Une parabole sur les rapports France-Afrique (08/07/2017)
Cela fait plusieurs fois qu'avec divers interlocuteurs je vante les bénéfices (intellectuels...) qu'il y aurait à monter une exposition exclusivement consacrée à de brillants anonymes de l'art, naïfs, populaires, bruts, voire rien de tout cela, tout simplement autres, pourvus que les œuvres soient véritablement singulières et originales. Beaucoup de collectionneurs et chineurs invétérés possèdent de ces tableaux ou sculptures qui ont su capter leur attention, tout en étant bon marché très souvent, du fait qu'il est difficile de faire entrer ce genre de marchandise dans une quelconque démarche d'investissement... Pas de cote possible, on ne connaît rien de l'auteur, c'est déjà bien beau si on a une signature. Dans ce dernier cas, il est cependant passionnant d'essayer de retrouver l'auteur, dans le passé ou le présent. Je connais des amis du côté des Pyrénées qui n'hésitaient pas à une époque à rechercher dans le bottin toutes les personnes du même nom qu'ils avaient relevé sur une toile chinée dans un vide-greniers, et puis ensuite à appeler toutes les personnes... dans l'espoir de retrouver "l'artiste" inconnu. Sur ce blog, le lecteur a dû se convaincre que c'est le genre de recherche que nous sommes quelques-uns à aimer poursuivre (voir récemment le nom d'un sculpteur sur sable du début XXe siècle qui nous a interpellés : Winter Querée... Ou encore le cas du nommé Pierre Dange dans l'Yonne, sur lequel j'apporterai une information nouvelle dans mon livre, Le Gazouillis des éléphants, à paraître en novembre en librairie).
Anonyme, Je te donne la friperie et le médicament. Tu me donnes la forêt et le pétrole ; Ça colle ?, 52 x 67 cm, sans date, crayons graphite et couleur sur papier, coll. et photo Bruno Montpied.
Ces anonymes œuvrent sans se soucier de se faire connaître. Ils sont de styles très divers, et ne se rangent pas nécessairement du côté de l'art dit brut. J'en donne un exemple ci-dessus. C'est le galeriste lyonnais Alain Dettinger qui est tombé sur ce dessin, parmi d'autres (une petite dizaine d'œuvres retrouvées). Aucun renseignement de la part du vendeur sur l'auteur. Est-il d'origine africaine? On ne sait. Il vivrait cependant en France... Tous les dessins comportent des textes qui commentent les scènes, représentées avec un bon coup de patte graphique, je trouve. Je n'ai pas photographié l'ensemble malheureusement, je me souviens de l'un d'entre eux qui comportait le texte suivant (je cite de mémoire): "Ma femme a accouché comme une chèvre"... Celui dont je mets la reproduction ci-dessus, dénonçant visiblement l'arrogance et la condescendance occidentale vis-à-vis de l'Afrique, est d'une causticité pince-sans-rire magnifique. Si quelque lecteur du blog en connaissait par hasard davantage sur cet auteur, qu'il n'hésite pas à intervenir en commentaire ou en privé.
Quel responsable de lieu d'exposition aura l'audace d'organiser une manifestation uniquement consacrée aux anonymes de l'art, les véritables purs de l'art, créant avant tout pour eux-mêmes par amour de l'art et de l'expression? Ce serait la démonstration de l'existence de cette pulsion créatrice errante qui naît au sein de la vie quotidienne sans recours à une recherche de gloriole, au rebours des artistes cabotins avant tout préoccupés d'exhiber leurs nombrils...
00:19 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : anonymes de l'art, oeuvres anonymes, critique des rapports afrique-occident, galerie dettinger-mayer, art anonyme | Imprimer
Commentaires
"... une manifestation uniquement consacrée aux anonymes de l'art, les véritables purs de l'art, créant avant tout pour eux-mêmes par amour de l'art et de l'expression.../... sans recours à une recherche de gloriole..."
Mon cher Sciapode, votre invitation à organiser une telle manifestation est certes une bonne idée mais elle repose cependant sur des postulats concernant l'anonymat qui me semblent bien excessifs et pour tout dire fort discutables: à lire en effet votre dernier paragraphe, l'anonymat serait garant d'une "pureté" de l'artiste et à l'inverse toute revendication de paternité d'une oeuvre (quelle qu'elle soit) serait recherche de gloriole. Outre qu'il faudrait préciser le sens que vous attribuez à cette "pureté", notion dont nous avons toutes les raisons de nous méfier (pour ma part je ne goûte pas trop la "pureté") assimiler toute signature à une recherche de gloriole me paraît relever d'une sorte de "populisme anti-artistique" assez peu pertinent. La tendance nombriliste et le goût prononcé de beaucoup d'artistes contemporains pour le cabotinage ne sauraient à eux seuls justifier le parti-pris inverse en faveur de l'anonymat. A moins que pour lui donner une pertinence vous nous expliquiez qu'en signant vos propres travaux graphiques vous êtes vous-même motivé par la seule recherche de gloriole.
