Un Barbu Müller assez faible, et qui plus est, donné sans preuve à Antoine Rabany (21/06/2023)
Voici comment est annoncée, dans le cadre d'une exposition actuelle à la galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch à Strasbourg, la vente d'un Barbu Müller à double visage. On n'y hésite pas à nommer Antoine Rabany comme son auteur. Alors qu'il n'existe aucun indice pour ce faire...! S'il s'agit vraiment d'une sculpture rattachable à l'ensemble des pièces surnommées par Dubuffet "Barbus Müller" – ce qui n'est pas déjà évident étant donné le peu d'éléments stylistiques permettant de l'affirmer à coup sûr ; et si ça en fait partie, en tout cas, on conviendra qu'il s'agit là d'une pièce assez faible du point de vue esthétique –, il faudrait apposer en légende "attribué à Antoine Rabany" (parce que, par association avec certaines caractéristiques stylistiques, on a pris l'habitude de mettre ce genre de légende à côté des "Barbus Müller" non immédiatement prouvées par moi comme étant dues à cet auteur, notamment dans le catalogue de l'expo sur les B.M. au Musée Barbier-Mueller à Genève en 2020). Mais ici, à Strasbourg, on ne s'embarrasse pas de scrupules... On s'imagine peut-être qu'avec ce nom devenu un sésame, on vendra bien mieux. Signalons que cette pièce provient de l'ancienne collection d'ABCD Bruno Decharme. Si ce dernier l'a revendue et non pas incluse dans la donation de près de mille œuvres qu'il a faite au Musée National d'Art Moderne l'année dernière, contrairement à un autre Barbu Müller un peu plus réussi (voir ci-dessous), c'est qu'il doit y avoir une raison... Mais ce que j'en dis, moi...
Barbu Müller Pierre de lave 29 x 20 x 20 cm
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22:22 | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : barbus müller, antoine rabany dit le zouave, galerie ritsch-fisch, attribution, art brut, bruno montpied, musée barbier-mueller | Imprimer
Commentaires
DOSSIER RABANY / BARBUS MÜLLER
1/ Bruno Montpied fait une enquête pour retrouver la source des œuvres dites, des Barbus Müller.
2/ Il identifie son auteur, Antoine Rabany et le lieu de sa création. Une photo présente un nombre très important de ses œuvres (on ne saura jamais s’il en existait d’autres chez lui).
3/ Nous possédons la plaquette historique qui montre un ensemble de sculptures dites, des Barbus Müller.
Si les pièces du puzzle semblent réunies pour écrire une histoire des Rabany/Barbus Müller, en réalité aucune certitude n’est possible dans ce dossier, pour la raison que la photo prise chez Rabany est de médiocre qualité. Pourtant Bruno Montpied parvient à identifier quelques pièces. On en retrouve certaines reproduites dans la plaquette historique et d’autres dans des collections, mais pas toutes. Pas toutes… là est le problème : rien ne prouve en effet que celles de la plaquette et d’autres en circulation qui n’ont pu être identifiées sont des œuvres de la main de Rabany.
L’affaire en resterait là avec ses ombres et ces délicieux mystères si Bruno Montpied n’avait pas décidé de remiser son habit d’enquêteur pour endosser celui d’expert. Comme cette expertise ne repose que sur quelques preuves parcellaires il lui est venu l’idée d’étayer sa mission en suivant le chemin périlleux du style. Sur des analyses esthétiques plutôt vaseuses et contestables notre expert s’est mis à distribuer des certificats d’authenticité. Une démarche risquée, voir oiseuse, pour la raison que l’œuvre de Rabany/Barbus Müller est particulièrement hétéroclite (cf. la différence entre les œuvres en granite et celles en pierre volcanique). Par conséquent, les arguments de formes qui attesteraient d’une attribution de signature peuvent aisément trouver leurs contre exemples.
En résumé, pour le dossier Rabany les seules œuvres - moins d’une dizaine - que l’on peut affirmer être de la main de cet auteur sont les quelques-unes identifiées sur la photo. Pour les autres la distribution des bons ou des mauvais points ne sont que spéculation. Le rôle de Bruno Montpied comme enquêteur fut déterminant et nous lui en sommes tous reconnaissants mais son costume d’expert autoproclamé fondé sur des impressions stylistiques ne lui va pas.
