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21/03/2010

Etoiles noires de Robert Giraud

      Robert Giraud, on commence à le connaître davantage, grâce au blog d'Olivier Bailly, Le copain de Doisneau, qui a ranimé sa mémoire sur internet avant de publier une courte biographie sur lui chez Stock, intitulée Monsieur Bob. Plusieurs livres de lui sont aujourd'hui disponibles, notamment chez l'éditeur Le Dilettante. Son livre le plus connu, Le vin des rues a été réédité chez Stock, en même temps que sortait la biographie d'Olivier Bailly.Monsieur Bob d'Olivier Bailly.jpg

      C'était un connaisseur et un écrivain du Paris populaire des années 50 aux années 90 (il est disparu en 1997) que l'histoire littéraire a tendance à passablement occulter. Lisons ces lignes d'Olivier Bailly qui cerne en quelques mots les centres d'intérêt du personnage: "Il ne traitera que de sujets en marge: clochards, tatoués, gitans, petits métiers de la rue, prostitution, bistrots, sans oublier la cohorte des excentriques de tout poil. Son premier coup d'éclat, il le réalise avec Doisneau, dans Paris-Presse, avec la publication d'un reportage au long cours, "Les étoiles noires de Paris", onze articles consacrés à des personnages insolites qui peuplent le Paris de cette époque et que Bob croise pour certains dans ses périples journaliers et là où il boit son vin quotidien." (Monsieur Bob, p.84). Le vin était une autre de ses passions, sang de la vigne qui irriguait le corps de ses passions pour la vie immédiate. Olivier Bailly note qu'il fréquentait les bistrots qui avaient une certaine exigence en matière de crus, ceux tenus par des bistrotiers qui allaient sur place dans les régions chercher leurs récoltants, en évitant les "bersycottiers", c'est-à-dire les négociants de Bercy qui s'étaient enrichis pendant la guerre grâce au marché noir avec des mauvais vins (surnommés "côteaux de Bercy", synonymes de piquettes). Giraud, qui fut aussi un temps secrétaire de Michel Tapié au début de l'histoire de la collection de l'art brut, en 1948, alors que Dubuffet était parti voyager en Algérie, et qui garda mauvais souvenir de ce dernier qui le traitait en factotum (bien longtemps après, il parlait de lui en disant que Dubuffet n'était qu'un cave...), Giraud eut-il le temps de lire la "biographie au pas de course" (publiée dans Prospectus et tous écrits suivants, tome IV, 1995) où Dubuffet se vante lorsqu'il était marchand de vins justement à Bercy d'avoir renfloué son entreprise grâce au marché noir (il précise avoir alors vendu des "vins d'une qualité un peu supérieure" au vin de consommation courante, ce qui lui procura des bénéfices qui lui permirent d'éponger les dettes de son commerce d'avant-guerre, car il n'y avait sans doute plus de taxes sur ce négoce réalisé sans factures, sur parole)...? Nul doute que cela lui aurait confirmé ses impressions de la fin des années 40.Robert Giraud au comptoir chez Albert Fraysse, par Maximilien Vox, blog Le Copain de Doisneau.jpg

      Giraud vécut de divers petits métiers (il vola même un temps des chats, il fut avec sa femme Paulette bouquiniste à la hauteur de la Samaritaine). Ses sujets de prédilection étaient les clochards, les tatoués, les bistrots, et l'argot sur lequel il publia de nombreux livres. Il s'intéressa aussi aux créateurs insolites, plusieurs de ses articles publiés dans différentes revues et journaux (outre Paris-Presse, il y eut aussi Franc-Tireur et la revue Bizarre) s'y rapportent: par exemple Frédéric Séron dans Les étoiles noires de Paris (1950 ; avec Robert Doisneau, son complice photographe qui fit de nombreux reportages avec lui, il paraît l'un des tout premiers à avoir rendu visite à Séron, avant Gilles Ehrmann en particulier), Picassiette (dans Bizarre n°V en juillet 1956), ou encore Gaston Chaissac dans Franc-Tireur en août 1956 (Chaissac de qui il reçut une correspondance dont certains éléments ont été publiés par Dubuffet et Paulhan dans Hippobosque au bocage en 1951). Charles Soubeyran (auteur des Révoltés du Merveilleux, livre consacré à Doisneau et Ehrmann où l'on voit plusieurs des créateurs évoqués dans les "étoiles noires de Paris" comme Jean Savary, Maurice Duval, Frédéric Séron, Pierre Dessau) a un jour signalé que certain "dandy de muraille" peint par Chaissac renvoyait au frère de Robert Giraud, Pierre Giraud qui était un dessinateur et un peintre spontané, associé un temps à l'aventure de la débutante collection de l'art brut.Pierre Giraud enchanteur limousin, plaquette art brut éditée par la Galerie René Drouin en 1948.jpg

