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19/08/2009

Naïve aventure

NAÏVE DEVANTURE

 

               Quand on quitte la station de métro Maraîchers par la sortie donnant sur la rue des Pyrénées, on rencontre aussitôt une ruelle transversale dénommée rue du Volga. Son nom masculinisé de façon insolite, son étroitesse, qui contraste avec l'idée d'immensité qu'on se fait d'un tel fleuve, et surtout le pont du chemin de fer de ceinture qui arrondit sa voûte au-dessus d'elle une centaine de mètres plus loin, agissent comme autant d'irrésistibles appâts qui aimantent les pas du promeneur et l'incitent à s'y engager.

Une des plaques de la rue du Volga, Paris,20e ardt, ph. Bruno Montpied.jpg

               Il longe alors sur le trottoir - ou, devrais-je dire, la rive gauche - quelques ateliers transformés en isbas, dont les jolies façades de bois le font rager d'autant plus fort contre les promoteurs coupables d'avoir bâti juste en face une de ces casemates de béton bouygo-stalinien qui défigurent, tel un lupus hideux, le visage des villes. Mais alors que le promeneur croyait son chemin tout tracé jusqu'à la voûte du chemin de fer, il est arrêté par le débouché de la rue des Grands-Champs qui, à la manière d'un indolent affluent, se jette dans le Volga par la rive droite; et là, comme l'âne de Buridan, notre homme hésite sur le parti à prendre.Rue du Volga et débouché de la rue des Grands Champs, Paris, 2Oe ardt, ph. Bruno Montpied, 2009.jpg Les grands champs évoquent en lui tout à la fois la clé des champs et les grandes largeurs, deux pôles inscrits depuis longtemps sur le cryptogramme de sa sensibilité. Mais la voûte l'attire, comme tout ce qui lui rappelle les arcades, ces reconstructions urbaines de la caverne primitive où prend son élan la poussée utopique de l'humanité. Or justement, en ce soir de mai, ce n'est pas d'un abri qu'il a besoin, ni de la nostalgie des origines, mais de la liberté des grands champs, ce qui le décide finalement à s'y vouer. Par un détail qui ne manque pas d'avoir infléchi ce choix, la rue ne présente pas de perspective au regard, mais amorce un virage à quelques encablures; et nul n'ignore que le flâneur est toujours avide de découvrir ce qu'il y a après le virage.

107 rue des Grands Champs, salon de Coiffure Chez virginie, ph. Bruno Montpied, août 2009.jpg
Salon de coiffure au 107,rue des Grands champs, "Chez Virginie", ph. Bruno Montpied, août 2009

               Et de fait, le flâneur, qui n'éprouvait qu'un vague espoir de trouvaille, n'a pas été déçu dans son attente sans objet : au rez-de-chaussée du numéro 107 de la rue des Grands-Champs, juste après le virage, s'ouvre la vitrine d'un salon de coiffure, ornée sur les murs qui en constituent la devanture de fresques murales représentant une énorme paire de ciseaux, une sirène alanguie (1) et d'autres figures naïvement peinturlurées. Au-dessus de la porte une plaque de pierre où s'inscrit l'expression latine TEMPUS FUGIT nous rappelle notre condition de mortel,Salon de Coiffure Chez Virginie, le Tempus fugit et la paire de ciseaux, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg reliant sans doute, dans l'esprit de la tenancière des lieux, une nommée Virginie, s'il en faut croire l'enseigne, le thème de la fuite du temps à celui de la chute irrésistible des cheveux, l'universelle et inexorable calvitie que seuls des soins appropriés prodigués par une main experte, et l'on espère très caressante, sont capables de retarder.

 Joël Gayraud

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(1). Note du Poignard Subtil:  à l'époque où fut faite la photo du salon de coiffure en question, à savoir seulement quelques semaines après que ce texte ait été rédigé, la "sirène" s'était visiblement transformée en clown... Ou faut-il croire à quelque hallucination de la part de l'auteur de ce texte? D'autre part, à nos yeux, il ne s'agit pas là d'un décor proprement "naïf" mais plutôt d'un exemple de ce que le peintre Di Rosa appelle de l'Art modeste, à mi-chemin entre la décoration des camions et les fresques de graffeurs.

