Nostalgie du Paris populaire récent (22/10/2009)
Dans les commentaires à ma note du 19 août dernier, nous évoquions, Régis Gayraud et moi, un restaurant antillais où nous avions déjeuné (d'un assez médiocre boudin créole ma foi) au 31, rue des Vignoles dans le XXe ardt de Paris. Il s'appelait Les Chutes du Carbet. C'était une petite maison avec véranda et un petit étage en retrait, comme une paillotte de bord de mer qui aurait été parachutée au beau milieu de Paris, une sorte de guinguette en somme. Une bouée était accrochée à l'entrée du restaurant, ancrant dans l'esprit l'impression d'être dans un lieu maritime.
De mauvaises chaises étaient disposées vaille que vaille sur la terrasse en ciment, deux ou trois arbres aux troncs passablement conséquents bordaient cette dernière, une fresque quasi naïve tentant d'égayer le décor.
On apercevait un autochtone qui jetait ses filets dans la mer, un phare au lointain (d'où la bouée...). Un grand tambour, voisinant avec une machette et un décor de palmes, achevait de donner une touche tropicale à l'estaminet... L'endroit était sans apprêts, on y respirait une grande nonchalance, un détachement comme dirait un ami musicien, mot qu'il emploie toujours en dernière extrémité pour qualifier en l'occurrence le jazz des Noirs américains, synonyme de feeling. Autant dire que le lieu était interdit aux bégueules, tant y régnait l'esprit des vacances éternelles et le dégoût du travail (ce qui n'était peut-être pas étranger, en même temps, à la qualité médiocre du boudin...).
Les propriétaires ont changé par la suite. Si vous passez chez Temporel dans la rue des Vignoles, voici le restau new look que vous rencontrerez, intitulé dans une connaissance poussée de ses futurs clients: "Mondes Bohèmes". Les deux arbres ont été abattus, une serre s'élève désormais à côté de la terrasse. Plus de fresque naïve... Irions-nous encore nous enivrer dans un tel lieu si propre sur lui? Rien n'est moins sûr.
00:54 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : chutes du carbet, paris insolite et populaire, décors naïfs à paris, rue des vignoles | Imprimer
Commentaires
Incroyablement ridicule ce nom "Mondes Bohèmes" je n'en reviens pas, autant appeler un resto à la Défense "Costard Cravates"...
J'ai assisté à la "rénovation" de ce quartier, rue des Vignoles et rue des Haies, malheureusement je n'ai pris aucune photo, pourtant il est passé en 3 ans de son état des années 50 (ou avant ?) à une triste post-modernité urbanistique.
Écrit par : Cosmo | 22/10/2009
Je passais souvent rue des Vignoles autour de 2000 et je me souviens de ce lieu. Je n'y suis pas retournée depuis plusieurs années. Et voilà qui me donne envie de m'en tenir à mes souvenirs...
Écrit par : CBP | 23/10/2009
Me voici sur le blog après un mois d'apnée.
Il ne faudrait jamais revenir sur les lieux.
Les photos implacables font sauter aux yeux
L'outrage des filous, pire que des années.
Est-ce notre folie qui serait surannée?
Notre goût du bizarre résolument vieux?
Avons-nous raison de trouver ce monde odieux?
Les chutes du Carbet? Celles de la psychée?
D'autres générations ricanent sous nos yeux,
Jeunes filles bling bling et autres envoilées
Footballeurs abrutis, supporters des maffieux,
Consommateurs heureux, idiotes fiancées
Sur nos tombes déjà, jettent, révérant Dieu
Du sable du mépris les premières poignées.
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 17/11/2009
Et regardant plus près les deux photos du lieu, je découvre, effrayé, à peu près à la place où j'étais assis alors en l'an 2000, et vêtu à peu près de la même chemise, sur la photo de 2009, un client d'aujourd'hui qui a l'air de me ressembler un peu.... Aaaargh!...
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 17/11/2009
"Jeunes filles bling bling et autres envoilées": jolie formule pour sa contradiction apparente.
Mais ne soyez pas si désespéré mon cher RG: tous les navigateurs le savent, les voiles finissent toujours par se déchirer quand soufflent les vents mauvais...
Écrit par : RR | 18/11/2009
J'admire encore ici, de l'ami sinomane,
Le sublime optimisme à la sauce au soja
Qui toujours au réel sans faiblir se heurta.
Pour moi, russiste usé, tout espoir est en panne.
(PS. J'aimerais que M. le Sciapode rétablît dans mon truc l'orthographe "psychée". C'est une licence poétique attestée, qui me permet de conserver l'alternance régulière des rimes maculines et féminines. Sinon, vous pensez bien que j'aurais terminé mon vers autrement. Il y a assez de mots en "-ée". Merci. En revanche, il serait gentil d'ajouter un point à la fin de la dernière strophe, pour clore phrase et poème).
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 18/11/2009
Si tout espoir est en panne au fier russiste usé
rien n'empêche cependant dans un éclat de rire
de fouler de ses pieds la rhétorique du pire
et moquer en passant la pose désabusée.
Écrit par : RR | 18/11/2009
C'est rétabli, M.Régis. Par contre je corrige "subime" dans votre dernier poème-commentaire en "sublime", n'est-ce pas? A moins que n'existe un adjectif inconnu de moi qui tenterait d'exprimer une sorte de passivité grandiose, une "subimité"?
Écrit par : Le sciapode | 18/11/2009
C'était une faute, rien de sublime-inal.
Cher RR,
Vous avez raison, il s'agit bien là d'une pause (tiens moi aussi, je me mets comme vous aux vers de treize pieds, lesquels dénotent votre esprit frondeur).
En regardant de près votre blog ce soir, je me rends compte de quelque chose que je n'avais pas remarqué, la complémentairité des deux scènes de pêche (celle de L. Plé et celle du peintre inconnu des "Chutes du Carbet". Ici, le ,poisson se fait gentiment prendre (il n'est pas très nombreux) et le pêcheur semble en sécurité. Le phare rassure et la côte est proche. La couleur verdâtre est certes un peu morbide, mais pour le populaire, n'est-elle pas l'espérance? L'autre tableau résonne de hurlements, celui-ci baigne dans un impressionnant silence. Mais le calme est peut-être trompeur. Regardez l'esquif du pêcheur. Que celui-ci se penche un peu plus sur son filet, et il va se retourner.
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 21/11/2009