29/05/2023
Diderot et "les arts bruts", retour sur la première utilisation du terme...
C'est ici l'occasion de renvoyer les lecteurs, surtout nouvellement arrivés, et n'ayant pas (encore) eu l'envie ou le loisir d'explorer le passé de ce blog vieux de seize années, vers une note vieille, elle, de dix ans, due à Emmanuel Boussuge, qui possède, entre autres centres d'intérêt, la passion du XVIIIe siècle chevillée au corps. Cette note répondait à une question que je lui avais soumise en privé, concernant l'utilisation par Diderot du terme "art brut" dans un de ses textes de 1765 ou de 1767, utilisation qui avait été relevée par la chercheuse d'art brut Céline Delavaux dans son livre L'art brut, un fantasme de peintre, paru chez Palette en 2010. Voici cette note en lien.
Il se trouve que le camarade Emmanuel vient de voir la même note enfin éditée, avec un retard conséquent, dans un recueil de contributions diverses intitulée Lumières, ombres et trémulations. Hommages au professeur Jacques Wagner (Hermann, 2022 ; cette date étant fictive puisque le livre n'est sorti que tout récemment, en 2023 donc). Elle est quasiment identique dans ce livre à la note de ce blog. On peut s'en convaincre en la lisant ici, dans un autre lien, cette fois vers le fichier en PDF. Pour des besoins de "dynamisme" dans la conduite de son étude, Emmanuel m'y campe en curieux qui pourrait se révéler "déçu" en découvrant les distinctions qu'il opère entre l'art brut de Dubuffet et les "arts bruts" qu'envisageait deux siècles plus tôt le philosophe bien connu, auteur entre autres de l'Encyclopédie.
Or, je ne l'ai été nullement, "déçu.".. Lisant Delavaux, j'avais trouvé normal d'interroger un dix-huitièmiste distingué sur ce premier rapprochement de "brut" avec "art" dans l'histoire de l'art, sans rien attendre, forcément, de spectaculaire en retour. Juste un peu d'éclaircissement.
J'éprouve cependant aujourd'hui le besoin de faire retour sur le distingo boussugien. Si je comprends que les arts bruts, dont parle Diderot, sont vus par ce dernier comme une phase mal dégrossie du langage artistique premier, qui doit mener par paliers à un art raffiné de grand goût classique, que le philosophe paraît priser, je constate qu'Emmanuel dans la suite de son texte paraît infléchir sa réflexion, au point d'établir comme un double début de contradiction concernant la vision de Diderot, et surtout vis-à-vis de la conclusion qu'en tire Emmanuel.
En effet, Diderot, d'une part, critique le maniérisme, qui surgit peu à peu après le règne du goût classique (maniérisme qu'Eugenio d'Ors (1881-1954), bien plus tard, dans dans son livre Du Baroque (1935), verra lui, au contraire, positivement, y associant les arts et coutumes populaires¹, tandis que les illustrations du livre, en 1968, y rattachèrent le Palais Idéal du Facteur Cheval), car il y voit une "décadence", une "mauvaise imitation" due à des "singes appliqués à copier des modèles ayant perdu toute vigueur", ce qui le rapprocherait, selon Emmanuel, de Dubuffet conspuant les arts culturels. Donc, se dit le lecteur, Diderot aurait été à cet endroit, proche de Dubuffet (passons sur le fait que Dubuffet ne conspuait pas la "mauvaise" imitation, mais toute imitation en réalité). Première contradiction avec le distingo initial d'Emmanuel. Mais une deuxième contradiction s'ajoute alors à la première dans la suite de l'étude de l'ami Boussuge. Il nous apprend en effet que Diderot ne répugnait pas à souligner que "la poésie veut quelque chose d'énorme, de barbare et de sauvage" ( et, ici, on croit véritablement entendre le Dubuffet de l'Honneur aux valeurs sauvages !), nécessaire pour lutter contre "l'affadissement généralisé" dû "au conformisme moutonnier et à la fausse originalité" de la période maniérée. Et c'est sans doute pourquoi Diderot, comme le signale encore Emmanuel, dans un passage étonnant de sa petite réponse à ma modeste question de 2016, s'intéresse à un sculpteur autodidacte, originaire de Langres, et passablement déséquilibré, qui modelait des figurines en argile qu'il balançait du haut de ses fenêtres, au fur et à mesure qu'il les trouvait réussies (il avait reçu "un coup de hache", comme dit le philosophe, employant là une expression dont notre "frappadingue" dérive sans doute, ainsi que l'expression "pète au casque" proposée par l'Aigre de Meaux dans les commentaires de notre note d'il y a dix ans).
Et Emmanuel de conclure tranquillement, après nous avoir répété que décidément Diderot et Dubuffet n'ont rien à voir, que "la caractérisation du personnage nous amène bien du côté de l'art brut".
Alors? Certes, la notion d'art brut au sens de Dubuffet, art sans nom produit en dehors de la culture artistique par des personnes restées obscures (au début...), n'a pas été inventé dès le XVIIIe siècle, mais on peut tout de même raisonnablement voir en Diderot un précurseur, sur la voie de la problématique des arts hors culture savante qui allaient nous ravir aux XXe et XXIe siècles. Il alla même assez loin en rapprochant les mots "art" et "brut", pour la première fois dans l'histoire de l'art. On sait que cette géniale invention terminologique a été pour beaucoup dans le succès sans cesse grandissant de l'art brut.
Qui sait si Dubuffet n'avait pas lu Diderot? Ce ne serait pas tellement étonnant étant donné le fin lettré qu'il était (plus fin lettré qu'homme du commun, rôle auquel il aurait aimé faire croire au début de l'aventure de son art brut) ! Pas pour inventer la notion, mais le terme d'art brut!
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¹ Voici un passage intéressant du livre d'Eugenio d'Ors : "Chansons populaires, costumes régionaux, mœurs locales charmantes, parurent (...) une chose séculaire, immémoriale pour mieux dire. En réalité, information prise, tout ceci date de la civilisation baroque. Du XVIIIe siècle surtout, de cette heure historique où, simultanément, parut l'Encyclopédie et se fixa le Folklore."
13:10 Publié dans Art Brut, Hommages, Lexique et définitions des arts populaires, Questionnements | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : diderot, arts bruts, emmanuel boussuge, céline delavaux, bruno montpied, maniérisme, singulier de langres, jean dubuffet, fin lettré, coup de hache | Imprimer
03/05/2023
Et ça continue à sortir, les Barbus Müller....
Le 16 mai prochain, aura lieu à Drouot une mise aux enchères dans le cadre de la maison de ventes De Baecque et associés. C'est de l'art populaire, envisagé dans sa dimension de curiosité. Plusieurs pièces ont été par le passé présentées aux Rencontres d'art de Montauban qui étaient organisées par le collectionneur, critique d'art et artiste surréalisant Paul Duchein, par ailleurs grand rédacteur de la revue Le Pharmacien de France où il passait de nombreux billets sur des sujets liés à la singularité spontanée présente dans les arts populaires, naïfs ou bruts. Quelque chose me dit – ce n'est absolument pas spécifié par la maison de ventes, je m'empresse de le souligner – que beaucoup des objets proposés en vente, sinon tous, ce 16 mai prochain, pourraient bien venir de la collection de ce monsieur Paul Duchein qui a toujours été très éclectique dans ses admirations et ses passions, créant en parallèle tout un ensemble de boîtes à coloration onirique, dans un style surréaliste un peu trop marqué. Mais ce n'est que mon opinion, le collectionneur qui est derrière la vente restant secret. Cependant, en comparant les pièces du catalogue de la vente avec les pièces que publia Paul Duchein dans son livre La France des Arts populaires chez Privat en 2005, on s'en assure davantage...
Dans la panoplie des pièces présentées, on retrouve (une fois de plus) une sculpture qui à l'évidence peut faire partie du corpus des Barbus Müller, cette série de sculptures en granit ou en roche volcanique, qui représentent la plupart du temps des têtes aux caractéristiques stylistiques semblables, grosse bouche, nez en goutte, yeux proéminents, un air un peu éberlué, voire halluciné, hypnotique, souvent hiératique.
Ce Barbu Müller, en vente à Drouot le 16 mai 2023, figurait dans le livre de Paul Duchein (voir dans l'illustration précédente sa reproduction, ne serait-ce que sur la couverture du livre) ; ce n'est donc pas totalement un inédit.
J'ai démontré dans divers articles et essais que plusieurs des pièces que l'on range dans ce corpus qui est à l'origine de la collection d'art brut de Jean Dubuffet (c'est lui qui a forgé le terme de Barbus Müller, sans rien savoir en 1946 de leur auteur) proviennent d'un paysan auvergnat, ex-soldat, Antoine Rabany, dit "le Zouave" (1844-1919). Actuellement, je dénombre onze sculptures provenant assurément de son jardin ou de son atelier à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Ces dernières devraient, sur les cartels des collections ou des musées qui les détiennent, indiquer qu'elles sont d'"Antoine Rabany, dit le Zouave, sculpteur de Barbus Müller". Toutes les autres – non encore certifiées par moi comme provenant du jardin du sieur Rabany – peuvent être marquées "attribuées à Antoine Rabany". C'est l'étiquette qu'a choisie avec raison l'experte de cette vente, Martine Houzé, pour la sculpture de cette vente prochaine chez De Baecque. Donc, ci-dessus on n'a qu'un Barbu Müller, peut-être venant de chez Rabany, mais sans certitude absolue...
Cela ne veut pas dire cependant de façon absolue que tous les Barbus Müller, ou prétendus tels, proviennent bien de chez Rabany... Plusieurs de ceux qui font partie du corpus, ce dernier étant disséminé dans plusieurs collections publiques ou privées, sont parfois fort hétérogènes, comme par exemple celui qui a été exposé l'année dernière chez Ritsch-Fisch à l'OAF. Même s'il provenait de l'ancienne collection de l'Art Brut qui avait été déposée un temps chez Alfonso Ossorio durant une dizaine d'année aux USA (Dubuffet l'aurait laissé à Ossorio quand il a rapatrié vers 1962 sa collection en France en prétendant qu'il s'agissait d'un "Barbu Müller": une sorte de blague, je pense, ou une attribution à la louche plus ou moins mystificatrice de la part de Dubuffet...), il n'a que fort peu de rapports avec les autres Barbus Müller:
Deux faces de la même pièce, ex-collection ABCD, en vente à un moment dans la galerie Ritsch-Fisch, un "Barbu" douteux, ressemblant plus à un galet gravé du catalan français Jean Pous, lui aussi classé dans l'art brut.
En tout cas, on constatera que depuis mon élucidation du nom de l'auteur d'une partie des Barbus Müller, diverses pièces sortent régulièrement dans les ventes, les prix qu'elles atteignent (les deux dernières chacune aux environs de 100 000€) n'étant évidemment pas étrangères au désir de les vendre... Petit à petit, les contours du corpus Barbus Müller/Rabany s'acheminent vers la plus complète des résolutions.
16:26 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : antoine rabany, barbus müller, de baecque, ventes aux enchères, drouot, martine houzé, art brut, jean dubuffet, ritsch-fisch, paul duchein, arts populaires, curiosité | Imprimer
30/04/2023
Quand aurons-nous une rétrospective de l'œuvre formidable d'Ovartaci?
Je dois à Martine Bismuth, via José Guirao, l'information d'un petit sujet vidéo très synthétique diffusé par France 24 sur Youtube à propos de ce créateur danois hors du temps que fut Ovartaci, de son "vrai" nom Louis Marcussen, dont je trouve chaque reproduction de ses œuvres absolument fascinante. Le pseudonyme dont il s'était affublé veut dire "le plus important". Bien trouvé et très juste!
Il est dit également dans le film ci-dessous (au titre par trop racoleur – "L'Art de la démence"...) que Dubuffet vint le voir dans son hôpital psychiatrique dans les années 1960. Je me demande si ce n'est pas par Asger Jorn – que Dubuffet fréquentait à cette époque et qu'il avait intégré à sa nouvelle Compagnie d'Art Brut siégeant rue de Vaugirard – que l'inventeur de la notion d'art brut était arrivé à la connaissance d'Ovartaci.
Il serait de toute urgence de pouvoir en découvrir davantage en France à propos de ce personnage et de son œuvre (surtout cette dernière). Qu'attend-on, nom de d'là? Sa fascination et son admiration sans bornes pour les femmes, au point de le pousser à vouloir changer de sexe et à se mutiler, le fait rapprocher d'un Marcel Bascoulard, ce dessinateur hors pair qui vivait comme une sorte de semi clodo à Bourges, se faisant photographier dans des habits de femme, parce qu'il trouvait ces derniers plus seyants.
10:01 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art visionnaire, Cinéma et arts (notamment populaires), Photographie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ovartaci, france 24, marcel bascoulard, transgenre, changement de sexe, art brut visionnaire, asger jorn, jean dubuffet | Imprimer
22/04/2023
Pas si humble le Bic...
"L'Humble Bic", tel est le titre de l'expo qui a commencé, basée sur des prêts du Musée de la Création Franche (Bègles), actuellement fermé pour travaux mais organisant des expositions hors-les-murs, comme celle qui est actuellement montée dans un chai impressionnant du Château Ferrand, siège d'un cru du vignoble de Saint-Emilion. Il s'agit, du 5 avril au 31 août 2023, de présenter 62 œuvres de 24 créateurs de 9 nationalités différentes (entre autres Albasser, Barocchi, Beaudelère, Braillon, Carlés-Tolra, Ted Gordon, Haas, Montpied, Jakob Morf, Marilena Pelosi, Claudia Sattler...) toutes réalisées à base de stylo à bille, instrument facile d'accès, économique, et permettant, comme l'écrivit le fondateur du musée béglais, Gérard Sendrey, dans un texte de 1994, "de briser le carcan du moyen pour atteindre le résultat".
Entrée de l'exposition, avec en contrebas le chai où a lieu l'expo ; photo Bruno Montpied, 2023.
Le chai, lieu d'exposition de 'l'Humble Bic", avec les barriques omniprésentes, les cadres en lisière (peut-être un peu trop?) ; ph. B.M., 2023.
Sur ce blog, où je défends depuis trente ans une poétique de l'immédiat, je ne pouvais qu'être sensible à l'hommage rendu à ce simple outil ultra démocratique. Un de mes dessins anciens, à base de stylo Bic apposé sur des couches d'acrylique bleues par-dessus un exercice de dessin industriel datant de 1934, dû à mon père lorsqu'à 17 ans il était en apprentissage, figure du reste dans l'expo.
