Diabolique Formose... Méta-Formose... (02/06/2020)
Une note ancienne sur ce blog (sur le Cahier naïf de Blanche Nicard) a fait songer une de nos vieilles connaissances, Remy Ricordeau, en particulier la reproduction d'un Diable dessiné par l'enlumineur spontané Augustin Gonfond au XIXe siècle. Je le remets ci-dessous...
Augustin Gonfond, monstre d'aspect satanique, extrait de l'Ouro de Santo Ano, enluminure, 1904.
Certes, cela évoque instantanément l'iconographie traditionnelle, notamment médiévale, qui montre le Diable et ses démons, avec peut-être, dans le cas de ce Gonfond un surcroît d'inventivité avec ces cornes serpentines, cette double queue torsadée aux extrémités figurant des profils de chimères aux crocs généreux.
Ricordeau, a pensé quant à lui à des gravures repérées au cours d'une lecture d'un certain Georges Psalmanazar (1679?-1763) , bien connu des amateurs de récits de voyage imaginaire – on trouve sur lui des notices dans différents livres traitant des langages et des pays imaginaires, et surtout dans la précieuse Encyclopédie de l'Utopie et de la Science-Fiction de Pierre Versins. Il a mystifié en effet tout un aréopage de savants anglicans dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, en faisant croire à ses récits d'exploration de l'île de Formose (aujourd'hui Taïwan), où il n'était en réalité jamais allé. Sa Description Historique et Géographique de Formose, île vassale de l'Empereur du Japon, parue en 1704, contient des évocations fantaisistes des coutumes et de la vie des habitants de Formose, plus ou moins démarquées d'autres récits parlant des Aztèques et des Incas, voire de descriptions embellies de la vie au Japon. L'auteur est allé jusqu'à proposer un alphabet, et des monnaies imaginaires.
La Description de l'Île de Formose (édition anglaise), par Georges Psalmanazar (pseudonyme ; on ne sait pas le véritable nom de cet imposteur, probablement originaire de Provence, dans la région d'Avignon).
Exemples de monnaies de Formose décrites par Psalmanazar, appelées: Rochmo, Copan, Taillo, Colan, Riaon (on dirait un poème phonétique à la Hugo Ball)...
Son livre est émaillé de diverses illustrations, dont celles montrant des esprits. C'est à ces dernières que Ricordeau trouve une certaine proximité avec le Diable de Gonfond. On ne sait rien de l'auteur de ces gravures.
Idole démoniaque ; à noter la menton au pied de ce qui ressemble au socle d'une sculpture, la mention "Simon sculp." ; cette gravure figure dans l'édition anglaise du livre.
"Le prince des mauvais esprits formosans", gravure extraite de l'édition française du livre; source Gallica.bnf.fr/médiathèque du musée du quai Branly.
Si on ne peut pas trouver véritablement d'identité formelle entre les apparences de ces esprits malins, du graveur de Psalmanazar à Gonfond, on peut constater toutefois une commune exacerbation de l'imagination graphique, quasi frénétique, dans les deux cas.
19:10 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : augustin gonfond, rémy ricordeau, diable, démonologie médiévale, georges psalamanazar, mystificateurs, imposteurs, formose, taïwan, pays imaginaires, langages imaginaires, pierre versins, art fantastique | Imprimer
Commentaires
Petite rectification, mon cher Sciapode: Salmanazar n'a pas mystifié ces savants anglicans en leur faisant croire ses récits d'exploration de l'île de Formose, il se faisait carrément passer pour le premier natif de l'île venu voyager en Europe. La mystification est d'autant plus étrange qu'à voir son portrait, il n'avait pas précisément des traits asiatiques. Pour ceux qui sont curieux de cette incroyable histoire, l'article de Wikipedia en résume assez bien le déroulé:
https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Psalmanazar
Écrit par : RR | 02/06/2020
Mais avait-on beaucoup vu d'Asiatiques en Angleterre, au carrefour des XVIIe et XVIIIe siècles?
Écrit par : Le sciapode | 03/06/2020
Certes, sans doute pas énormément, mais ces anglicans mystifiés étaient comme vous le dites des "savants" donc des gens nécessairement un peu plus au courant que l'ensemble de la population des caractéristiques des peuples non-européens. Des jésuites italiens, français ou flamands étaient présents en Asie - et plus particulièrement en Chine - dès le 16ème siècle. Quoique le prosélytisme chrétien fut plus difficile en Asie que sur les autres continents, ils avaient quand même réussi à convertir quelques centaines de nouveaux adeptes. Parmi ceux-ci certains ont appris des langues européennes ont eu l'occasion de venir séjourner sur le vieux continent.
Pour ce qui concerne l'Angleterre, le plus connu est Shen Fuzong dont le portrait, reproduit dans sa fiche Wikipédia, date de 1687, (donc de la fin du 17ème siècle) et qui est mentionné dans l'excellent livre de l'historien canadien Timothy Brook sur l'histoire des relations commerciales entre l'Europe et la Chine: "La carte perdue de John Selden" (petite bibliothèque Payot)
Aussi bien à travers les récits des jésuites que ceux des commerçants, la Chine commençait alors à être bien connue, la grossière mystification de Salmanazar en est d'autant plus étonnante.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Shen_Fuzong
Écrit par : RR | 03/06/2020
Dites donc, RR, vous répudiez systématiquement le P pourtant initial dans le nom de cet imposteur, c'est voulu? Pourtant, ca permet de jolis postillons, aujourd'hui si diaboliques... Psalmanazar...
Écrit par : Le sciapode | 03/06/2020
Absolument, toute prononciation des "P" est à proscrire en l'absence de masque protecteur.
Écrit par : RR | 03/06/2020
Tout cela me fait penser à la langue tanzan, à son alphabet, à sa grammaire si complexe, et particulièrement à son système de numération absolument inouï. Je conserve dans mes archives quelques volumes du "Précis de grammaire du tanzan", dont l'étude défie tout entendement.
Écrit par : Régis Gayraud | 03/06/2020
Moi, zaime rarement la langue tanzan. Seulement de tanzan temps.
Écrit par : Le sciapode | 03/06/2020
Dites-moi, M. Garrot-Gayraud, cette langue Tanzan, c'est-y pas un peu de l'écrit brut, queuqu'chose comme un langaj'excentrik ?
Écrit par : Félicie Corvisart | 03/06/2020
C'est pas du Tanzan de Tanzanie en tout cas, on suppose. M'étonnerait que M. Gayraud soit allé chercher de ce côté-là.
Écrit par : Le sciapode | 03/06/2020
Le premier volume du Précis s'appelle "Précis de grammaire tanzanienne", donc je pense que si, ça provient quand même de là-bas. L'ennui, c'est que Tanzanie est un mot-valise issu des méninges de géographes et d'hommes d'Etat, formé du nom de deux régions, Tanganyika et Zanzibar, donc c'est forcément, sans doute, une langue inventée.
Écrit par : Régis Gayraud | 04/06/2020
AAAHiiAhiahHAAhaouhaaaaaa!
Écrit par : Tarzan | 04/06/2020