Il y a cent ans mourait l'abbé Fouré: le Guide de son Musée des bois sculptés réédité dans un dossier signé Bruno Montpied (02/02/2010)
Ouf, ça y est enfin, est paru le dossier que je préparais depuis des lustres sur les sculptures en bois de l'abbé Fouré, parfois appelé aussi l'ermite de Rothéneuf. Il sort dans une revue nouvelle, L'Or aux 13 îles, d'inspiration surréalisante, concoctée par le poète et collagiste Jean-Christophe Belotti, qui en l'espèce avec la collaboration d'un bon maquettiste, Vincent Lefèvre, a réalisé là un très bel objet (108 pages, illustrations noir et blanc et couleurs en majorité) .
N°1, janvier 2010. Cent ans après la mort de l'abbé, je tire ainsi mon chapeau à la mémoire de cet extraordinaire sculpteur de roches à l'air libre (sur la côte, au-dessus de la Manche, nous sommes dans la banlieue de St-Malo, dans un bourg qui fut autrefois du temps de l'abbé, au début de l'autre siècle, une station balnéaire en vogue) et sculpteur aussi, ce que l'on sait un peu moins, de bois aux formes tourmentées qu'il entassait dans son "ermitage" au coeur du bourg. Les cartes postales ont popularisé ces statues géniales qui étaient joyeusement peinturlurées en outre (ce que les cartes en noir et blanc ne révèlent malheureusement pas).
Le dossier se divise en deux parties, une introduction qui resitue le personnage, son oeuvre, et retrace également les étapes qui m'ont mené à découvrir vers 1989 l'existence d'un document étonnant que personne jusqu'ici n'avait songé à rééditer en son intégralité (en l'occurrence, en fac similé), le Guide du Musée de l'ermite, daté de 1919 (la même année que La Vie de l'Ermite de Rothéneuf, autre petite brochure plus biographique dûe à la plume de l'historien régional Eugène Herpin, dit "Noguette" et imprimée dans la même maquette chez le même imprimeur de St-Malo (R. Bazin)). Les lecteurs de ce modeste blog se souviendront peut-être que je l'ai mis en ligne ici même à la date du 24 septembre 2009. Ce Guide décrit par le menu les oeuvres que conservait le musée après la mort de l'abbé. Dans cette réédition de L'Or aux 13 îles, j'ai bien entendu mis en parallèle les cartes postales montrant les oeuvres décrites. Tout fonctionnait ainsi à merveille à l'époque pour les estivants qui visitaient l'Ermitage de Haute-Folie (tel était le nom de l'habitation de l'abbé). On pouvait repartir avec un guide et des images sur cartes postales. Ces dernières sont plus rares aujourd'hui que celles représentant les rochers sculptés, car les pièces sculptées et l'ermitage ont désormais disparu tandis que les rochers subsistent, sans qu'on sache très bien à quel moment l'anéantissement eut lieu (il faudra faire confiance aux chercheurs qui nous suivront pour éclairer ce point).
Pour marquer le coup de cette parution (veuillez lire les renseignements pratiques pour l'acquisition de la revue au bas de cette note), je ferai un exposé sur l'abbé Fouré à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard à Paris (18e ardt), le dimanche 7 février prochain à 15 heures, illustré de photos des sculptures de l'ermite, sur bois et sur roches. Jean-Christophe Belotti sera également là pour présenter la revue et toute l'étendue de son sommaire qui ne se limite pas, loin de là, à mon dossier sur l'ermite. On y trouve de nombreuses collaborations, un dossier fort important sur le peintre surréaliste discret Jean Terrossian, un article sur le film Démence de Jan Svankmajer, des textes polémiques à propos de Sade et de Nadja par Jean-Pierre Guillon pour le premier, et par Jorge Camacho, Bernard Roger et Alain Gruger pour la seconde, une enquête sur l'exaltation avec des réponses de Roger Renaud qu'illustrent des oeuvres de Josette Exandier fort belles ma foi. Le tout coiffé d'un éditorial rédigé par Jean-Christophe Belotti dont les collages parsèment la revue.
10:10 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : l'or aux 13 îles, environnements spontanés, abbé fouré, ermite de rothéneuf, rochers sculptés de rothéneuf, jean terrossian, jan svankmajer, nadja, art brut | Imprimer
Commentaires
Bonsoir,
je me suis permis de relayer votre information (en empruntant votre illustration : en cas de problème je la retirerai, avec regret...) :
http://artscollagescartespostales.centerblog.net/324-or-aux-13-iles-revue-n-1
Bien cordialement,
Martine Zimmer
Écrit par : Martine Zimmer | 31/01/2010
Mais non, ça va très bien. Merci beaucoup du coup de pouce.