Bruno Montpied, Balcon de nuages, acrylique, stylo, modification sur papier d'exercice de dessin industriel de Pierre Montpied en 1934, 40 x 50cm, juin 1990 ; collection Musée de la Création Franche.
Fond du chai avec d'autres œuvres de "l'Humble Bic", notamment à droite un grand dessin de François Burland ; ph. BM., 2023.
Les plus curieux de mes lecteurs se demanderont peut-être pourquoi cette luxueuse demeure du vignoble bordelais a accueilli cette humble exposition à base d'un instrument aussi modeste.... C'est qu'il y a un rapport étroit entre le couple de propriétaires du lieu et le Bic, puisque la femme du couple, Pauline Bich Chandon-Moët, est la fille du producteur industriel du stylo à bille, le célèbre baron Marcel Bich, qui, pour intituler sa marque, fit tomber le H...
Je me suis même laissé dire que le château contenait une collection d'œuvres en rapport avec ce stylo Bic (notamment une sculpture en fil de fer épais imitant un gribouillage au stylo). Cette famille ne pouvait qu'être émue en découvrant la collection du Musée de la Création Franche, à Bègles, à deux pas de Saint-Emilion, où tant de créateurs et artistes (1200 œuvres) ont eu recours au fameux stylo d'humble aspect. Amusante enseigne, montrant que les dirigeants de la firme Bic n'ignorent rien des habitudes d'usages de leur célèbre stylo, le château arbore à côté de son entrée un bouchon géant de stylo Bic mordillé...
L'enseigne du Château Ferrand ; ph. B.M., 2023.
13/04/2023
Dictionnaire du Poignard Subtil
MIEL:
"Les abeilles ne perdent pas leur temps à expliquer aux mouches que le miel vaut mieux que la merde."
(Maxime citée, paraît-il, par l'acteur américain Jim Carrey).
00:44 Publié dans DICTIONNAIRE DE CITATIONS DU POIGNARD SUBTIL | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : dictionnaire du poignard subtil, miel, merde, jim carrey, temps perdu | Imprimer
06/04/2023
François Michaud (Creuse) et Antoine Paucard (Corrèze), deuxième film du Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine de Nouvelle-Aquitaine
Voici que la réalisatrice de la série sur les inspirés du bord de routes produite dans le cadre du Vidéoguide du Patrimoine de Nouvelle Aquitaine, Juliette Chalard-Deschamps, me fait suivre le second volet de cette série (le premier, on s'en souvient, a été mis en lien sur ce blog le 13 mars dernier), cette fois consacré à l'évocation des sculptures de François Michaud à Masgot dans la Creuse, site qui m'est cher, d'autant que je fus des premiers à le défendre et le faire connaître (dans Plein Chant d'abord dans les années 1990, dans un texte intitulé Le Ciment des rêves, puis dans le livre qui lui fut consacré par les éditions Lucien Souny dans ces mêmes années ; le texte que je lui consacrai dans ce dernier ouvrage fut repris ensuite, en 2011, dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques), mais aussi aux sculptures d'Antoine Paucard, présentées dans un abri vitré derrière la mairie de son village de Saint-Salvadour en Corrèze. Les deux hommes étaient tous deux maçons, tailleurs de pierre, ayant vécu chacun dans un siècle différent.
François Michaud (1810-1890) est présenté dans ce film par le maire de Fransèches, la commune de rattachement de Masgot (qui est un hameau de fort belle allure, aux maisons de pierres probablement taillées par Michaud lui-même, dont les deux qui lui appartinrent et qu'il décora de statues à diverses périodes de sa vie), Daniel Delprato. Antoine Paucard (1886-1980), pour sa part, est également présenté par un maire, celui du village de Saint-Salvadour, Pierre-Marie Capy. Les deux sites bénéficient de vues aériennes prises par le drone piloté par l'excellent caméraman de la série, Arnaud Deplagne. Cette façon de tourner me fait rêver d'un inventaire des environnements de France qui se déroulerait ainsi, vu du ciel, allant d'un point à l'autre de l'Hexagone, comme pendant les retransmissions des étapes des courses cyclistes, telles celles du Tour de France par exemple!
Dans son commentaire sur les œuvres d'Antoine Paucard, Pierre-Marie Capy donne des éléments d'information nouveaux par rapport à Paucard, en particulier lorsqu'il évoque le gisant que le sculpteur alla tailler dans les bois pour évoquer la tuerie de résistants dans le lieudit de La Servantie par les Allemands pendant la Seconde Guerre. Il nous apprend également que Paucard a laissé des photos derrière lui, montrant l'intérieur du petit musée où il avait disposé de son vivant ses statues aux bustes bardés d'inscriptions (Paucard a laissé 123 carnets remplis de poèmes, et un livre de souvenirs de voyages en URSS en 1933 ; il se voulait donc écrivain aussi bien que sculpteur). Ce musée, nous dit M. Capy, présentait une certaine muséographie, les statues étant orientées les unes par rapport aux autres, et, donc, le maire avance l'idée qu'il faudra en tirer une leçon pour la valorisation future de cet ensemble dans un autre musée.
Concernant les sculptures de François Michaud, que je n'avais pas revues depuis quelque temps, il me semble, à voir ce film, qu'elles ont dû être soigneusement nettoyées de leurs mousses et lichens qui souvent après chaque hiver avaient tendance à perturber passablement leur appréhension par les visiteurs du hameau. Mais il m'a semblé qu'elles présentent désormais un aspect quelque peu usé, presque raboté, les détails d'expression ayant tendance à avoir été gommés... J'espère qu'il n'y a pas eu trop de zèle à vouloir les remettre comme à l'état neuf...
J'ajoute que je n'ai été pour rien dans le commentaire de ce second film.
10:40 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Galeries ou musées bien inspirés, Littérature, Napoléon et l'art populaire | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : vidéoguide nouvelle-aquitaine, françois michaud, antojne paucard, daniel delprzato, pierre-marie capy, masgot, saint-salvadour, juliette chalard-deschamps, arnaud deplagne, drone, cinéma et arts populaires, poésie prolétarienne, voyage en urss, conservation des environnements spontanés, résistance aux allemands | Imprimer
24/03/2023
Dessiner avec des boucles, le Béninois Victor Amoussou, nouvelle découverte de la Galerie Dettinger
L'infatigable Alain Dettinger ne s'arrête jamais de butiner du côté des puces de la région lyonnaise, ou de l'Afrique, en particulier dans ce cas au Bénin, à la recherche de nouveaux inspirés. Il vient ainsi de dégoter dans la brousse un dessinateur-sculpteur, fort séduisant par ses graphismes, et également, adepte du fer martelé ou repoussé, puisqu'il fait surgir au fond de vieilles casseroles des visages boursouflés fort expressionnistes. Personnellement, je suis plus fasciné par ses dessins, dont j'ai eu la chance d'acquérir déjà deux exemplaires.
Victor Amoussou, sans titre, stylo sur papier, 30 x 28 cm, 2022 ; photo et collection Bruno Montpied.
Victor Amoussou a eu l'occasion de faire un petit séjour en Europe dans une période de sa vie antérieure, lorsqu'il s'est marié avec une Finlandaise. Mais la Finlande, tout là-haut au nord, du côté du cercle polaire, gla-gla pour notre enfant des savanes! Ca ne pouvait bien durer longtemps, il est prestement revenu au pays où il a trouvé femme et fondé une famille avec quatre enfants.
Alain Dettinger avec Victor Amoussou, la femme de ce dernier et leurs quatre enfants, ph archives Alain Dettinger, 2022.
Victor Amoussou, exemple de visage obtenu sur l'envers d'une casserole par métal repoussé, 2022 ; archives Galerie Dettinger-Mayer.
Ses sujets d'inspiration dans ses dessins sont étranges, des animaux mixés avec des figurations anthropomorphes, les corps étant noueux, sinueux comme des racines ou des branches. Certains se voient pourvus de jambes humaines, parfois comme revêtues de queues de sirènes faites d'algues. Des bras peuvent se changer en serpents, souvent une tête achevée par un bec peut également surgir, soudé à une sorte de tête féline...
Le trait m'intrigue, il paraît tracé en faisant des boucles, ce qui donne des contours embrouillés comme ceux de buissons, et un aspect parfois broussailleux aux robes de ses personnages mi animaux, mi autres êtres. Il y a une grâce poétique dans ces graphismes venus de la brousse béninoise.
Victor Amoussou, sans titre, stylo sur papier, 2022 ; ph. et coll. B.M.
23:37 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : victor amoussou, galerie dettinger-mayer, alain dettinger, art brut béninois, métal repoussé, dessin brut, brousse | Imprimer
13/03/2023
Les inspirés du bord des routes, premier film du Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine de Nouvelle-Aquitaine
Suivez le Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine en Nouvelle-Aquitaine... Qui vous emmène sur les traces des environnements populaires spontanés de cette immense région sous la forme de courts-métrages disponibles en libre service sur YouTube. Le premier de cette série vient d'être mis en ligne (voir ci-dessous). Cette dernière en comprendra quatre autres : un sur la question de la conservation et de la patrimonialisation, un sur le cas d'André Degorças en Charente, sur lequel je prépare en outre un article à paraître dans le prochain Création Franche, un troisième sur les cas d'Antoine Paucard et François Michaud, bien connus des lecteurs fidèles de ce blog puisque j'en parle, surtout du dernier, depuis 1991, et dans mon inventaire du Gazouillis des éléphants, bien entendu, enfin un quatrième sur le jardin de Gabriel Albert à Nantillé (Charente). Tous ces films courts sont, et seront, réalisés par Juliette Chalard-Deschamps avec l'aide rédactionnelle de Yann Ourry (connu pour sa défense du jardin de Gabriel Albert ). Dans le premier, on voit Stéphanie Birembaut, la directrice et conservatrice du Musée Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne), interviewée dans le jardin de son musée, en compagnie de votre serviteur, l'animateur de ce blog, tous deux s'évertuant à donner une première présentation du sujet à destination d'un public "non averti" :
13:55 Publié dans Amateurs, Architecture insolite, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : inspirés du bord des routes, habitants-paysagistes naïfs, musée cécile sabourdy, vidéoguide nouvelle-aquitaine, inventaire du patrimoine nouvelle-aquitaine, environnements populaires spontanés, stéphanie birembaut, bruno montpied, sidération, françois michaud, abbé fouré, antoine paucard, andré degorças, gabriel albert, franck barret, raymond guitet, gilis | Imprimer
04/03/2023
Dessin prémonitoire d'une artiste ukrainienne
Taisiia Cherkasova, "La peur donne de grands yeux" (proverbe ukrainien qui sert de titre à ce dessin), mine de plomb sur papier, 28 x 22 cm, 2019 (trois ans avant le début de l'agression russe contre l'Ukraine) ; photo et collection Bruno Montpied.
25/02/2023
Après le Gazouillis des éléphants (8): Histoire d'un militaire que l'on prenait pour un gendarme
Dans mon livre (épuisé, en attente de réédition), Le Gazouillis des éléphants (2017), entre autres sites en plein air évoqués, dus à divers autodidactes populaires, à la région Bourgogne, j'ai indiqué deux sites, tous deux relevant de la commune de Rogny-les-Sept-Écluses, dans l'Yonne. Dans l'un, en particulier, j'ai signalé une grosse statue, à l'effigie de ce qui m'apparut sur le moment comme un officier, du fait de son grand couvre-chef, semblable à un shako, qui se tenait – et se tient encore, car elle a été restaurée depuis mon passage en 2014 – sur un mur de clôture en bordure d'un jardin et d'une maison, paraissant surveiller le monde alentour, de manière débonnaire, pourrait-on dire, à l'entrée du village de Rogny, en direction de Chatillon-Coligny.
Deux photos de "l'officier de Rogny"; ph. Bruno Montpied, 2014.
J'en ai appris tout récemment un peu plus sur cette curieuse effigie d'allure truculente (elle ressemble bizarrement à un portrait de Groucho Marx, mais bien sûr de façon toute fortuite). Dans la région, M. Jean-Marie Vernhes, qui prépare une publication érudite sur Rogny, m'a alerté sur une association TMOP (Tradition, Métiers, et Outils en Puisaye), sensible au patrimoine de la localité. Cette dernière a fait des recherches en effet, qu'elle a synthétisées dans un document interne que sa responsable de communication, Mme Claire Targa, m'a aimablement fait suivre. En particulier, on a retrouvé le nom de l'auteur de cette insolite statue (d'à peu près 1,50 m, rien que pour son buste et sa tête coiffée du haut képi qui me fait penser à un shako). En la restaurant récemment, Mme Lise Paquis et un collègue à elle ont mis au jour, en enlevant la saleté et les mousses, une signature : "L. Chauvat", et une date apposée à côté sur l'épaule de l'effigie: "1938". Cette restauration a été commanditée par l'actuelle propriétaire de la propriété où se trouve la statue, l'arrière-petite-nièce d'un certain Paul Guyot, anciennement marchand de peaux de lapins, puis brocanteur, puis menuisier, quand il restaurait des meubles qu'il allait vendre à Paris. C'est lui qui, après avoir acheté la maison en 1946, rapporta un jour la statue qu'il aurait trouvée en salle des ventes à Paris. Légende? Peut-être... La pièce est assez conséquente, et probablement pesante. La trimballa-t-il de la capitale à l'Yonne si facilement que cela? Dans les souvenirs de certains anciens, on pense que la statue fut installée à son emplacement actuel au début des années 1960.
Une hypothèse a couru sur place : la statue représenterait le général Faidherbe (1818-1889), connu dans les conquêtes coloniales en Algérie et surtout au Sénégal (de ce fait, il est aujourd'hui une figure controversée). On se référera pour en savoir plus sur ce personnage à la fiche Wikipédia qui me paraît assez objectivement rédigée. Si les portraits de Faidherbe nous montrent un visage chaussé de lunettes et pourvu d'une belle moustache, comme sur la statue de l'officier de Rogny, son képi en revanche n'a pas la même taille imposante. Mais ce dernier a pu être une exagération de la part d'un sculpteur prenant visiblement beaucoup de libertés avec la figuration, certains diraient même, exerçant son art de dilettante avec une franche maladresse ? D'autre part, la date de mort de Faidherbe, 1889, reste très éloignée de celle de la confection de cette statue, 1938. Pourquoi ce monsieur L. Chauvat se serait senti dans l'obligation de commémorer ce général (à moins qu'il n'ait été un fieffé colonialiste fasciné par les militaires responsables de la conquête des pays d'Afrique de l'ouest)?
