Conserver (on non) les environnements populaires spontanés: 4e et 5e volets du Vidéoguide de la Nouvelle-Aquitaine sur les Inspirés du bord des routes (16/07/2023)
Viennent d'être mis en ligne le 4e et le 5e volet de la série éditée par l'Inventaire de la Nouvelle-Aquitaine et pilotée par les conseils scientifiques de Yann Ourry à propos des inspirés du bord des routes en Nouvelle-Aquitaine. Ces petits courts-métrages sont toujours réalisés par Juliette Chalard-Deschamps, avec des prises de vue par Arnaud Deplagne.
Dans le 4e "opus", on me retrouve comme dans le premier volet, toujours avec mon superbe pull (!), répondant en quelque sorte à l'interview d'Hélène Ferbos qui, pourtant, eut lieu plusieurs semaines après le mien, et qui figure ici en tête de gondole. Il s'est agi d'évoquer quelque peu le sujet compliqué des mesures conservatoires – ou non – qui peuvent être mises en place pour prolonger autant que faire se peut ces créations de plein vent, réalisées par des auteurs qui ne se souciaient guère de la pérennité de leurs travaux exécutés dans l'immédiat de leur vie. Est-ce humilité de leur part? Sans doute pour certains, mais ce n'est pas assuré dans tous les cas. Plusieurs créaient dans l'immédiat de leurs temps de loisirs, hors vision artistique, hors système des Beaux-Arts, sans se préoccuper de la postérité, qui est un paramètre spécifique aux artistes professionnels plutôt.
Et, donc, vouloir – ce qui est naturel, on aime à conserver ce que l'on aime – prolonger et conserver ces sites et réalisations naïfs, plus rarement bruts, pose divers problèmes que nos interviews croisées, à Hélène et à moi, effleurent seulement. Problèmes qui ont trouvé des solutions ici et là, assez variées, qu'il m'est arrivé de décrire sur ce blog à l'occasion, et surtout dans mon inventaire (désormais épuisé, trouvable en bibliothèque ?), Le Gazouillis des éléphants, paru en 2017 aux éditions du Sandre.
Hélène Ferbos indique cependant qu'en tant que conservatrice et directrice du Musée de la Création Franche à Bègles (réouverture prévue en 2025), elle reste favorable à la sauvegarde de parties et d'éléments extraits de divers environnements. Par exemple, le Musée a très récemment acquis le vélo couvert d'une toile d'araignée de colifichets d'André Pailloux que j'avais révélé et éclairé dans Eloge des Jardins anarchiques en 2011. L'affaire fut réalisée grâce à la médiation d'un autre admirateur de ce vélo, Philippe Lespinasse. Je suis très favorable à ce genre d'extraction, quand il n'y a pas d'autres possibilités de sauvegarder l'intégralité d'un site sur place. Bien sûr, les pièces extraites se doivent d'être alors accompagnées de contextualisations photographiques ou filmées, voire de témoignages écrits ou enregistrés dus aux auteurs et à leurs médiateurs, etc.
4e volet du Vidéoguide Nouvelle Aquitaine consacré aux Inspirés du bord des routes et diffusé sur YouTube.
Dans le film que j'avais co-écrit avec son réalisateur, Bricoleurs de paradis, dans la séquence consacrée à André Pailloux et son vélo, je lâche un peu vite le mot de "patrimonialisation" appliqué à ces créations environnementales éphémères. Il me parut dès l'achèvement du film un peu trop sacralisant, et si j'avais pu assister au montage, ou du moins, voir une première épreuve du montage final, j'aurais plaidé pour qu'on l'enlève. Car utilisé comme cela, isolé, il donne l'impression que je défends cette intégration au patrimoine de façon généralisée pour tous les sites (il y a en effet un effet pervers de la patrimonialisation à tout va ; je me souviens d'un village du Queyras, Saint-Véran, où l'on exhibait deux paysans en train de manger leur soupe au fond d'une masure "à la manière d"autrefois"...). En l'occurrence, j'essayais avant tout de convaincre André Pailloux de songer un jour à léguer son vélo à une musée d'art populaire contemporain.
Il a fini par se laisser convaincre, plusieurs visiteurs ayant sans doute poussé à la roue (c'est le cas de le dire) entretemps dans ce sens. Et tant mieux, après tout, Mais bonjour le travail des restaurateurs futurs dudit vélo... Tant ses matériaux, du plastique entre autres, pourront se révéler difficiles à maintenir en bon état... Sans compter le changement de statut de cette œuvre, issue de la vie quotidienne au départ, comme le pointe Hélène dans son interview, qui interviendra dans son élection au rang d'œuvre d'art, trônant peut-être sur un futur piédestal mobile, à l'entrée des collections de la Création Franche?
