Déchiffrer les messages d'outre-tombe de l'abbé Fouré... (A propos du site de l'ancienne Croix de l'Ermite) (28/05/2011)
Non, tout n'est pas dit sur l'abbé Fouré, ses rochers et ses bois sculptés, sa bonne (oui, il avait une bonne du curé, comme nous l'a appris le livre paru récemment de Jean Jéhan, elle s'appelait Marie Lefranc et maintenant à Rothéneuf, les fins limiers de l'Association de Joëlle Jouneau sont à la recherche de ses descendants, avis à la population, s'il y en a un qui surfe sur internet, il est le bienvenu ici)... Tout n'est pas dit, et loin de là!
L'abbé Fouré lisant, vers 1906, son journal réactionnaire favori (Le Salut, devenu collaborateur pendant la guerre ultérieure de 39-45, si je me souviens bien...) ; à sa gauche, à terre on distingue le gisant d'un homme d'épée avec hermine à sa tête (symbole de la Bretagne), et inscription en latin "Olim fuit" ("Il fut, jadis")
Photo Bruno Montpied, 2010
En particulier, les amateurs se rappellent le gisant sculpté par l'abbé situé à quelque encablures du site principal des rochers, sur le chemin des douaniers (ou des contrebandiers, selon l'idéologie que l'on défend...), soit dans une zone pour laquelle personne n'eut jamais l'idée saugrenue de faire payer un droit de péage. A ce propos, on peut toujours s'étonner de la rupture qui est faite au niveau du site des Rochers sculptés de ce chemin qui aurait dû normalement suivre le littoral, or il a été détourné, et ce depuis des lustres, à la suite d'on ne sait quel passe-droit apparemment. Mais revenons à nos moutons et en l'occurrence au site actuellement appelé "de la Croix du Christ" (et anciennement appelé "de la Croix de l'Ermite", croix qui du reste était plantée à un endroit plus éloigné de quelques mètres de l'emplacement actuel).
Emplacement de la Croix du Christ, vue zoomée depuis les rochers, ph. BM, 2010
Il a été dit par Frédéric Altmann dans son livre de 1985, La vérité sur l'abbé Fouéré (éditions AM, Nice), que le gisant situé à côté de la croix était à n'en pas douter un certain "Saint-Judicaël, roi de Dommonée"... Il ajoute que ce n'est pas "Jean, duc de Bretagne", qu'il qualifie (légèrement, comme on va le voir) "d'inscription fantaisiste". De cette affirmation, il n'apporte aucune preuve (d'où sort-il cet invraisemblable Judicaël, je me le demande depuis des lustres?). Du coup, Jean Jéhan, dans son propre récent livre, lui emboîte allégrement le pas sur ce détail. Altmann apporte cette affirmation aux pages 113 et 114 de son livre. Il reproduit une carte qui ne porte pas le cachet de l'abbé (celui-ci authentifiait ses cartes avec un cachet surtout -je pense- pour contrer le commerce de cartes non autorisé par lui), carte où l'on peut lire, en guise de légende du gisant: "Rothéneuf, rochers sculptés. Jean, duc de Bretagne". Voir ci-dessous:
Certes, il n'y a pas le cachet de l'abbé. Altmann veut y voir une preuve que la carte est légendée de façon suspecte ; or, même si le commerçant qui l'édita ne paya pas de droits à l'abbé, cela n'implique pas qu'il ait mal travaillé automatiquement dans les légendes qu'il imprimait. Il fallait trouver un indice plus stable pour confirmer ou infirmer cette légende. La preuve que la légende est correcte m'a été enfin fournie par une autre carte que j'ai découverte tout récemment et que je ne me souviens pas avoir vue éditée ailleurs. Je la reproduis ci-dessous:
Ah, bien sûr, ce n'est pas évident à déchiffrer, surtout sur un écran d'ordinateur peut-être. La photo sur la carte n'est pas de très bonne qualité qui plus est. Alors, la maison ne refusant rien à ses lecteurs, je m'en vais vous l'agrandir en entourant d'un trait photoshoppeur l'inscription tracée à la main sur le rocher situé à gauche prés du gisant, ce même rocher contre lequel l'abbé s'appuie sur la carte où il lit "le Salut". Car, oui, il y a bel et bien une inscription!
Sur ce rocher, l'inscription, tracée de la main de l'abbé (la graphie est assez proche d'autres inscriptions qui étaient visibles autrefois sur le site des rochers, voir ci-dessous), peut se reconstituer ainsi: "Jean IIII (ou IV), duc de Bretagne"... L'abbé maîtrisait-il mal les chiffres latins? On croit lire en effet quatre I, mais peut-être est-ce seulement la faute à l'imprécison de la photo. Il me semble que nous avons là une preuve à peu prés certaine du sens que prêtait l'abbé à son gisant. On sait en effet (grâce à l'historien régionaliste Noguette, alias Eugène Herpin, qui se fit le mémorialiste partiel de l'abbé), que l'abbé était entiché de patriotisme breton. L'histoire de ce "Jean IV" ne pouvait que le retenir. Chef de la Bretagne, il en avait été chassé par le roi de France Charles V en 1378, qui voulait réunir la Bretagne à sa couronne. Jean IV avait dû s'exiler en Angleterre. Rappelé par les nobles bretons, il débarqua à Dinard (comme on sait ville toute proche de St-Malo), fit la guerre à Charles V et reconquit la Bretagne. Ces faits d'armes (encore chantés aujourd'hui en Bretagne paraît-il, voir Gilles Servat) ont dû grandement impressionner l'abbé!