L'enquête se poursuit donc.
Petit supplément photographique (du 28 février) à destination de Régis Gayraud, (cliché de BM, de 2014):
08:33 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : officier ou gendarme, officier de rogny-les-sept-écluses, association tmop, l. chauvat, grocho marx, le gazouillis des éléphants, général faidherbe, shako, képi | Imprimer
11/01/2023
Après "le Gazouillis des éléphants" (7): Destinée d'un vélo brut
Formidable nouvelle que vient de m'apprendre l'ami Philippe Lespinasse, à savoir l'envol du vélo métamorphosé d'André Pailloux – celui-là même dont j'ai parlé en différentes publications, ici même, mais surtout dans mes deux livres sur les environnements populaires spontanés, Eloge des Jardins Anarchiques (2011) et Le Gazouillis des éléphants (2017), ce qui permit de le faire grandement connaître des amateurs d'art populaire insolite, voire d'art brut – pour d'autres cieux que ceux de la Vendée, où il végétait, enkysté dans le garage de son créateur. Il a atterri en effet au Musée de la Création Franche, suite à une intermission de Philippe Lespinasse, et à l'hospitalité de la nouvelle directrice des lieux, Hélène Ferbos, qui, je dois dire, a eu le nez creux en validant cette transaction (car ce fut un achat, et non pas une donation).
Le vélo d'André Pailloux, tel qu'il figure en double page dans Bruno Montpied, Eloge des jardins anarchiques (livre épuisé édité en 2011 par les éditions de l'Insomniaque) ; ph. B.M., 2010.
André Pailloux avec son vélo sorti pour les besoins du tournage de Bricoleurs de paradis, ph. B.M., 2010.
Ce vélo extraordinaire, dont j'avais dit à André Pailloux qu'il ferait très bien dans un musée consacré aux créations brutes ou naïves, populaires, où il serait protégé des aléas des successions, prêchera désormais d'exemple auprès des visiteurs grands et petits qui le visiteront (dès que le Musée de la Création Franche rouvrira ses portes, après les travaux d'agrandissement actuels). Génial, donc, que la translation se soit opérée, et du vivant d'André, avec son plein accord. Me voici devenu un prophète, du coup... (je fais allusion au passage sur Pailloux, son vélo et son site hérissé de vire-vent stroboscopiques multicolores, dans le film Bricoleurs de paradis, disponible gratuitement en intégralité sur YouTube, où je parle de "patrimonialisation", certes, un grand mot, un peu trop ronflant, à André qui me répond que je voudrais voir des gens admirer son vélo dans un musée en tournant autour ; il dit cela en arborant un haut de survêtement décoré d'une spirale...!).
Il n'est pas indifférent – même si André Pailloux, que j'ai appelé au téléphone, s'en défend – de remarquer que ce dernier va fêter cette année 2023 son 80e anniversaire... Pour marquer le coup, il fallait bien celui-ci de coup... véritablement fumant, qui va nimber les collections de la Création Franche d'une aura brute encore plus assumée.
16:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Galeries ou musées bien inspirés, Photographie, Véhicules créatifs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : andré pailloux, musée de la création franche, hélène ferbos, bruno montpied, philippe lespinasse, vélo brut, cyclisme et at populaire, customisation sauvage, éloge des jardins anarchiques, le gazouillis des éléphants | Imprimer
30/11/2022
Evocation et hommage à Jean-Marie Massou à la Halle Saint-Pierre le 4 décembre
Un livre sort sur Jean-Marie Massou (1950-2020), homme des bois, creuseur de galeries souterraines, chanteur de mélopées au fond de ses souterrains, prophète accessoirement (mais qui ne l'était pas dans les années 1970, 1980?) de la fin du monde et de l'urgence de ne plus faire d'enfants, interpelleur des media sur cette question (et particulièrment Mireille Mathieu, du moins à l'époque où je l'ai rencontré en 1987 ; on me dit que par la suite, il pensa plutôt à Brigitte Bardot et ses bébés phoques comme porte-paroles...), archéologue sauvage (ses trous, c'était parce qu'il était persuadé qu'il trouverait un nouveau Lascaux sous son bois), graveur de pictogrammes sur pierres parce qu'il ne trouvait pas de Lascaux justement, et qu'il avait entendu parler des signes gravés sur les rochers de la Vallée des Merveilles dans les Alpes du Sud... Et depuis quelque temps, depuis que des nouveaux amateurs du personnage se sont intéressés à lui, l'ont aidé, l'ont enregistré, ont reccueilli ses expérimentations graphiques diverses, Massou et devenu aussi un "artiste", selon cette terminologie que personnellement je continue à trouver confusionnelle (s'il était "artiste", tout le monde le serait, et à la fin des fins, le mot n'aurait plus le sens qu'il a aujourd'hui et deviendrait synonyme d'homme ; artiste, ce n'est pas qu'une pratique expressive, c'est aussi une raison sociale, une profession considérée comme un peu à part, de l'ordre d'une caste élitiste, ou maudite, selon les points de vue, dans tous les cas, à part...).
Des productions (collage, photos, pierre gravée, dessins) de Jen-Marie Massou exposées au cours d'une manifestation temporaire au LaM de Villeneuve-d'Ascq, ph. Bruno Montpied, 2018.
Or, je trouve que les œuvres qui nous sont présentées, en particulier dans le livre de la Belle Brute and co, des gravures, des croquis sur ses enveloppes de cassettes audio, des dessins assez sommaires, des collages sans grande originalité, ses chants eux-mêmes (peut-être le meilleur de sa production), ressemblant à des cantiques détournés, ces artefacts déplacent le sens à tirer de l'existence de Massou. Ce ne sont pas ces pauvres schémas aux limites de l'informe qui font l'intérêt de ce personnage, c'est plutôt la conduite de sa vie, l'amour de sa mère, au point d'être allé chercher son cadavre au cimetière après sa mort, parce qu'il ne pouvait accepter sa chute dans le néant, c'est sa croyance aux extra-terrestres chargés après l'apocalypse qui ne pouvait manquer d'arriver selon lui (avait-il tort sur ce point?) de créer un monde radieux pour les survivants, son amour pour les minéraux, ses fouilles à la poursuite d'un rêve de civilisation préhistorique inconnue...
Jean-Marie Massou et Gaston Mouly, filmés par Bruno Montpied, lors de notre rencontre à trois en 1987 ; on aperçoit la poulie et la corde qui permettaient à Massou de remonter divers objets ou masses du fonds du puits qu'il avait creusé à mains nues, situé à côté de lui, caché par l'angle de prise de vue ; photogramme extrait de Jean-Marie Massou, un archéolo,gue sauvage, film Super 8 inclus dans B. Montpied, Les Jardins de l'art immédiat, ensemble de seize petits films tournés entre 1982 et 1992, disponibles à la bibliothèque Dominique Bozo du LaM à Villeneuve-d'Ascq, ou dans la Documentation de la Collection de l'Art Brut à Lausanne.
Le livre sur Massou est édité par Knock outsider, la Belle Brute, et Art et Marges, et cela accompagne une expo toujours sur Massou dans ce même centre Art et Marges, à Bruxelles (elle se tient du 23 novembre 2022 jusqu'au 19 mars 2023).
Bon, à Paris, à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, il y a de plus un petit événement pour marquer cette expo et ce livre, avec une conférence de la directrice d'un atelier pour handicapés mentaux (la S grand atelier), Anne-Françoise Rouche, qui aime plaider pour une mixité (encore la confusion...) ou un "décloisonnement" entre l'art brut et l'art contemporain (si l'art brut fut jamais enfermé dans des cloisons, ce fut lorsque Dubuffet tenta de le révéler et qu'on le regarda faire du bout des lèvres, en s'en moquant ; c'est l'establishment qui érigea des cloisons, pas ceux qui défendirent l'art brut avec les pauvres moyens dont il disposait - j'en fais toujours partie). Ce "décloisonnement" colle bien avec les menées des marchands et des galeristes, désireux d'élargir leurs clientèles...
Ce dimanche 4 décembre, il y aura de surcroît, dit le programme, et c'est le plus intéressant, la projection du très bon documentaire d'Antoine Boutet, le Plein Pays (2015). Voir l'annonce plus haut dans cette note. C'est à partir de 15h30 jusqu'à 17h.
19:43 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art visionnaire, Cinéma et arts (notamment populaires), Environnements populaires spontanés, Galeries ou musées bien inspirés, Musiques d'outre-normes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : halle saint-pierre, jean-marie massou, matthieu morin, la belle brute, knock outsider, art et marges, anne-françoise rouche, la s grand atelier, artistes ou auteurs d'art brut, antoine boutet, le plein pays, décloisonnement, conduite de vie créative, action poétique | Imprimer
26/11/2022
Dédales, une collection singulière en Limousin au musée Cécile Sabourdy
Nouvelle exposition au Musée-jardins Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh, au sud de Limoges, la collection de Thierry Coudert, dont un choix est présenté au public à partir du 1er décembre, provient plus précisément de la Corrèze. Brocanteur fureteur, dénicheur de pièces d'art singulier ou populaire, voire brut (Ô le beau dessin en provenance, paraît-il, d'un HP de la région de Metz qui est exposé à Vicq...), souvent énigmatiques, puisque le découvreur n'a pu en recueillir les traces d'origine la plupart du temps, Thierry Coudert a décidé d'offrir aux yeux des curieux l'occasion de développer leur perplexité quant à ces dizaines d'objets orphelins (en apparence).
Anonyme, dessin au crayon, peut-être créé par le pensionnaire d'un hôpital psychiatrique de la région de Metz, semble-t-il, vers 1940 (on aperçoit parmi d'autres inscriptions une croix gammée), coll. Thierry Coudert, ph. Bruno Montpied, 2018.
Têtes gauloises, souvent d'origine incertaine – qui sont là, avant tout parce que leur style a frappé l'œil de Coudert par leur esthétique immédiate, en amont de toute attribution certifiée –, diable en laiton, plombs de Seine du XVIe siècle (vantés par les surréalistes en leur temps), mascaron perdu de chapiteau d'église, bois sculptés divers, objets dont la conception paraît voisine avec celle d'un Chaissac ou d'un Noël Fillaudeau, peintures de singuliers provinciaux, œuvres retrouvées d'artistes connus comme Roland Roure, silex rehaussé de pigments, faisant beaucoup penser aux silex interprétés du sieur Juva à la Collection de l'Art Brut à Lausanne, mais aussi parfois, tout de même, quelques œuvres d'autodidactes exhumés connus: Emile Taugourdeau, Jean Rosset, ou moins connus: Raymond Picard, quelques chefs-d'oeuvre d'art populaire comme cette "tête de déesse de la vigne" ciselé dans une pièce de bois (voir ci-dessous) ou ces deux petits bonshommes (deux soldats coiffés avec des pots de yaourt détournés) d'allure fragile aux mines dépitées (je trouve), tout cela déboule dans le Musée Cécile Sabourdy, comme réchappés d'un anéantissement mystérieux de leurs corpus d'origine. On dirait les enfants perdus d'auteurs anonymes, censurés, ou simplement relégués, revenant sans leur pedigree et leurs papiers d'identité, par le reflux des marées brocanteuses sur trottoirs et bitumes accueillant à la misère de leurs origines sous X.
Anonyme, "Déesse de la vigne", selon les mots de Thierry Coudert, bois sculpté, 39x35x18cm, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018.
Anonyme, deux soldats (?) et un chien, bois et pot de yaourt peint, 36,5,17x5 cm, sd, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018.
Anonyme, silex peint et interprété en visage, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018 ; ce silex peint s'apparente aux silex métamorphosés par Juva, conservés dans les collections d'art brut, mais il est orienté nettement de façon à figurer un visage, ce qui est peu fréquent, me semble-t-il, dans les pierres de Juva ; cela n'en fait pas moins un très joli travail d'interprétation d'une forme naturelle
"Dédales, une collection singulière en Limousin", Musée-Jardins Cécile Sabourdy, Vic-sur-Breuilh, du 1er décembre 2022 jusqu'au 30 juin 2023. A signaler une vingtaine d'oeuvres prêtées pour cette exposition par le Musée de la Création Franche de Bègles, actuellement en travaux.
10:16 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries ou musées bien inspirés, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : thierry coudert, musée-jardins cécile sabourdy, dédales, objets orphelins, art singulier, art populaire, art brut, émile taugourdeau, raymond picard, roland roure, art anonyme, silex peints, juva, plombs de seine | Imprimer
18/11/2022
Et Escale Nomad vient refaire son tour de piste...
"Small is beautiful"... and is less expensive ?, serais-je tenté d'ajouter. Est-ce la motivation de départ de Philippe Saada, luttant contre la vie chère et les chardons dans les poches? Toujours est-il que le voici qui s'entête, revenant dans la galerie l'Œil bleu, qu'il loue rue Notre-Dame-de-Nazareth, près de la République, à Paris dans le IIIe arrondissement, pour nous présenter du 22 novembre au 4 décembre prochains, un nouveau lot de bruts glanés ici et là, notamment en Autriche, à la Maison des Artistes de Gugging. Comme on le voit en message subliminal sur le flyer de son expo ci-dessus, où l'on reconnaît une peinture de l'extraordinaire August Walla, le féru de Walhalla...
On trouvera ainsi dans "Small is beautiful" des œuvres de créateurs, par ailleurs patients de ce foyer artistique fondé par le psychiatre Léo Navratil, et poursuivi par Johann Feilacher, etc., comme Johann Fisher, Ernst Herbeck, Franz Kernbeis, Heinrich Reisenbauer, Karoline Rosskopf, Gunther Schutzenhofer, Jurgen Tauscher, Oswald Tschirtner, et donc August Walla.
Un exemple des producctions de Mohammed Babahoum (Maroc), sans titre (deux musiciens), 26 x 39 cm, vers les années 2010 ; photo et collection Bruno Montpied.
Et un autre exemple : Carter Todd (USA), sans titre, crayon graphite et crayons de couleur sur papier, 23 x 29 cm, 3-1-1990 ; ph. et coll. B.M.