Jardin et ses vire-vent d'André Pailloux à Brem-sur-Mer (Vendée) : le portail défendait l'allée hérissée d'une haie de vire-vent, menant au garage où se cachait le vélo extraordinaire de Pailloux ; photo Bruno Montpied, 2008.
André Pailloux ayant sorti son vélo, devant le portail de son jardin ; ph. B.M., 2010 (durant le tournage de Bricoleurs de paradis)
Le 5e volet du Vidéoguide de Nouvelle-Aquitaine concerne exclusivement le jardin de Gabriel Albert, cas unique d'environnement constitué de statues multiples conservé et restauré grâce aux efforts de la Région à laquelle il appartient désormais, après le legs primitif de l'auteur à sa commune de Nantillé (Charente). On y suit Yann Ourry décrivant d'un ton le plus neutre et avec un aspect le plus inexpressif possibles (par volonté sans doute de s'effacer au maximum derrière le créateur qui est pour Yann le vrai héros du film) le pourquoi et le comment du site qui recelait au départ 420 statues, dont certaines ont disparu à la suite de vols (ce qui n'est pas dit dans le film). Ce 5e volet contient à la fin un tout petit fragment de mon film Super 8 montrant le jardin dans l'état où il se trouvait en 1988, date de ma visite en compagnie de Christine et Jean-Louis Cerisier, ce qui nous avait permis de parler un peu avec Gabriel Albert, qui devait décéder douze ans plus tard.
11:59 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : vidéoguide nouvelle-aquitaine, inspirés des bords de routes, juliette chalard-deschamps, service de l'inventaire nouvelle-aquitaine, yann ourry, hélène ferbos, bruno montpied, conservation des environnements spontanés, andré pailloux, vélo brut, création franche | Imprimer
Commentaires
En l’occurrence l’entrée au musée du vélo de M Pailloux n’est pas une extraction d’un élément constitutif d’un « environnement populaire spontané » il s’agit d’une création qui a sans doute un rapport avec le site de son créateur mais qui en est totalement indépendant. Il n’était d’ailleurs pas exposé à la vue des passants. La question de sa conservation se pose en des termes assez différents que peut l’être la question de la conservation d’un site.
Écrit par : Philippe Marie | 16/07/2023
Je m'inscris en faux à propos de ce que vous dites.
Le vélo d'André Pailloux a longtemps été "exposé à la vue des passants" au contraire, tant qu'il a pu le chevaucher pour se balader avec, au voisinage de son domicile. C'est même ce qui a attiré l'attention d'une connaissance à moi qui le vit d'abord sur ce jardin multicolore ambulant. Par la suite, devenu dangereux (le cycliste tombait sans cesse dans les fossés, par la prise du vent sur son "gréement" devenu excessif), il fut remisé au garage où, effectivement, d'emblée, on ne l'apercevait pas quand on visitait le jardin. Mais en insistant un peu, le garage étant généralement maintenu ouvert, avec une exposition de peintures et de dessins que fabrique aussi Pailloux, on finissait encore par le détecter.
J'ai écrit quelque part que ce vélo, certes ouvrage à part dans sa production (et qui faisait que l'on pouvait plus facilement envisager de l'extraire), était en quelque sorte son jardin de vire-vent multicolores qui partait sur les routes. C'est de mon point de vue une sorte de microcosme résumant le macrocosme du jardin. Il y a donc une relation étroite entre lui et le reste du jardin, contrairement à ce que vous avancez, sans compter que lui aussi a à voir avec le principe de rotation qui hante tout le reste du jardin.
Donc je trouve que vous chipotez quelque peu.
Je vous accorderai simplement que cet objet, différent de par sa composition des vire-vent qui se tenaient dans un rapport de solidarité bien plus grand les uns envers les autres, pouvait se prêter davantage à l'extraction du site (cela me sauta aux yeux dès mes premières visites). De même que l'on pouvait facilement extraire aussi certaines des peintures. Il arrivait que Pailloux vende celles-ci, du reste, à l'occasion.
Dans les environnements, cela dit, toutes les pièces - des statues par exemple - ne sont pas toujours interdépendantes aussi étroitement qu'on pourrait le croire et que vous paraissez le croire. Certaines participent d'une esthétique qui leur permet de se défendre encore, une fois retranchées de leur contexte d'origine.
Et je reviens aussi sur votre affirmation selon laquelle il vous semble que la question de la conservation de ce vélo très particulier se pose en des termes différents de ceux qui président à la conservation des sites. Si vous aviez étudié la nature des matériaux utilisés dans ce vélo, sa fragilité, le côté très peu pérenne des accessoires utilisés, vous vous seriez facilement convaincu que l'on retrouve chez lui les mêmes écueils que l'on rencontre lorsqu'on veut restaurer des œuvres conçues en dehors de tout souci de postérité, comme peuvent l'être très souvent les œuvres présentes dans les environnements. Le film du Vidéoguide donne l'exemple des statues de Franck Barret, par exemple, qui sculptait avec de l'argile non cuite. Le choix du ciment, très souvent répandu chez les Inspirés, de même, comme matériau destiné à rester à l'air libre ne paraît pas très idoine pour des statues. Ce n'est pas pour rien que les artistes utilisent plutôt le bronze.
