Des goujats de Goujounac (27/12/2015)

 

1989 (3 bis) les galettes avec la première oeuvre.jpg

Trois sculptures en médaillon et silhouettes, dont celle de droite qui est la véritable première œuvre de Gaston Mouly (telle qu'il me l'affirma en 1984), ce qui contredit ce qu'affirme (p.7 et p.22) Jean-François Maurice dans le catalogue de l'exposition Mouly au musée Henri Martin de Cahors en 2000 ; photogramme du film en Super 8 de Bruno Montpied sur Gaston Mouly (1987)

 

      Une exposition sur Gaston Mouly se prépare à Goujounac, son village natal du Lot. Ce sera pour juin semble-t-il. Une association nommée Goujoun'Art, animée par des personnes du cru, ont contacté plusieurs personnes qui de près ou de loin ont connu Gaston Mouly.

     Est-ce l'air du temps porté sur la paranoïa et sur la lâcheté? La peur du qu'en-dira-t-on (qui n'effrayait pourtant aucunement un Gaston Mouly comme le proclament parfois les titres de ses œuvres, voir aussi l'inscription au bas de cette note)? La crainte frileuse d'assumer les propos des participants à cette manifestation auxquels ils prêtent d'imaginaires retombées en terme de réputation ? Toujours est-il que le signataire de ces lignes, après avoir avec bienveillance apporté son soutien au projet, donné quelques informations, jugements et conseils qu'il estimait de nature à aider les organisateurs,  avoir écrit un texte de souvenirs sur Gaston Mouly, une première fois remanié pour complaire à Goujoun'Art, aménagé son agenda pour une conférence qu'on lui avait demandée pour la fin avril 2016, discuté avec la responsable de cette association, le signataire de ces lignes s'est fait purement et simplement renvoyer à ses chères études, sans la moindre justification, par un mail en cinq lignes! On ne voulait plus du texte, dans ce qui ressemblait à un caprice, et la conférence elle-même était annulée... A Goujounac apparemment on prend les gens pour des kleenex. Plus goujat, tu meurs!

Dessin de GM à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (2).jpg

Dessin inédit de Gaston Mouly, 56x76 cm, du 9 avril 1996, donné à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (où il se trouve toujours), selon ce que nous en a dit Mme Claudie Bousquet, ancienne institutrice de cette école, suite à l'appel que je fis sur ce blog pour aider Doriane Mouly à retrouver des œuvres de Gaston

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Gaston Mouly donnant quelques explications à des enfants de l'école maternelle de Castelnau-Montratier lors de sa venue en 1996 (un an avant l'accident qui lui coûta la vie), archives de l'école ; photo inédite

 

     Qu'est-ce qui a déplu dans ma proposition de texte (car c'est celui-ci qui est en cause apparemment)? Je suis inévitablement conduit, en l'absence d'explication, à proposer des hypothèses. Mon but second étant d'alerter tous ceux, dans les milieux d'art brut et d'art singulier, qui auraient affaire à l'avenir à cette association. Et je voudrais souligner aussi une propension de  certains amateurs d'art − beaucoup trop "amateurs", dans le pire sens du terme −  à s'ériger en censeurs. La censure d'Etat, c'est déjà atroce, alors que dire de la censure des gens ordinaires...?

     Voici mon texte ci-dessous proposé dans la version que je considérais comme définitive:

 

Gaston Mouly dans mon rétroviseur

 

          En 1984, alors que l’Aracine venait d’ouvrir les portes du Château-Guérin, à Neuilly-sur-Marne, afin d’y présenter son embryonnaire collection d’art d’autodidactes ‒ à cette époque, elle n’avait pas le droit d’employer le terme « d’art brut », Jean Dubuffet n’autorisant personne à en user en dehors de sa propre collection ‒, je fis la connaissance de Gaston Mouly, et de son inénarrable faconde, de son accent quercynois et surtout de son univers plastique, qui se limitait alors à ses sculptures en ciment polychrome.

          Il avait débuté dans ce domaine depuis trois ou quatre ans, et c’était une future romancière, Myriam Anissimov, qui, en faisant sa connaissance (via une commande à son entreprise de maçonnerie je pense), l’avait recommandé à Madeleine Lommel et à Michel Nedjar. Ces derniers étaient en effet à l’affût de nouveaux créateurs afin d’étoffer la collection qu’ils rêvaient de construire en suivant l’exemple de la collection d’art brut princeps, celle de Dubuffet, qui venait d’être donnée à la ville de Lausanne (et ouverte en 1976), en ayant quitté la France où l’art brut avait été pourtant inventé (dès 1945). Notre pays attendit jusqu’en 1999 pour qu’une collection d’art brut entre officiellement dans un musée d’art moderne, au LaM de Villeneuve-d’Ascq dans le Nord. Cette collection étant justement celle que s’ingénièrent à constituer les animateurs de l’Aracine durant une quinzaine d’années.