Par ailleurs, seront également présentées des pièces de Mohamed Babahoum, Benjamin Bonjour, Marcello Cammi, Carter Wellborn, Carter Todd, Camilo Raimundo, Madge Gill, Ted Gordon, Dwight Mackintosh, Anna Zemankova etMarilena Pelosi (présentée depuis quelque temps fondue à l'art brut, à mon avis par erreur ; mais cela n'entache en rien la qualité de ses graphismes, je m'empresse de le préciser).
00:10 Publié dans Art Brut, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : escale nomad, art brut, gugging, babahoum, carter todd, marilena pelosi, galerie l'œil bleu, small is beautiful, philippe saada, august walla | Imprimer
13/11/2022
"Les Aboyeurs" de retour à Bordeaux
Trente-et-un ans que ces Aboyeurs, datés de 1990 – œuvre peinte et faite d'un collage de papier journal en soubassement aussi, contrecollée sur panneau de bois peint, de format 56 x 65 cm –, n'étaient pas revenus sur une cimaise. C'est chose faite à l'occasion d'une exposition actuelle, intitulée "Féroces", faisant partie d'une série d'expos hors-les-murs du Musée de la Création Franche, établissement que l'on sait fermé pour travaux pour une durée approximative de deux années. Féroces, l'adjectif désigne une thématique liée aux monstres qui sont présents dans diverses oeuvres du fonds permanent du musée. Ces "monstres" sont invités par la Biblothèque Flora Tristan à Bordeaux (1 Place d’Armagnac, Bordeaux Belcier) du 8 au 26 novembre.
Bruno Montpied, Les Aboyeurs, technique mixte (acrylique, stylo et collage) sur panneau de bois, 56 x 65 cm, 1990, collection Musée de la Création Franche.
Cette manifestation voit mon ancienne peinture "Les Aboyeurs" (le terme désignant l'aboi canin appliqué à deux figures blanchâtres effectivement assez monstrueuses, mais aussi possèdant un rapport sous-jacent aux aboyeurs des places publiques, crieurs et annonceurs de nouvelles, et encore, plus précisément dans le cas de ce tableau, qualifiant deux personnages criant sur un autre, criant, ou s'apprêtant peut-être à le déchirer!) sortir des réserves du Musée, où il n'avait plus été exposé à ma connaissance depuis 1991, à une époque où l'on parlait du "Site", et non pas du "Musée" de la Création Franche. A l'époque, l'exposition, qui comprenait aussi une partie consacrée à Martha Grünenwaldt, était montée sous l'égide de la galerie Imago, avatar issu de la structure première fondée par Gérard Sendrey, à l'origine dans une ancienne échoppe prêtée par la mairie de Bègles, si je me souviens bien, située quasiment en face de cette mairie, du reste, et aujourd'hui disparue, remplacée par d'autres bâtiments (le local avec une galerie effective ne dura qu'un ou deux ans). Les mots de "galerie Imago" perduraient en 1991 pour présenter des artistes, en galop d'essai en quelque sorte, dans les locaux du Site, qui venait de s'installer dans les locaux du Conservatoire de la Morue (je ne me souviens plus si c'était le nom exact...) dont les collections avaient été remisées en entrepôt.
Bruno Montpied, Lucide mais livide, acrylique et stylo sur panneau de bois, 120 x 36,7 cm, daté du 1-7-1990 ; photo B.M ; une œuvre de la même année...
11:14 Publié dans Art singulier, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bruno montpied, bibliothèque flora tristan, monstres, expositions hors les murs, aboyeurs, création franche, exposition féroces, galerie imago, gérard sendrey | Imprimer
02/11/2022
Quatre personnages de pierre volcanique (enfin... trois seulement)
Ça y est, se dit le lecteur de ce blog, le sciapode commence à voir des Barbus Müller/Rabany partout? Non, non, rassurez-vous, les quatre personnages ci-dessous, dont un correspondant clermontois (tiens, tiens, en Auvergne, là aussi, comme Antoine Rabany, autrefois (au début du XXe siècle) à Chambon sur Lac), m'a envoyé récemment la photo, n'ont absolument rien à voir avec les fameux Barbus rabanesques. Qu'on s'en avise plutôt:
Quatre sculptures trouvées à Clermont-Ferrand par un antiquaire ; la plus claire ne paraît pas de la même roche que les autres, à l'évidence.
Comment résister aux interprétations qui se pressent en l'imagination, suscitées par nos mémoires saturées de références, devant de telles œuvres anonymes (aucune marque, sur ou sous ces pierres, à ce qu'il paraît)? On est bien souvent tenté de les croire venues d'un autre âge, l'âge de pierre, l'âge de l'archaïsme, peut-être même de régions de la Terre bien loin de nos contrées, et pourquoi pas l'Extrême-Orient? Ils tirent en tout cas vers un certain réalisme, ils ont des corps quasi complets, des vêtements (jusqu'à des cravates?), des attributs pileux marqués, un air de venir, au final, non loin de chez nous tout de même, et d'époques pas si lointaines.
Car les collectionneurs n'admettent pas toujours qu'ils puissent avoir affaire à un autodidacte qui habite près de chez eux, un Primitif que nous préférons ignorer, passer sous silence, parce que ce qualificatif se doit de rester applicable à un être exotique, ravalé à un être primaire, pas aussi développé intellectuellement et culturellement parlant que l'individu occidental. Et pourtant, des oeuvres stylisées de ce genre, avec l'art brut et l'art populaire, nous savons qu'il en existe, qu'il en a existé en nombre, les sculptures d'Antoine Rabany, de François Michaud dans la Creuse – de Joseph Barbiero (1901-1992) lui-même qui vivait il n'y a pas si longtemps, durant le dernier siècle, en banlieue de Clermont, et que l'on a classé dans l'art brut – étant là pour nous en fournir des exemples.
Sculptures de Joseph Barbiero prises dans l'escalier de sa maison à Beaumont (Puy-de-Dôme), ph. Bruno Montpied, 1990 ; le style était plus détaché de la perception rétinienne, on dérivait avec lui vers une figuration de plus en plus réinventée, donc bien éloignée de celle à l'œuvre chez l'auteur des quatre personnages en photo au début de cette note.
François Michaud, mascaron au-dessus d'une fenêtre de sa 1ère maison à Masgot (Creuse), ph. B.M., 2013.
Cela posé, je n'empêche personne de nous adresser des remarques si les quatre sculptures de la première image mise en ligne ci-dessus éveillent quelque écho pouvant faire progresser la connaissance de ces personnages. L'antiquaire qui les possède et moi-même en serions ravis.
11:26 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sculptures de pierre naïves, sculpteurs autodidactes, pierre volcanique, sculptures trouvées anonymes, françois michaud, antoine rabany, barbus müller, joseph barbiero | Imprimer
19/10/2022
"Des Pays Habitables", six numéros, et "Alcheringa", trois numéros, des revues amies à la Halle Saint-Pierre
Cette rencontre (au sommet) de deux revues – auxquelles je participe (pour le n° 5 de Des Pays Habitables, et pour les numéros 2 et 3 d'Alcheringa) – aura lieu samedi 22 octobre prochain, à 15h dans l'auditorium de la Halle Saint-Pierre. Il y aura présentation de sa revue par l'animateur de Des Pays Habitables, Joël Cornuault, avec lecture de quelques textes de James Ensor par Nicolas Eprendre, et présentation de la leur – Alcheringa (Le temps du rêve, en langage aborigène d'Australie) – par trois membres du groupe surréaliste de Paris, Guy Girard, Sylwia Chrostowska et Joël Gayraud. Pour clore la réunion, qui devrait durer environ une heure (et plus si affinités), je serai également présent pour ajouter aux traits d'union entre ces revues cousines, en passant quelques images en rapport avec mes contributions dans les deux publications, contributions ayant bien sûr à voir, me connaissant – et connaissant ce blog –, avec les arts spontanés (bruts, naïfs, populaires). En l'occurrence, il s'agira d'oeuvres réalisées par divers autodidactes, certaines (celles d'Emile Posteaux, sculpteur de bouchons de champagne), datant des années 1930, d'autres plus récentes, plus ou moins en rapport avec des tentations infernales...
Gabriel Jenny, sans titre (crèche "païenne"), terre cuite vernissée, 43 x 35 cm, années 2000 (?) ; photo et collection Bruno Montpied ; cette photo sera projetée samedi parmi 13 autres ayant un un rapport avec deux de mes articles dans les revues.
Ce sera aussi l'occasion pour les deux revues de proposer à l'achat les derniers numéros parus, le 6 pour Des Pays Habitables et le 3 pour Alcheringa. Les anciens numéros seront églement disponibles bien sûr.
Des Pays Habitables n°5, couverture et 4e de couv'.
On en saura plus en consultant la newsletter des "événements" à la Halle Saint-Pierre: https://www.hallesaintpierre.org/2022/09/05/lectures/
Pour se procurer la revue Des Pays Habitables, on peut en savoir plus en allant sur le site web des éditions La Brèche. Ce sera aussi l'occasion de consulter les autres livres toujours séduisants que cette maison édite. A signaler en particulier la réédition par La Brèche du merveilleux Journal de neiges du poète Jean-Pierre Goff (un journal tenu uniquement les jours de neige à Paris) qui n'avait pas été republié depuis 1983 (voir ci-dessous la couverture de l'édition originale de 83 – qui a malheureusement pris un "coup de soleil"–, ainsi que le dessin (fait à la carte à gratter, il me semble) que Jean Benoît avait offert à Le Goff en guise de frontispice).
La réédition du Journal de neiges de Jean-Pierre Le Goff par La Brèche éditions, 2022.
L'édition originale aux éditions le Hasard d'être, 1983.
Dessin en frontispice de l'édition originale de Jean Benoît ; le petit homme moustachu sur le chemin, c'est Le Goff bien sûr.
00:12 Publié dans Art des jardins secrets, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art populaire insolite, Art singulier, Art visionnaire, Littérature, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : des pays habitables, alcheringa, groupe surréaliste de paris, joël cornuault, joël gayraud, sylwia chrostowska, guy girard, bruno montpied, surréalisme, poésie contemporaine, la brèche éditions, journal de neiges, jean-pierre le goff poète, halle saint-pierre | Imprimer
18/10/2022
Après le Gazouillis (6): Louis (et non pas "Pierre") Hodcent, par Darnish
De passage cet été dans le Perche avec Vanessa, on a fait un petit tour du côté de Beaumont-les-Autels pour jeter un œil au site décoré par Louis Hodcent¹. Sans connaître l’adresse exacte, en traversant ce joli village, c’est finalement sans difficulté qu’on est tombé dessus, puisqu’un ensemble de deux sculptures se montre bien visible depuis la route.
Jardin de feu Louis Hodcent, vu de la route, ph. Darnish, 14 juillet 2022.
Sur place, une femme était en train d’arroser le jardin, alors que le soleil déclinait en cette fin d’après-midi de juillet. Très accueillante, elle nous a spontanément invités à pénétrer dans le jardin, afin de pouvoir regarder l’ensemble de plus près. C’était la petite-fille de Louis Hodcent, rejointe sans tarder par sa mère, la fille de Louis Hodcent, donc. Dans le jardin, ne subsiste aujourd’hui qu’un groupe de trois personnages, tournés vers la rue, qu’on aperçoit depuis le trottoir, et une femme en robe rouge située au fond du jardin devant un cabanon. Les sculptures, en ciment, sont grandeur nature et repeintes de temps en temps, si bien qu’elles ne paraissent pas si anciennes.
Louis Hodcent, statues entretenues et repeintes (avec sensibilité, je trouve, car pas trop "ripolinées" comme ailleurs), ph. Darnish, 14 juillet 2022.
Autour d’un verre aimablement offert et partagé, nous avons appris que Louis Hodcent est né en 1906, « l’année où Blériot a traversé la Manche », comme il aimait à le rappeler, et mort en 1986.
C’était un paysan. On voit son ancienne ferme, aujourd’hui reconvertie en habitation, depuis l’actuel jardin et la maison qu’il a intégrée avec sa famille, à sa retraite. Il y faisait un peu d’élevage, y vendait de la crème, des œufs, du lait... Une vie modeste en somme. D’après sa fille, il aurait fait les deux guerres, le Chemin des Dames, très jeune, et la ligne Maginot ensuite, et, comme c’est souvent le cas, il était avare de commentaires sur ces deux expériences.
C’est à la retraite, vers 1974/1975, qu’il s’est mis à investir le jardin. Sur quelques photographies argentiques d’époque, que sa fille nous a gentiment montrées, on constate que le jardin était beaucoup plus travaillé, louchant nettement plus du côté de l'"environnement".
Louis Hodcent, son jardin dans les années 1970, archives familiales.
Une profusion de fleurs, mais aussi de petits champignons en ciment multicolores, bordant les allées, donnaient même à l’ensemble un côté psychédélique ! Les petits champignons, se brisant avec le temps, trop difficiles à entretenir, ont aujourd’hui disparu. Le jardin est toujours fleuri, toujours très joli mais plus simple. Les sculptures par contre sont toujours bien présentes et, comme je l’ai déjà dit, entretenues avec soin.
Elles se composent d’un ensemble de trois personnages de facture naïve : deux paysans attablés tranquillement dans le jardin portant, l’un une casquette et l’autre un chapeau, « comme dans le temps », nous a précisé sa fille, semblent faire une pause, en partageant un verre de vin, du pain et du saucisson. Ils sont tournés vers la rue, comme pour regarder les gens qui passent, et les saluer éventuellement, me rappelant l’attitude qu’on peut avoir, profitant d’un repos bien mérité, à la terrasse d'un bistrot, certains soirs... Ils ont l’air heureux. A leurs côtés, se tient une femme debout, en tenue de paysanne elle aussi, un panier sous le bras. A l’époque, il y avait un canard dans le panier, mais il s’est cassé et a disparu. L’ensemble est fait en ciment, le pain et le saucisson compris. Seuls la bouteille de vin et le verre que les deux personnages tiennent dans leurs mains sont de vrais objets qui, quand ils cassent à cause du gel, sont remplacés. Un petit fil de fer dissimulé dans chaque main favorise leur stabilité.
