Le Docteur P., un texte de Jacques Burtin (01/02/2014)
Le Docteur P.
Nous habitions alors une petite maison de style forestier dans la banlieue Est de Paris.
Les murs étaient en meulière ; les balcons, le pont au-dessus de la fausse rivière étaient en ciment sculpté en forme de troncs d’arbre. Le petit cours d’eau (on en commandait le débit avec un robinet) prenait sa source au pied d’un hêtre pourpre et allait mêler ses eaux à un minuscule bassin d’où l’on pouvait faire jaillir une fontaine. Un poisson rouge aux dimensions respectables et à l’âge très avancé hantait la rivière et répondait au nom de Lao Tseu.
Nos deux enfants, nés à Paris, près de la Place d’Italie, grandirent dans cette petite ville de l’Est parisien et développèrent les mêmes symptômes que la plupart de leurs camarades de maternelle : ils souffraient d’otites à répétition. Aux premiers signes de douleur et d’insomnie, nous nous rendions chez le pédiatre qui constatait l’origine du mal et nous enjoignait de rendre visite à un spécialiste de ses amis. Ce dernier, un homme grand et sec au visage imperturbable, prenait l’enfant malade et, lui tenant la tête d’une main, de l’autre perçait son tympan avec un stylet. Le mal alors s’éloignait jusqu’à la prochaine fièvre qui nous pousserait de nouveau chez lui.
Le nom de ce médecin était le Docteur POIGNARD.
Jacques Burtin
pour Bruno
01.02.2014
20:23 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : noms prédestinants, aptonymes, poignard, otites, jacques burtin | Imprimer
Commentaires
C'est un joli texte, on s'y verrait presque dans cette maison désuète de l'est parisien. Je me demande cependant pourquoi, les enfants de là bas souffrent "d'otites à répétition"...Est ce la pollution, le bruit ou tout simplement une spécialité locale... Et je remarque qu' enfin, ce soigneur en arrivant sur le Poignard subtil, porte un nom doublement prédestinant.
Écrit par : Darnish | 06/02/2014
Cette maison, depuis que je lis le texte trop ostensiblement un chouïa littéraire à mon goût de l'ami Burtin, me rappelle la belle (entrevue en photos et seulement de loin, une fois, comme une vraie belle dont on rêve, un jour où nous étions allés y voir, enfants) et grande demeure bourgeoise où ma mère vécut son adolescence entre piano amical et chien affectueux, toute de meulière, de perron et de véranda ornée, en son parc ombragé. Elle était sise avenue du Nord, à Saint Maur, et ces syllabes rimaient pour moi à son perdu, bouche entrouverte sur le mystère.
Une semblable maison de meulière et de Saint Maur, mais en plus modeste, abritait ensuite une autre de nos connaissances, passée, m'a-t-on dit, de l'autre côté du miroir, l'auteur d'un seul livre (mais quel livre de pures flammèches poétiques) : "Vers luisants" - Roland Chelle.
Il y a beau temps que l'eau de la Marne, de Bonnot à Hardellet, hèle les rêveurs et poignarde les coeurs. Le parc des Archers à jamais restera ouvert.
Écrit par : Régis Gayraud | 06/02/2014
"Le texte trop ostensiblement un chouïa littéraire à mon goût de l'ami Burtin..." Alors là, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, mon cher Régis. Car en matière de littérature vous-même en connaissez un rayon... A commencer par ce dernier commentaire. Ce qui n'a rien de péjoratif à mes yeux quand il y a du contenu derrière. Le texte de Jacques Burtin est une belle prose je trouve, en plus de présenter un nom prédestinant tout à fait étonnant. Sa sobriété et son équilibre, son côté cristallin, m'ont autant séduit qu'un bon verre de vin blanc.
Mais peut-être vouliez-vous seulement indiquer que derrière cette belle écriture on sent le désir de son auteur d'attirer l'attention sur ce qu'il est capable d'écrire? L'ostentation dites-vous... Peut-être... Cela a toujours été je crois l'un des péchés (véniels) de l'ami Jacques.
Pour "l'autre de nos connaissances" que vous évoquez, Saint-Maur l'abrite toujours (et non pas "l'abritait").
Écrit par : Le sciapode | 06/02/2014
Hi hi, "estes chu ès trapes", comme disait l'autre! Oui vous êtes tombé dans le piège, vous cher Sciapode! Bien sûr que je m'y attendais, à celle-là!!! C'est pourquoi j'avais bien pris mes précautions pour faire gicler ma diarrhée adverbiale à sa juste place, dans le bon ordre : " trop ostensiblement un chouïa littéraire" et non pas "un chouïa trop ostensiblement littéraire". Eh oui, ce que je lui reprochais, c'était d'être juste un peu littéraire (juste un chouïa) pour qu'on le remarque, mais pas assez ostensiblement baroque pour susciter une de ces nausées littéraires comme j'aime les provoquer. Quant à l'ami Jacques, qu'il ne se formalise point, je, pour ma part, suis très heureux d'avoir retrouvé son contact, même si pour l'heure lointain et numérique, et réaffirme ici haut et fort que certains de ses enregistrements musicaux à la kora sont de vrais sensass bijoux, à découvrir surtout par ceux qui nourrissent à leur égard quelques a priori.
Écrit par : Régis Gayraud | 08/02/2014
Vous aimez un peu trop tendre des pièges mon cher Régis...
Écrit par : Le sciapode | 08/02/2014