Le Plein Pays, documentaire d'Antoine Boutet sur Jean-Marie M., archéologue sauvage (01/10/2009)
Je n'avais plus de nouvelles de ce monsieur Jean-Marie M. depuis bien longtemps. Depuis que j'étais allé le voir en 1987 avec Gaston Mouly qui s'était gentiment chargé de faire le médiateur entre nous (j'ai tourné un petit film en Super 8 à cette occasion que j'ai intégré par la suite à l'ensemble de petits films d'amateur sur les environnements que j'ai intitulés Les Jardins de l'art immédiat). L'ami Joël Gayraud m'avait signalé un article de Walter Lewino paru en 1984 dans Le Nouvel Observateur qui évoquait cette présence peu commune dans une forêt du Lot (article Le Malthusien des Bruyères).
Jean-Marie creusait le sol, effectuant un travail colossal à mains nues au début, puis, après s'être perfectionné côté outillage et engins, avec plus de moyens, élargissant ses tunnels, ses puits, ses crevasses dans l'espoir de découvrir une civilisation préhistorique sous son terrain. On était dans une région de grottes célèbres, Pech-Merle, Cabrerets... Le Périgord aussi n'était pas très loin.
Il fouillait la terre comme une taupe humaine, acharné de façon hyperbolique, creusant sans cesse comme à la poursuite du secret des origines. Qui n'étaient à chercher nulle part ailleurs, bien sûr, qu'au sein de la terre-mère. Il vivait seul avec sa mère sur ce territoire qu'il perçait de galeries. Il interdisait qu'on aille vers sa maison qu'on devinait par delà deux pyramides de pierres, où vivait la génitrice protégée comme une idole. Il interdisait aussi qu'on emmène de la terre de son fief sous les semelles de nos chaussures. Il nous épousseta bien soigneusement, Gaston et moi, avant que nous ayons eu le temps de franchir la limite de la propriété.
Je ne suis pas descendu dans les galeries et les salles creusées dans la terre rouge quand je vins chez lui, tellement cela me paraissait périlleux en l'absence de lumière et sans plus d'information. Le sculpteur Ipoustéguy qui a visité en 84 le site avec Walter Lewino avait été plus téméraire, il descendit au fond, se frottant aux parois de terre rouge, rapportant que l'on voyait quelques gravures de Jean-Marie à certains angles. Sur le terrain lui-même, il y avait peu d'interventions "artistiques". Sur les pyramides évoquées ci-dessus (des cairns améliorés), on pouvait apercevoir quelques grossières incisions, tentant d'imiter les gravures rupestres du Val Camonica en Italie ou de la Vallée des Merveilles dans les Alpes françaises. Interrogé par nous sur ce qu'il avait réussi à mettre au jour jusqu'alors (1987, je le répète), il s'était embrouillé, avait seulement soulevé une bâche pour nous montrer une belle améthyste, qui consistait à ce que nous crûmes comprendre en son unique trouvaille de quelque valeur... Peut-être était-ce avant tout sa quête qui le faisait vivre, et peu importait la fin.
A suivre l'article de Walter Lewino, J-M en 1984 avait un message écologique et démographique à faire passer au monde (ce qui le range aussi du côté des "fous littéraires"). Selon lui, la Terre étant bien trop peuplée, il fallait réduire d'urgence la population en cessant de procréer (sa théorie était peu claire, il militait pour une "extinction de l'espèce humaine", ce qui est nettement plus radical qu'une simple diminution démographique ; de plus il en voulait à son père de lui avoir donné le jour, il prédisait l'arrivée des extra-terrestres qui retrouveraient ses vestiges et en feraient un palais merveilleux ; au fond, il proclamait son désir de n'avoir jamais existé). Il avait confié à Lewino un message à publier dans les média, ce que ce dernier fit (voir ci-dessous).
Texte dicté à sa mère par J-M, photos de l'article de Walter Lewino, Le nouvel Observateur, 8-6-1984
Je commençai d'écrire quelque texte à son sujet, que je finis par délaisser, n'ayant que peu de tribunes à ma disposition, puis je me mis à en parler autour de moi, le cas était tout à fait intriguant, j'attendais une occasion, et je me demandais comment en parler adéquatement... J'étais impressionné aussi par l'impact que pourrait avoir la révélation de cette existence sur un public plus large. Des articles parurent cependant ici et là, par exemple dans le magazine Dire Lot qui ne cacha pas le nom de Jean-Marie, si je me souviens bien, ou dans Gazogène également à qui je l'avais signalé (revue éditée à Cahors). Dans ce dernier bulletin, vers 2000, il fut fait état d'une nouvelle fantastique, la mère de Jean-Marie étant décédée, et ayant été enterrée au cimetière, loin de leur terrain sacro-saint, celui-ci n'avait pu le supporter et était parti la déterrer (toujours cette quête du souterrain), pour l'exhumer et la ramener chez lui. Cela ressemble au comportement de l'auteur du fameux plancher de Jeannot dont j'ai déjà parlé ici. Jean-Marie, avais-je alors appris, avait pu regagner son domicile après quelques démêlés avec les autorités. Depuis je n'avais plus de nouvelles.
