04/02/2021
L'Enfer, et les péchés capitaux qui, paraît-il, y mènent tout droit...
A. Dip..., sans titre (les péchés capitaux et l'enfer), huile sur Isorel, 26 x 40 cm, sans date, photo et collection Bruno Montpied..
Colère, orgueil, avarice, paresse, luxure, gourmandise, envie... De gauche à droite, ces mots sont inscrits. A chaque fois, ils sont illustrés de saynètes où des démons rouges comme les feux de l'enfer tarabustent les pécheurs, peints en bleu ou gris, symbolisant chaque péché capital. Le colérique tire les cheveux d'un personnage qui se renverse devant lui, ayant déjà perdu une touffe de sa chevelure, semble-t-il. Un diablotin s'enfuit avec le sac d'or d'un avare affolé qui lui court après. Trois démons se moquent d'un couronné ventripotent en retenant sa cape trop longue, ce qui le met sur le point de tomber en arrière. Le paresseux vautré sur un siège se fait titiller par un diable qui le pique sous le menton à l'aide d'une lance. La gourmandise et l'envie batifolent, dévorés par leur appétit qui métamorphose le ventre de l'un des deux en un visage à la bouche grande ouverte. Une femme nue aux seins lourds danse avec un être décharné que l'amour (symbolisé par une rose qu'il tient à la main) consume, tandis qu'un premier démon s'apprête à lui percer le flanc et qu'un second se prépare à les saisir. Sans doute pour les précipiter dans les marmites géantes et les flammes que l'on aperçoit en arrière-plan, au sommet de la composition, où d'autres pécheurs sont jetés pêle-mêle, certains tentant d'échapper à leur sort dans un ultime sursaut. Le roi des diables est assis sur un piédestal au centre, présidant aux supplices et à la damnation, curieusement habillé d'une veste à capuche qui laisse voir sa barbiche noire et pointue (il paraît avoir les jambes nues, chaussures aux pieds, et porte un curieux slip détendu qui laisse voir des poils de son pubis...). Il tient de sa main gauche un trident où paraît embroché un corps tandis que sa main droite écarte sept doigts, sept comme les péchés capitaux, semble-t-il rappeler aux spectateurs qui n'auraient décidément pas compris...
Ce tableau, trouvé aux Puces de Vanves, est signé, mais son écriture s'avère difficile à déchiffrer : A. Dip... eux? A. Dipunz? Je n'ai rien trouvé sur le Net qui puisse éclairer sur l'artiste auteur de cette peinture se voulant édifiante avec un écho lointain des tableaux médiévaux représentant les tourments de l'enfer promis par les gens d'église aux pécheurs de tous poils... La touche de ce petit Bosch naïf m'a sauté aux yeux et m'a séduit aussitôt.
01:23 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art insolite, Art naïf, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : enfer, sept péchés capitaux, diable, démons, diablotins, gens d'église, art naïf, feux de l'enfer, a. dipunz, bosch naïf, moyen-âge, colère, orgueil, avarice, paresse, gourmandise, luxureenvie | Imprimer
02/06/2020
Diabolique Formose... Méta-Formose...
Une note ancienne sur ce blog (sur le Cahier naïf de Blanche Nicard) a fait songer une de nos vieilles connaissances, Remy Ricordeau, en particulier la reproduction d'un Diable dessiné par l'enlumineur spontané Augustin Gonfond au XIXe siècle. Je le remets ci-dessous...
Augustin Gonfond, monstre d'aspect satanique, extrait de l'Ouro de Santo Ano, enluminure, 1904.
Certes, cela évoque instantanément l'iconographie traditionnelle, notamment médiévale, qui montre le Diable et ses démons, avec peut-être, dans le cas de ce Gonfond un surcroît d'inventivité avec ces cornes serpentines, cette double queue torsadée aux extrémités figurant des profils de chimères aux crocs généreux.