 

Enseigne du Salon de Coiffure chez Virginie avec une grenouille, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg
Enseigne de la boutique de Chez Virginie avec une curieuse grenouille brandissant des ciseaux... Photo B. M., 2009

 

Commentaires

Bravo, Jojo, je suis fier de toi, voici un superbe article de poésie parisienne. J'en suis un peu jaloux! Notre sciapode adoré doit se souvenir qu'il y avait dans ces lieux-là (était-ce rue des Vignoles, en tout cas pas trop loin d e la place de la Réunion, il y a une dizaine d'années, non loin, je crois, du repaire d'Hérold Jeune, un restaurant antillais où nous étions allés déjeuner, dont j'ai soudain oublié le nom (sénilité?), un nom qui fleurait bon les rapides sur les rivières poissonneuses et même les poteaux de couleur, qui donnait à cet endroit un aspect de village hors du temps, et mieux encore hors du lieu. Dans ce salon de coiffure que tu as su repérer, il y a de cela aussi. Récompense, mon semblable, mon frère!
Une question en sus : Cette Virginie ne serait-elle pas antillaise ou africaine?
Régis Gayraud

Écrit par : régis gayraud | 20/08/2009

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Le restaurant qui était bien rue des Vignoles, où nous mangeâmes un assez médiocre boudin antillais, et qui donnait l'impression d'être installé au bord d'une plage alors que nous étions en plein Paris, je comptais justement en parler dans une note à venir. En allant photographier le salon de coiffure pour le Jojo en question, je suis bien entendu aller faire un tour rue des Vignoles, histoire de m'assurer que Hérold Jeune (voir mes articles sur lui dans "SURR" n°2 en 1997 et dans "Un Paris révolutionnaire" édité par Nautilus et l'Esprit frappeur en 2001) avait bien été définitivement chassé des lieux. Le plus triste est que la maison où était son atelier aux murs peints de fresques (toutes effacées aujourd'hui) existe encore, incrustée dans un nouvel ensemble de bâtiments ressemblant à des ateliers pour bourgeois artistes du quartier. J'aimerais bien entendu savoir ce que devient cet artiste haïtien dont l'oeuvre s'apparentait fort à celle de Louisiane Saint-Fleurant dont j'ai parlé dans ma note sur l'expo actuelle du musée du Montparnasse. Il créait la sienne en plein Paris, ayant de plus confectionné un petit autel vaudou dans sa cave en terre battue où il dormait par ailleurs.
Les Chutes du Carbet, tel était le nom de ce restaurant dont j'ai photographié (vers 97 sans doute) les fresques légèrement naïves qui ornaient le mur d'enceinte qui longeait sa terrasse. En repassant ce mois d'août, bien entendu là aussi, plus de restaurant antillais, ce qui rechargera bien sûr notre nostalgie qui va de mal en pis inexorablement... A la place, un couple de femmes bien propres sur elles, sympathiques sûrement, mettait la dernière main à la finition de la décoration d'un nouveau restaurant installé au même endroit dans un local comme le précédent de plain pied. Toute simplicité, toute poésie, tout "feeling" parfaitement évaporés!

Écrit par : Le sciapode | 20/08/2009

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Dans le 20éme aussi (je n'y suis pas passé depuis un moment, vers Gambetta) il y a la rue DU Cambodge indiquée à l'autre extrémité rue DE Cambodge.

Mais quand j'habitais dans le coin tout le monde l'appelait "la rue de merdes de chiens" car c'était un repaire d'amis des canidés fort peu hygiénistes...Je dois encore avoir dans un coin une photocopie d'un manifeste anti crottes des riverains.

Je me souviens aussi d'une veille Citroën Visa qui était toujours garée là, remplie à ras bord de cageots de salades vertes, je me suis toujours demandé si quelqu'un n'élevait pas des escargots ou des lapins dans une des cours du coin !

Écrit par : Cosmo | 24/08/2009

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Tiens, moi aussi, j'ai souvenir des déjections canines de la rue du Cambodge. J'ai habité quelques années rue Pelleport, c'est-à-dire non loin. Mais, cher Monsieur Cosmo, si vous permettez, dans le quartier Gambetta, il y a plusieurs rues à crottes ejusdem farinae. La plus célèbre vers Pelleport est quand même la rue Henri Poincaré (allez y faire un tour, en tâchant de ne pas glisser), qui de surcroît, années après années, mois après mois, jour après jour, contient toujours, en bas, un monceau d'ordures, vieux objets, etc., que la municipalité n'arrive jamais à écluser. C'est assez énigmatique...
Non loin de la rue du Cambodge, rue Orfila, il a aussi ce café, autrefois tenu par de vieux Auvergnats (les époux Valy), que vous avez certainement remarqué, surmonté d'une enseigne : "Ici le Soleil luit pour tout le monde" (où le mot soleil est remplacé par une représentation conventionnelle du soleil). A photographier avant qu'elle ne disparaisse et ne finisse dans la cuisine aménagée de quelque bobo collectionneur. Jadis, il y avait sur les montants de bois de la vitrine des représentations peintes de paysages arvernes qui ont déjà disparu, alors...
Régis Gayraud

Écrit par : regis gayraud | 28/08/2009

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Merci Regis pour ces précisions, je connaissais ce café auvergnat mais jamais remarqué la rue Poincaré, j'irai faire un tour un de ces jours, pas pour les déjections, mais s'il y a des objets mis au rebut qui traînent, ça me dit bien...

Écrit par : Cosmo | 21/10/2009

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