Maria Angeles Fernandez, une fresquiste spontanée au beau pays d'Espagne (29/06/2010)
Hervé Couton est un photographe de talent qui s'intéresse particulièrement aux créations populaires sur les murs de nos tanières. Il y a plusieurs années, j'étais entré en relation avec lui parce qu'il avait photographié, à peu prés au même moment que moi, les fresques naïvo-brutes que Mme Amélia Mondin avait réalisées sur les murs extérieurs et intérieurs de son logis en rez-de-chaussée d'immeuble, impasse d'Angleterre à Montauban, fresques qui en ces débuts des années 90 étaient sur le point d'être effacées (elles furent effectivement badigeonnées peu de temps après, à l'exception selon Hervé Couton de peintures du côté cour ; il reste aussi quelques peintures sur bois qui sont entre les mains de Paul Duchein qui fit beaucoup pour faire connaître Amélia Mondin ; d'autres se trouvent dans les collections de l'Aracine, à présent au LAM de Villeneuve-d'Ascq).
Amélia Mondin, fragments de la fresque de l'impasse d'Angleterre, à Montauban, vers 1990, ph. Hervé Couton
Hervé Couton, par la suite, fit une exposition remarquable de photos de graffiti relevés sur les murs de l'Abbaye de Belleperche non loin de Montauban (c'est dans cette abbaye qu'eut lieu son expo du reste).
Et voici qu'il m'envoie, sur les conseils de Laurent Danchin me dit-il (que ce dernier soit donc poliment remercié ici) d'autres photos tout à fait intéressantes, une fois encore sur une peintre de murs. Cela se passe en Espagne, à Arguedas, petit village de Navarre, et c'est une dame peintresse sexagénaire qui fait l'objet de ce reportage en images: Maria Angeles Fernandez, dite "La Pinturitas" (surnom qu'elle se donne et qui est, paraît-il, intraduisible ; un ami poète d'origine espagnole m'écrit que cela veut tout simplement dire "Les petites peintures", Maria "Les petites peintures" en somme). Voici quelques éléments d'information à son sujet, extraits d'un texte d'Hervé Couton qui s'intitule "La Pinturitas d'Arguedas" (version intégrale ici).
"Elle ne peint que sur un seul et unique support, les murs d'un restaurant désaffecté situé au bord de la route qui traverse le village. Elle utilise des pots de peinture à l'eau (...) et se limite le plus souvent aux couleurs primaires. (...)
Vivant de petits boulots pour la mairie et d'une modeste pension sociale, la « Pinturitas » se refuse de peindre sur tout autre support et pour quiconque, considérant que sa peinture doit rester à Arguedas. Théâtrale et volubile, avec un fort désir de reconnaissance, la « Pinturitas » décrit avec beaucoup de passion sa production à tout passant qui accepte de lui donner du temps. Chaque partie de cette œuvre unique raconte une petite histoire populaire locale, nationale, ou personnelle. Les thèmes évoqués peuvent aller du football où tel nom de joueur est mis en valeur, à la représentation des couleurs de tel ou tel pays en passant par des noms de villes, de personnages divers, ou par des représentations religieuses. Les barreaux des fenêtres condamnées du bâtiment ont été utilisés par elle, pour coincer et exposer des objets récupérés, mélange hétéroclite de publicités, d'articles de journaux, de bouteilles de sodas, etc. Aujourd'hui, les barreaux ont disparu, car récupérés et vendus par quelques ferrailleurs, détruisant ainsi les compositions de la « Pinturitas ». En proie au mépris et aux moqueries d'une partie de la population locale, dûs à son comportement marginal, Maria Angeles dit avoir commencé à peindre en 2000 sur les murs de ce bâtiment pour représenter ceux qui se moquaient et la raillaient. Elle raconte qu'elle a dormi un temps dans le cimetière local et qu'elle a moins peur des morts que des vivants. Marquée dans sa vie personnelle par des épreuves lourdes – les services sociaux lui ont retiré ses enfants quand ils étaient encore jeunes à cause d'une instabilité et d'une précarité familiale - la « Pinturitas » se serait alors réfugiée dans la peinture peut être pour ne pas sombrer.