Et voilà que j'apprends qu'on a fait un film avec lui, où son nom - à juste titre peut-être - n'est pas prononcé. Seul son prénom apparaît dans les dossiers de presse qu'on m'a communiqués (grand merci à Remy Ricordeau pour cette information précieuse). L'auteur du documentaire est Antoine Boutet. Le film, daté de 2009, est un moyen-métrage de 56 minutes. Son titre: Le plein pays. Il sera projeté dans la région parisienne incessamment (c'est l'avant-première). Rendez-vous le mercredi 7 octobre à 21h au cinéma Le Méliès à Montreuil. Je ne sais pas vous, mais moi, j'y serai. Voici le résumé tel que je l'ai trouvé sur le site des "Rencontres cinématographiques autour du documentaire" qui se tiennent du 6 au octobre à Montreuil:
"Robinson au milieu d'une forêt française, avec pour seuls compagnons une radio et un magnétophone : l'homme que filme Antoine Boutet est un solitaire, un homme qu'on pourrait dire « des bois » ou « des grottes », tant il fait corps avec ces lieux secrets. Il les sculpte et les manipule, les chamboule et les creuse. Dans un même mouvement, du plus profond de lui, éclôt sa voix, ses mythes et bientôt, par bribes, son histoire."
C'est le genre de film à rapprocher de celui qu'ont fait les animateurs du blog "Playboy communiste" sur le "griffonneur de Rouen", Alain R. Voir dans ma note ancienne ce que j'en avais dit. Ainsi que le lien vers leur blog dans ma colonne consacrée aux liens.
09:25 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : antoine boutet, le plein pays, environnements spontanés, archéologie automatique, recherches préhistoriques sauvages | Imprimer
Commentaires
Voilà bien longtemps que les salles de cinéma ne m'attirent plus, mais j'en serai, je suis déjà impatient de voir ce film.
Et tes films à toi, sont-ils visibles ?
Écrit par : Cosmo | 01/10/2009
En projection privée, oui. Ou à l'occasion, dans des sortes de conférences illustrées du film, comme ce fut le cas par exemple à la Halle Saint-Pierre à Paris, ou au festival de cinéma documentaire autour des arts singuliers organisé par Hors-Champ à Nice (voir le "Dictionnaire Hors-Champ d'art brut au cinéma", éditions de l'Antre, où mes films sont décrits).
Écrit par : Le sciapode | 02/10/2009
Je n'ai pas pu me rendre à la projection, sais-tu si le film va être exploité en salles ?
merci
Écrit par : Cosmo | 09/10/2009
Ton absence était assourdissante, un comble pour un mélomane comme toi...!
Je ne sais rien de l'exploitation future du film. Je demanderai au réalisateur.
Son film est excellent. En plus, c'est la révélation d'un grand chanteur brut que tu as manqué ce soir-là. Saisissant...
Écrit par : Le sciapode | 10/10/2009
Bonjour,
Je regarde en ce moment même le documentaire sur Jean-Marie et je n'ai pu m'empêcher de faire quelques recherches sur lui afin de savoir quelle est sa région, sa "terre" d'origine. Etant moi même originaire d'un village perché dans les Pyrénées, et étant forestier de métier, son accent, son attachement à ses pierres, à son environnement, me touchent profondément. Assurément, je connais des amis pyrénéens semblables à Jean-Marie...
Depuis 3 ans, j'exerce mon métier de forestier en Normandie et le siège de mon employeur est basé à Rouen même, à quelques pas au dessus de la gare. Il se trouve que les quelques rues avoisinantes constituent les terrain d'expression de notre ami Alain R que je croise souvent tantôt absorbé dans ses gravures, tantôt envoyant en l'air quelque déclaration que je regrette de ne pas pouvoir percevoir.
Il me vient donc une idée; pourquoi ne pas faire se rencontrer ces deux personnages hors du commun? Sans doute auraient-ils tant de choses à se raconter....
Écrit par : DenisUrau | 15/11/2010
Nous vous missionnons pour organiser un tel voyage. Vous embarquez Alain R. un matin à l'improviste, vous faites un crochet par Paris pour cueillir aussi Michel Godin des Mers place de la Nation (voir ma note sur l'homme), et vous descendez ces deux inspirés dans le Quercy, terre et souterrain adorés de Jean-Marie, qu'ils se fassent un congrès au coeur de la planète, mais s'entendront-ils? A vous de voir. Nous vous signons un blanc-seing virtuel.