Écrit par : Le sciapode | 31/01/2010
Bonjour,
J ai lu avec attention votre article sur l Abbé FOURE, et je voudrais savoir
dans quelle ville se situe la salle st pierre ?
Je suis près de ST MALO et j ai travaillé 2 ans sur ce site.
merci
joëlle
Écrit par : Joëlle | 05/02/2010
Ah, Joëlle, vous n'êtes pas très familière de la HALLE St-Pierre? Pas grave. A votre intention, j'ai ajouté l'adresse dans ma note, il est vrai un peu trop destinée aux amateurs parisiens. Je pensais naïvement que les non parisiens, amateurs d'art brut, naïf et populaire, en avaient entendu parler. Mais peut-être êtes-vous fraîchement arrivée sur la question? Il ne vous reste cependant plus que deux jours, et même un jour et demi pour nous rejoindre dimanche à 15 h pour la causerie Fouréenne. Ca va être just...
Mais en acquérant la revue, vous retrouveriez l'essentiel des éléments nouveaux que je pense apporter (par rapport à tout ce qui a été publié à ce jour) sur la question (pas si nouveaux pour vous si vous étudiez la question comme vous dites?). Lisez la revue et on en reparle, voulez-vous?
Écrit par : Le sciapode | 05/02/2010
Rigueur et merveilleux, tu as tout à fait raison, mon cher Bruno, dans l'introduction de ton édition du Guide du Musée de l'abbé. Je viens juste de lire l'article et c'est une chose franchement très réussie. Une des meilleures que tu nous aies données, je crois bien. Le cadre de la belle revue de l'ami Jean-Christophe ne gâche rien, c'est entendu. Une tendre amie t'avait trouvé quasi lyrique à la Halle Saint-Pierre et de toute évidence, l'abbé t'est une formidable source d'inspiration.
Deux remarques sur tes notes.
Note 15, je crois que tu te trompes. Le "Chantre de l'abbé" ne doit pas être un thuriféraire littéraire ou journalistique de l'abbé, mais plus banalement le personnage chargé du chant au lutrin pendant sa messe.
Je trouve bizarre la note 17 et l'évocation d'une christianisation des objets trouvés parce que justement le sujet sculpté sur cette côte de baleine - les lions de l'acropole de Suse - est un bel exemple d'art lié au paganisme antique...
Bon, tout ça n'enlève rien au plaisir.
Avec enthousiasme,
Emmanuel Boussuge.
Écrit par : Emmanuel Boussuge | 28/02/2010
Merci des compliments, Emmanuel.
Réponse à tes deux remarques. "Le chantre de l'ermite" (et non pas de "l'abbé"). Ce que tu proposes est possible. Mais il faut savoir qu'à ma connaissance l'abbé n'exerçait pas son ministère à Rothéneuf où il s'était retiré du fait de sa surdité qui l'handicapait. Donc il n'avait pas de chantre dans cette localité. Mais cela peut tout de même faire référence au chantre de l'église de Rothéneuf (où l'abbé allait donner des coups de main tout de même). Du fait de ce non exercice, je me suis cru fondé à proposer une autre interprétation, celle d'un thuriféraire comme tu l'écris.
Pour la note 17 sur "la côte de baleine", je reconnais qu'elle est un peu imprécise, si on la rapporte étroitement à l'objet auquel elle est accolée. En réalité c'est un développement qui arrive un peu en supplément des notes précédentes (sur "Merlin l'enchanteur"), parce qu'il n'y avait pas assez de place pour tout metre sur une seule note. Elle se détache en fait de l'objet côte de baleine pour le sujet qui est représenté dessus en n'en retenant que le support matériel (l'os), et se mue insidieusement en une extrapolation vers d'autres statues plus inspirées des formes naturelles brutes, comme le bois flotté en forme de croix que l'on aperçoit sur la carte montrant Don Gobérien, bois placé derrière ce dernier (carte E). Mais c'est vrai que l'abbé n'est pas systématiquement occupé de transformer les formes naturelles en interprétations édifiantes, il les laisse aussi parler d'elles-mêmes, ou les laisse parler une langue mythologique prisée par le populaire (Gargantua, personnage qui paraissait lui plaire passablement), liée aux antiques paganismes.