      Les chroniques de Robert Giraud sur les figures de la rue parisienne, vivant sous d'autres coordonnées mentales que le commun des mortels, au fond, on pourrait les voir comme issues d'une tradition de chroniqueurs du Paris populaire excentrique, qui rassemblent par exemple ces auteurs du XIXe siècle connus sous le nom de Lorédan Larchey (Gens singuliers), Champfleury (Les Excentriques), Charles Yriarte, Charles Monselet, etc, tous auteurs que l'on retrouve aujourd'hui au catalogue des précieuses éditions Plein Chant.

      En attendant que quelque éditeur veuille enfin réunir les différentes contributions de Robert Giraud à la cause de l'art brut, on se contentera d'initiatives isolées comme cette réédition à Noël 2009  des onze articles parus dans Paris-Presse, "Les étoiles noires de Paris", sous l'aspect d'un livre-objet conçu par Bernard Dattas qui s'est amusé pour le compte des "Editions des Halles" à publier cet ensemble sous la forme d'un livre massicoté en étoile, qui une fois ouvert révèle des dizaines d'autres étoiles de toutes couleurs (c'est joli mais ne va pas sans faire des difficultés pour la lecture...).

RGiraud-RDoisneau-Etoilesno.jpg
Réédition des Etoiles noires de Paris de Robert Giraud par Bernard Dattas, 2009

      Bonne idée qu'a eu là Bernard Dattas (qui ne paraît pas à son coup d'essai, d'autres ouvrages ont semble-t-il été réalisés auparavant sur lesquels je n'ai que des ouï-dire, le monsieur cultivant, semble-t-il, un certain secret). On découvre ainsi l'ensemble des personnages qu'avait évoqués Giraud en 1950, ceux que j'ai déjà cités, plus Armand Févre, André Gellynck, Salkazanov, M. Dassonville et sa cane Grisette, Gustave Rochard, M. Nollan dit l'Amiral, le peintre Héraut, Pierre Dessau qui se baladait en costume Directoire et juché sur un grand Bi à travers Paris... Malheureusement je ne puis renvoyer mes lecteurs à une quelconque adresse qui leur permettrait d'avoir accès à leur tour à cette charmante publication. A moins que M. Dattas, s'il nous lit, veuille bien éclairer nos lanternes.

 Les étoiles noires de Paris par Robert Giraud et Robert Doisneau, édité par Bernard Dattas.jpg
L'ouvrage étoilé une fois ouvert... Une photo de Frédéric Séron par Robert Doisneau apparaît à droite 

 

 