Inscriptions qui se lisaient dans les rochers du vivant de l'abbé, apposées par lui ou en tout cas avec son accord, décrivant des personnages qui semblent avoir été inventés par l'abbé qui rêvait sur les anciens habitants de Rothéneuf ; leurs noms étaient apposés au-dessus des personnages sculptés qu'ils étaient chargés de légender, au nombre desquels se trouve un Jacques Cartier ; à noter aussi que le chiffre latin IV est correctement orthographié ici ("Jean IV fainéant"...) ; la graphie paraît très proche de celle du rocher du gisant
Sceau de Jean IV, Duc de Bretagne ; on notera les hermines sur son écu et son pourpoint, ainsi que l'épée, deux détails que l'on retrouve sur le gisant sculpté par l'abbé
A noter que l'association des amis de l'œuvre de l'abbé Fouré, animée par Joëlle Jouneau, se propose de faire nettoyer dans les mois qui viennent cette fameuse sculpture de gisant qui actuellement devient difficile à "lire", étant donné les nombreux lichens qui la couvrent.
19:14 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : abbé fouré, rochers sculptés de rothéneuf, ermite de rothéneuf, jean jéhan, frédéric altmann, jean iv duc de bretagne, environnements spontanés, marie lefranc, joëlle jouneau | Imprimer
Commentaires
Le poignard toujours aussi subtil, et interessant...
Un post qui peut vous plaire sur mon blog:
http://www.lolmede.mobi/blognotes/index.php?2011/05/29/889-vide-grenier
Écrit par : lolmede | 29/05/2011
Cher Sciapode, le 4 en chiffres romains s'écrivait très souvent IIII, comme on le voit sur les cadrans de nombreuses horloges. On trouve aussi 9 écrit VIIII. L'abbé Fouré ne s'est donc pas trompé.
Écrit par : L'aigre de mots | 29/05/2011
j'ai retrouvé le journal lu par l'Abbé !
http://4.bp.blogspot.com/_vspY8F4KM88/SQ3lH_9FJBI/AAAAAAAABMM/X02PvJAI-jI/s400/salut1.jpg
Vive les indices fantômes sur les cartes postales !
Écrit par : Cosmo | 30/05/2011
Oui, cher Aigre, je me doutais bien d'un truc comme ça. Mais à quel moment s'est imposée la graphie "IV"? A l'époque de l'abbé (1894-1908, dates de commencement et de fin de son oeuvre sculptée), la graphie n'était-elle pas fixée?
Si vous lisez plus bas ma note jusqu'au bout, vous voyez que l'abbé écrivait bien "IV", sur le site même des rochers.
Écrit par : Le sciapode | 30/05/2011
Pourquoi n'ouvreriez-vous pas sur votre blog une nouvelle rubrique intitulée par exemple: "Sherlock Montpied mène l'enquète". Car voilà la résolution d'une énigme rondement menée et avec un indéniable talent de fin limier ! Bravo.
Écrit par : RR | 01/06/2011
Voila une enquête admirable. Félicitations.
Écrit par : Emmanuel B | 01/06/2011
Bonjour,
J'ai acheté hier votre livre "éloge des jardins anarchiques"(à la librairie du 104).
Je viens de regarder le DVD et je voulais vous remercier.
C'est magnifique !!!!
Encore merci!!!!!
Écrit par : lili scratchy | 05/06/2011
Cher Sciapode, les graphies IIII et IV ont coexisté depuis la haute antiquité, sans jamais être fixées par quelque autorité que ce soit. L'usage, ce puissant législateur qui n'a besoin ni de gens d'armes ni de gens de robe pour faire respecter ses édits, a voulu que le IIII fût préféré au IV par les horlogers, mais pour le reste il s'est tu. Ce qui fait que l'abbé a pu graver tantôt l'un tantôt l'autre, comme cela lui chantait.
Écrit par : L'aigre de mots | 05/06/2011
Ben oui, un autre exemple, les menuisiers pour repérer les persiennes des maisons entaillaient le bois de chiffres romains. Quatre est généralement écrit IIII.
D'autre part, pour quatre vingt dix neuf on a tantôt IC (graphie du Larousse encyclopédique de 1906 - édition rouge en 7 vol.), tantôt XCIX (graphie des têtes de chapitres dans les volumes de la bibliothèque de la Pléiade), ce qui est assez contourné, il faut bien le reconnaître.
De même si un jour dans une date vous voyez VII bre, VIII bre, IX bre, X bre, ne nous faites pas honte, c'est septembre, octobre, novembre, décembre (selon l'étymologie de ces noms de mois) et non juillet, août, etc.
Écrit par : Siger du Haryag | 22/06/2011
Et si l'abbé a eu une bonne, on peut même légitimement imaginer qu'il ait eu des descendants.
Écrit par : Siger du Haryag | 22/06/2011