Pour ce qui concerne l’œuvre qu’il a identifié à la galerie Ritsch Fisch elle vient d’une collection prestigieuse qui a vu passer bon nombre de Barbus Müller. J’avais montré cette pièce à Jean Paul Barbier-Mueller; à cette époque nous avions commencé à imaginer une exposition de ces sculptures. Jean-Paul aimait cette pièce dont la rudesse et l’expressivité le touchait, avec son œil malicieux il me faisait remarquer que peut-être je l’aimais particulièrement parce qu’elle est très « brute » au contraire d’autres plus décoratives… c’est effectivement mon avis, mais je ne prétendrai jamais être un expert, NON ! un simple regard… subjectif, très subjectif.
Les Barbus Müller restent - et c’est tant mieux - une affaire de goût, de regard. Bruno Montpied a le sien, j’ai le mien et d’autres ont le leur mais de grâce laissons les pseudos experts derrière la porte de l’art brut.
Moi ce que j’en dit….
Écrit par : BD | 22/06/2023
Je vais reprendre dans l'ordre les éléments du commentaire précédent de Monsieur BD (aux initiales transparentes) relatif au dossier Rabany/Barbus Müller:
"Une photo présente un nombre très important de ses œuvres (on ne saura jamais s’il en existait d’autres chez lui)".
Pas exactement! Mes recherches au départ se sont basées, quant au jardin d'Antoine Rabany, sur DEUX paires de clichés-verre, et non pas sur "une photo". Et qu'est-ce qui permet d'affirmer, comme BD le fait, que l'on ne saura "jamais" s'il existait d'autres œuvres chez lui. Dans mon étude parue dans le catalogue de l'exposition sur les Barbus Müller montée par le Musée Barbier-Mueller à Genève en 2020, j'ai d'ailleurs révélé une sculpture de Rabany qui se trouve encore aujourd'hui incrustée dans le mur de son ancienne maison, à l'intérieur du village de Chambon sur Lac.
"Aucune certitude n’est possible dans ce dossier, pour la raison que la photo prise chez Rabany est de médiocre qualité. Pourtant Bruno Montpied parvient à identifier quelques pièces."
Médiocre qualité... C'est sûr qu'on n'est pas dans les super photos d'aujourd'hui où l'on peut décompter tous les poils d'un bouc sur son derrière, mais tout de même, photographié sur verre, et agrandi, le jardin où Rabany rangeait ses sculptures présente des statuettes, essentiellement des têtes, que l'on peut, me semble-t-il, tout à fait reconnaître en les comparant aux pièces dites "Barbus Müller" qui sont dans diverses collections (les plus marquantes étant au Musée Barbier-Mueller de Genève qui en a une dizaine). BD me fait passer pour une sorte d'halluciné avec sa phrase "Pourtant Bruno Montpied parvient à identifier quelques pièces". Autant dire "Bruno Montpied fait du délire d'interprétation", "Bruno Montpied a la berlue". Technique de disqualification, bien sûr, et c'est pas bien gentil, c'est même carrément malveillant.
Sur la question des Rabany ou pas... Je l'ai dit plusieurs fois, mais la plupart de mes interlocuteurs ne le retiennent pas, parce que c'est assez compliqué : personnellement je distingue deux ensembles: les Barbus dits Müller qui proviennent de chez Rabany, selon moi (ce n'est pas une vérité absolue bien entendu, mais il y a de très forts points communs ; j'en dénombre environ 12, et non pas, comme l’écrit BD, « moins d’une dizaine ») et les Barbus dits Müller qui font partie de diverses collections, qui pourraient être de la main de Rabany mais sans qu'on en ait la preuve (pas de photos, pas de témoignages). Il se peut très bien que, dans le corpus total (une cinquantaine de pièces y sont actuellement dénombrées par moi comme étant rangées dans les "Barbus Müller", dont les 12 précédemment citées), quelques rares sculptures proviennent d'autres auteurs dont le style est proche (d'autant que ces sculptures très stylisées ont des cousines innombrables dans le corpus des pierres anonymes figuratives primitivistes). Mais dans l'ensemble, les sculptures de ce corpus ont un air de famille indubitable, je trouve, qui fait qu'il n'est pas idiot de les associer à un seul et même auteur.