Aujourd'hui, rien n'arrête cette créatrice infatigable, qui s'applique, hiver comme été à transformer, enrichir, embellir et restaurer avec attention et passion ses peintures que la pluie délave régulièrement."
(Hervé Couton - avril 2010)
21:12 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : maria angeles fernandez, hervé couton, graffiti, fresques spontanées, art immédiat, art brut, amélia mondin, abbaye de belleperche | Imprimer
Commentaires
Ces «petites peintures» évoquent irrésistiblement le style stéréotypé des graphs et des tags contemporains. Leur singularité me paraît assez faible.
Écrit par : L'aigre de mots | 30/06/2010
Si elles les évoquent effectivement (il faudrait mieux connaître la culture sous-jacente de la peintresse en question, ce qu'Hervé Couton, interrogé, n'a pu renseigner), il se passe tout de même quelque chose de plus que dans les graphs. Votre sagacité me paraît prise en défaut sur ce coup-là. Sans doute est-ce la faute à l'aigreur? Elle n'est pas toujours bonne conseillère, comme vous le saviez en choisissant ce pseudonyme.
De plus, je trouve que même les graphs exécutés sur les murs peuvent atteindre à une certaine beauté, singulière ou pas. Il faudra que je vous donne quelques exemples sous peu.
Un peu d'ouverture, que diable!
Écrit par : Le sciapode | 30/06/2010
Je n'ai porté aucun jugement de valeur sur les graphs. J'ai seulement évoqué l'influence de cette esthétique sur les œuvres de Maria Angeles Fernandez; et si j'ai trouvé ces œuvres faibles, c'est parce que je n'ai pu m'empêcher de les comparer à des graphs autrement plus débordants d'imagination que j'ai vus orner les friches industrielles de Brooklyn ou du Queens, ou, sans aller si loin, les murs longeant les voies du chemin de fer à Paris et en banlieue.
Écrit par : L'aigre de mots | 02/07/2010
Je pense, Aigre, que les meilleurs graphs sont ceux où l'auteur -les auteurs?- s'est affranchi le plus des codes propres à cette forme d'expression qui paraît justement fort codifiée, ce qui explique la monotonie d'innombrables fresques bombées. Cela devient intéressant quand il y a de l'individualisme en résumé. Le moment où le grapheur devient singulier, presque réprouvé par ses semblables.
Les graphs que je trouve réussies -ceux que j'évoquais dans mon commentaire précédent- sont précisément ceux où se retrouve une anarchie de traitement, un anti-conformisme, une personnalisation sauvage que l'on ne voit pas d'habitude.
Les peintures de Maria Angeles Fernandez ont justement à mes yeux ce développement individualiste. Regardez la façon dont le dessin prolifère sur la dernière photo de ma note, cette façon de monter comme un lierre humain le long du mur, sans souci d'une quelconque orthodoxie graphique, de façon toute germinative et pulsionnelle, et vous devriez normalement y reconnaître le charme du dessin automatique tel que l'ont chanté des poètes que vous appréciez tout comme moi, si je m'abuse.
On tient ici une individualisation -que l'on peut qualifier de "brute" si l'on veut - dérivée d'un art populaire urbain (les fameuses "cultures urbaines" tant à la mode du côté des instances culturelles parisiennes), s'affranchissant de celui-ci, exactement de la même manière que l'art brut est un rassemblement d'oeuvres créées par des personnalltés singulières qui se sont détachées de leur culture populaire d'origine.
Les cultures urbaines commencent à avoir elles aussi leurs transfuges, leurs rebelles. C'est une nouvelle phase de l'art brut.
Écrit par : Le sciapode | 03/07/2010