René Jenthon, le Disneyland de l'Etang Bazin, aussitôt apparu aussitôt disparu (07/04/2009)
Agnès Barbier et Régis Gayraud m'ont alerté un jour sur l'existence d'un environnement insolite qui se trouvait aux abords de la bonne ville de Saint-Pourçain-Sur-Sioule dans l'Allier, ville connue pour ses vins de table, sa moutarde de Charroux ainsi que ses délectables andouillettes... Mais pas trop pour ses monuments d'art excentrique, jusque là plutôt proches du néant.
René Jenthon, son site décoré, vue générale ; ph.B.Montpied, 2002
Or, il y a quelques années encore, s'étendait en bordure de la principale route qui passe dans cette commune, une installation de silhouettes en métal peint que son auteur avait intitulé "Le Disneyland de l'Etang Bazin", et qui eut malheureusement une vie éphémère.
C'est Agnès qui l'avait remarqué du coin de l'oeil, passant souvent le long de cette route. Elle et Régis savaient mon intérêt pour ce genre de création, et je descendis dès que je pus pour voir la chose. Nous ne rencontrâmes, l'unique fois où je pus photographier le site (en 2002), pas la moindre âme qui vive dans la propriété. Cette dernière paraissait désertée.
Deux initiales, "JR", se lisaient sur le portail du jardin (sûrement une malice en référence au personnage populaire d'une série télévisée américaine). Un autre panneau placé au milieu des diverses effigies colorées qui animaient le talus à l'intérieur du terrain, destinées à attirer le regard des automobilistes, un autre panneau donnait le titre de l'installation, "Le Disneyland de l'Etang Bazin". L'Etang Bazin devait être le nom du lieu dit... (Ici, je sens que mon fidèle lecteur Régis va se sentir obligé de corriger mes inévitables approximations... Mais que n'a-t-il écrit lui-même sur ce site remarquable?). Sur une niche, se lisait aussi "9.95.Lila", peut-être la date de naissance de l'habitant de cette niche? Sur le pourtour d'une porte de grange, où la rumeur aurait localisé d'autres oeuvres restant cachées, d'autres mots étaient tracés: "Caves de l'ancien relais -1780", semblant indiquer qu'on y cachait surtout, peut-être, d'autres nourritures, plus spiritueuses que spirituelles... Un poisson en bois peint, placé de l'autre côté de la route, désignait aussi "L'Etang Bazin", peut-être en référence à quelque lieu poissonneux recherché des amateurs de pêche. Une croix, érigée un peu à l'écart de la propriété, proclamait qu'elle était vouée "A ma maman"... Un chaudron avait été recyclé en jardinière où poussaient des fleurs et pour qu'on n'oublie pas son ancienne fonction avait été affublé des mots "Le vieux chaudron", naïvement redondants.
Disneyland donc, nous promettait-on... Et pourtant, les attractions étaient plutôt réduites en ces lieux. Il y avait bien un Mickey, une sorte de Donald, un Lucky Luke (pas très Disney celui-ci) parmi les personnages aux expressions légèrement distordues, deux ou trois dinosaures, une girafe, des individus difficiles à identifier (un dont le vêtement était marqué des lettres "KG") dont un, multiplié par deux, comme un clonage, ressemblait à une sorte de jockey ou à un policier nain, un masque de "Loup-garou", un Babar (pas souvent reproduit dans les environnements populaires ce dernier), une sirène joyeusement peinturlurée comme ses congénères mais enfouie dans l'herbe, d'où je l'extirpais généreusement pour lui redonner vie le temps d'une photo (voir ma note du 9 novembre 2008 sur les "Mami Wata", ou bien ci-contre...), un indigène africain accueillant les visiteurs dans une case au toit couvert de paille, des animaux, telles des oies et des cigognes, une vache au flanc constellé des étoiles du drapeau européen, semblait-il, vache que tétait son veau, des moulins, une guérite, divers exemplaires de roches, maquettes, roues de charette... Mais tout cela semblant davantage destiné à égayer le bord de la route, jugée sans doute un peu trop monotone, qu'à proposer une véritable attraction. En réalité, il est probable que l'auteur de ce jardin aux personnages fantaisistes tendait à une sorte de parodie, se moquant gentiment des grands parcs de loisirs médiatiquement consacrés pour proposer le sien, infiniment moins prétentieux.
Hélas, cette joyeuseté fut jugée à peu de temps de là hors de saison. Le créateur avait dû disparaître, un nouveau propriétaire avait acquis la maison et le jardin, on résolut de faire table rase de la gaîté... Régis et Agnès qu'une obscure prémonition avait sans doute réveillés en pleine nuit s'étaient justement mis en route pour savoir ce que devenait le lieu. Ils arrivèrent trop tard. Les silhouettes de métal avaient été fourguées à un récupérateur de ferraille. Ils partirent à sa poursuite! Et quand ils atteignirent son lieu de travail, le "forfait" était accompli... Tout avait été compressé, refondu en métal brut... Du brut en brut en somme. Aucune chance n'avait été donnée au Disneyland de l'Etang Bazin, aucun Olivier Thiébaut (archéologue de l'art brut des bords de routes comme on sait) ne pourrait venir désormais l'exhumer puisqu'on était allé jusqu'à faire disparaître le corps de la victime ce coup-ci...
Seules subsistent à ma connaissance quatre pièces dues à la fantaisie de "J.R." (ses initiales, selon Régis et Agnès, paraissent correspondre à monsieur René Jenthon), la sirène ( reproduite ci-dessus), une Statue de la Liberté, un renard à la gueule ensanglantée (il vient de dévorer une poule) et un crocodile, œuvres (oui... ŒUVRES) sauvées de l'anéantissement par des amateurs qui les ont extirpées in extremis du jardin abandonné, les sauvant ainsi de la destruction finale, récupération qu'il faut bien se représenter comme une solution de la dernière chance, certes assez peu orthodoxe, menée en rébellion face au vandalisme des bien-pensants et des inertes.
01:29 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : environnements spontanés, rené jenthon, agnès barbier, disneyland de l'étang bazin | Imprimer
Commentaires
Merci pour cette enquête, il doit s'en perdre chaque jour des lieux modestes et poètiques comme ça.
Félicitations au passage pour ce blog passionnant.
Écrit par : Cosmo Helectra | 10/04/2009
J'ai adoré l'article
Écrit par : melchior | 23/01/2014