BD écrit ensuite: "L’affaire en resterait là avec ses ombres et ces délicieux mystères si Bruno Montpied n’avait pas décidé de remiser son habit d’enquêteur pour endosser celui d’expert. "
Je ne me pose nullement en expert, ce sont, depuis deux ventes seulement, des maisons de vente qui sont venues me demander conseil et éclairages possibles (dont une qui a fait sortir un nouveau Barbu de Rabany, j’en ai parlé sur ce blog). Je n'ai touché aucun subside à la suite de mes réponses, car je ne suis absolument pas expert au sens professionnel du terme. A force de m'être aiguisé le regard sur ces statuettes, j'ai simplement acquis une sorte d'intuition et de connaissance propres à tous ceux qui fréquentent avec passion une œuvre précise. Et si je donne mon avis, je n'ai jamais cherché à l'imposer. Mes interlocuteurs sont libres d'y accorder du crédit ou pas.
BD me reproche de m'appuyer sur des caractéristiques stylistiques "vaseuses et contestables", "oiseuses" (n'en jetez plus)... Et pourtant, tous ceux qui ont rassemblé tous les Barbus présents dans des collections, ne peuvent s'empêcher de repérer des traits caractéristiques qui donnent auxdits Barbus leur carte d'identité (ou un air de famille comme je viens de le dire plus haut), pourrait-on dire. Je les énumère dans mon étude du catalogue de l'expo de Genève, je ne vais pas y revenir ici.
Il existe un argument que donne BD pour sa critique de mon travail qui mérite plus d'attention.
C'est celui des variantes stylistiques en fonction des matériaux, granit ou roche volcanique. C'est une question qui reste actuellement à trancher. De quelles roches sont faites les sculptures de Rabany ou celles des Barbus Müller? Il faudrait qu'un géologue spécialisé dans le volcanisme vienne nous décrire s'il y a bien une grande disparité dans les roches utilisées dans ce corpus.
Si l'on se tourne vers les sculptures des clichés-verre, on s'aperçoit que la majorité de celles qui sont visibles sont claires sur la photo, avec des formes très rondes. D'autres plus sombres sont très difficile à discerner. Les claires sont-elles en granit, les sombres dans une roche plus typiquement volcanique (avec couleur violacée, comme la pouzzolane du Velay)? Si l'on fouille un peu dans l'iconographie des Barbus, on tombe rarement sur des pièces plus déchiquetées, et donc plus du tout arrondies, La seule source iconographique avec des pièces très chaotiques, semblant être donc en basalte sombre, c'est dans la documentation photographique de Dubuffet qu'on la trouve (éditée par la collection de l'Art Brut à Lausanne). On y aperçoit deux "Barbus" (les n° 17 et 18) assez grumeleux et plus du tout ronds. Il reste cependant que même ceux-ci ont des lèvres épaisses, un nez en goutte, des globes oculaires très creusés... Une sorte de curieux ver à tête humanoïde qui figure dans cette documentation paraît tellement hors série que l'on se demande si l'on peut vraiment qualifier cela de "Barbu Müller". Je pense d'ailleurs - tant pis si je parais sacrilège en disant cela - que Dubuffet n'était pas forcément très rigoureux en matière de rangement dans la série de Barbus Müller qu'il cherchait à acquérir ou qu'il acquit.
Rabany paraît avoir utilisé un granit - ou une roche proche du granit - autorisant une sculpture où le ciseau taille plutôt en suivant des courbes, comme François Michaud le faisait dans la Creuse (c'est d'ailleurs pourquoi je les ai rapprochés dans mon étude du catalogue).
BD me paraît donc se tromper quand il affirme que l'œuvre de celui qui tailla les "Barbus" était "hétéroclite". Non, elle a au contraire une assez belle unité, comme cela a été prouvé dans les récentes expositions de Genève et de Clemont-Ferrand (Musée Roger Quillot, commissaire d'expo Pauline Goutain). Mais BD est-il seulement allé les visiter? Plus généralement, j'en viens même à me demander si BD connaît si bien que ça les Barbus Müller, et si ses informations ne datent pas un peu trop...