Plus au fond du jardin, se trouve un personnage bien différent mais de même facture, sorte de femme fatale aux airs d’Ava Gardner. Elle aussi en ciment, portant une robe rouge voyante, elle se tient debout. A l’époque elle tenait une ombrelle dans sa main, une véritable ombrelle, dont le manche venait se nicher dans un trou aujourd’hui vide. En la regardant de près, on constate que Louis Hodcent a apporté un soin tout particulier à sa poitrine dont le décolleté, vu du dessus est particulièrement plongeant ! De l’aveu de sa fille, Louis Hodcent aurait bien voulu peupler son jardin d’autres femmes de ce style, désirant même en façonner quelques-unes nues... mais ça n’était pas au goût de sa femme, et il s’est abstenu...
Louis Hodcent, le décolleté invitant l'œil à une "plongée", détail de la photo ci-dessus de Darnish, 14 juillet 22.
Voici donc les quelques informations supplémentaires glanées durant cet été caniculaire sur ce site répertorié dans le Gazouillis des Éléphants qui, d'ailleurs, nous a ici servi de guide.
J’ajoute que la fille et la petite-fille de Louis Hodcent se sont montrées favorables à la rédaction de cette note.
Darnish, septembre 2022.
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¹ Dans mon Gazouillis, j'avais répercuté ce prénom de "Pierre", accolé à Hodcent, par erreur, abusé par la propre erreur de l'animateur d'un "site-web-qui-ne-voulait-pas-être-cité" où j'avais découvert ce petit environnement populaire. Je rends grâce à Darnish et Vanessa d'être allé vérifier ce qui restait sur place. On a ainsi rendu à César – ou à Louis, en l'occurrence – ce qui lui appartient. (Bruno Montpied)
00:32 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis hodcent, environnements populaires spontanés, beaumont-les-autels, perche, darnish, sculpture naïve, décolletés plongeants, statues de ciment, gazouillis des éléphants | Imprimer
10/10/2022
Les Barbus Müller (d'Antoine Rabany ou non) continuent de "sortir du bois"...
Le 14 octobre, à Drouot, das le cadre de la vente de la collection Canavy par la maison de ventes Ferri (sous le contrôle de l'experte Martine Houzé, spécialiste de l'art populaire, notamment de curiosité), intitulée "Curieux, étranges et exotiques, les objets de Monsieur Canavy", sera présenté au feu des enchères un nouveau Barbu Müller peu connu que ce M. Canavy abritait depuis bien longtemps dans sa collection parmi divers objets, plus classiquement populaires (magnifiques cannes, casse-noisette, battoirs à linge, gobelets, tabatières, affiquets, sifflets sculptés, cuillères sculptées, quenouilles, des éléments étonnants de charrettes siciliennes, etc.).
Barbu Müller d'Antoine Rabany en vente chez Ferri le 14 octobre ; photos Bruno Montpied, 2022.
Les lecteurs fidèles et attentifs de ce blog savent que j'ai identifié avec sûreté, avec l'aide de divers amis et connaissances (dont Régis Gayraud et les enquêtes que je lui avais demandé de mener dans les Archives Départementales du Puy-de-Dôme, où il résidait), l'auteur d'une bonne partie de ces sculptures surnommées par Dubuffet, au début de sa collection d'art brut en 1946-1947, des "Barbus Müller" (Müller, collectionneur suisse qui en possédait un certain nombre, et "barbus" parce que Dubuffet, qui prisait cet attribut pileux – voir son poème "As-tu cueilli la Fleur de Barbe?" –, en avait vu quelques-unes sur les effigies des sculptures). C'est un paysan, ancien soldat (on le surnommait le "Zouave"), Antoine Rabany, né en 1844 et mort en 1919, ayant vécu, et sculpté à partir du début des années 1900 apparemment, dans le village de Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Pour identifier avec certitude les sculptures dues à ce Rabany, je me suis appuyé sur les photos prises par un photographe anonyme sur place, vraisemblablement dans les années 1910, montrant le jardin utilisé par Rabany pour présenter en rangs d'oignon – comme dans un garden-center! – ses oeuvres en pierre volcanique ou en granit. J'ai publié deux couples de clichés stéréoscopiques en verre, prises à la belle, puis à la morte saison, ainsi que des photos montrant six pièces dues à l'archéologue Albert Lejay vers 1912. Cela a servi de documents fort utiles pour comparer avec les photos de divers Barbus entrés dans diverses collections, publiques ou privées.
Actuellement, je suis ainsi arrivé à reconnaître d'après les photos anciennes onze Barbus Rabany-Müller, et non plus huit ou neuf comme je l'ai écrit dans le catalogue de l'exposition des Barbus Müller du Musée Barbier-Mueller de Genève en 2020. Et parmi ces onze, il y a le Barbu reproduit ci-dessus de la collection Canavy. C'est Martine Houzé qui l'a reconnu parmi d'autres qui figuraient sur le cliché verre pris à la morte saison dont je viens de parler (cf. le catalogue de l'expo 2020 du Musée Barbier Mueller). Je n'ai pas eu de mal, invité par elle à le découvrir dans ses bureaux, à le lui confirmer. Voir ci-après :
Détail du cliché-verre pris à la morte saison à Chambon-sur-Lac par un anonyme vers les années 1910 ; la flèche de droite indique le Barbu de la collection de Monsieur Canavy qui passe en vente chez Ferri le 14 octobre. ; et la flèche de gauche montre une tête à côté,que, en la regardant de plus près, j'ai reconnu comme étant un Barbu Müller conservé au Museum of Everything, après avoir transité par une autre collection, celle du docteur Léon Fouks ; archive numérique B.M.
Je ne me suis cependant pas arrêté là. En regardant le détail ci-dessus, j'ai été stupéfait de découvrir que je n'avais pas assez regardé la voisine de ce Barbu Canavy moustachu. Or, il m'est apparu que la sculpture est la même que celle qui provint de la collection du psychiatre Léon Fouks (qui eut, entre parenthèses, une correspondance avec Antonin Artaud), Barbu Müller qui passa en vente à Drouot en 2009, et fila, via un galeriste très bien informé, au Museum of Everything... Qu'on en juge plutôt en regardant les images en vis-à-vis ci-dessous (ne pas s'attacher aux différences de netteté, d'éclairage, d'angle de vue qui pourraient faire croire à deux sculptures distinctes) :
Regardez la lèvre supérieure avec cet aspect bizarrement plat, la forme en olive allongée des deux têtes, les pommettes identiques., et le cou allongé similaire aussi...
Ces onze Barbus attribuables de manière sûre à Antoine Rabany sont à distinguer de tous ceux appartenant à des collections diverses, rangées dans le corpus des "Barbus Müller" en raison de leurs caractéristiques stylistiques communes et de leur matériau similaire (des roches volcaniques). Même si j'ai tendance à penser que les Barbus les plus "ronds" proviennent tous du même auteur, ce Zouave Rabany, il n'en reste pas moins que la preuve par la photo n'en a pas encore été administrée.
Signalons enfin une nouvelle qui m'est venue il y a peu des USA par la conservatrice du département d'art brut du Musée d'Art Folk Américain de New-York, Valérie Rousseau. Elle a repéré deux statues aux poitrines bien pleines dans les collections de la Fondation Barnes de Philadelphie, qu'elle reconnaît comme des Barbus Müller. Je n'en ai que des reproductions médiocres, voir ci-dessous :
Si celui de gauche (sur fond gris) a une allure qui le rapproche en effet du corpus des Barbus Müller/Rabany, celui de droite me paraît plus "africain", plus fétiche (les trois traits blancs au sommet de sa tête, vers l'arrière ressemblent à des nattes ou des scarifications). Mais il faudrait que Valérie Rousseau nous en dise plus, notamment pour nous dire comment ces sculptures sont arrivées à Philadelphie, par quel collectionneur...
Vente Canavy chez Ferri, Drouot-Richelieu, 14 octobre, salle 4. Pour voir le catalogue de la vente et les renseignements supplémentaires (les expositions au préalable de la vente) voir ICI.
10:56 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : barbus müller, barbus rabany, barbus müller de rabany, vente aux enchères, maisond eventes ferri, martine houzé experte, collection de monsieur canavy, drouot, art populaire, antoine rabany dit le zouave, clichés-verre stéréoscopiques, musée barbier-mueller, léon fouks, museum of everything, valérie rousseau | Imprimer
19/09/2022
Une idée pour un autre Salon...
Je ne suis qu'un écrivain et un artiste, et j'en ai marre de cette Outsider Art Fair qui nous revient depuis dix ans, avec son prix d'entrée pour élite friquée, et sa conception étriquée, parce que strictement mercantile, de la communication autour des arts spontanés et alternatifs.
En fait, cette Foire disparaîtrait corps et biens, que je n'en souffrirai pas le moins du monde.
Un Forum basé sur des principes différents, organisé et monté par des Français qui plus est, à un coût moins élevé, pas seulement axé sur le marché de l'art, mais où on inviterait, dans une conception infiniment plus large, des musées, des associations, des ateliers collectifs pour handicapés, des photographes, des architectes alternatifs, des libraires, etc. serait beaucoup plus intéressant à monter.
Halle Saint-Pierre, 2e étage, exposition "Sous le Vent de l'Art Brut 2", 2014 ; à gauche des oeuvres à moi... ; photo Bruno Montpied.
Quel local faudrait-il proposer pour un tel Forum? Eh bien, la Halle Saint-Pierre serait toute indiquée. Qu'elle soit installée au pied de Montmartre, aux lisières de quartiers populaires (la Goutte d'Or notamment), et de quartiers plus chics (la Butte Montmartre), me paraît tout à fait adapté aux substrats culturels des différentes formes d'expression que ce Forum réunirait et présenterait. Disposant d'un auditorium et d'un cafétaria permettant les échanges informels, elle autoriserait dans une seule unité de lieu toutes sortes d'animations, conférences, débats, présentations de films. Le forum pourrait durer une grosse semaine (dix jours), plutôt que les quatre malheureux jours de la Foire d'Art Ousider actuelle. Les prix de location pour les galeries et autres musées et associations concernés (qui tourneraient au fil des éditions) ne seraient pas trop élevés, ce qui éviterait que les prix des oeuvres en vente soient trop élevés, les participants craignant de ne pas rentrer dans leurs frais à la fin du Forum (ce qui est le cas actuellement pour les galeristes qui participent à l'OAF). Les musées, librairies, associations de défense des arts indigènes (entre autres), ateliers pour handicapés, collectionneurs, organisation pour l'auto-construction, etc., qui participeraient pour faire connaître leurs passions et leurs activités, vendant au passage des catalogues d'expositions, procédant à des échanges divers et variés.
On aurait davantage affaire en l'occurrence à une réunion ayant pour but la communication et l'échange autour de passions communes ou à découvrir qu'à une vulgaire foire de mercantis, qualification dans laquelle l'OAF est en train de se couler (à tous les sens du terme "couler")...
11:32 Publié dans Amateurs, Anonymes et inconnus de l'art, Architecture insolite, Art Brut, Art de l'enfance, Art des croûtes, art des dépôts-ventes, Art des jardins secrets, Art forain, Art immédiat, Art inclassable, Art insolite, Art involontaire, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Art rustique moderne, Art singulier, Art visionnaire, Boîtes aux lettres insolites, Cahiers et manuscrits naïfs ou bruts, Cinéma et arts (notamment populaires), Détestations, Environnements populaires spontanés, Environnements singuliers, Fous littéraires ou écrits bruts, Galeries ou musées bien inspirés, Graffiti, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies, Street art marginal (art de rue sauvage) | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : outsider art fair, foire d'art marginal, art brut, salon, échange, passion, arts spontanés, arts divers d'autodidactes, halle saint-pierre, forum des arts spontanés | Imprimer
16/09/2022
Outsider Art Fair 2022, la reprise...
Il y a donc une nouvelle édition de l'Outsider Art Fair à Paris, au même endroit que les autres années, l'Atelier Richelieu (60 rue de Richelieu) tout près de la Bibliothèque Nationale (site Vivienne, dont la grande salle de consultation ovale réouvre elle aussi, avec un musée nouveau, etc.). Pour ce 10e anniversire du Salon, la date est différente des autres années, c'est à partir d'aujourd'hui vendredi jusqu'à dimanche, en septembre donc, et plus en octobre au même moment que la FIAC (dont elle se voulait une sorte de foire en off).
Deuxième salle de l'OAF 2022, le stand d'Escale Nomad avec, à droite, une découverte intéressante de son animateur Philippe Saada : un dessinateur congolais de Kinshasa, répondant au doux nom de Bouddha Mabudi. Ph. Bruno Montpied.
Bouddha Mabudi, Construction Alphabétique Kinshasa RDC, env. 30 x 40 cm, c. 2021, Galerie Escale Nomad.
Je l'ai visitée hier en avant-première, en quelque sorte, privilégié, car gratuitement (pour le visiteur lambda il faut souligner – et condamner ! – le prix excessivement élevé de l'entrée à cette Foire, 20€, paradoxal, étant donné l'origine populaire de la plupart des œuvres exposées). La Foire se divise en deux parties beaucoup plus distinctes qu'aux éditions précédentes, le rez-de-chaussée avec quelques galeries emblématiques (des fidèles: Ritsch-Fisch, Escale Nomad, Pol Lemétais, la Pop Galerie de Sète (voir ci-contre photo de José Guirao), la Galerie du Marché de Lausanne, Andrew Edlin – propriétaire new-yorkais de la Foire –, et des nouveaux comme la Gallery of Everything de Londres, ou Yataal Art de Dakar, proposant des œuvres de Pape Diop, ce créateur qui vit dans la rue dans le quartier miséreux de la Médina) et le premier étage où, à l'exception de quelques galeries (comme la Galerie d'art véritablement brut du Moineau écarlate, perdue une peu en marge d'une salle envahie par la galerie d'art contemporain singulier et imaginiste de Frédéric Moisan – où j'ai tout de même remarqué les captivants dessins de Sandra Martagex), on rencontre surtout de l'art underground, contre-culturel – style Hey! – qui se situe aux antipodes de l'art brut véritable. Autant ce dernier cultive (involontairement bien sûr) l'incognito, la modestie, l'effacement, tout en étant profondément inspiré et original (ce qui lui garantit d'être envié par les undergrounds de tout acabit cherchant à se confondre du coup avec lui), autant l'art de la contre-culture est tapageur, provoc', m'as-tu-vu, cultivant l'outrance. C'en est spectaculairement caricatural, tant c'est évident.