14/11/2009

André Breton, lettres à Aube

Lettres à Aube, André Breton, éd. Gallimard,2009.jpg     Gallimard vient de publier dans la collection blanche les "Lettres à Aube" qu'André Breton a envoyées des  années 30 aux années 60 à sa fille. Cette publication est le signe avant-coureur de la correspondance plus générale du poète du surréalisme que l'on verra publiée, probablement en plusieurs volumes, tant elle s'annonce profuse et variée, à partir de 2016 (conformément à ses volontés testamentaires, qui ne s'appliquaient pas à la correspondance détenue par sa femme et sa fille). Tout amateur du surréalisme ne peut que s'en enchanter. Car la vie du poète fait partie d'un ensemble uni indissolublement à son oeuvre, à son message général face à la vie et à la société, à la philosophie du surréalisme qui comme on sait n'est pas un mouvement limité à une esthétique, qu'elle soit plastique ou littéraire. Breton vivait au sein d'un faisceau de signes, d'évènements, de rencontres (importance, incroyable peut-être aux yeux d'un contemporain, de la place prise par la sociabilité dans ce qui ressort de cette correspondance... Les amis, la famille aimée, l'amour, que le poète ne cesse de réclamer autour de lui) qu'il assemblait dans une recherche attentive à en dégager les significations merveilleuses latentes.

Détail André Breton et Aube Elléouët en 1959-1960 à l'expo internationale du surréalisme à la Galerie cordier, p. William Klein.jpg
André Breton et sa fille Aube à sa droite, détail d'une photo de William Klein parue dans Vogue à l'occasion de l'exposition internationale du surréalisme, Eros, à la Galerie Cordier, 1959-1960

     Pour ne se cantonner qu'aux allusions à des sujets qui nous occupent plus particulièrement sur ce blog, les rapports à l'art brut, à l'art naïf et l'art populaire, on trouvera dans cette correspondance quelques notations intéressantes.

Miguel Hernandez, Portrait d'André Breton, 1952, vente Breton à Drouot en 2003.jpg
Miguel Hernandez, portrait d'André Breton, 1952 (extrait du catalogue de la vente Breton par Calmels-Cohen)

       Dans la lettre du 12 octobre 1948, Breton décrit à sa fille, alors âgée de treize ans, son projet d'Almanach de l'art brut (à noter qu'il ne fait aucune allusion à Dubuffet...): "Tu te demandes peut-être ce que ça peut être que l'art brut? Cela groupe tous les tableaux et objets que font quelquefois des gens qui ne sont pas artistes: par exemple un plombier-zingueur, un jardinier, un charcutier, un fou, etc. C'est extrêmement intéressant". "Des gens qui ne sont pas artistes", c'est à souligner, en ces temps où le terme d'artistes, appliqué aux créateurs de l'art brut, ne cesse plus d'être employé à tout va. En quatre lignes, ce père attentif à faire passer ce qu'il croit bon de faire apprécier à son enfant trouve les mots clairs et accessibles, résumant finalement assez bien le sujet pour un premier contact.

      Il faut attendre une dizaine d'années plus tard pour trouver dans une lettre du 16 juillet 1958 une autre allusion cette fois à son intérêt pour l'art naïf. "J'attends l'arrivée, par les soins du camionneur, d'une vingtaine de tableaux naïfs que j'ai prélevés dans la soupente de l'atelier rue Fontaine et qui me semblent devoir ici [ dans sa maison de Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot] égayer un peu tous les murs." On se demande à quoi pouvaient ressembler ces tableaux. Certains ont-ils fait partie de la vente Breton en 2003 à Drouot? Cela serait plausible, quand on se rappelle (et le catalogue de la vente par Calmels-Cohen aide à s'en souvenir) le nombre de tableaux naïfs que collectionnait Breton, par des peintres connus, Ferdinand Desnos, Hector Hippolyte, André Demonchy, Miguel Vivancos, par exemple, ou  moins connus comme Alphonse Benquet, voire des peintres anonymes (le catalogue présente plusieurs oeuvres "d'auteurs non identifiés").

