Cranaché (15/04/2012)
Bruno Montpied, Portrait Cranaché, 28,5x21 cm, image modifiée (d'après un portrait du Christ de Cranach), encre acrylique, crayons de couleur, marqueurs sur papier
Oh, que voici une étrange tête, tenant de la noix de coco et du noyau d'avocat, qui seraient couverts d'une peau de melon d'Espagne, ou d'un badigeon à la crème vanille. On lui a passé des anneaux dans le nez, il a encore des frisettes dans la barbe (comme un de ces antiques satrapes, là...?) , le haut de son buste s'avachit, s'écroule, coule, ondule, tandis que derrière lui un roncier s'en donne à cœur joie, proliférant tel un enfer végétal, comme rouillé. Son regard reste placide, alors que tout s'effondre autour de lui, et à l'intérieur de lui aussi bien. Il a les lèvres bien rouges, et s'est barbouillé de cendre on dirait.
Ci-dessous le tableau d'origine dont la reproduction a été surpeinte par moi (pour répondre au commentaire de Régis Gayraud ci-dessous)
Cranach, La couronne d'épines
23:29 | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : bruno montpied, noyaux d'avocats, noix de coco, art singulier, dessin automatique, cendres, roncier, placidité | Imprimer
Commentaires
Un très bel exemple de peinture détournée. Comme quoi l'influence du grand Asger se fait toujours sentir dans votre œuvre, cher Sciapode.
Écrit par : L'aigre de mots | 16/04/2012
Très belle oeuvre, que l'on regarderait longtemps pour sentir se retourner et s'arracher nos personnages intérieurs. Une étrangeté comme familière dans ce regard sage ou désabusé, où trébuche encore l'antécédence d'un lion. Quelques épines, là-haut, et sans doute quelques autres, plus matérielles, là-dedans, et ce regard, c'est comme si c'était en nous, précisément, qu'il voyait tout un écroulement. On le garde comme un précieux talisman de nos propres (d)échéances.
Écrit par : MP | 16/04/2012
Cher Aigre,
Si je peux me permettre de mettre mon grain de sel, mis à part le principe d'intervention graphique sur une image déjà existante, je ne vois pas dans ce beau portrait d'influence particulière d'Asger Jorn.
Sinon, je vois là une belle tête de pirate sarrasin sur laquelle un œuf de poule serait venu se briser. Etonnant, non ?
Écrit par : RR | 16/04/2012
Précisément, RR,, je crois que l'Aigre voulait rappeler l'influence jornienne seulement à propos de l'intervention sur une image déjà existante, qu'Asger appelait je crois une "modification", terme que j'ai repris dans l'étiquetage de mes travaux en vue du catalogue général de ces derniers que je continue d'élaborer dans le secret de mon laboratoire à l'intention des exégètes futurs qui ne manqueront pas, j'en suis sûr, de venir fouiller dans mes papiers, si ces derniers ne sont pas jetés à la rue avant.
Il serait intéressant en outre de déterminer si Jorn fut le premier à proposer de modifier des œuvres déjà existantes, forme d'iconoclasme créatif et non pas destructif, bien dans son esprit (Jorn était un vandale de proposition). Il me vient à l'esprit que son inventeur pourrait bien être en réalité le dadaïste, puis surréaliste, Marcel Duchamp avec la moustache qu'il apposa dans les années 1910 sur la Joconde (LHOOOQ...).
Personnellement, depuis ma découverte des œuvres de Jorn à la fin des années 70, artiste que m'avait indiqué Joël Gayraud (comme il m'indiqua aussi, sans paraître y attacher beaucoup d'importance, au début des années 80, l'existence de "cahiers d'art brut" à la librairie Artcurial), le hasard, si c'en est un, m'a mis sur le chemin d'autres modificateurs, Chaissac (dont j'ai appris que Jorn aurait bien aimé acheter des œuvres, hélas, il ne put y arriver), Fillaudeau, Gaston Floquet, des anonymes... Du reste, c'est peut-être du côté de ces derniers, photographes retouchant par la peinture des portraits, petit commerce sans prétention au début du XXe siècle, qu'il faudrait aller chercher les premiers modificateurs?
De surcroît, l'idée de repeindre sur d'autres peintures est déjà contenu en germe dans le principe du collage, qui est aussi une première forme d'iconoclasme.
En tout cas, je ne me dissimule pas ,toutes proportions gardées, qu'il s'agit là d'un geste hérité de l'esprit Dada.
Écrit par : Le sciapode | 16/04/2012
Je reviens sur cette idée d’œuf de poule que l'on aurait écrasé sur cette tête, cher RR.
Vous ne croyiez pas si bien dire. Votre hypothèse a réveillé en moi le souvenir des lycéens du lycée Hélène Boucher où je fus pion de façon fort éphémère dans les années 80, arpentant de 2 à 4, les couloirs devant les classes et entendant depuis l'escalier qui reliait ces couloirs, avant que je n'arrive en vue de leurs petits trafics illicites, ces mêmes lycéens claironner le surnom dont ils m'avaient affublé: "Caliméro...! Caliméro...! Chauve qui peut...". Caliméro en effet, parce qu'il s'agissait d'un poussin se baladant perpétuellement avec une coquille d’œuf cassée et posée au sommet de sa tête... Ce qui "collait" bien au chauve que j'ai toujours été.
C'est donc bien une réminiscence de ce personnage qui est à l’œuvre dans ce portrait qui a donc de fortes chances d'être plutôt un autoportrait involontaire.