Une mosaïque de petites effigies diverses de Pape Diop, proposée par Yataal Art de Dakar ; si le fait de rassembler plusieurs petits dessins sur ces supports de fortune contribue indéniablement à renforcer l'impact esthétique de ces productions, cela conduit simultanément à afficher pour cet ensemble un prix conséquent : 20 000€. Et donc, si un collectionneur se présente, on imagine le panneau réalisé d'après ce pauvre Pape Diop finir par décorer quelque appartement soigné de bourgeois occidental, ce qui est tout de même d'un contraste qui fait songer... (l'argent, par contre, lui reviendra peut-être en partie car Yataal Art je crois milite pour aider le créateur). Ph. B.M.
Ce jeudi, j'ai traversé un peu las cette 10e foire, non sans m'arrêter sur quelques œuvres qui me frappaient, et au premier rang desquelles je citerai les "totems" de l'Italien Pietro Moschini, exposés par la Gallery of Everything au rez-de-chaussée, donc. J'avais de vagues lueurs à son propos grâce à un livre écrit sur lui par Roberta Trapani et édité par le collectionneur et découvreur tchèque Pavel Konecny (livre que l'on trouvait présenté au pied des totems). Mais voir certaines de ses sculptures en vrai, ainsi exposées, en cortège de personnages tous plus truculents les uns que les autres, représentés selon des solutions plastiques très variées et sans cesse nouvelles, cela ne pouvait que frapper le visiteur qui se convainquait rapidement d'avoir affaire là au clou de la Foire, et donc, je fus moi aussi frappé...
Pietro Moschini, exposition de "totems" proposée par la Gallery of Everything, ph. B.M.
Pietro Moschini, ph. José Guirao.
Cette même Gallery of Everything présentait également, un peu cachée derrière un mur, une "panoplie" d'œuvres inhabituelles de l'Américain Eugène von Bruhencheinhein, des sortes d'étranges natures mortes qui encerclaient une photo en noir et blanc de sa femme – pour une fois érotique! Comme si toutes les fois où l'on a présenté les photos, assez fades, que faisait cet autodidacte de sa petite femme qu'il paraît de bijoux sans songer à lui trouver une culotte un peu plus affriolante, on n'avait sélectionné que les clichés les plus "sages", ce qui serait bien habituel chez nos cousins américains toujours un peu puritains et désormais adeptes, aussi, de la culture politiquement correcte du "Cancel"...
Exposition d'Eugene von Bruhencheinhein par la Gallery of Everything ; plus loin dans la foire, au rez-de-chaussée, on retrouve, des peintures cette fois, du même von Bruheincheinhein, choisies par le "commissaire" Maurizio Cattelan, connu aussi comme artiste contemporain assez ennuyeux, et c'est ma foi un choix plutôt insignifiant et peu pertinent... ; ph.B.M.
On me demandera peut-être pourqoi j'ai traversé "un peu las" cette Foire? Parce que, personnellement, c'est l'art brut, c'est-à-dire, l'art inspiré inopiné, secret, discret, empreint d'innocence sans le moindre soupçon de vénalité que je recherche, et cette fleur est rare, bien rare, à l'OAF, comme ailleurs, alors que l'on aurait pu espérer en rencontrer ici justement plus qu'ailleurs. Un exemple de cet art brut que je recherche peut cependant se trouver ici et là dans la foire, en ouvrant bien les yeux. Ce sont les dessins au crayon noir de l'Américaine Pearl Blauvelt. Deux galeries en montraient, perdus parmi d'autres œuvres moins touchantes, la Galerie de Pol Lemétais et la Galerie d'Andrew Edlin.
La bien prénommée Pearl Blauvelt, galerie Andrew Edlin, ph. B.M.
Pour ces dessins-là¹, on aimerait faire des folies, hélas, il faut pourtant serrer précautionneusment les cordons de sa bourse (en prévision de l'hiver, entre autres) : chez Edlin, ils chiffraient à 5500€ ces petits crobards...
Alors, j'ai tout de même fini par trouver mon miel, mais dans une marge de ce salon de la marge, au premier étage, tout au fond, quasiment dans un placard où l'on avait confiné la Galerie Muy, venue du Mexique. Il y avait là des petites peintures d'une certaine Maruch Mendez, Indienne maya et tsotsil, que cette galerie défend parmi d'autres artistes indigènes du Chiapas, à la manière de plusieurs autres centres culturels ou dirigeants de foyers artistiques de par le monde (Haïti, Afrique de l'Ouest, Inde...). C'était populaire, naïf, modeste, extrêmement poétique, et le prix était à l'avenant (dans les 200€)...
Maruch Mendez, Naissance, acrylique sur papier, 35 x 25 cm, 2021 ; Maruch Mendez utilise l'image pour raconter des anecdotes vécues, des souvenirs, c'est donc toujours narratif (comme souvent dans la peinture populaire) ; ici, l'accouchement a failli mal se passer, des sages-femmes quelque peu rebouteuses ont aidé la parturiente qui n'arrivait pas à accoucher en lui confectionnant une mixture à base de queue de tatou et d'herbes secrètes, visibles sur l'image (au contraire des sages-femmes invisibles) ; ph. et coll. B.M.
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¹ Pearl Blauvelt, c'est aussi émouvant que les délicats dessins de James Edward Deeds dont plusieurs œuvres aux crayons noir et de couleur sont exposées en ce moment passage des Gravilliers, dans le Marais à Paris, à la Galerie Berst, galerie qui ne participe pas à l'OAF comme d'habitude (je crois que son responsable considère la Foire comme créant un ghetto pour l'art brut, ce qui est, bien entendu, une idée parfaitement fausse).
14:21 Publié dans Art Brut, Art immédiat | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : outsider art fair, galerie escale nomad, gallery of everything, art brut, art underground, art outsider, atelier richelieu, pietro moschini, pearl blauvelt, creative de prie, bouddha mabudi, maruch mendez, pop galerie, eugène von bruhencheinhein, andrew edlin, galerie pol lemétais | Imprimer
11/09/2022
Une Maison Jaune hospitalière: Catherine Garrigue y fait résidence trois jours, pressez-vous...
J'avais remarqué un dessin particulièrment inpiré de Catherine Garrigue sur un carton d'invitiation à une exposition de la Galerie d'Alain Dettinger, à Lyon. C'était en 2014 ou 2017 (une des deux dates lorsqu'elle exposa chez Dettinger, place Gailleton). A la même époque, Jean-Louis Faravel l'avait exposée à sa biennale de l'Art partagé. Ces deux adresses étant un point commun avec moi, puisque j'y ai été également exposé (en 2017, d'ailleurs, chez Dettinger, le mois précédant l'expo de Miss Garrigue). Elle vit actuellement en Dordogne après avoir été active et résidente à Paris (où elle paraît avoir animé un atelier dans le XVIIIe arrondissement, mon quartier favori...).
Catherine Garrigue, dessin qui figurait sur un carton d'invitation à une de ses expositions Galerie Dettinger.
L'univers du dessin automatique ou simili médiumnique est convenablement encombré, ça bouchonne au pays des mandalas et autres sinuosités plus ou moins arachnéennes, et il n'est pas toujours facile, quand on pratique de ce côté-là, comme paraît vouloir le faire Catherine Garrigue, de se faire une place bien délimitée.
Elle vient de me signaler un lieu situé à Revel, près du Lauragais, dans le Sud-Ouest, où elle va exposer trois jours, les 23, 24 et 25 septembre prochains : la Maison Jaune (31 avenue de la Gare, Revel), tenue par un couple d'amoureux des arts, Alix et Joël Bardeau, qui propose là-bas des résidences d'artiste. Elle y sera présente personnellement le 23 septembre. Voici ce qu'elle m'écrit, enthousiaste, à propos de cette résidence: "Les conditions d'exposition sont exceptionnelles : cadres à disposition, socles pour les sculptures, hébergement. Leur équipe prenant en charge la conception de l'affiche ainsi que sa diffusion et de même que pour les annonces sur les réseaux sociaux. Je n'évoquerai pas le vernissage offert qui sera, très certainement, à la hauteur de la qualité de l'accueil..." Dont acte. A conseiller à tous ceux qui cherchent des endroits où montrer leurs œuvres, bien que je ne sache pas si Mme et M. Bardeau ont une ligne bien précise quant à ce qu'ils souhaitent montrer, et, si ils en ont une, quelle est-elle. Pour joindre ces derniers je n'ai trouvé qu'une adresse Facebook (je vous mets le lien, mais moi, j'ai horreur de Fesse-bouc) : https://www.facebook.com/lamaisonjauneresidencedartistes/
On ne trouve pas grand-chose sur internet au sujet de ses dessins (qu'elle a commencés en 2011), les reproductions sont mises en ligne, en particulier sur un site de la Dordogne et du Périgord, comme à distance. Voir ci-dessous:
Sans titre, sans dimensions, sans date indiquées... Idem pour les suivants:
Un titre à l'intérieur de ce dernier dessin, cependant : "Tourbillon"....
08/09/2022
"Alcheringa" n°3 : le surréalisme contre l'aliénation
Il existe un groupe de Paris du mouvement surréaliste qui continue l'action contre vents et marées de la condescendance, du mépris, de l'oubli organisé, ou, tout au contraire, de la récupération passéiste. Il mène cette action en coordination avec différents autres groupes surréalistes internationaux. Moi, j'ai toujours trouvé que l'activité en question pouvait s'exercer sans s'abriter à l'ombre géante, un peu trop grandiose, du mot de surréalisme, parfois taillé trop grand pour les épaules de ceux qui s'en revendiquent. Mais voilà, ils s'entêtent, les Joël Gayraud, les Sylwia Chrostowska, les Michaël Löwy, les Guy Girard, voire même les Régis Gayraud¹. Ils brandissent toujours, avec les moyens dont ils disposent, le flambeau de la révolte, du déni jeté au monde capitaliste qui nous entraîne progressivement vers la fin du monde. Et moi, de culture surréaliste, mais principalement attiré depuis des décennies par la création artistique des imaginatifs sans voix, des sans grade, des sans diplômes, des sans lettres de recommandation, qu'ils se rangent dans l'art brut, l'art naïf (de qualité), l'art singulier, ou parmi les inspirés du bord des routes, je me suis toujours dit qu'il fallait accrocher mon petit wagon à leur train, en digne compagnon de route...
Couverture d'Alcheringa n°3, avec une composition de Yoan-Armand Gil dessus, été 2022.
Ces fidèles au surréalisme éditent une revue, nommée Alcheringa, qui signifie le Temps du Rêve dans la langue des Aborigènes d'Australie. Des récits de rêve, on en retrouve à foison dans cette tribune bien maquettée (par l'un des animateurs des éditions Venus d'Ailleurs, Yoan-Armand Gil), à côté de poèmes (pas tous à mon goût, ces derniers), d'enquêtes (dans ce numéro, proposé par Guy Girard, il y en a une intitulé "l'acte surréaliste le moins simple") ou de jeux, ce qui est une délectable tradition surréaliste. Peintures, collages, photographies oniriques sont également au rendez-vous, sans transition ni hiérarchie vis-à-vis des textes des divers intervenants. Un manifeste signé par seize personnes, "Au pied ailé de la lettre. Quand le surréalisme aura cent ans", (re-)proclame la nécessité de mettre "la Poésie au-dessus de tout", et fait l'éloge de la désertion ("pratique et intellectuelle, psychique et sociale, individuelle et collective"). On y précise aussi, ce qui me paraît personnellement salutaire, que les productions surréalistes de tous ordres n'ont que "l'apparence d'œuvres d'art", car elles sont plutôt "les résultats cristallisés d'une subversion permanente de la sensibilité, les témoins sensibles d'un nouvel usage du monde". A l'heure où tant d'artistes grenouillent pour grimper sur les tréteaux de la gloire afin d'y exhiber leurs nombrils, le rappel est nécessaire en effet.
Ce sommaire contient tout en bas le moyen de contacter les animateurs de la revue: alcheringa.revue@gmail.com
Une critique du recours aux technologies numériques et aux réseaux sociaux me laisse plus en retrait, personnellement. Comment souscrire, en effet, à cette affirmation, posée à un détour de ce manifeste, que "le logiciel prend le pas sur le créateur"? On retrouve là la vieille méfiance des surréalistes historiques (Péret ou Breton) vis à vis de la science, des machines, et aussi des voyages dans la Lune... Certes, je m'accorde volontiers, comme les signataires de ce manifeste, avec les "réseaux "anti-sociaux", ceux qui se nouent spontanément dans la rue, au coin d'un bois (...), au comptoir d'un café, dans une tempête de neige", mais je n'oublie pas les révélations que peuvent véhiculer, à l'occasion (sans s'hypnotiser pour autant sur leurs prestiges) les Instagram, ou les blogs, aidant à abattre de temps à autre les barrières érigées par les media dominants pour nous séparer d'une partie de la véritable inspiration du moment... Les réseaux sociaux peuvent aussi contenir de l'information alternative. Les deux démarches peuvent être parallèles. Il incombe seulement de ne jamais être dupe.
Sylwia Chrostowska, Le don des langues, pierre noire, 65 x 50 cm, 2021.
De ce n°3, j'ai pour le moment retenu, en outre, lues de prime abord, les contributions suivantes: le poème "Corbeau" de Sylwia Chrostowska, un dessin de la même (très frappant) : "Le don des langues" ; un texte de Bertrand Schmitt, "Toyen et l'enfer des imbéciles" ; de Régis Gayraud : "André Breton, une fiche de police de l'Union des écrivains soviétiques en 1938" ; "La photographie surréaliste en 2020", présentée par Guy Girard (je m'étais fait l'écho de l'exposition qui avait eu lieu à la Galerie Amarrage, où j'avais moi-même exposé trois photos) avec quelques exemples empruntés à Sylwia Chrostowska, José Guirao, Kenneth Cox, Lurdes Martinez, Steven Cline ; de Joël Gayraud : "Transformer le monde pour le rendre digne d'être parcouru" (critique du voyage) ; Sylwia Chrostowska et son "Rapport sur un état hypnagogique" (état de conscience particulier entre veille et sommeil, au moment de l'endormissement), etc...
De mon côté, j'ai donné à la revue un texte intitulé "Peintures domestiques et tentations infernales, Louis Carmeil, Dominique Dalozo, Louis Delorme, Armand Goupil, Gabriel Jenny" sur divers artistes à l'oeuvre intriguante, échoués aux Puces, et ayant en commun d'avoir représenté ici et là dans leurs productions des fantasmes diaboliques, des images de la tentation et de l'enfer. C'est par ce texte, outre le petit wagon dont je parlais ci-dessus, la continuation de ma tentative de dévoilement d'œuvres interloquantes restées dans l'ombre, et entrées dans ma collection.