Naïf anonyme,anc. coll. André Breton,vente 2003 par Calmels-Cohen.jpg
"Auteur non identifié", titre "Le retiro", tableau naïf ayant appartenu à André Breton, Catalogue de la vente 2003 par Calmels-Cohen

       Breton s'est à maintes reprises passionné pour des autodidactes, comme son ouvrage Le surréalisme et la peinture le montre déjà abondamment. Une nouvelle preuve nous en est administrée à la page 121 de cette correspondance inédite (lettre du 11 septembre 1958 destinée à Aube et son mari Yves Elléouët). "Hier, avec Joyce et son mari, nous sommes allés voir ce vieux boulanger-sculpteur de Corbeil dont je crois vous avoir déjà parlé. J'ai ramené de lui un tableau ultra-naïf qui n'est pas sans charme." Eh bien, le "boulanger-sculpteur de Corbeil", ça ne vous rappelle rien, ô vous lecteurs fidèles et assidus de ce blog? Mais bon sang, c'est bien sûr, comme aurait dit le commissaire Bourrel, il s'agit là de Frédéric Séron une fois de plus! En 1958, tout le monde allait chez lui, Doisneau, J-H. Sainmont, Breton, Dumayet, Gilles Ehrmann, et même ce grand mondain frelaté qu'était Cocteau (qui avait acquis des sculptures de Séron pour sa propriété de Milly: toujours présentes?). J'aimerais bien savoir où est passée finalement ce "tableau ultra-naïf" que Breton eut la bonne idée de sauver en l'achetant... Est-ce un des tableaux étiquetés par Calmels-Cohen, "auteur non identifié", là encore (mais il ne semble pas, voir ci-dessous)? Wait and see... Qui dissipera le mystère? Pour en savoir plus sur les peintures que faisait Séron, à côté des statues qu'il avait mises dans son jardin, on se reportera au documentaire-interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA que j'ai déjà évoqué et mis en lien sur ce blog (voir ci-dessus, le nom Frédéric Séron). Deux tableaux y sont commentés, dont une "Chasse à courre" et une "Paix chez les animaux". Ultra-naïfs en effet... A noter cependant que les tableaux de Séron étaient signés à gauche en bas, selon ce que répond Séron lui-même à Dumayet dans l'interview. On devrait donc pouvoir facilement les identifier si on les retrouve...

Tableau de frédéric Séron, chasse à courre, extrait du documentaire de Pierre Dumayet, Ina.fr.jpg
Un des tableaux montrés pendant l'entretien avec Pierre Dumayet mis en ligne par l'INA, une chasse à courre, avec un parachutiste dans le ciel, souvenir de guerre de Séron ; on se rend un peu mieux compte ainsi de la manière "ultra-naïve" évoquée par André Breton

 

25/10/2009

Frédéric Séron

     Retour vers le passé, ce sera l'incipit pour aujourd'hui.

     J'espère que l'INA ne m'en voudra pas de leur faire un peu de publicité en les mettant en lien avec mon modeste blog. Ainsi que de la mise en ligne de quelques photos capturées grâce à l'obligeance du camarade Jean-Jacques que je remercie hautement ici, et d'abord pour le renseignement précieux qu'il m'a fourni: sur le site de l'INA, on trouve depuis quelque temps, dans la rubrique "le journal de votre naissance", à la date du 25 octobre 1961, un reportage intitulé "Poésie pas morte" où l'on nous parle d'une exposition sur des oeuvres d'autodidactes (on reconnaît bien vite des photos de Gilles Ehrmann, qui était à cette date sur le point de publier son livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps, publié au 4e trimestre 1962 ).

poésiepasmorte8.jpg
Image d'ouverture du reportage, 1961, ina.fr

    L'exposition n'est pas autrement décrite, ni située. Nous sommes dans un fragment de journal d'actualités (on le trouve à la 5e minute - à peu prés - du journal  qui parle aussi d'inondations au Japon, d'affrontements entre Wallons et Flamands, de refoulements par avions de manifestants "musulmans algériens" de la France vers l'Algérie, de Kroutchev et d'autres sujets de l'actualité de l'époque). Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'ouvrages - notamment ceux qui ont été faits sur Gilles Ehrmann qui ne situent ses premières expositions qu'à partir de 1965... - qui puissent renseigner sur l'exposition en question. Qui est l'auteur du reportage? On ne nous le dit pas non plus.

