André Breton, lettres à Aube (14/11/2009)
Gallimard vient de publier dans la collection blanche les "Lettres à Aube" qu'André Breton a envoyées des années 30 aux années 60 à sa fille. Cette publication est le signe avant-coureur de la correspondance plus générale du poète du surréalisme que l'on verra publiée, probablement en plusieurs volumes, tant elle s'annonce profuse et variée, à partir de 2016 (conformément à ses volontés testamentaires, qui ne s'appliquaient pas à la correspondance détenue par sa femme et sa fille). Tout amateur du surréalisme ne peut que s'en enchanter. Car la vie du poète fait partie d'un ensemble uni indissolublement à son oeuvre, à son message général face à la vie et à la société, à la philosophie du surréalisme qui comme on sait n'est pas un mouvement limité à une esthétique, qu'elle soit plastique ou littéraire. Breton vivait au sein d'un faisceau de signes, d'évènements, de rencontres (importance, incroyable peut-être aux yeux d'un contemporain, de la place prise par la sociabilité dans ce qui ressort de cette correspondance... Les amis, la famille aimée, l'amour, que le poète ne cesse de réclamer autour de lui) qu'il assemblait dans une recherche attentive à en dégager les significations merveilleuses latentes.
Pour ne se cantonner qu'aux allusions à des sujets qui nous occupent plus particulièrement sur ce blog, les rapports à l'art brut, à l'art naïf et l'art populaire, on trouvera dans cette correspondance quelques notations intéressantes.
Dans la lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit à sa fille, alors âgée de treize ans, son projet d'Almanach de l'art brut (à noter qu'il ne fait aucune allusion à Dubuffet...): "Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes: par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". "Des gens qui ne sont pas artistes", c'est à souligner, en ces temps où le terme d'artistes, appliqué aux créateurs de l'art brut, ne cesse plus d'être employé à tout va. En quatre lignes, ce père attentif à faire passer ce qu'il croit bon de faire apprécier à son enfant trouve les mots clairs et accessibles, résumant finalement assez bien le sujet pour un premier contact.
Il faut attendre une dizaine d'années plus tard pour trouver dans une lettre du 16 juillet 1958 une autre allusion cette fois à son intérêt pour l'art naïf. "J'attends l'arrivée, par les soins du camionneur, d'une vingtaine de tableaux naïfs que j'ai prélevés dans la soupente de l'atelier rue Fontaine et qui me semblent devoir ici [ dans sa maison de Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot] égayer un peu tous les murs." On se demande à quoi pouvaient ressembler ces tableaux. Certains ont-ils fait partie de la vente Breton en 2003 à Drouot? Cela serait plausible, quand on se rappelle (et le catalogue de la vente par Calmels-Cohen aide à s'en souvenir) le nombre de tableaux naïfs que collectionnait Breton, par des peintres connus, Ferdinand Desnos, Hector Hippolyte, André Demonchy, Miguel Vivancos, par exemple, ou moins connus comme Alphonse Benquet, voire des peintres anonymes (le catalogue présente plusieurs oeuvres "d'auteurs non identifiés").
Breton s'est à maintes reprises passionné pour des autodidactes, comme son ouvrage Le surréalisme et la peinture le montre déjà abondamment. Une nouvelle preuve nous en est administrée à la page 121 de cette correspondance inédite (lettre du 11 septembre 1958 destinée à Aube et son mari Yves Elléouët). "Hier, avec Joyce et son mari, nous sommes allés voir ce vieux boulanger-sculpteur de Corbeil dont je crois vous avoir déjà parlé. J'ai ramené de lui un tableau ultra-naïf qui n'est pas sans charme." Eh bien, le "boulanger-sculpteur de Corbeil", ça ne vous rappelle rien, ô vous lecteurs fidèles et assidus de ce blog? Mais bon sang, c'est bien sûr, comme aurait dit le commissaire Bourrel, il s'agit là de Frédéric Séron une fois de plus! En 1958, tout le monde allait chez lui, Doisneau, J-H. Sainmont, Breton, Dumayet, Gilles Ehrmann, et même ce grand mondain frelaté qu'était Cocteau (qui avait acquis des sculptures de Séron pour sa propriété de Milly: toujours présentes?). J'aimerais bien savoir où est passée finalement ce "tableau ultra-naïf" que Breton eut la bonne idée de sauver en l'achetant... Est-ce un des tableaux étiquetés par Calmels-Cohen, "auteur non identifié", là encore (mais il ne semble pas, voir ci-dessous)? Wait and see... Qui dissipera le mystère? Pour en savoir plus sur les peintures que faisait Séron, à côté des statues qu'il avait mises dans son jardin, on se reportera au documentaire-interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA que j'ai déjà évoqué et mis en lien sur ce blog (voir ci-dessus, le nom Frédéric Séron). Deux tableaux y sont commentés, dont une "Chasse à courre" et une "Paix chez les animaux". Ultra-naïfs en effet... A noter cependant que les tableaux de Séron étaient signés à gauche en bas, selon ce que répond Séron lui-même à Dumayet dans l'interview. On devrait donc pouvoir facilement les identifier si on les retrouve...
14:52 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : andré breton, aube elléouët, amanach de l'art brut, frédéric séron, art naïf, lettres à aube | Imprimer
Commentaires
N'était-il pas allé également rendre visite à Chomo dans sa forêt de Fontenebleau ? Il me semble l'avoir lu quelque part dans l'exposition qui lui est consacrée à la Halle St Pierre. Mais en avait-il rapporté quelque chose pour étoffer sa collection ? Le catalogue de la vente Calmels-Cohen en fait-il état ?