En fait dans toute la diatribe anti Montpied de BD, ce qu'il faut surtout retenir c'est qu'il a été vexé que je qualifie, dans ma note ci-dessus, le Barbu de chez Ritsch-Fisch, indûment qualifié d'œuvre d'Antoine Rabany (cela ne l'a pas gêné apparemment, alors que c'est une manipulation assez indigne, car elle peut tromper les acheteurs potentiels sur la marchandise: on a (peut-être) affaire à un "Barbu Müller" mais pas nécessairement à un Rabany, et à l'heure où les Rabany se vendent 100 000 € cela fait une sacrée différence!), "d'œuvre faible"... Et pourtant, si je suis un simili connaisseur, faux expert oiseux, pourquoi s'effaroucher à ce point de mon jugement de valeur, au point de faire appel aux mânes d'un grand nom de l'histoire des Barbus, Jean-Paul Barbier-Mueller himself...?
Écrit par : Le sciapode | 23/06/2023
Vexé non, agacé oui par les donneurs de leçons et moralisateurs qui se drapent dans les habits de la rigueur et dans le même temps assènent des informations partiellement erronées.
Pour info et rectifier l’assurance de Bruno Montpied sur la question d’une cote ++ des Barbus Müller quand la signature Rabany leur est reconnue. Bien avant la découverte des 11 Rabany/Barbus Müller, certaines pièces atteignaient déjà, sur le marché, des prix conséquents souvent à plus de 100.000€ voir 150.000€ et plus. La découverte de Rabany n’a pas changé grand-chose au marché. Il suffit de prendre deux exemples récents d’œuvres passées en vente publique en 2022 : l’une « attribuée à Antoine Rabany » à fait 100.000€ au marteau, l’autre, pourtant certifiée de la main d’Antoine Rabany par notre expert (remercié par le commissaire priseur) n’a fait que 90.000€. De son côté un ami collectionneur vient de céder une belle pièce qui ne fait pas partie du club des 11 pour la somme de 170.000€.
De mon point de vue, simple collectionneur, je pense que les Barbus Müller ont leur force, leur mystère, leurs différences, les amateurs qui ont l’œil ne s’y trompent pas et se fichent de l’avis des professeurs en Rabanytologie (pardon pour la facilité dont je confesse la petitesse). Bref, la signature ou pas de Rabany ne change rien aux échanges et c’est tant mieux. Encore une preuve réjouissante que les œuvres d’art brut échappent souvent (encore un peu ?) à certains usages dans l’art.
BD
Écrit par : Bruno Decahrem | 25/06/2023
Alors, si vous ne pensez pas que l'article du Sciapode peut porter préjudice à la vente de votre sculpture, mais alors, de grâce, fermez-la, mon vieux, ne vous plaignez pas, faites-vous tout petit et évitez-nous cet étalage. Bravo pour votre ami, mais 170.000 euros, moi, il me faut quasiment dix ans de ma vie pour les gagner, et je n'ai pas d'ami comme le vôtre. Alors, fermez-la, de grâce, mais fermez-la!
Écrit par : Bousquetou | 25/06/2023
170 000 euros pour une sculpture, il semble que ça n'est pas "échapper à certains usages dans l'art"...malheureusement.
Écrit par : Darnish | 25/06/2023
En effet, Darnish, je ne vous l'envoie pas dire!
Écrit par : Le sciapode | 25/06/2023
Cher Monsieur,
Pour ma part je mène ma petite vie de collectionneur dans mon coin. Comme beaucoup de collectionneurs j’achète et parfois je revends pour avoir les moyens de racheter et améliorer la collection. Et je donne… je donne beaucoup.
Cela faisait des années que je n’avais rendu visite à ce blog. On m’a signalé un post me concernant et assez agressif, j’y réponds, c’est tout. Je relate certaines rencontres entre collectionneurs, je témoigne de mon expérience, je ne juge personne et ne me scandalise pas de ceux qui ont plus de moyens que d’autres, chacun a son rythme, fait ses choix, fait comme il veut, comme il peut. Je me réjouis de voir des merveilles dans des musées et ailleurs et remercie ceux qui ont permis qu’elles soient ainsi réunies pour en faire profiter les autres.
Là-dessus je m’en retourne à mes chères études, dans ma bulle.