Armand Goupil, Les Hussards de la paix, huile sur bois, 38,2 x 30 cm, 20-I-57, n°450 ; ph. et coll. Bruno Montpied.
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Alcheringa n°3 est disponible (à 20€) dans les librairies suivantes :
Librairie Centre Pompidou, Le Dilettante (7, pl de l’Odéon – 75006 Paris. 01 43 37 99 41), La Petite Égypte (35, rue des Petits Carreaux – 75002 Paris. 01 47 03 34 30), Tschann (125, bd du Montparnasse – 75006 Paris. 01 45 83 39 81), Halle Saint-Pierre (2, rue Ronsard – 75018 Paris. 01 42 58 72 89), Librairie Michèle Ignazi (15-17, rue de Jouy – 75004 Paris. 01 42 71 17 00), EXC Librairie (Passage Molière – 157, rue Saint-Martin – 75003 Paris. 01 87 04 44 02), Vendredi (67, rue des Martyrs – 75009 Paris. 01 48 78 90 47), Galerie Les Yeux Fertiles 27, rue de Seine – 75006 Paris. 01 43 26 27 91), Galerie Amarrage (88, rue des Rosiers – 93400 Saint-Ouen jusqu’au 25 septembre 2022, samedi et dimanche de 14h à 19h), Le Carré des Mots (30 Rue Henri Seillon – 83000 Toulon. 04 94 41 46 16), LA MAB // MAISON ANDRÉ BRETON (Place du Carol – 46330 Saint-Cirq-Lapopie. 06 30 87 70 58)
Également en vente chez l’éditeur, Venus d’ailleurs : paiement par carte cliquer ici .Par Paypal, virement, ou chèque contacter venusdailleurs@free.fr
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¹ On exceptera du surréalisme, dont, finalement, ils n'ont aucun droit à se revendiquer, selon moi, les nommés Ody Saban et Thomas Mordant, imposteurs qui, pour la première, mange à tous les râteliers, un matin artiste brut, un autre "surréaliste", un autre encore artiste féministe et trotzkyste (vernis "radical" indispensable pour briller en société), au gré de son opportunisme et d'un arrivisme qui fait feu de tout bois et de toute appellation un tant soit peu ronflante, tandis que le second joue les petits poseurs boursouflés de suffisance, se drapant sous une risible défroque de fausse modestie. Ce monsieur donne des "conférences", paraît-il, d'où, m'a-t-on dit encore, le poète Michel Zimbacca sortait, écumant de colère d'avoir entendu si mal traiter du "surréalisme", prétexte à débiter les plus grosses bêtises.
11:02 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art insolite, Art naïf, Questionnements, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alcheringa, le temps du rêve, groupe surréaliste de paris, sylwia chrostowska, joël gayraud, guy girard, régis gayraud, michaël löwy, bruno montpied, artistes marginaux, art brut ou naïf, armand goupil, louis carmeille, venus d'ailleurs éditeur, photographie surréaliste, tentations infernales | Imprimer
28/08/2022
Guy Girard, le surréaliste de Saint-Ouen
Guy Girard expose bientôt à la galerie associative Amarrage avec un acolyte, Thierry Pertuisot (dont je ne sais pas grand-chose, sauf que son oeuvre ne relève pas, comme celle de Guy, du surréalisme).
Ce dernier a eu plusieurs périodes depuis le temps qu'il peint. Nous avons été quelques-uns à être frappés de ses "anagraphomorphoses", fût un temps, où des paraphes de personnages historiques figurant au Panthéon personnel de l'artiste se métamorphosaient sur la surface des toiles (il a toujours peint à l'huile sur toile, héritier de la peinture classique et de ses supports traditionnels) en images déduites des rubans d'écriture de ces signatures. Parfois, comme dans une très belle toile que je détiens de lui, le paraphe – en l'occurrence, celui de Freud – jouait à cache-cache avec des lettrines, imagées elles aussi, formant le nom de Merlin, le tout planant au-dessus de la ville de Paris, représentée selon son historique plan du XVIe siècle...
Guy Girard, Roi d'argot (la rencontre du nom de Freud et de celui de Merlin au-dessus du ciel de Paris), huile sur toile, 30 M, 1985 ; photo et collection Bruno Montpied. Non exposé à Saint-Ouen.
Guy Girard aime bien les mots rares, tarabiscotés, quasi ésotériques. De même son écriture (il est parfois aussi essayiste et théoricien) prend des tours parfois fort labyrinthiques. Il se cache derrière ou dedans, affublé d'une modestie indécrottable, tout en se faisant en interne une haute idée du rôle de l'artiste qui se confond bien sûr – selon une doxa surréaliste que je partage moi-même – avec l'image de poète. Un poète qui suit les préceptes du "Ne travaillez jamais!" surréalisto-situationniste... Sa (quasi maladive) modestie, son refus de la "ramener" – il se refuse à donner l'impression qu'il cherche à parader sur les mêmes tréteaux que les histrions, qui eux, cervelles d'oiseux, ne cherchent qu'à "communiquer" (quoi? nécessairement des contenus creux...) –, cela a amené notre Normand (il est originaire du Cotentin) à mener sa vie, et son art, au sein d'une ombre quasi complète. Il y a ainsi en ce temps, toutes sortes de créatifs qui répugnent à sacrifier à la maladie du paraître et du spectacle médiatique qui fascinent tant les faibles d'esprit contemporains. On retrouvera ces artistes secrets sur les trottoirs des Puces, et devenus à leur tour des énigmes. Car on ne peut compter sur les brocanteurs pour vous donner des biographies...
Guy Girard, Un café sur le boulevard, huile sur toile, 50 x 61 cm,, 2018 ; ph. B.M. Non exposé à Saint-Ouen.
Malgré ses différentes autres périodes (tribulations de Napoléon, une période que j'ai appelée en mon for intérieur sa période "spaghetti", une période "suédoise", une autre série de peintures stylisées en 2018 (voir-ci-dessus le dragon et la tasse remplie de personnages), ou encore ses portraits doubles de 1998 – cf. les tableaux reproduits dans le n°3 de la revue du groupe surréaliste auquel il appartient, Alcheringa, numéro qui vient de sortir, voir au bas de cette note), malgré une oeuvre désormais variée et conséquente, où l'imagination n'a jamais cessé d'être au pouvoir, qui a, en effet, jamais entendu parler de notre héros¹?
Guy Girard, Toyen et Victor Considérant (portrait double), huile sur toile, 1998., ph. Guy Girard. Non exposé à Saint-Ouen.
L'exposition (-vente!) qui débute le 1er septembre (jour du vernissage) pour se poursuivre jusqu'au 25 de ce même mois sera donc une occasion à ne pas rater si les amateurs de peinture souhaitent en découvrir davantage... Les tableaux qui seront présentés font partie des oeuvres oniriques inspirées à Guy par son voyage en Chine d'il ya quelques années. On pourra aussi se procurer durant l'exposition le n°3 de la revue Alcheringa, où, je le signale entre parenthèses, votre serviteur a donné un article pour défendre des inconnus de l'art, retrouvés aux Puces, et adeptes de tentations infernales.
Guy Girard et Thierry Pertuisot, "Passage du Sud-Est", exposition du 3 au 25 septembre 2022, Galerie Amarrage, 88 rue des Rosiers, Saint-Ouen, ouv. les samedis et dimanches de 14 à 19h et sur RV en semaine au 06 15 63 93 11 (c'est en lisière des Puces de Saint-Ouen).
Alcheringa n°3
La revue Alcheringa n°3 sera disponible (ainsi que quelques exemplaires restants du n°1 et du n°2), pour quelques exemplaires au nombre limité, à la galerie durant le temps de l'expo, et sinon, on pourra l'acquérir auprès des éditions Venus d'ailleurs, qui l'éditent, en cliquant sur ce lien, où l'on trouvera entre autres le sommaire très varié du numéro.
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¹ Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler le texte que je lui ai personnellment autrefois consacré: Bruno Montpied, « Guy Girard, peintre d’histoire d’un nouveau genre », catalogue de l’exposition Visions et créations dissidentes au Musée de la Création franche, Bègles, du 27 septembre au 30 novembre 2003.
15:00 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : guy girad, galerie amarrage, surréalisme actuel, groupe surréaliste de paris, alcheringa n°3, anagraphomorphoses, portaits doubles, huiles | Imprimer
17/08/2022
L'Objet X (une découverte dans l'histoire de l'Art Brut)
L’OBJET X
(une découverte dans l’histoire de l’Art Brut)
Je suis en train de revisiter les débuts de la constitution de la collection d’Art Brut en partant des œuvres d’art naïf que Dubuffet, le fondateur de la notion d’art brut, commença par interroger comme pouvant faire partie de ce qu’il commençait d’envisager ‒ dans les années 1940 ‒ comme la découverte d’un corpus d’œuvres d’art oubliées, non reconnues, exprimant pourtant avec la force la plus intense la vérité humaine la plus crue en matière d’expression. Défilent devant mes yeux des tableaux surtout, jusqu’à ce que je m’arrête sur ce fameux objet indéterminé, si difficile à décrire, car composite et extrêmement indistinct, rétif à être appréhendé, on dirait…
J’écris ce « fameux » objet, car il est en effet connu dans l’histoire des origines de l’Art Brut, il fait partie de ces objets orphelins, impossibles à situer, que des collectionneurs épris de curiosité ont su abriter chez eux¹.
Il est monté sur une sorte de coque noirâtre (brune peut-être, mais comme il est plongé dans la pénombre, il apparaît sombre), un morceau de bois d’une forme approximativement proche du parallélogramme, qui est destiné à faire flotter l’assemblage entier, ou bien à se déplacer, car on a pu le flanquer de roulettes. Ces dernières ne sont plus visibles aujourd’hui… Sur ce bloc, se dressent deux ou trois autres parties de l’assemblage : une sorte de morceau de branche élancée en forme de long doigt dressé vers le ciel, des formes plus ramassées, comme des coquillages blanchâtres agrippés à un bouchot. L’ensemble n’est pas un objet naturel de hasard, comme ceux que l’on trouve le long des grèves. Il résulte d’une volonté humaine qui a présidé à l’assemblage de ses parties. Il émane un mystère de cet objet, renforcé par son statut d’objet mythifié dans l’histoire de la recherche autour des débuts de l’art brut.
Son propriétaire, un collectionneur ‒ qu’au réveil je me reprocherai de n’avoir pas interviewé afin d’en apprendre plus sur l’auteur de cet assemblage mythique des débuts de la collection d’Art Brut ‒ est présent, mais en retrait. Il possède encore l’objet qui n’a jamais été incorporé à la collection d’Art Brut de Dubuffet, en raison du rejet de ce dernier, considérant l’objet comme par trop insituable, par trop indéterminé. On sait que le peintre construisit sa collection par intégration et rejets successifs de divers artefacts qu’il regardait de manière évolutive au fur et à mesure que s’affirmait sa vision de ce qu’il poursuivait avec son « art brut » : un art du « jamais vu », hors champ de la culture artistique.
L’art naïf des débuts, l’art des enfants, les arts lointains, l’art populaire rural se virent ainsi successivement rejetés, à mesure que s’affermissait sa conception. L’objet X, ici retrouvé par moi, avait été ainsi repoussé dans les poubelles des prémisses de l’Art Brut, où ses thuriféraires avaient méthodiquement organisé son enterrement…
Je suis pour sa réévaluation, me dis-je, au fond de ce rêve. Ce n’est pas parce qu’on n’arrive pas à le décrire ‒ déjà, parce qu’on n’arrive pas à le voir correctement! ‒, à le situer, à en déterminer l’auteur, qu’on ne peut prendre en charge sa force brute, essentiellement tissée d’énigme…
[Hélas, je me réveille sans avoir pu en apprendre davantage…]
Vers 23h30, après m’être assoupi, fiévreux et enrhumé, le 13 février 2018…
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¹ Il va de soi que cet objet ne correspond à aucun objet historique précis. Le rêve fait seulement écho à la question des œuvres collectionnées au début par Jean Dubuffet comme pouvant être de l’art brut, mais qu’il finit par rejeter au fil du temps dans sa collection « annexe », rebaptisée ensuite par lui et Michel Thévoz (le premier conservateur suisse de la Collection à Lausanne à partir de 1976), « collection Neuve Invention ». Cette collection, longtemps restée marginale par rapport à l’Art Brut proprement dit, se révèle très souvent tout aussi passionnante que la collection qui s’est développée par la suite jusqu’à aujourd’hui.
08:58 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Rêves | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : objet x, histoire de l'art brut, récit de rêve, dubuffet, collection de l'art brut, objets orphelins, réévaluation, objets mythiques, collectionneurs | Imprimer
11/08/2022
La Clinique de La Chesnaie à Chailles sera-t-elle reprise par son personnel soignant?
Cette clinique, située au sud de Blois, le long de la Loire, est un lieu ouvert où l'on pratique la psychothérapie institutionnelle (une psychothérapie plus démocratique en somme, où l'on est plus à l'écoute du patient), et où, en gros, les soignants travaillent en collaboration avec leurs malades dans différents projets liés à la vie quotidienne. Personnellement, j'en avais entendu parler en lisant des livres qui parlent de la vie de l'ami de Guy Debord, Ivan Chtcheglov, qui y séjourna. J'avais même remarqué qu'il y était passé aux mêmes dates que la peintre et écrivaine Unica Zürn, cette dernière hélas s'étant suicidée peu de temps après son séjour là-bas (a priori, aucun rapport).
Salle du Boissier, où des concerts et autres spectacles sont montés, Clinique La Chesnaie, Chailles.
Le médecin-directeur revend la clinique. L'équipe des soignants, s'inquiétant d'une reprise par une société qui serait peu encline à poursuivre le même travail que le leur, a décidé de s'organiser en une société coopérative qui rachèterait la clinique. Une pétition tourne d'ores et déjà sur Change.org. Je l'ai personnellement signée:
31/07/2022
Une histoire de racines en l'air (Chaissac/Jesuys Christiano)
Gaston Chaissac, certains le savent, a écrit en 1946 dans la revue Centres pour René Rougerie qui, alors âgé de 20 ans, y collaborait, chargé de repérer de nouveaux talents, un merveilleux texte, intitulé Surréalisme!!!. Je recopie ci-après deux extraits qui m'ont toujours plu :
"Nous avons des littérateurs, des peintres surréalistes, et ils ont fait des trouvailles indéniablement intéressantes, utiles.