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Frédéric Séron peignant l'effigie de Clémenceau, "le Père la Victoire", 1961, ina.fr
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Sirène au premier plan et Clémenceau au bout de l'allée, chez Frédéric Séron dans les années 50, photo extraite du livre de Gilles Ehrmann, Les inspirés et leurs demeures

      Toujours est-il qu'on voit tout à coup, après l'introduction d'usage qui est consacrée à des images de l'exposition, d'autres vues prises cette fois directement sur les sites des divers inspirés évoqués dans l'expo. Autant dire que sur ces créateurs-là les films ne courent pas les rues, et ce dernier reportage pourrait bien être l'un des seuls (1): on découvre ainsi, revenus du passé en pleine forme, leurs oeuvres encore toutes fraîches, Frédéric Séron et ses statues du Pressoir-Prompt (aujourd'hui  son jardin et sa maison ont semble-t-il disparu pour cause d'élargissement de la Nationale 7 qui les longeait dans l'Essonne), Raymond Isidore, dit Picassiette, en train de composer une mosaïque sur le sol devant sa petite maison, la paume de la main remplie de fragments d'assiettes, sa femme en train de coudre sur la machine que son mari avait également couverte de mosaïque, ou encore M. Marmin, le pépiniériste des Essarts en Vendée, qui avait taillé des animaux dans des arbustes sur une prairie prés de sa maison (le jeune homme qu'on voit tailler les arbustes est probablement un acteur, car Marmin photographié par Ehrmann n'a pas du tout la même apparence, ni le même âge...).

PicassietteJPEG, scène du Nouveau Testament en silhouettes blanches, Les J de l'AI, 1981.jpg
Picassiette, scène biblique, photogramme extraite des Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1982

     Frédéric Séron est montré en train de  confectionner ses statues, disposant son ciment sur des armatures de fil de fer, badigeonnant une de ses statues dont le commentaire nous apprend fortuitement le nom (Un "Père la victoire" évoquant Georges Clémenceau, à qui l'on attribue la victoire de la Guerre 14-18), enfermant dans ses statues nous dit-on "sa carte de visite et le journal du jour".

      On peut continuer à fouiller dans les archives de cette INA ouverte (depuis peu, semble-t-il) à l'art brut du passé, et notamment prolonger la recherche sur Frédéric Séron, sur lequel il existe de rares documents écrits (2), surtout accessibles du grand public. On trouve sur leur site un autre document rare, nettement inconnu  des chercheurs jusqu'à présent à ce que je subodore... Une interview de Frédéric Séron par Pierre Dumayet dans Lectures pour tous du 25/03/1954 (production RTF). Après des vues sur les statues du jardin (c'est muet, pas la peine de vous exciter sur votre ordinateur!), au bout d'une minute et des poussières, tous deux causent familièrement assis au jardin en toute cordialité du travail de Séron et de son contenu ("Dites donc M. Séron c'est pas par hasard si on trouve une Porteuse de pain dans votre maison...", "Ben oui, j'ai été trente ans boulanger..."), tandis qu'en fond sonore dialoguent des poules fort glousseuses. Il y révèle qu'il enfermait dans ses statues toutes sortes de journaux, pas seulement dans la perspective comme le signale de son côté Ehrmann, de fabriquer des sortes d'âmes dans des boîtes, mais plutôt avec l'arrière-pensée de mêler sa propre identité à celles des hommes qui faisaient l'Histoire de son temps. Il y avait certainement dans cette démarche un peu d'un rituel magique naïf, écho de rituels païens plus anciens et oubliés. Certains de ses sujets y sont évoqués pour les modèles qui les ont inspirés (la patineuse, la danseuse, "L'Etoile polaire"...). Séron avoue dessiner ses sujets au préalable, il parle un peu de sa technique (des balles de la guerre de 14-18 servaient de crocs au lion de 100 kilos qu'enserrait un serpent et que l'on voyait en premier lorsqu'on découvrait le jardin dans les années 80).