            Je suivais l’aventure de l’Aracine depuis sa première exposition à Aulnay-sous-Bois en 1982. Ce qui m’y intéressait, c’était précisément cette recherche de nouveaux créateurs, et je dois dire que je suis resté fidèle toute ma vie à ce genre d’attitude. Tomber sur des auteurs sauvages, en dehors de tout système des beaux-arts, et de tout marché de l’art, est une aventure passionnante, stimulante en retour pour notre propre démarche créative. Je fus d’autant plus surpris de constater qu’au fil des mois, les animateurs du Château-Guérin paraissaient mettre de côté Mouly, peut-être parce que, entre autres raisons, cherchant avec fièvre de nouvelles œuvres, il leur arrivait de remiser leurs précédentes trouvailles.

            Je trouvais dommage qu’on puisse avoir envie de mettre entre parenthèses l’art d’un Mouly, son dévoilement venant tout juste d’être opéré. Je fis plus amplement connaissance avec lui, me rendant à plusieurs reprises dans son village de Lherm, et lui venant souvent à Paris, pour se confronter à son rêve naïf de vie artistique à la capitale (il descendait dans un hôtel de St-Germain-des-Prés, d’où il nous arrivait d’aller nous exhiber aux Deux Magots pour faire plaisir à Gaston).

           Je décidai donc quelques années plus tard de le recommander à mon tour à Gérard Sendrey du Site de la Création Franche (nom primitif du musée de Bègles), en 1988-89. Gaston avait déjà, depuis quelques années, fait de la peinture (plusieurs tableaux en attestent). Il m’avait même donné des dessins pour mon fanzine, La Chambre rouge en 1985.

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Couverture de La Chambre rouge n°4/5, 1985 ; la première occurrence où apparaissent des dessins de Gaston Mouly

 

          Sendrey, ne disposant pas de beaucoup d’espace dans sa minuscule galerie Imago (espace qu’il avait ouvert avant de récupérer un local plus grand où se trouve toujours aujourd’hui le musée de la Création Franche), voulait des œuvres de petit format. Il repoussait en conséquence les sculptures de Gaston, qu’il jugeait trop difficiles à manœuvrer pour des accrochages. Il lui demanda s’il ne faisait  pas des dessins. Gaston sauta sur l’occasion pour développer un secteur de sa création qui ne demandait qu’à prendre plus d’ampleur¹. Une magnifique floraison de dessins en couleur surgit alors, qui devait lui ouvrir les portes d’autres collections prestigieuses, comme celles de la Fabuloserie et de la Neuve Invention dans la collection de l’Art brut à Lausanne² (« Neuve Invention » étant un terme inventé par Dubuffet pour classer les cas-limites situés entre l’art savant et l’art brut au sens strict).

Carton d'expo GMouly à Imago en 1989.jpg

Carton d'exposition en 4 pages de Gaston Mouly à la galerie Imago de Gérard Sendrey en 1989, avec un texte d'introduction de Bruno Montpied

Carton d'expo G Mouly à Imago Texte BM.jpg       Carton d'expo Mouly Imago Images des dessins  Gaston Mouly002.jpg

            L’originalité du dessin de Gaston Mouly provient de son désir profond de faire moderne. Parallèlement, il restait fier de sa culture de base, intimement liée à son goût du patois. Il m’a souvent dit que la langue française lui paraissait peu imagée, alors que l’occitan rendait mieux de ce point de vue. On trouve aussi ce genre d’opinion chez un Gaston Chaissac. Ce dernier qualifiait sa propre œuvre « d’art rustique moderne », terme que l’on pourrait aussi appliquer à l’art de de Gaston Mouly.

