Toujours plus d'Acézat! (20/06/2011)

    Me voici de retour de Bordeaux, le cabas bien chargé de photos de peintures d'Acézat, l'artiste inconnue (ou méconnue?) dont j'ai déjà parlé sur ce blog à trois reprises. Remarquable peintre que j'ai rencontrée là! Grâce en tout premier lieu à Alain Garret, à Astrid aussi qui en avait parlé à Alain, et puis aussi désormais grâce au mari aimant d'Andrée Acézat, Lino Sartori, ancien chef de chantier dans le bâtiment devenu lui aussi artiste à la retraite, encouragé sans doute par le compagnonnage avec cette femme qui pratiqua l'art toute sa vie. Il faut aussi rendre grâce à un collectionneur de la région qui souhaite garder l'anonymat. Ce dernier a mis à l'abri une bonne partie de la production d'Acézat, production qui aurait très bien pu partir au feu, son auteur ayant failli faire le vide à un moment donné (faute d'attention à son travail?)... Comme je l'ai dit dans une précédente note, une chaîne de solidarité admirative se met en place, empêchant de laisser couler vers l'oubli la mémoire de cette créatrice authentique et tout à fait à l'écart.

 

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Andrée Acézat entre Alain Garret (à gauche) et son mari Lino Sartori (à droite), vers 2001, archives Sartori

 

     L'œuvre de cette dame au regard incisif vis-à-vis de ses contemporains, ou "caustique" comme me le souffle Garret, vous pourriez facilement la manquer, si vous  vous contentiez de survoler la pointe immergée de l'iceberg (les quelques images qui font sa signature apparente, celles que j'ai utilisées justement en premier sur ce blog). Acézat ne cherchait pas à plaire, mais elle dessinait parfois avec un laissez-aller plus puéril qu'enfantin, qui la mettait au bord du dessin humoristique et du croquis de bande dessinée (il m'arrive de penser à des dessins de Reiser devant certains de ses croquis).andrée acézat,acézat,lino sartori,alain garret,art singulier,création franche Certains travaux -rares- se répètent sur papier au format 32x25 cm, parfois avec un peu de relâchement aux limites d'un dessin un peu potache. Un style se met en place à partir d'une époque donnée, avec des personnages à grosse tête - si grosse qu'elle englobe le cou qui disparaît dans la masse- des torses d'un seul bloc, avec des membres grêles, filiformes, des pieds réduits à leur plus simple expression, mais presque jamais de jambes, ou alors comme les bras, de simples fils de fer... Cette écriture qui constitue une marque de fabrique peut aux yeux d'un spectateur inattentif ou blasé passer pour uniforme et faire riper l'oeil vers un jugement à l'emporte-pièce. Oh, c'est encore un de ces bonshommes enflés et gribouillés, pourra se dire ce spectateur distrait (débordé d'informations culturelles venant de tous côtés)...

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Acézat, titre non communiqué, 1998, env. 29,7 x 21 cm, coll. A.Garret ; ph.BM

 

      Mais non, si ces bonshommes-là ont une allure certes ultra-simplette, ils véhiculent simultanément une forte et singulière émotion, un sens de la tragédie quotidienne, pointée avec distance par l'artiste  malgré son économie de moyens, tragédie masquée ou traduite par moments en humour noir et goût de la caricature. Cette dernière ne  l'emporte pas au final pourtant. Car Acézat fait défiler l'humanité devant nous dans un cortège de désastre, voire de dépit, dirait-on. C'est une galerie de portraits d'adultes, et non pas d'enfants comme je l'avais cru primitivement. Ces adultes reviennent sous l'oeil d'Acézat tels des vieux enfants. Des moutards mal vieillis. Une de ses plus belles toiles (ce sont souvent ces dernières qui sont les œuvres les plus abouties) s'intitule précisément "le dépit" (la grande majorité de ses peintures ont des titres, la plupart du temps au verso).

 

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Andrée Acézat, Le dépit, 2000, huile sur toile, env.80x60cm, coll. particulière, Bordeaux ; ph.BM

 

      Tout indique qu'Acézat, c'était une pure. Née en 1922, disparue en 2009 à 87 ans, elle fit les Beaux-Arts de Bordeaux, cinq ans d'étude pendant la seconde guerre. De ces années de Beaux-Arts il reste quelques souvenirs conservés pieusement par son mari, prouvant un talent de peintre traditionnel tout à fait établi.

 

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Acézat, bol et coloquinte, 1993, coll Sartori

 

      Puis un choc physique se produit, un cancer aux alentours de 1983-1984. Semble s'en être ensuivi un choc intellectuel, et esthétique aussi. De plus, Acézat découvre, avec Lino Sartori, le site de la Création Franche dont il semble qu'ils aient suivi régulièrement les expositions (je me dis que j'ai dû souvent les y croiser sans le savoir), à partir du milieu de ces mêmes années 1990. Une évolution s'opère dans les peintures et les dessins d'Acézat de ces années-là, progressivement, par paliers, mais radicale quand on compare ses anciens travaux plus académiquement picturaux avec les nouveaux, plus spontanés, plus colorés, au dessin hyper simplifié, et chargés d'humour et peut-être d'une conscience du désastre humain. Les dates qu'elle appose méticuleusement, à côté de sa signature, habitudes gardées sans doute de l'époque des Beaux-Arts, sont là pour nous prouver cette évolution. Elle jette ses anciennes leçons par dessus les moulins, si on peut dire, on sent aussi qu'elle a pu dans ces années-là, outre la création franche avec ses peintres primitivistes et singuliers, découvrir la spontanéité tonique et sensuelle d'un groupe tel que Cobra, sans négliger pour autant des références plus anciennes à l'expressionnisme. Une de ses toiles des derniers temps est peinte explicitement dans la lumière de Cobra (et d'Asger Jorn même peut-être?).

 

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Acézat, titre non encore identifié, 2005, coll. Sartori

 

     Le tournant esquissé en 1991, 92, 93, 94, est définitvement pris en 1995. Il lui reste onze ans à vivre. Elle va se mettre à dessiner avec furie plusieurs heures par jour sans dételer, enchaînant dans la même journée plusieurs dessins. Cette rage est probablement à la source du désir de peindre qui va prendre à son tour son mari, qui, lui, décide de peindre surtout sur des souches de bois avec une grande dextérité brute. La technique d'Acézat sur papier, au moyen de feutres et de crayons de couleur, semble être de commencer par des fragments d'oeuvres répudiées, puis déchirées, recollées sur une nouvelle feuille, et à partir desquelles son imagination graphique se mettait à improviser. Lino Sartori a gardé de ces commencements qui aident à comprendre à partir de quoi elle pouvait commencer ses dessins.

 

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Travail préparatoire laissé de côté par Acézat, et conservé par son mari, fragments pouvant servir à des rehauts, des surlignages, des retouches...

 

     Acézat a très peu exposé, semble-t-il, et le peu qui lui a été consacré l'a été fait sur la région bordelaise. Le Musée de la Création Franche aurait été à même de la recevoir, mais cela ne s'est pas fait, j'ignore actuellement pourquoi, s'il y eut un véritable contact entre elle et ses animateurs. Elle donnait ses dessins. Tout aurait pu se disperser sans les brocantes, refuges des artistes négligés. Une seconde vie s'ouvrira-t-elle pour Andrée Acézat? Je le souhaite ardemment.

 

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Andrée Acézat, titre non encore identifié, huile sur toile, 2002

  

00:33 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : andrée acézat, acézat, lino sartori, alain garret, art singulier, création franche |  Imprimer