l'autre d'âne (à quoi j'ai répondu symboliquement par un joyeux Hi-han, souvenez-vous, ça n'est pas si violent, ça, tout de même).
Serviteur, Monseigneur.
Écrit par : Le sciapode | 10/08/2008
Répondre à ce commentaireVous avez, Bruno, beaucoup plus d'expérience que moi dans le domaine de l'art brut, c'est évident; mais moi, je ne veux plus "m'inquiéter" pour le devenir du jardin de Gabriel. Parlez de cela tant que vous voulez, avec qui vous voulez ; moi, je retiens mon souffle, dans l'attente et l'espoir d'un créneau où trouver une voie "viable" pour le site. J'effectue, sans doute l'avez-vous compris, un travail de fourmi sur le terrain, qui n'est pas spectaculaire, mais pourrait porter ses fruits à terme... Et ce travail requiert une sérénité que vous n'offrez pas, pris que vous êtes dans une "passion amoureuse" des sites... et qui dit passion dit souffrance.
Que vous dire plus ?
Restons amis et cessons ce dialogue impossible, en tout cas malaisé.
Écrit par : Belvert | 10/08/2008
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