Écrit par : Le sciapode | 16/07/2023
J’ignorais que M. Pailloux s’adonnait aussi à la peinture. Mais si vous considérez que ses tableaux font aussi partie du site, alors vous avez une conception très extensible de ce qu’est un « environnement populaire spontané ». Même si ses autres productions ont sans doute une relation étroite avec son jardin, je n’évoquais que celles qu’il donne à voir aux passants (de bord des routes). Il me semblait que c’est ce qui définit ce type de site. Là vous parlez d’autre chose, car alors vous pouvez également y intégrer ses éventuels dessins ou écrits (certains de ces créateurs dessinent et écrivent en effet), mais, là, les conditions de conservation sont encore différentes et ne relèvent pas des mêmes problématiques que pour conserver un site extérieur. Il faut savoir de quoi on parle. Moi je m’en tenais à votre titre: « conserver (ou non) les environnements populaires spontanés » c’est à dire ceux qui se trouvent nécessairement dans des jardins ou sur le bord des routes.
Écrit par : Philippe Marie | 18/07/2023
Mais on ne peut qu'avoir "une connaissance extensible" des environnements spontanés, au fur et à mesure qu'on en découvre. Il en est de tous types et de tous contenus. Les peintures d'André Pailloux étaient, à l'époque où j'y suis passé (à trois ou quatre reprises), accrochées à l'entrée du garage qui était ouvert pour que ses visiteurs les voient, suspendues au-dessus de son vélo. Il avait également installé un petit panneau pivotant au-dessus de son portail, affichant deux sortes de masques (on les voit tourner dans "Bricoleurs de paradis"). Des peintures étaient semées un peu partout ainsi dans son environnement. Pourquoi faudrait-il ne pas les prendre en compte?
Je le répète de plus : "dans les environnements, toutes les pièces ne sont pas toujours interdépendantes aussi étroitement qu'on pourrait le croire. Certaines participent d'une esthétique qui leur permet de se défendre encore, une fois retranchées de leur contexte d'origine."
Conserver les sites en question, c'est aussi (mais pas seulement) choisir de sauver quelques extraits qui se défendent bien séparés de leur contexte d'origine.
Certains environnements ressemblent à des galeries en plein air aussi bien, hétéroclites (c'est le cas chez Pailloux, ce me semble), rassemblant au petit bonheur des créations variées qui sont souvent réaménagées, déplacées, recombinées...
Écrit par : Le sciapode | 26/07/2023
Bonjour Bruno,
Auriez-vous une adresse mail pour que je vous envoie un petit commentaire suite à 2 visites faites cette semaine dans le Lot (Céline Cazes et le musée de l'insolite)
Merci à vous
Bien cordialement
Jean Claude Tourbillon
Écrit par : Jean Claude Tourbillon | 23/07/2023
De plus, si vous cliquez sur "A propos", vous trouvez l'adresse mail pour les contacts. Elle est donnée après la présentation du blog.
Écrit par : Le sciapode | 23/07/2023
Je ne m'intéresse nullement au musée de l'insolite de la vallée du Célé, si c'est celui-ci dont vous voulez me parler. Il est assez bidon.
Écrit par : Le sciapode | 23/07/2023
Je ne vois pas ce qu’a d’inexpressif le ton de Yann Ourry. Au moins il évite le ton professoral ampoulé qui caractérise tant de spécialistes.
Écrit par : VpN | 25/07/2023
Je n'ai pas écrit que Yann adoptait un "ton" inexpressif, j'ai parlé d'un "aspect" inexpressif. J'ai écrit qu'il adoptait un "ton neutre". Il n'y avait rien de critique dans cette remarque.
Et je ne sais pas à quels spécialistes vous songez. Dans le domaine des environnements, les gens qui en parlent sont plutôt naturels.
Et puis, zut, les professeurs ne sont pas non plus à jeter. Ras-le-bol des anti-intellectuels qui pullulent parmi les amateurs d'arts singuliers. Les œuvres naïves ont aussi bien le droit d'avoir des intellectuels qui se penchent sur elles que les autres œuvres faisant partie des cultures dites savantes.
Là, le discours de Yann est parfaitement clair, débité par un homme qui a l'habitude de présenter fréquemment le jardin de Gabriel au public lors des journées spéciales sur place.
Simplement, je plaide pour ne pas se refuser à soi-même la subjectivité, voire un ton humoristique, ou lyrique.
Écrit par : Le sciapode | 26/07/2023
Si cela n'a pas déjà été signalé, le "Gazouillis" est présent dans quatre bibliothèques de la ville de Paris.
Écrit par : martin | 06/09/2023