Écrit par : Le sciapode | 16/04/2012
Cher sciapode, je souhaiterais une petite précision : lorsque vous écrivez que votre autoportrait (involontaire?) est l'image modifiée du Christ de Cranach, s'agit-il réellement d'une image modifiée façon Duchamp ou Jorn, c'est-à-dire, avez-vous directement dessiné par-dessus une reproduction du tableau de Cranach, ou avez vous simplement réalisé votre oeuvre sur une feuille de papier blanche, en ayant à côté de vous ladite reproduction, à la façon dont Picasso, par exemple, a repris les Ménines, ou bien, au fond, comme Cranach lui-même reprenait, comme tous les autres peintres de Christ, l'image traditionnelle du Christ à barbe et couronne d'épines? Chez vous, cette couronne d'épines s'est transformée en une sorte de panache gazeux, comme une bande de Moebius de fluide impalpable, les yeux sont restés glauques, ont pris un air bovin tout à fait trouvable chez nombre de nos congénères, la bouche amère et dure à la fois est restée la même que chez Cranach... D'autre part - cela m'amuse d'autant plus depuis que vous nous dites qu'il pourrait s'agir d'un autoportrait - une petite cravate qui ressemble, vous qui n'en portez jamais, a surgi comme une goutte de miel là où la glorieuse poitrine s'ornait de poils... alors même que les poils vous siéraient davantage! - et tout en bas, à droite, quelle est donc cette inquiétante demeure dont la fenêtre rappelle la fente d'un bunker, et dont la cheminée s'orne d'une parabole braquée sur quel ennemi dont le propriétaire souhaiterait capter les ondes?
Écrit par : Régis Gayraud | 16/04/2012
C'est drôle, ce "regard bovin" de votre détournement, si mécréants que nous soyons, si pétris de culture chrétienne que nous sommes aussi malgré nous (je vois déjà d'ici l'Aigre secouer en arrière sa chevelure léonine et lancer : "Pff! Pas moi, en tout cas!...", n'empêche...), on le verrait bien sur le visage de Pilate, ou plus encore du légionnaire qui flanqua le coup de lance, quand l'oeil gauche désolé et las et le droit vaguement moqueur et un zeste hautain du type représenté par Cranach sont plus idoines au Christ. Comme quoi, vraiment, les vieilles images nous modèlent.
Écrit par : Isabelle Molitor | 17/04/2012
Iconoclaste, le collage...iconodoule au contraire!
Conne l'écrit une intervenaute, nous sommes " pétris de culture chrétienne", et depuis le concile du 8ème siècle, sur un même traitement de l'image.
Oui, "les vieilles images nous modèlent"!
Écrit par : Versus | 19/04/2012
Ce n'est pas un collage, Mr "Versus", mais une sur-peinture. Quant aux vieilles images chrétiennes... En l'occurrence, c'est très consciemment que j'ai peint par-dessus en la laissant devinable à la fin. Je propose là juste une dérivation vers autre chose, de bovin ou de simplement mélancolique, en tout cas assez profane selon moi.
Écrit par : Le sciapode | 22/04/2012
Cher Sciapode,
ma remarque ne venait pas définir votre sur-peinture, mais votre affirmation, le principe du collage, "qui est aussi une première forme d'iconoclasme", dans le suivi de la conversation des commentaires.
Et j'ai bien noté votre démarche. Un Alain Lacoste que vous et moi connaissons bien en est aussi un typique exemple.
Je parlais de la notion d'image en général et de ce combat entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel pour gérer cette force symbolique.
Avant les images pieuses, la frappe des monnaies qui devient systématique au 8e siècle, entre l'empire et la papauté.
Passionnant à lire en ce sens, "Image, icône, économie" de Marie Josée Mondzain au Seuil.
Mais il s'agit d'un vaste débat, l'art autre, marginal ou brut pouvant aussi dans sa "figuration même" être un acte purement mental.
Bien à vous.
Écrit par : Versus | 23/04/2012
Votre phrase,
"le principe du collage, qui est aussi une première forme d'iconoclasme."
( Mise en code html, italique, n' est pas apparue comme telle dans mon commentaire.
Je vous souhaite le soleil pour la journée!
A bientôt.
Écrit par : Versus | 23/04/2012
Que veut dire "iconodoule"? Introuvable dans les dictionnaires...
Écrit par : René Dobrant | 23/04/2012
@René Dobrant.
Le terme d'iconodoule qui n'est effectivement pas dans les dictionnaire provient du grec "eikov", au triple sens d'image( portail, portrait, tableau) d'image réfléchie (dans un miroir) et de ressemblance.
Le "doulos", c'est l'esclave, le servile, l'esclave de l'image en ce qui nous concerne ici.
On trouve ce terme dans les ouvrages qui traitent de l'iconoclasme et donc de son contraire. L'iconoclasme est double et concerne d'abord celui de Byzance qui a été imposé par les empereurs et ensuite celui plus populaire en occident au 16ème siècle, contre l’idolâtrie catholique.
Vous pouvez consulter Le dictionnaire mondial des images sous la direction de Laurent Gervereau, Nouveau monde édition. Ces deux périodes iconoclastes sont synthétiquement traitées.
Écrit par : Versus | 23/04/2012
Je persiste à trouver le collage de mon point de vue plus iconoclaste qu'iconodoule. Du moins tel que je le pratique (de loin en loin), en brisant une ou plusieurs images en morceaux et en en reconstruisant d'autres à partir de ces morceaux.
L'image cassée l'est le plus souvent en raison de l'ennui qu'elle m'inspire, de son côté image trop connue, banalisée, de son côté cliché, voire de son côté sacré.
Je me référais au mot iconoclaste dans le sens banal de profanation d'une image sacrée, sans bien connaître l'histoire exacte de son acception. Merci de votre référence cependant.
Écrit par : Le sciapode | 24/04/2012