Belle journée
Bruno Decharme
Écrit par : Bruno Decharme | 26/06/2023
"Comme beaucoup de collectionneurs j’achète et parfois je revends pour avoir les moyens de racheter et améliorer la collection..." Rapprochons cette déclaration de Bruno Decharme de ce qu'il trouve "agressif" sans doute à la fin de ma note ci-dessus: "Signalons que cette pièce provient de l'ancienne collection d'ABCD Bruno Decharme. Si ce dernier l'a revendue et non pas incluse dans la donation de près de mille œuvres qu'il a faite au Musée National d'Art Moderne l'année dernière, contrairement à un autre Barbu Müller un peu plus réussi, c'est qu'il doit y avoir une raison..." Eh bien, en quoi ceci est agressif? Nous l'avons la raison: BD revend pour améliorer sa collection par d'autres achats. Mais peut-être, inspiré par ses amis qui revendent 170 000 € (où ça? quand ça? Quel Barbu Müller? On est obligé de le croire sur parole...), a-t-il bien vendu ses deux têtes de BM indûment décernés à Rabany par le galeriste (par le galeriste et pas par lui, je le souligne)? D'autant que depuis qu'il a fait sa donation ("Je me réjouis de voir des merveilles dans des musées et ailleurs et remercie ceux qui ont permis qu’elles soient ainsi réunies pour en faire profiter les autres" Merci, Bruno Decharme, donc, puisqu'il sollicite si ouvertement notre gratitude...), il peut y avoir des chances que cela ait fait grimper les cotes des autres œuvres restées dans sa collection. Tout ceci est de bonne stratégie, "je revends et j'achète"...
Je ne suis pas non plus de "ceux qui se scandalisent de ceux qui ont plus de moyens que d'autres". Mais en revanche, je trouve normal d'informer le public sur ces stratégies, et concernant la galerie qui veut vendre cette double tête, d'insister sur ce cartel fautif qui peut tromper de manière intéressée le public.
Je persiste à me demander en effet si le dévoilement du nom de Rabany a fait monter la cote, je me le demande, je ne l'affirme pas. Si Bruno Decharme ne donne pas les dates, les lieux où il dit avoir enregistré des ventes à plus de 100 000 € AVANT la date de la révélation de mon enquête (avril 2018), je ne vois pas de raison de remettre en question cette interrogation. Car selon les infos que j'avais en 2018, les Barbus se négociaient à l'époque (par exemple cette même année 2018, juste après la première publication de mon enquête sur ce blog), quand un marchand est venu me demander mon avis sur une statue qui devait se vendre trois ans plus tard - avis demandé à un connaisseur plutôt qu'à un expert, je m'empresse de le préciser -, à des estimations tournant plutôt autour des 40 000€.
Bien sûr, ces prix de vente ne sont pas seulement fonction du nom de Rabany, entrent aussi en ligne de compte la qualité esthétique de la pièce vendue, son mystère, comme dit Decharme, et aussi la provenance, la collection prestigieuse ou non, dont elle sort. Par exemple, un Barbu, pas spécialement beau à mon goût, en provenance de la collection Inna Salomon, partit à 110 000€ chez Christie's début 2022. Celui d'octobre 2022 par la maison de ventes Ferri (dont l'expert, Martine Houzé, me demanda mon avis, une fois de plus comme connaisseur, et c'est tout) partit aussi à 110 000 € aussi (je compte les frais de vente et non pas les prix "au marteau"). L'œuvre était plus belle que celle de chez Christie's et de plus, effectivement, provenait des 12 repérés de Rabany. Mais le collectionneur, François Canavy, d'où elle provenait, était moins réputé et moins connu qu'Inna Salomon.
Un dernier Barbu Müller, peut-être moins singulier et mystérieux, en provenance d'une collection qui n'était pas révélée (en dépit du fait qu'il s'agissait d'un grand collectionneur d'art populaire et insolite) n'a fait tout récemment, chez De Baecque, que 39 000 € (avec frais de vente), la cote redescendant peut-être par lassitude vis-à-vis des records précédents?
Écrit par : Le sciapode | 26/06/2023
Tout cela : ces sommes mises en avant, ce fric gagné dans ces conditions et ce dédain - est assez abject.