           Ses diverses œuvres portent la marque d’une inspiration à nulle autre pareille, certes sommaire, eu égard au tracé de ses figures par exemple, mais porteuse d’un goût inné de l’architecture qui éclate partout dans l’articulation, la structuration des images. Je pense même que le sujet n’a que peu d’importance fondamentalement. C’est d’abord le plaisir d’architecturer qui mène Mouly, qui ne fut pas maçon par hasard. Le sujet doit se plier à cette loi, de gré ou de force. Procédant par intuition, il se créait ses solutions figuratives dans la conscience pleine d’agir ainsi en inventeur solitaire, s’appuyant sur l’exemple d’artistes modernes pour qui il avait travaillé dans sa région (Zadkine, Bissière, Nicolas Wacker). Mais il ne faut pas oublier que l’on trouvait aussi, accrochés au-dessus de ses sculptures, au mur de son atelier d’été, divers objets et outils caractéristiques de la culture rurale, attestant de son goût pour les formes générées dans le cadre de cette dernière. Dans son dessin, dans sa sculpture, il tentait de marier influences formelles venues de l’art moderne et influences stylisatrices provenant de l’art populaire. Ce dernier aime les raccourcis,  les associations d’images, les jeux de mots, et se passe fort bien de l’imitation de la réalité photographique. Comme Gaston Mouly.

            Alors, « singulier », Gaston Mouly ? Ce dernier terme ‒ qui désigne aujourd’hui de plus en plus des artistes semi professionnels inspirés par l’art brut, et plutôt liés à une culture urbaine ‒ ne lui correspond pas exactement. Certes, ses opinions politiques étaient nettement droitières, comme celles de tant de gens qui appartiennent au peuple des paysans et des artisans, choisissant à l’occasion, par facilité, un individualisme égocentrique teinté de populisme. En dépit de cela, il est loisible de reconnaître à travers son imaginaire graphique et plastique toute une culture à coloration païenne mettant en avant l’esprit de fête, de danse, de jouissance, où la ligne est virevoltante, sinueuse et sensuelle. Ses sculptures font parfois penser aux figures populaires en pain sculpté que l’on trouve dans plusieurs pays d’Europe. Artiste populaire contemporain, prisant le plaisir sous toutes ses formes, bon vivant, c’est ainsi que je préfère revoir Gaston Mouly, quand il m’arrive de contempler nos rencontres dans mon rétroviseur…

            Bruno Montpied, décembre 2015.

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[1] Voir le dessin qu’il avait fait en 1983 sur une porte de sa maison, que j’ai reproduit dans le catalogue Des jardins imaginaires au jardin habité, Hommage à Caroline Bourbonnais, édité par la Fabuloserie en mai 2015.
[2] Gaston Mouly et moi, en 1987, bien avant qu’il expose à Bègles, avions du reste conçu un projet d’aller montrer ses sculptures à Michel Thévoz, que j’avais contacté par téléphone. Ce dernier, dès cet entretien, m’avait confié que, si ces sculptures pouvaient intéresser leur collection, elles ne pourraient être intégrées au mieux que dans la Neuve Invention. Selon lui, en effet, Mouly ne relevait pas complétement de la définition de l’art brut. Malheureusement, notre projet de voyage en camionnette avec les sculptures capota, à mon grand regret.

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    Après avoir lu ce texte, que comprendre de ce qui a pu déplaire à nos goujats de Goujounac? Est-ce le dernier paragraphe qui les chiffonne où il est fait allusion aux opinions droitières de Gaston? Doit-on donner une image lisse du créateur, émasculée de tout ce qui pourrait rompre avec une évocation de Bisounours, strictement axée sur la question esthétique (le créateur vu uniquement au ras des pâquerettes, en ne prenant en considération que ses outils et ses tubes de peinture comme s'il n'y avait rien d'autre autour de lui)?

     Serait-ce une considération de respect exagéré vis-à-vis de je ne sais quelle peur de déplaire à la famille sur une question de détail (en particulier le rappel du rôle d'intercesseur de Myriam Anissimov, que j'avais pourtant signalé dès la plaquette Imago de 1989?) ? Je me perds en conjectures... Et je finis par conclure à la décision absurde d'une belle bande de neuneus doublés de jésuites qui vont nous pondre une expo ruisselante de bons sentiments. A oublier bien vite.

inscription sur la porte atelier d'été.jpg

Inscription qui était apposée sur la porte de l'atelier d'été de Gaston Mouly à Lherm, archives BM ; en dépit de sa syntaxe bizarre, on décrypte aisément le propos: "bien qu'ici mes œuvres puissent emmerder les raseurs, leurs fruits parlent, tâchez donc d'en faire autant...." ; lisse, Gaston Mouly? Allons donc... 

15:51 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : gaston mouly, goujounac, goujats, art brut, art singulier, bruno montpied, castelnau-montratier, censure ordinaire, myriam anissimov, l'aracine, la chambre rouge, art rustique moderne, neuneus, jésuites, goujoun'art |  Imprimer