Ricordeau, a pensé quant à lui à des gravures repérées au cours d'une lecture d'un certain Georges Psalmanazar (1679?-1763) , bien connu des amateurs de récits de voyage imaginaire – on trouve sur lui des notices dans différents livres traitant des langages et des pays imaginaires, et surtout dans la précieuse Encyclopédie de l'Utopie et de la Science-Fiction de Pierre Versins. Il a mystifié en effet tout un aréopage de savants anglicans dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, en faisant croire à ses récits d'exploration de l'île de Formose (aujourd'hui Taïwan), où il n'était en réalité jamais allé. Sa Description Historique et Géographique de Formose, île vassale de l'Empereur du Japon, parue en 1704, contient des évocations fantaisistes des coutumes et de la vie des habitants de Formose, plus ou moins démarquées d'autres récits parlant des Aztèques et des Incas, voire de descriptions embellies de la vie au Japon. L'auteur est allé jusqu'à proposer un alphabet, et des monnaies imaginaires.
La Description de l'Île de Formose (édition anglaise), par Georges Psalmanazar (pseudonyme ; on ne sait pas le véritable nom de cet imposteur, probablement originaire de Provence, dans la région d'Avignon).
Exemples de monnaies de Formose décrites par Psalmanazar, appelées: Rochmo, Copan, Taillo, Colan, Riaon (on dirait un poème phonétique à la Hugo Ball)...
Son livre est émaillé de diverses illustrations, dont celles montrant des esprits. C'est à ces dernières que Ricordeau trouve une certaine proximité avec le Diable de Gonfond. On ne sait rien de l'auteur de ces gravures.
Idole démoniaque ; à noter la menton au pied de ce qui ressemble au socle d'une sculpture, la mention "Simon sculp." ; cette gravure figure dans l'édition anglaise du livre.
"Le prince des mauvais esprits formosans", gravure extraite de l'édition française du livre; source Gallica.bnf.fr/médiathèque du musée du quai Branly.
Si on ne peut pas trouver véritablement d'identité formelle entre les apparences de ces esprits malins, du graveur de Psalmanazar à Gonfond, on peut constater toutefois une commune exacerbation de l'imagination graphique, quasi frénétique, dans les deux cas.
19:10 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art insolite, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : augustin gonfond, rémy ricordeau, diable, démonologie médiévale, georges psalamanazar, mystificateurs, imposteurs, formose, taïwan, pays imaginaires, langages imaginaires, pierre versins, art fantastique | Imprimer
24/09/2017
Poupée du diable
José Guirao, Poupée du diable, photo de mobile, 2017.
20:18 Publié dans Photographie, Tel quel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : josé guirao, photographie, poupée, diable | Imprimer
12/04/2014
Art brut à Taïwan (4): Le jardin en folie d’un aborigène Amei, par Remy Ricordeau
Le jardin en folie d’un aborigène Amei
Après avoir traversé la montagne d’Ouest en Est, je suis arrivé sur la côte pacifique de Taiwan. La région qui s’étend de l’estuaire des gorges de Taroko, un peu au nord de Hualien, jusqu’à la ville de Taidong, plus au sud, est une zone de peuplement aborigène. Jusqu’à sa sinisation plus ou moins forcée à l’époque de la colonisation japonaise (de la fin du XIXe siècle à la fin de la seconde guerre mondiale), la région était essentiellement habitée par les aborigènes Amei. Si à l’époque moderne beaucoup d’entre eux ont dû s’exiler pour chercher du travail en ville (le plus souvent comme manœuvres sur des chantiers de construction), beaucoup ont gardé des attaches avec la terre de leurs ancêtres et reviennent s’y établir à l’âge de la retraite. C’est le cas de Wu Tianlai qui, issu d’une famille de paysans Amei, avait quitté sa région pour gagner sa vie comme jardinier sur les terrains de golf à Taiwan et ultérieurement au Japon avant de revenir s’établir sur sa terre d’origine.
Portrait de Wiu Tianlai par son fils Wu Zhexiong, DR
Empreint de la culture traditionnelle Amei très respectueuse de la terre, dans le sens symbolique communautaire autant qu’écologique du terme, il avait hérité d’un terrain en bordure de mer au lieu-dit de la montagne aux buffles (Niu shan).