Écrit par : Isabelle Molitor | 25/06/2023
Je découvre vos échanges qui me rappellent une réflexion de Michel Thévoz déplorant que les œuvres d’art brut soient bien trop sous évaluées en comparaison de certaines œuvres de l’art contemporain souvent aussi médiocres que surcotées. Dans la logique du marché, il ne serait pas choquant qu’un beau dessin d’Aloïse Corbaz rivalise de prix avec une Marilyn d’Andy Warhol ou qu’une madone de Martin Ramirez écrase les records d’un dieu de Basquiat. N.B
Écrit par : N. B | 26/06/2023
Réponse à N.B.:
Quand je lis cette remarque attribuée à Michel Thévoz, je l'interprète à l'inverse. Les œuvres d'art brut sont sous-cotées par rapport à celles d'art contemporain? Plutôt que de rêver que les œuvres d'art brut dépassent les records de cotes de l'art contemporain, je préfère imaginer que ce soit celui-ci qui se dévalue et descende en dessous des Aloïse et autres Martin Ramirez.
Ce qui me désole, par ailleurs, dans ce désir de voir les cotes de l'art brut s'envoler, c'est l'arrachement concomitant de ces œuvres d'origine humble, participant d'un patrimoine artistique populaire, loin de ce peuple justement, pour aller se cacher dans quelque cité privée ceinte de grilles et bardées de caméras, jalousement caressées d'un œil torve par un acheteur envieux...
Écrit par : Le sciapode | 26/06/2023
Salauds de pauvres!
Écrit par : Grangil | 26/06/2023
Michel Thévoz manie le paradoxe, l’humour et la provocation pour éviter peut-être de tomber dans la caricature du « les riches tous des salauds ». Il ne faut pas ignorer que la plupart des collections, des grandes collections depuis la renaissance à aujourd'hui sont devenues publiques à un moment de l’histoire. Pour ce qui concerne l’art brut, certaines des plus intéressantes ont fait l’objet de nombreuses expositions, de donations, de sauvetages, de conservation dans des musées. Il ne se passe pas un mois sans qu'il soit montré au public des œuvres d’art et d’art brut en particulier. Rares sont les collections importantes (je veux dire "construites", "cohérentes") qui soient jalousement gardées dans des coffres forts.
Alors où est le problème si ces oeuvres sont partagées ?
N.B
Écrit par : N. B | 26/06/2023
Il n'y a évidemment pas de problème dans ces "partages". Mais il est bon de parler de ces échanges et par exemple de s'interroger sur le fait qu'une donation peut avoir pour effet-boomerang de revaloriser des cotes (tout en donnant au public le souvenir que le donateur est un 'bienfaiteur', comme me l'a dit un des mes amis en privé) de même que lorsqu'il y a une grande exposition dans un lieu prestigieux (comme dans le cas de l'expo d'art brut qui se prépare au Grand Palais pour 2025), cela peut exciter l'intérêt des collectionneurs qui croiront pouvoir engranger d'agréables plus-values sur les oeuvres d'art brut qu'ils auront pris soin de mettre de côté.
Quant aux collections importantes qui seraient rares à rester dans les coffre-forts, on découvre continuellement de ces collectionneurs bien plus nombreux qu'on le croyait qui ont constitué, de manière calculée, ou passionnée, les deux existent, vous ne pouvez le nier, des conséquentes collections d'art brut.
Et oui, évidemment, tout finit par se déverser dans un musée, enfin... Avec un certain délai dans pas mal de cas...
Écrit par : Le sciapode | 26/06/2023
La caricature du "Les riches tous des salauds"?...
Vous me faites doucement rigoler.
Écrit par : Atarte | 29/06/2023
Vouloir assigner son prix réel, en argent, à une œuvre d'art, fût-ce un demi-million, c'est l'insulter.
Écrit par : Stéphane Mallarmé | 26/06/2023
Tous ces commentaires se mettent à ressembler à une foire d'empoigne où l'on finit par oublier l'origine de cette Dispute des Deux Bruno. Au fond, que reproche M. Decharme à M. Montpied ?
M. Montpied, en substance, dit qu'il n'y a pas de preuve que tel ou tel Barbu soit l'oeuvre de Rabany, et que, dans l'état actuel de nos connaissances, les seules certitudes que l'on puisse avoir le sont pour les sculptures dont nous retrouvons trace dans les photographies du jardin de Rabany où elles figurent. Il ajoute que pour tous les autres Barbus répertoriés ici ou là, on ne peut, toujours dans l'état actuel de nos connaissances, parler que d'oeuvres "attribuées à Rabany". Il poursuit en disant que certaines faiblesses de style, ou certains écarts par rapport à un certain vocabulaire stylistique de Rabany le feraient douter de telle ou telle attribution. Pourquoi ne pas imaginer que d'autres sculpteurs locaux se soient inspirés de l'exemple du Zouave, sans doute bien repéré dans les parages à son époque, ou même - qui sait? - aient créé dans l'absolue méconnaissance de celui-ci? On sculpte beaucoup la pierre dans le Massif central (et ailleurs).