Écrit par : RR | 08/07/2017
C’est bizarre votre logique, à la fin, Rolls-Royce : remarquer que ceux qui ne signent pas leurs oeuvres ne sont pas des nombrilistes fous de gloriole reviendrait à affirmer que ceux qui signent les leurs sont forcément fous de gloriole et nombrilisme. Ça ne s’appellerait pas du syllogisme, cette manière de raisonner, non?
Pour le reste, je suis assez d’accord que pureté est un terme un peu bizarre.
Au fond, avec cette idée de « pureté », on se rapproche de la pratique des peintres d’icônes, qui ne signent pas leurs oeuvres parce que ce serait Dieu, et non pas eux, le véritable auteur, selon eux, de ces images. Il y a même une catégorie d’icônes particulièrement sacrées qui sont dites « non créées par la main de l’homme ».
Écrit par : Agatho | 08/07/2017
Mon cher Reuh-Reuh,
Votre interpellation relève d'une lecture pointilleuse et trop littérale, il me semble. Bien sûr, j'admets que j'y suis allé à la louche avec l'équation "anonymat versus recherche de gloriole"... Mais, il fallait voir qu'il s'agit là d'une envolée polémique destinée à attirer l'attention sur ces créateurs qui oeuvrent anonymement, sans besoin de se faire connaître - et donc reconnaître - par une signature, se passant par conséquence de tout amour-propre, tant ils se concentrent avant tout sur ce qu'ils créent. L'artiste non cabotin (je m'y range en effet), certes, qui signe et cherche à montrer son travail sans quêter forcément la gloire, n'en fait pas moins ici et là de fort belles œuvres inspirées, je ne peux pas dire le contraire. Mais que se passe-t-il en l'absence d'une recherche de reconnaissance? C'est ce sur quoi je m'interroge. Y a-t-il des chances de trouver de ce côté-là plus de talent, ou au moins un autre type de talent, plus purement consacré à ce qui veut s'exprimer, plus immédiat? La "pureté" qui vous chiffonne, et qui intéressait aussi Dubuffet (il a écrit un texte pour une triennale de Bratislava dans les années 70 de l'autre siècle qui s'intitulait "Pour un art pur"), pour moi, est synonyme d'art de l'immédiat, un art sans amour-propre.
Je plaide coupable, en effet : moi-même, je n'arrive pas à me débarrasser de ce fameux amour-propre... Et je signe, je réclame même de l'attention...
Cela ne m'empêche pas de m'interroger sur ce qui se passe du côté de ceux qui créent des œuvres de qualité dans une entière discrétion, et sur la possibilité que cela affecte fort leurs œuvres justement.
Ne nous annoncent-ils pas, davantage que les "bruts", une société sans artistes (cela n'a rien à voir avec votre caricatural "populisme anti-artistique", critique qui me rappelle les accusations de soutien à l'extrême-droite que l'on profère contre les anarchistes qui refusent de voter), où l'art serait partout et les "artistes" (les professionnels de l'art séparé) nulle part? Il me semblait pourtant qu'à un moment vous y paraissiez favorable...
Écrit par : Le sciapode | 08/07/2017
J'y suis toujours favorable, bien sûr, mais une société sans classe et "sans artistes" (eh oui, les deux sont liés) ne suppose pas pour autant que toute création soit alors anonyme. N'ayez donc pas mauvaise conscience, cher Sciapode, l'amour-propre existe heureusement et pour ma part je redouterais une société qui voudrait le faire disparaître.
Le désir d'être reconnu pour la qualité d'un travail réalisé (qu'il soit de nature "artistique", artisanal ou autre mais évidemment nécessairement original et "créatif") n'est pas "recherche de gloriole" mais au contraire un élément constitutif d'une construction sociale qui suppose implicitement un échange enrichissant entre celui qui crée et celui qui reçoit (quelque soit la forme de la réception). Si donc la reconnaissance légitime suppose une originalité, la "gloriole" elle, présuppose au contraire la banalité, et est à ce titre très différente et plus moderne: elle est basée sur la valorisation du néant revendiqué comme tel. C'est une reconnaissance factice (car indépendante de toute expérience et activité humaine réelle) que l'on peut résumer au désir Warholien désincarné de visibilité médiatique (la fameuse minute) à laquelle chacun aurait droit au titre de sa seule existence terrestre.
Pour me résumer, l'intérêt pour l'anonymat de la création ne doit pas pour autant faire mettre dans le même sac désir de reconnaissance et recherche de gloriole.
Écrit par : RR | 08/07/2017