Quand André Breton définissait l'art brut... (13/06/2019)
Dédicace à un vieil ami qui refuse de comprendre de quoi il retourne quand je parle d'art sans artistes...
André Breton, définit un jour, de façon brève, l’art brut à sa fille Aube.
Voici dans quels termes, en effet, dans sa lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit son projet d'Almanach de l'art brut à sa fille, alors âgée de treize ans :
"Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes : par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". (Passage souligné par moi)
2009.
14:06 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : andré breton, lettres à aube, définitio nde l'art brut, art sans artistes, almanach de l'art brut | Imprimer
Commentaires
Excellente définition de Breton, à laquelle on ne peut que souscrire ! Et d'ailleurs on pourrait dire aussi bien qu'un artiste brut ne fait pas d'art, mais qu'il bâtit des palais idéaux, assemble des manèges, invente des masques en coquillages, s'enivre de dessins ou s'ensoleille de peintures, tous gestes et toutes choses qui rayonnent bien au-delà de l'art, entendu comme sphère séparée de la vie. Quoi qu'il en soit, il s'agit de savoir ce qu'on met sous les mots « art » et « artiste ». C'est leur emploi et surtout le contexte et l'intention du locuteur qui donnent leur sens aux mots, lesquels déborderont toujours des définitions des dictionnaires. Quant aux artistes certifiés d'aujourd'hui, fraîchement émoulus de quelque école d'art, ce ne sont presque toujours que de pitoyables tâcherons, et ils ne l'ignorent pas puisque, pour qualifier leur activité, ils n'ont que le mot travail à la bouche et qu'ils parlent de leurs « productions », de leurs « travaux », voire, dans ce langage administratif qui leur va si bien, de leurs « projets », et non de leurs œuvres; mais au moins, sur ce point, nous pouvons être rassurés, car, des œuvres, ils n'en laisseront pas.
Écrit par : L'aigre de mots | 15/06/2019
Oh là, là, monsieur l'Aigre, que vous aimez paraître sévère avec les artistes "certifiés d'aujourd'hui", presque toujours de "pitoyables tâcherons"...
Personnellement, ce n'est pas parce que j'aime à découvrir l'art sans artiste (au sens professionnel du terme, un artiste se définissant aussi par l'INSEE, et ayant une raison sociale, se confrontant à l'histoire de l'art, et également reconnu en tant que tel par les autres, etc.), que je jette pour autant tout ce qui se produit, se travaille, se projette ici et là dans le monde de l'art. J'emploie à dessein le vocabulaire que vous feignez d'abhorrer, comme vous voyez... Ces mots n'étant pas aussi condamnables que vous le dites, avec votre sévérité quelque peu forcée, je dois dire...
J'en profite pour ajouter, pour ceux qui n'auraient pas bien compris de quel genre de "tableaux et objets" parle Breton dans sa lettre à sa très jeune fille (d'où sa concision), qu'il ne s'agit pas de kitsch, de nains de jardin, de santons, ou de modèles réduits au plat réalisme...
Écrit par : Le sciapode | 16/06/2019
J'ai dit, cher Sciapode, «presque toujours», ce qui signifie que je conviens qu'il existe des exceptions.
Écrit par : L'aigre de mots | 17/06/2019
bonjour,
les quelques exemples cités par monsieur Breton ne sont peut-être pas les mieux choisis.
J'imagine aisément un jardinier être un artiste, de même un plombier-zingueur , un cuisinier ou un horloger.
A remarquer que le mot art est aussi d'abord associé à l'expression ''arts et métiers'' puis seulement plus tard à celle de ''beaux arts''.
Ensuite , si un fou fait de l'art est-il vraiment fou ?
Quand je vois des oeuvres de Martin Ramirez , de Carlo Zinelli, de Wolfli, d'Aloïse ou d'autres, je pense qu'ils (elles) sont plus artistes que fous (folles).
Me trompe-je ?
Bien cordialement.
kolotoko
Écrit par : kolotoko | 18/06/2019
Kolotoko,
La lettre de Breton date de 1948, et bien entendu ne se réfère pas à une époque où l'artiste et l'artisan étaient inséparables. En 1948, le terme d'artiste se réfère essentiellement aux Beaux-arts donc. Ce qui fait d'ailleurs que, parallèlement, Dubuffet part en quête de créateurs qui pratiqueraient l'art hors système des Beaux-Arts.
Votre formulation à propos des jardiniers et autres qui pourraient être aussi des artistes me paraît ambiguë. Vous auriez mieux fait de dire: "j'imagine aisément un artiste être aussi jardinier, plombier-zingueur ou horloger."
Breton dans sa lettre à sa très jeune fille (elle avait treize ans à cette date) évoque bien entendu un autre usage social de l'art, par des autodidactes qui créent avec inventivité, dans un langage bricolé à leur mesure, à leurs heures de loisirs, des oeuvres d'art (sculptures ou tableaux).
La formulation ultra simplifiée de Breton est facilement compréhensible de la part de sa gamine. Ne me dites pas que vous seriez plus dur de la feuille que cette dernière, tout de même...
Écrit par : Le sciapode | 19/06/2019
Et, selon moi, oui, un "fou" peut faire de l'art sans cesser d'être fou. La folie est un état du psychisme qui n'interdit pas de s'exprimer. Bien sûr, ceci dit à la louche, il faudrait demander aux pys de nous décliner les différentes sortes d'affections mentales, et nous dire si il en en est qui entrave l'expression.
On peut être artiste et fou, il n'y a pas à ergoter là-dessus. Pourquoi devrait-on nier la folie chez ces artistes psychotiques célèbres, comme si c'était un état honteux? Je vois la folie comme un simple état modifié de la conscience. Face auquel l'art représente bien souvent au minimum une bouée de sauvetage, et au mieux un moyen de se reconstruire pour faire un premier pas vers la liberté.
Écrit par : Le sciapode | 19/06/2019
Que les expressions de la folie puissent relever de l'art, c'est ce qu'on sait bien depuis fort longtemps : les livres de Marcel Réja et de Hans Prinzhorn en témoignent bien avant l'invention l'art brut par Dubuffet. Et que la folie soit un état du psychisme loin d'être inaccessible à ceux qui jouissent de leurs facultés dites normales a été prouvé par les essais de simulation de la maladie mentale pratiqués par Breton et Eluard dans L'immaculée conception. La folie n'implique pas « l'absence d'œuvre » comme a cru pouvoir le formuler, avec son étourderie propre au philosophe, le penseur surfait Michel Foucault.
Écrit par : L'aigre de mots | 19/06/2019