Demain ce sera des artisans, des ouvriers, des paysans surréalistes que nous aurons aussi ; d'eux nous avons un besoin urgent, et leurs trouvailles également intéressantes et utiles changeront la face du monde.
Le bon travail est devenu chose rarissime et pour le réapprendre il nous faut des novateurs.
Quand nous verrons des artisans construire de chariots avec des roues carrées et des paysans planter des choux les racines en l'air ce sera de bon augure ; car ces hommes, enfin plus esclaves des exigences d'autrui, feront à leur idée en hommes libres, en surréalistes, et retrouveront les secrets qui permettent de faire du bon travail honnête. Cela dans la joie, car le travail libre c'est la joie, celle qu'on ne saurait trouver à courir après la fortune ou simplement gagner beaucoup d'argent (en étant l'esclave d'autrui) pour satisfaire des vices. (...)
"Sœur Jeanne de là-haut ne vois-tu rien venir? - Je vois à l'horizon des surréalistes accourir avec des pelles, des rabots, des fourches ,des enclumes et bien d'autres outils". (...)"
Revue Centres n°3, 1946.
Cette histoire de planter des choux les racines en l'air m'a toujours marqué.... Quelle ne fut pas ma surprise en lisant l'autre extrait de texte ci-dessous, publié récemment dans le catalogue de l'excellente récente exposition (terminée le 17 juillet dernier) de cette extraordinaire découverte brute qu'est l'œuvre du Brésilien nommé – probablement un surnom – Jesuys Christiano (Jésus-Christ, en somme), à la galerie Christian Berst (passage des Gravilliers, à Paris, le catalogue doit y être toujours disponible, du moins à partir de la rentrée de septembre) :
"(...) Son objectif était d'ériger un nouveau monde, l'ancien devait donc être inversé – c'est ainsi qu'il arrachait des fleurs et des plantes pour les enterrer afin que les racines pointent vers le ciel. Pour que les voix qu'il entendait chaque jour se taisent, que les vers qui lui rongeaient le crâne se calment, que la peur de la persécution et du châtiment s'éloigne de lui. (...)"
Thilo Scheuermann (hôtelier allemand installé au Brésil ayant découvert en 2011 les dessins tracés par Jesuys Christiano sur les murs du quartier miséreux de Malhado à Ilhéus ; il s'occupa alors de lui jusqu'à la mort de ce dernier survenue en 2015).
Jesuys Christiano, sans titre, graphite sur papier, 42x59 cm, 2013. Extrait du catalogue d'exposition à la galerie Christian Berst "Jesuys Christiano, A contrario".
Etonnant parallèle, n'est-ce pas? Entre le cordonnier de Vendée et le pauvre hère brésilien qui bien entendu n'a jamais entendu parler du premier... A signaler que Jesuys Christiano est allé plus loin que Chaissac, en plantant réellement ses végétaux les racines en l'air... Mais bon, chez le cordonnier, il est plutôt question d'une métaphore, d'un appel au monde à l'envers, un thème cher à la culture populaire.
20:48 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Art visionnaire, Confrontations, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : gaston chaissac, surréalisme, monde à l'envers, jesuys christiano, galerie christian berst, a contrario, catalogue d'exposition, revue centres, rené rougerie, art et vie quotidienne | Imprimer
15/07/2022
André Devambez, pour en voir plus, au Petit Palais, cet automne...
Cet André Devambez, qui nous avait intrigués au musée des Beaux-Arts de Rennes, moi et mon camarade Régis Gayraud, en 2017, m'avait poussé à mettre en ligne sur ce blog quelques images insolites incitant à en découvrir davantage. Les vues plongeantes de ce peintre, très en avance sur son temps, les illustrations de livres pour la jeunesse frappaient l'attention. Voici, pour ceux de mes lecteurs qui voudraient comme moi en savoir, et en voir, plus, que le Petit Palais à Paris a eu l'heureuse idée de faire venir une exposition (qui s'est tenue à Rennes du 5 février au 7 mai 2022), pour cet automne, du 9 septembre au 31 décembre 2022 : "André Devambez, vertiges de l'imagination", cela s'appelle. Pour en savoir plus, on va là... C'est l'occasion, en plus de la découverte d'une peinture solide, de partir en balade dans une imagerie narrative, liée à l'illustration, notamment celle qui était destinée à la littérature jeunesse dans les années du début XXe siècle, qui a gardé beaucoup de charme jusqu'à aujourd'hui.
André Devambez, Gulliver en tournée à Lilliput, 1909, coll. partic. galerie Talabardon et Gauthier.
André Devambez, le Dirigeablobus, 1909 ; photo RMN-Grand Palais - Adrien Didierjean.
André Devambez faisant une grimace.
17:23 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Galeries ou musées bien inspirés, Littérature jeunesse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré devambez, petit palais, gulliver, dirigeablobus, illustration jeunesse, grimace | Imprimer
06/07/2022
Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne... et les traces des Barbus Müller/Rabany
Une nouvelle exposition au Musée d'Art Roger Quilliot (MARQ) de Clermont-Ferrand cet été, "Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne", montée par la directrice adjointe du Musée, Pauline Goutain (une ancienne membre du CRAB), invite les spectateurs à explorer les liens qui ont uni le peintre à cette belle région.
Ce dernier était ami avec l'écrivain Henri Pourrat, que l'on sait avoir été un collecteur et un adaptateur littéraire des contes auvergnats, de même qu'un passionné du folklore. Autre écrivain avec qui il eut des relations fréquentes, Alexandre Vialatte (leurs relations ont du reste donné lieu à une exposition plus ancienne à Clermont-Ferrand, "Sur la route du Grand Magma (1953-1962)" au FRAC-Auvergne du 1er juin au 30 septembre 1991). Dubuffet vint aussi assister sa femme Lili lorsqu'elle se fit soigner au sanatorium de Durtol, ce qui l'amena durant son séjour de juillet 1954 à janvier 1955 à se passionner pour différents matériaux qu'il incorpora à ses œuvres (dont des scories, laves et pierres volcaniques, ce qui, personnellement, m'intrigue si l'on pense aux Barbus Müller, dont j'ai prouvé que leurs pierres, taillées dans de la roche volcanique ou du granit, avaient été créées à Chambon-sur-Lac, village situé dans la chaîne des puys ; or, Dubuffet a toujours dit qu'il ne savait pas d'où ces Barbus Müller provenaient... Curieux, non? Sans doute une coïncidence...). Ses périodes picturales des "Herbes" et des "Vaches" proviennent aussi de ce séjour en Auvergne, où il se balada en auto dans la campagne, armé d'un appareil photo.
L'expo se décompose en quatre sections, selon les renseignements que m'a fait parvenir Pauline Goutain que je reprends en majorité ci-après :
"La première partie est consacrée aux liens qui unissent Dubuffet et le milieu littéraire et artistique auvergnat ; liens qui se cristallisent lors de son séjour au château de Saint-Genés-la-Tourette durant l’été 1945, puis lors de sa rencontre avec Alexandre Vialatte en 1947.
La seconde mettra en avant le rôle, jusque-là passé sous silence, que Emilie Cornu-Dubuffet dite Lili a joué dans la vie et la carrière de Dubuffet. Elle mettra à jour la biographie de cette femme et la relation singulière qu’elle eut avec Dubuffet. Cette section abordera en particulier le séjour de Lili Dubuffet à Durtol et les œuvres que ce séjour inspira à Dubuffet : série des "Vaches", des "Herbes", des paysages, des "Petites statues de la vie précaire" (en particulier celles en pierre de Volvic).
La troisième partie se concentrera sur l’appréciation de l’oeuvre de Dubuffet par Alexandre Vialatte, à travers la notion de « grand magma », ses chroniques dans La Montagne et sa correspondance. Cette section exposera les "Hautes Pâtes" de Dubuffet, les oeuvres de sa période vençoise et de "l’Hourloupe"."
La quatrième section portera sur les « Barbus Müller », œuvres-clés de l’Art Brut. Elle présentera leur histoire : leur collection par Josef Müller (entre autres), l’intégration par Dubuffet à la collection d’Art Brut, leur attribution au cultivateur Antoine Rabany (1844-1919) par moi, Bruno Montpied (ma recherche, commencée en 2017, n'est pas achevée à ce jour)¹. Elle présentera également "les recherches menées par le village de Chambon-sur-Lac en collaboration avec l’Université de Rennes II depuis 2020". De nombreuses sculptures desdits "Barbus Müller" d'Antoine Rabany seront exposés, en provenance du Musée Barbier-Mueller de Genève (où elles ont déjà été exposés en 2020 avec un catalogue à la clé, où j'ai publié un essai sur mon enquête avec, pour la première fois, la photo du Barbu de Rabany encore incrusté aujourd'hui dans le mur de son ancienne maison dans le village de Chambon). Il semble aussi que cinq Barbus Müller inédits, retrouvés dans les parages de Chambon, seront exposés au musée clermontois, mais je dois dire que cette information reste pour le moment bien secrète, du moins pour quatre d'entre eux, car je suppose que l'un des cinq doit être l'essai inachevé que j'ai photographié l'année dernière dans les locaux de la mairie ( voir ci-dessous).
Sculpture d'Antoine Rabany (très vraisemblablement), retrouvée par les services de la mairie de Chambon-sur-Lac dans un dépôt de matériel où elle était à l'abandon ; il est fort possible que le sculpteur ait cassé la tête et donc abandonné la pièce, pour la refaire avec une autre pierre (voir ci-dessous cette pierre, conservée par le Museum of Everything à Londres, qui, à mon avis, est le second essai que Rabany sculpta après la première version ratée...).
Barbu Müller/Rabany, tel qu'il apparaissait avant d'aller au museum of everything, reproduit par Dubuffet dans le fascicule n°I de 1947 consacré aux Barbus Müller ; elle possède un petit "chapeau" triangulaire qui a disparu au fil du temps.
Il semble que je doive avoir des successeurs suite à ma découverte de l'identité de l'auteur des Barbus Müller (que j'avais commencé d'exposer sur ce blog même), des successeurs qui, pour le moment, ne se montrent guère diserts à mon égard, en ne me faisant pas part de leurs propres recherches, qu'ils exposent cependant au cours de conférences sur place à Chambon ou de projets universitaires (comme celui de Barbara Delamarre dans le cadre de l'INHA), recherches qui découlent pourtant directement de mes propres découvertes...
En tout cas, si vous voulez voir plusieurs de ces "Barbus Müller" sculptés par Antoine Rabany (j'ai l'intuition que les plus belles pièces rangées sous ce sobriquet proviennent en effet toutes du paysan Rabany, surnommé le Zouave dans son pays), courez à Clermont-Ferrand les voir. Ce n'est pas souvent qu'on peut en trouver d'aussi nombreux rassemblés en France (la dernière fois, c'était au LaM de Villeneuve-d'Ascq).
Exposition 8 juillet – 30 octobre 2022. Musée d’art Roger-Quilliot, Clermont Auvergne Métropole, Place Louis Deteix, 63 100 Clermont-Ferrand. Commissaire scientifique et général : Pauline Goutain, directrice adjointe MARQ et docteur en histoire de l’art. Un catalogue, édité par les éditions In Fine paraît à cette occasion, avec notamment un mien article, nouveau, sur les Barbus Müller et Rabany, que je mets en rapport avec d'autres sculpteurs autodidactes de la même époque, eux aussi dans le Massif Central.
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¹ Bruno Montpied viendra le samedi 9 juillet à l'Université d'été de la bibliothèque Kandinsky au 4e niveau du Centre Georges Pompidou (salle de l'Ecole Pro ou dans la Bibliothèque Kandinsky même) raconter les moments-clés de son élucidation de l'auteur des Barbus Müller, le paysan Antoine Rabany, avec sa localisation à Chambon sur Lac au début du XXe siècle. C'est sur inscription, mais des auditeurs libres peuvent venir suivre les débats. Voir ICI pour le programme général.
11:10 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Galeries ou musées bien inspirés, Littérature | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : dubuffet, musée d'art roger quilliot, barbus müller, antoine rabany le zouave, chambon sur lac, bruno montpied, art brut, auvergne, art populaire, pauline goutain, sur les pas de jean dubuffet en auvergne, henri pourrat | Imprimer
27/06/2022
Alain Lacoste, roi des modifications et autres détournements de mots
Alain Lacoste a disparu au début de cette année, mais ses oeuvres n'ont jamais été autant vues, ici et là, en ce moment. Je me bornerai à signaler celle qui a commencé le 18 juin à la galerie parisienne de la Fabuloserie (après l'expo Livio Sapotille), prévue pour durer jusqu'au 13 juillet prochain. Au rez-de-chaussée, on trouve des ardoises peintes, et des images "détournées" comme disait Lacoste, mais qu'un Asger Jorn, qui fut un grand adepte de ce genre de métamorphose (pour employer un terme qu'employa de son côté également Noël Fillaudeau, qui repeignait lui essentiellement sur des photos imprimées de magazine), préférait qualifier, en accord avec les situationnistes, de "modifications", pour laisser au détournement une portée plus politiquement révolutionnaire.
Sur le mur de droite dans la galerie parisienne de la Fabuloserie, on trouve cette grande mosaïque d'images "détournées" d'Alain Lacoste ; j'y ai fait mon marché personnellement ; ph. Bruno Montpied, juin 2022.
D'Alain Lacoste (1996), ce que j'ai choisi de garder dans la mosaïque ci-dessus ; ph. B.M., 2022.
Des objets en trois dimensions sont aussi présentés par Sophie Bourbonnais à l'étage, souches d'arbre peintes aux formes cloisonnées, assemblages de matériaux divers, bois naturel ou chutes de bois industrielles et modifiées, figurant des scènes prétextes à jeux de mots et calembours si prisés d'Alain Lacoste.
Animal fantastique d'Alain Lacoste ; ph. B.M., 2022.
Alain Lacoste, Le calle vert, 1995 ; ph. B.M., 2022.
A noter qu'un vernissage alternatif est organisé dans très peu de jours, le jeudi 30 juin, pour rattraper celui du 18 qui fut reporté à cause des fortes chaleurs.
LA FABULOSERIE Paris, du mercredi au samedi 14h -19h.
52, rue Jacob 75006 Paris - 01 42 60 84 23 - fabuloserie.paris@gmail.com