SéronLesanimauxsurlegarage5.jpg
Frédéric Séron, le lion sur le toit du garage au Pressoir-Prompt, photo extraite du n° spécial "Art naïf" de la revue Phantômas (1956)

    On y voit aussi, chose rarissime, des images des tableaux naïfs que confectionnait Séron. Du reste, Ehrmann a photographié Séron dans son intérieur devant une magnifique fresque naïve peinte sur un des murs de son logis (c'est sans doute par ces tableaux naïfs que le critique de l'art naïf Anatole Jakovsky est venu lui aussi visiter Séron dans les années 50). Dans l'interview de Dumayet, Séron commente en direct deux de ses tableaux, dont une chasse à courre, qui est le support de souvenirs, de récits, notamment liés à la guerre de 14 dont on comprend que Séron, ancien combattant, avait été copieusement marqué. Le second, intitulé "La paix chez les animaux", paraît remarquable.

     Rien de mieux pour se faire une idée vivante et réelle du genre de personnage et du type de créateur que ce petit documentaire de 8 minutes... Allez... Tous à l'INA...!

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(1). J'ai fait quelques images en Super 8 sur ce qu'il restait du site de Frédéric Séron au Pressoir-Prompt en 1987, des statues verdâtres, d'autres enfouies sous les ifs qui en croissant les avait recouvertes, la maison fermée et inhabitée ; j'avais rencontré à l'époque un voisin qui nous avait confié, à moi et à Jean-Claude Pinel, qu'il avait conservé quelques sujets, peu importants semblait-il, et qu'il surveillait le devenir de la maison : peut-on espérer qu'au Pressoir-Prompt, on ait songé dès lors à sauvegarder à part quelques oeuvres de Séron? Mon petit film a été incorporé dans l'ensemble plus important qui s'intitule Les Jardins de l'art immédiat.

(2). On peut lire sur Séron outre le livre de Gilles Ehrmann déjà cité, le très bon livre de Charles Soubeyran, Les Révoltés du merveilleux, aux éditions Le Temps qu'il fait (2004), consacré à Ehrmann et à Robert Doisneau. Ces derniers ont tous les deux photographié Séron. Soubeyran donne des pistes bibliographiques par la même occasion, il rappelle l'article que Robert Giraud publia en 1950 (soit dix ans avant Ehrmann), "Etoiles noires de Paris: Frédéric Séron est le bon Dieu du paradis des animaux" dans Paris Presse-L'Intransigeant, article qu'illustraient deux photos de Doisneau. Ce dernier évoque lui-même Séron dans son livre de souvenirs, A l'Imparfait de l'objectif (p. 131, - et non pas p.73, M. Soubeyran... - éd. Belfond, 1989). Anatole Jakovsky a évoqué, quoique vraiment entre les lignes, la figure de Séron dans Les Peintres Naïfs (éd. La Bibliothèque des Arts, 1956). J'ajoute à cette bibliographie deux références que peu de gens ont dû repérer, je gage... Dans un n° spécial de la revue Phantômas, consacré à l'Art naïf (n°7/8, hiver 1956), revue dirigée par Marcel Havrenne, Théodore Koenig et Joseph Noiret à Bruxelles, on trouve quelques photos (voir ci-dessus, ci-dessous, et ci-contre) du site de Frédéric Séron, et notamment une photo du créateur en compagnie du mystérieux pataphysicien J-H. Sainmont que l'on aperçoit - anonymat, et peut-être supercherie, obligent - de dos seulement... Les commentaires des photos sont de Sainmont.Phantômasnuméro1504,1956.jpg Une autre référence encore par rapport à Séron: l'article de Ralph Messac, "Un ancien boulanger a fabriqué un paradis en ciment" dans L'Information n°1504 du 7 septembre 1955 qui dénombre à l'époque (Séron, né en 1878, disparaît en 1959) 90 statues. A Dumayet, passé en 1954, il en signalait 88, dont une en cours... Ces chiffres paraissent donc authentiques. En 1987, lors de mon passage j'en vis nettement moins...   

Phantômas2pagesArtNaïfSéron.jpg
Deux pages sur Séron (et Camille Renault) dans Phantômas n°1504, 1956