Écrit par : RR | 14/11/2009
Non, a priori, on n'a pas de témoignage ou de trace concernant un passage d'André Breton allant cueillir des champignons dans la pinède du côté de Fontainebleau (Achères-la-Forêt). Ce que l'on sait, c'est que Breton passa visiter l'expo que fit Chomo dans la galerie Jean Camion dans les années 60. C'est cela qu'évoque le catalogue (on a dit que ce fut l'unique expo de Chomo, pas tout à fait puisqu'ici même j'ai reproduit un carton d'invitation d'une autre expo de type "signiste" qu'il fit avec Altagor et Robert Estivals dans ces mêmes années). Un entretien avec le galeriste dans le catalogue précise que Breton fut enthousiaste (on n'a pas de témoignage direct de la part de Breton ou d'un de ses proches, peut-être plus tard quand la correspondance paraîtra justement?) et qu'il fit venir d'autres gens "dont Dali", ce qui est hautement fantaisiste et mensonger. Breton et Dali ne se parlaient plus à ce moment-là.
Par contre, dans l'entretien enregistré que je fis avec Chomo vers 1982 -et dont ont été diffusés un ou deux extraits dans une récente émission de Songs of praise sur Chomo- Chomo signale que Joyce Mansour et son mari Sam passèrent chez lui et achetèrent une oeuvre, à un prix qui lui permit de voir venir quelque temps... Les mêmes Mansour qui avaient accompagné Breton chez Séron donc, quelques années plus tôt (Chomo commença de s'installer dans la forêt en ermite au début des années 60).
Écrit par : Le sciapode | 14/11/2009
Je ne me suis jamais penché sur Breton, par quel livre me conseillerais-tu de commencer ?
Écrit par : Cosmo | 17/11/2009
Nadja, ou L'amour fou (moi, j'ai commencé, par hasard, par Nadja). Les Manifestes du surréalisme, le Surréalisme et la peinture, Arcane 17, la Clé des champs, les Entretiens...
Peut-être demain commencera-t-on par la correspondance que je devine merveilleuse...
Écrit par : Le sciapode | 17/11/2009
Un peu décevante cette correspondance de Breton avec sa fille. Certes on y découvre un Breton attentionné, un père aimant et soucieux des études de sa fille (laquelle n'avait pas l'air de briller en orthographe et en conjugaison) qui brise un peu le mythe du "pape" en nous le rendant plus proche et plus quotidien, mais pour le reste, rien de très nouveau concernant sa personne, si ce n'est peut être la récurrence de ses problèmes financiers et sans doute, seul véritable scoop... son goût prononcé pour le jambon! Avec quel accompagnement le mangeait-il, là on reste sur notre faim. J'attends maintenant avec impatience la publication générale de sa correspondance pour en savoir un peu plus sur cette très actuelle question quasi identitaire!
Écrit par : RR | 03/12/2009
Mais de toute façon, ce "mythe du pape" est une grosse baudruche inventée par ses adversaires, et tous autres intéressés à son rabaissement...
Ce qui manque, dans cette documentation sur les rapports père-fille c'est plutôt de ces oeuvrettes d'un surréalisme primesautier et naïf que Breton confectionnait à l'occasion pour sa fille. Il en avait été montré à l'occasion d'une exposition chez Artcurial dans les années 80, je me souviens d'un fort bel album entièrement fait pour sa fille. Il n'en est pas fait état dans cette correspondance, ce qui m'a surpris.
Sinon, je ne partage pas du tout ta déception. J'avais éprouvé quelque chose de similaire au début de ma lecture, puis ce fut oublié en continuant. Il y a dans ta lecture comme une fidèlité à certaines moqueries de type situationnisante (je pense au "Dédé les amourettes" de Vaneigem, au final pas très malin).
Écrit par : Le sciapode | 03/12/2009
La référence au goût pour le jambon est certes une moquerie facile, je le reconnais. Situationnisante, là c'est un peu tiré par les cheveux, mais bon... Pour le reste il faut reconnaître qu'il y a quand même dans cette correspondance fort peu de choses sur les enjeux intellectuels (philosophiques, artistiques, etc) et politiques qui ont fait l'aventure surréaliste. Mais c'est vrai que cette absence était assez prévisible dans une correspondance avec sa fille. Finalement ce qui m'a le plus intéressé ce sont les fac-similés de ses lettres et enveloppes: les feuilles à en tête utilisées, les dessins, la graphie...
Écrit par : RR | 04/12/2009
Non, le jambon avait l'air de vraiment compter beaucoup parfois. Je ne sais pas, accompagné d'un petit coup de mandarin-curaçao, ça donne peut-être quelque chose...
Tu ne relèves pas l'appel constant aux amis, au passage des proches, des amis. C'est un refrain obsédant dans cette correspondance. Breton brassait les êtres autour de lui, avait besoin de ces présences, des rencontres perpétuelles entre affections, curiosités que transportaient ses relations. N'est-ce pas étonnant aujourd'hui, où tout le monde paraît infiniment moins en quête des autres? Comme si nous étions désenchantés de nos congénères et n'en attendions plus grand chose...?
Écrit par : lesciapode | 05/12/2009
Bon, je me suis vraiment forcé à lire Nadja, mais il m'est tombé des mains avant la moitié, je n'aime pas le style, je n'en comprends pas l'objet...bref déçu, mais c'est pas grave !
Écrit par : Cosmo | 04/01/2010
Merci de cet article, cher poignard subtil. L'ai retransmis sur ma page Facebook.
Écrit par : atelier andré breton | 23/05/2011