Wu Tianlai, Le buffle en matériaux naturels trouvés et assemblés, mis en situation au-dessus de la propriété, photo Remy Ricordeau, 2014
Wu Tianlai, entrée du site, ph. RR, 2014
Wu Tianlai, côté plage, l'arbre à tongs, ph. RR, 2014
Il y a plus d’une vingtaine d’années, il entreprit de le mettre en valeur en l’agrémentant de quelques-uns des nombreux bois flottés trouvés sur les plages environnantes. Dans un premier temps, il se contenta de les choisir en fonction de leurs formes suggestives sans autres interventions de sa part. Mais dans un second temps il se prit au jeu de les transformer légèrement en ajoutant quelques traits de peinture ou en effectuant quelques entailles sur le bois pour accentuer les formes qu’il voulait faire apparaître.
Doué d’un goût certain dans le choix de ses matériaux et d’un sens de l’humour non dénué de provocation, l’âge de la retraite venant, il décida de diversifier ses activités créatrices. Renouant avec la tradition totémique de ses ancêtres, il réalisa quelques sculptures de grande taille. Mais ce retour à la tradition s’effectua en vérité pour mieux la transgresser car beaucoup de ces sculptures sur bois comportent en effet des connotations grivoises assez peu orthodoxes. Ainsi prenait forme petit à petit un jardin en liberté dont il avait rêvé au cours de sa vie de jardinier salarié. Pour parachever le bestiaire qu’il s’était déjà créé, il s’initia enfin au travail du ciment afin de réaliser des pièces trop volumineuses pour être exécutées en bois.
Wu Tianlai, une partie du bestiaire, ph. RR, 2014
Wu Tianlai, l'intellectuel..., ph. RR, 2014
Wu Tianlai, I love you, ph. RR, 2014
Wu Tianlai, le diable en érection, ph. RR, 2014
Fidèle à sa philosophie il sensibilisa son fils, Wu Zhixiong, à la nécessité de respecter le lieu et lui transmit le terrain pour lui permettre d’y vivre en ouvrant un café et un gîte afin d’y recevoir des visiteurs de passage. Lorsque je m’y suis rendu, ceux-ci étaient peu nombreux. Wu Tianlai et son fils étaient en outre absents, partis pour la journée effectuer quelques travaux à l’extérieur. Seule sa belle fille présente pour servir les clients put répondre à quelques-unes de mes questions. Elle m’expliqua que depuis plusieurs années déjà père et fils travaillaient de conserve à l’entretien et à l’embellissement du jardin. Elle me raconta qu’un an auparavant une partie des sculptures en bois avaient été détruites par un incendie consécutif à un court circuit. Depuis, le père et le fils avaient mis les bouchées doubles pour créer de nouvelles sculptures ou, tirant partie des œuvres en partie calcinées, avaient réussi à les intégrer de nouveau au jardin afin de rendre le lieu à sa magie originelle. Aujourd’hui, le fils étant devenu aussi créatif que son père, le jardin pouvait donc être considéré comme une œuvre conjointe.
Wu Tianlai, sculpture calcinée, ph. RR, 2014
Dans ce décor grandiose entre mer et montagne, il émane de ce jardin de la montagne aux buffles un souffle magique étonnant empreint d’une grande sérénité. L’originalité du lieu me semble tenir au fait qu’il relève autant de la poésie naturelle que de la création brute. Mais foin de catégorisation car du fait de l’origine ethnique de ses créateurs, il est également un exemple intéressant de ce que l’on pourrait appeler un art populaire transgressif ; c'est-à-dire d’un art populaire qui s’est émancipé des caractéristiques traditionnelles dont ses créateurs se sentent par ailleurs héritiers. Ainsi l’avenir de l’art et de la culture Amei passe assurément par le jardin de la montagne aux buffles.
Remy Ricordeau
00:56 Publié dans Art Brut, Environnements populaires spontanés, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : wu tianlai, jardin de la montagne aux buffles, aborigènes amei, aborigènes de taïwan, art brut taiwanais, environnements spontanés taïwanais, poésie naturelle, diable, sculpture sur bois brûlé, totems, bois flottés | Imprimer
16/02/2013
La montagne de la tête
Ce soir, j'ai envie de m'épancher, de me répandre à propos d'un de mes dessins produit durant ces deux derniers jours. Vite arrivé... Et pourtant, pour une fois, j'en suis fort satisfait. C'est un bébé qui n'a pas l'air comme les autres. Dans le flot (façon de parler!) de ma production, il y a en effet pas mal de clones, de répétitions, de visages et de compositions déjà-vus. Des leitmotivs, des séries, des obsessions, des façons de composer ou de tracer qui reviennent régulièrement, parfois après de longues éclipses, mais tout de même persévérantes, refaisant surface fidèlement de loin en loin. Et puis, il y a les cas à part, les enfants uniques, les solitaires, et c'est généralement à ceux-ci que je m'attache, que je n'aime pas vendre et laisser partir. Le dernier venu est du lot.