M. Decharme, de son côté, dit qu'en se faisant expert, M. Montpied outrepasse ses compétences et que, de ce fait, il n'a aucun droit à se prononcer sur l'authentification ou non de telle ou telle oeuvre.
Mais au fond, que fait M. Montpied?
Remarquez au passage qu'il ne dit pas pour autant que Rabany n'aurait réalisé que les oeuvres que l'on voit sur les photos. S'il disait cela, on pourrait à bon droit lui reprocher une sévérité excessive car il est clair que les photos représentent la production de Rabany visible chez Rabany à l'instant T de la prise de vue, mais ne laissent pas préjuger de ce qu'il a pu faire avant ou après, ou même de ce qui pourrait être hors du champ des photos au même instant T. M. Montpied adopte donc une position modérée et prudente. En fait, dans l'état actuel de ses connaissances et de ses moyens (l'étude comparative des supports et des éventuelles traces d'outils permettrait peut-être d'affiner la réflexion), M. Montpied applique strictement une méthode scientifique universelle sur laquelle se fonde toute authentification.
Il n'y a pas une oeuvre qui ne passe par ce crible et, par exemple, le monde universitaire, que l'on aime tant décrier, emploie régulièrement ce chemin. En attendant mieux, c'est quand même le seul procédé qui puisse nous faire éviter les erreurs et qui permette de se défier des légendes, des on-dit, des à-peu-près qui parsèment le champ de l'histoire. Certes, ces scories ont aussi leur importance et leur intérêt historique, mais, pour ainsi dire, en seconde instance, très indirectement, comme témoignages de notre capacité à fabriquer du sens, à échafauder du paratexte, comme diraient les macaroniques. Les seules questions valables, en l'espèce, dans le cas présent, sont celles-ci : "Etes-vous certain, M. Decharme, que cette pièce est bien le fruit du ciseau d'Antoine Rabany? Si oui, sur quel fondement édifiez-vous votre certitude?"
J'ajoute qu'aujourd'hui, il existe à Volvic une carrière où n'importe lequel d'entre nous peut se procurer pour environ 300 euros un bloc de trachyandésite qu'avec des outils ad hoc et un peu de talent, il pourra transformer en une statuette façon Rabany à s'y méprendre. Laissé enfoui un an dans la terre grasse de la région et astucieusement vieilli comme il faut, vous aurez un magnifique objet que vous pourrez revendre 50 fois plus cher au bout du compte, ou simplement conserver chez vous pour le plaisir de votre regard. D'où l'intérêt, pour les collectionneurs même, de l'expertise, qui permet d'éviter les contrefaçons. C'est même peut-être bien uniquement pour eux, au fond, que les experts ont une utilité. Seraient-ils même, au fond, des idiots utiles? Car pour la plupart d'entre nous, peu importe, si l'objet est beau et nous plait, qu'il soit d'un grand maître, d'un copiste ou d'un faussaire.
Comme me le disait mon ami Paul Destribats : "L'expert est le meilleur ami du collectionneur, avant d'être son meilleur ennemi". Eh oui, et j'ajouterai que cela dépend si on achète ou si on vend. Il n'avait pas trop à s'en faire, étant donné ce qu'il collectionnait, mais il avait failli se faire plumer avec de pseudo pastels de Larionov dûment authentifiés par un expert un peu trop distrait, et il savait de quoi il parlait.
Les collectionneurs devraient donc être les derniers à reprocher à M. Montpied de se montrer scrupuleux en la matière.
Écrit par : Régis Gayraud | 29/06/2023
Voilà qui est fort bien dit, et qui n'infirme en rien, bien au contraire, la remarque de M. Stéphane Mallarmé, nouveau venu sur ce blog, et qu'on dit versé dans un art en voie de disparition, la poésie.
Écrit par : L'aigre de mots | 30/06/2023
Le poète est mal armé dans ce monde de brut
Écrit par : Maurice Philippe | 01/07/2023