13/06/2019
Quand André Breton définissait l'art brut...
Dédicace à un vieil ami qui refuse de comprendre de quoi il retourne quand je parle d'art sans artistes...
André Breton, définit un jour, de façon brève, l’art brut à sa fille Aube.
Voici dans quels termes, en effet, dans sa lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit son projet d'Almanach de l'art brut à sa fille, alors âgée de treize ans :
"Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes : par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". (Passage souligné par moi)
2009.
14/11/2009
André Breton, lettres à Aube
Gallimard vient de publier dans la collection blanche les "Lettres à Aube" qu'André Breton a envoyées des années 30 aux années 60 à sa fille. Cette publication est le signe avant-coureur de la correspondance plus générale du poète du surréalisme que l'on verra publiée, probablement en plusieurs volumes, tant elle s'annonce profuse et variée, à partir de 2016 (conformément à ses volontés testamentaires, qui ne s'appliquaient pas à la correspondance détenue par sa femme et sa fille). Tout amateur du surréalisme ne peut que s'en enchanter. Car la vie du poète fait partie d'un ensemble uni indissolublement à son oeuvre, à son message général face à la vie et à la société, à la philosophie du surréalisme qui comme on sait n'est pas un mouvement limité à une esthétique, qu'elle soit plastique ou littéraire. Breton vivait au sein d'un faisceau de signes, d'évènements, de rencontres (importance, incroyable peut-être aux yeux d'un contemporain, de la place prise par la sociabilité dans ce qui ressort de cette correspondance... Les amis, la famille aimée, l'amour, que le poète ne cesse de réclamer autour de lui) qu'il assemblait dans une recherche attentive à en dégager les significations merveilleuses latentes.
Pour ne se cantonner qu'aux allusions à des sujets qui nous occupent plus particulièrement sur ce blog, les rapports à l'art brut, à l'art naïf et l'art populaire, on trouvera dans cette correspondance quelques notations intéressantes.
Dans la lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit à sa fille, alors âgée de treize ans, son projet d'Almanach de l'art brut (à noter qu'il ne fait aucune allusion à Dubuffet...): "Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes: par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". "Des gens qui ne sont pas artistes", c'est à souligner, en ces temps où le terme d'artistes, appliqué aux créateurs de l'art brut, ne cesse plus d'être employé à tout va. En quatre lignes, ce père attentif à faire passer ce qu'il croit bon de faire apprécier à son enfant trouve les mots clairs et accessibles, résumant finalement assez bien le sujet pour un premier contact.
Il faut attendre une dizaine d'années plus tard pour trouver dans une lettre du 16 juillet 1958 une autre allusion cette fois à son intérêt pour l'art naïf. "J'attends l'arrivée, par les soins du camionneur, d'une vingtaine de tableaux naïfs que j'ai prélevés dans la soupente de l'atelier rue Fontaine et qui me semblent devoir ici [ dans sa maison de Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot] égayer un peu tous les murs." On se demande à quoi pouvaient ressembler ces tableaux. Certains ont-ils fait partie de la vente Breton en 2003 à Drouot? Cela serait plausible, quand on se rappelle (et le catalogue de la vente par Calmels-Cohen aide à s'en souvenir) le nombre de tableaux naïfs que collectionnait Breton, par des peintres connus, Ferdinand Desnos, Hector Hippolyte, André Demonchy, Miguel Vivancos, par exemple, ou moins connus comme Alphonse Benquet, voire des peintres anonymes (le catalogue présente plusieurs oeuvres "d'auteurs non identifiés").
Breton s'est à maintes reprises passionné pour des autodidactes, comme son ouvrage Le surréalisme et la peinture le montre déjà abondamment. Une nouvelle preuve nous en est administrée à la page 121 de cette correspondance inédite (lettre du 11 septembre 1958 destinée à Aube et son mari Yves Elléouët). "Hier, avec Joyce et son mari, nous sommes allés voir ce vieux boulanger-sculpteur de Corbeil dont je crois vous avoir déjà parlé. J'ai ramené de lui un tableau ultra-naïf qui n'est pas sans charme." Eh bien, le "boulanger-sculpteur de Corbeil", ça ne vous rappelle rien, ô vous lecteurs fidèles et assidus de ce blog? Mais bon sang, c'est bien sûr, comme aurait dit le commissaire Bourrel, il s'agit là de Frédéric Séron une fois de plus! En 1958, tout le monde allait chez lui, Doisneau, J-H. Sainmont, Breton, Dumayet, Gilles Ehrmann, et même ce grand mondain frelaté qu'était Cocteau (qui avait acquis des sculptures de Séron pour sa propriété de Milly: toujours présentes?). J'aimerais bien savoir où est passée finalement ce "tableau ultra-naïf" que Breton eut la bonne idée de sauver en l'achetant... Est-ce un des tableaux étiquetés par Calmels-Cohen, "auteur non identifié", là encore (mais il ne semble pas, voir ci-dessous)? Wait and see... Qui dissipera le mystère? Pour en savoir plus sur les peintures que faisait Séron, à côté des statues qu'il avait mises dans son jardin, on se reportera au documentaire-interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA que j'ai déjà évoqué et mis en lien sur ce blog (voir ci-dessus, le nom Frédéric Séron). Deux tableaux y sont commentés, dont une "Chasse à courre" et une "Paix chez les animaux". Ultra-naïfs en effet... A noter cependant que les tableaux de Séron étaient signés à gauche en bas, selon ce que répond Séron lui-même à Dumayet dans l'interview. On devrait donc pouvoir facilement les identifier si on les retrouve...