Bruno Montpied, La Montagne de la tête, 29,7x21 cm, 2013
De taches d'encre semées au début, distribuées aléatoirement sur la feuille de papier, avec des frottages de mine de plomb, de crayons noirs dont les traits, les gribouillis furent étalés au doigt - technique souvent utilisée ces temps derniers - peu à peu, en rajoutant ici et là des traits apposés comme souvent, au jugé, a fini par émerger tout d'un coup une tête, une énorme tête, aux dimensions d'un paysage. Fichée, tel un chef coupé sur une pique de Sans-Culotte, mais cette fois au sommet d'un pic, d'une montagne à l'horizon. Cette dernière se reconnaît du reste grâce à ses verts pâturages où paissent de drôles de ruminants, où se pavane un volatile faisant l'important. Des têtes monumentales de ce calibre, je n'en ose pas si souvent que cela. Je l'ai laissée venir par hasard, elle s'est imposée à mon regard, plusieurs heures après avoir été dessinée, ou du moins après que les traits, les frottis et les taches qui la constituent eurent été posés, chargés de représenter autre chose, en l'occurrence des surfaces abstraites, et des corps en équilibre improbable (le personnage ocre) ou comme virevoltant...
Tout à coup, je vis une tête aux yeux complètement assymétriques, une mèche lui tombant tout du long de sa joue droite, manquant de couvrir la bouche ocre (qui est simultanément le corps du personnage en équilibre), vaguement boudeuse, mais aussi à l'expression résolue, têtue. Ce personnage ocre tend le bras gauche vers l'œil droit de la tête géante comme cherchant à recueillir ce globe oculaire prêt à se détacher de son orbite telle une larme en formation. De son bras droit, il tient en équilibre sur une barre, où reposent également ses deux jambes (une "cinquième jambe" qui a tout l'air d'une espèce de phallus considérable se fait sentir ou embrasser par les lèvres lippues d'une ombre de bestiole, hésitant entre ombre et nuage...). La barre paraît tenue assez fermement dans un manchon, ou un immense gant de boxe d'un ocre presque brun, placé sous le menton d'un personnage barbichu assis sur un curieux fauteuil rouge (un fauteuil dont le dossier rampe en épousant le bas du dos du barbichu). Ce dernier porte des sortes de minuscules nattes rigidifiées, hérissées et terminées par des perles. De la tête gigantesque poussent des excroissances ténébreuses qui ressemblent à des cornes assez semblables à celles d'un bouc. Est-ce le Diable ?
Souvenir, réminiscence d'une randonnée ancienne en montagne dans le Mercantour avec Christine, lorsque au bout de trois ou quatre jours d'ascension continue depuis la mer Méditerranée, voyant à l'horizon le col vers lequel nos pas nous portaient et nous emportaient, nous rêvions sur le nom de cette barre rocheuse plus haute que tous les reliefs avoisinants, le Pas du Diable, immense chaos rocheux que nous escaladâmes dans un silence sauvage, des filaments nuageux glissant par-dessus nous qui montions, épuisés et oppressés? Au sommet, après un petit défilé, nous trouvâmes un petit lac comme un miroir de bijoutier, et en dessous une étroite vallée très minérale qui par un sentier artificiellement tapissé d'un semis de gravier écru et bordé de fleurs fragiles et minuscules nous permit de descendre, en extase, vers la Vallée des Merveilles où d'autres randonneurs nous attendaient, ayant transformé par l'affluence de leurs tentes de camping le site en un nouveau Woodstock transféré par magie (si l'on peut dire...) dans les Alpes.
23:29 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : bruno montpied, têtes, montagnes, art singulier, pas du diable, mercantour, diable, vallée des merveilles, woodstock | Imprimer