Écrit par : Le sciapode | 15/11/2010
Et peut-être une admission à l'hôpital de Cahors, en urgence traumatologique, dès fois que le symposium tourne mal.
Écrit par : Régis Gayraud | 16/11/2010
Bonsoir, nous diffusons le Plein Pays en double programme avec le Chomo de Antoine de Maximy de 1985 pour une soirée consacrée à l'art Brut et aux personnages singuliers : Samedi 18 décembre au cinéma Kosmos à Fontenay sous bois. Antoine de Maximy sera présent avec la monteuse du film. Antoine Boutet sous réserve. Bien cordialement.N.R.
Écrit par : cosla | 16/11/2010
Je vous rappelle, cher Sciapode, que pour compléter votre documentation sur J.-M. M. , je tiens à votre disposition une douzaine de photos prises en 1985 par Agnès et moi-même dans l'inquiétant fatras de cette forêt où se multipliaient les signes de la passion de l'homme des bois (pierres sculptées, tranchées, souches percées, etc.
Écrit par : Régis Gayraud | 17/11/2010
Si des lecteurs du sud veulent voir ce film, deux projections sont organisées dans les Bouches-du-Rhône à l'occasion du mois du film documentaire. Le réalisateur sera présent lors des 2 séances.
Quelques dates ici :
http://www.moisdudoc.com/?rubrique91&Id=14567
Pour plus d'infos sur la séance de Rognac, vous pouvez contater la médiathèque au 04-42-87-76-38
En plus du personnage hors-du-commun, la réalisation du film est impressionnante. Le réalisateur se place à la même hauteur que son sujet en lui laissant toute la place nécessaire. Un peu comme l'émission "strip-tease" mais sans donner d'élément au spectateur pour juger l'énergumène en bien ou en mal. Un film aussi intéressant par son contenu que par sa forme. Je pense qu'il ne ressemble à aucun documentaire que j'ai déjà vu et je vous le conseille très fortement.
Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer ou qu'une séance sur grand écran en présence du réalisateur n'intéresse pas, le film est disponible en streaming sur le site d'arte (peut-être pas pour longtemps) ici :
http://videos.arte.tv/fr/videos/le_plein_pays-3524880.html
Écrit par : mediatheque Rognac | 19/11/2010
Merci beaucoup de cet article. Venant de voir le film sur Art+7, je cherchais à comprendre. Film dur de par sa forme et de par son sujet.
Écrit par : Nicolas | 24/05/2013
Bonjour. J'ai vu "Le Plein Pays" en 2010 sur Arte. Une autre parution est-elle prévue? Qu'est devenu Jean-Marie M.?
Écrit par : françois fusil | 07/02/2015
Pour le savoir, allez au cinéma voir le dernier film d'Antoine Boutet lors d'une séance où il vient le présenter. Vous en profiterez ainsi pour lui demander et en prime vous verrez un très beau film sur les réalités de la Chine rurale et les problèmes hydrologiques auxquels elle est confrontée. Pour les lieux et dates de la programmation, voir le lien ci-dessous:
http://sud-eau-nord-deplacer.tumblr.com/programmation
Écrit par : RR | 07/02/2015
Bonsoir à tou(te)s,
Pour les personnes intéressées par JM Massou, sachez qu'il va bien. Nous le rencontrons à intervalles assez réguliers autour de son travail sonore principalement. Un projet d'édition audio se prépare avec lui. Jean-Marie vit toujours sur son domaine. Le quotidien est plus tranquille, il ne descend effectivement plus dans les sous-sols mais continue son travail d'inscription sur les bandes magnétiques et sur papier (les rêves prémonitoires dessinés ou des collages). Nous étions avec lui encore le WE dernier, il tient une forme étonnante, malgré une solitude certaine.
Nous serions ravis en tout cas d'échanger avec les personnes l'ayant rencontré les années passées. Au plaisir donc, si vous le voulez bien.
Olivier Brisson
Écrit par : brisson olivier | 22/05/2016
Bonjour Olivier Brisson,
Merci de vos nouvelles et de votre lien que je me permets de mettre en note de ce lundi 23 mai, car je suis enchanté d'apprendre que l'aventure de Jean-Marie M. continue, à travers votre regard cette fois.
Écrit par : Le sciapode | 23/05/2016
https://kiosque.ladepeche.fr/reader/2d1ffe73-6ad7-4348-8ddd-37c50fd36ee1?origin=%2Fla-depeche-du-midi%2Flot%2F2020-06-03 Massou , l'homme mi-artiste mi-sauvage qui a vécu 45 ans dans les bois du Lot est décédé à l'âge de 70 ans.
Voir article sur la Dépêche du Lot du Mercredi 03 Juin 2020.
Écrit par : Zazou | 04/06/2020