Écrit par : Le sciapode | 01/03/2010
L'abbé Fouré était abonné à la revue "L'Antijuif" de Jules Guérin.
Pour + d'infos, Librairie de la Licorne Bleue à Paris...
Écrit par : jules | 25/03/2010
Plus d'infos sur quoi ?
Écrit par : jean | 25/03/2010
A "Jules"
Comme "Jean", je pourrais répéter: "plus d'infos pour quoi?"
Suggérez-vous que par cet abonnement, on pourrait avancer que l'abbé Fouré était antisémite? De quelle durée fut cet abonnement, au fait? Et tout d'abord, quel document prouve qu'il était abonné (pouvez-vous envoyer à l'adresse e-mail du Poignard un document en fichier joint)?
Dans mon dossier, je suggère qu'il a pu être favorable au colonialisme et qu'il a pu être imprégné d'un racisme bêta (il faudrait cependant déterminer plus exactement qui fut le véritable auteur des légendes des sculptures qui furent reproduites neuf ans après sa mort dans le Guide du Musée, l'abbé ou le propriétaire du musée). Le guide ne porte nulle trace d'antisémitisme dans les légendes des sculptures évoquées, il m'a semblé.
Écrit par : Le sciapode | 25/03/2010
N'oublions pas que l'abbé Fouré, avant d'être un singulier de l'art, était un prêtre catholique et que la religion chrétienne est ontologiquement antijuive, puisque pour elle les Juifs sont les assassins du Christ. (Cela explique notamment que le juriste catholique Carl Schmitt, conseiller d'Etat jusqu'en 1945 et président de l'Association nationale-socialiste des juristes allemands, ait été le théoricien du droit politique de l'Allemagne nazie et ait justifié l'antisémitisme par la théologie chrétienne). Mais tout simplement, il n'y aurait rien d'étonnant à ce que l'abbé Fouré ait été atteint par la psychose antisémite agitée par un Drumont à l'époque de l'affaire Dreyfus. On ne peut cependant pas non plus déduire d'un abonnement à une revue l'adhésion aux thèses qu'elle défend.
Écrit par : L'aigre de mots | 25/03/2010
En regardant le site de cette librairie on comprend mieux le ton abrupt de cette "révélation": plutôt que la dénonciation d'un antisémitisme supposé, il s'agirait donc plutôt d'une revendication posthume que rien ne vient pourtant corroborer dans l'oeuvre de l'abbé. La seule question qui importe est de savoir, si c'est le cas, en quoi cet antijudaïsme nous aide à comprendre cette oeuvre. Je suis curieux de la réponse, mais je subodore qu'il n'y en aura pas.
Écrit par : jean | 26/03/2010
Haine du Juif, mépris du nègre et du colonisé en général, également, bien sûr. Le rappel fait par l'Aigre de mots est juste et sain. J'applaudis. Il est bon de rappeler la position de la canaille catholique en ce domaine. Mais j'ai aussi envie de dire : "Rien d'étonnant en 1900!", car ces présupposés modelaient passablement tout l'univers mental de "l'homme du commun". Ils le modèlent moins maintenant, peut-être, mais voire... Quant aux curés, sans même parler des francs réactionnaires, grattez le tiers-mondiste, vous trouverez un colonialiste, grattez l'oecuménique, vous trouverez un antisémite. Comme souvent ailleurs du reste, tels ces pères la pudeur qu'on retrouve un jour entre les reins des petits garçons, les bons propos de façade masquent juste l'ignominie correspondante qu'on veut cacher à la foule. Ne demandons pas plus au Père Fouré que ce qu'il a déjà fait.
Régis Gayraud
Écrit par : Régis Gayraud | 26/03/2010
Attention, Aigre à deux têtes et Régis, à ce que l'on ne glisse pas trop vers l'amalgame église chrétienne (avec les griefs fondés que vous lui reprochez) = abbé Fouré. Ce n'était qu'un petit curé de province, un "homme du commun" certes, avec les idées de son temps, la tête tourneboulée par l'empire colonial français et ses conquêtes de l'époque (le Dahomey par exemple avec son roi Behanzin déposé par les Français, la Chine).
Il ne va pas non plus supporter toutes les critiques que l'on a le droit d'adresser au christianisme.
Avant de le juger, il faut d'abord déterminer exactement ses opinions, en documentant sa vie. C'est ce que j'ai essayé de faire. Il reste cependant beaucoup à retrouver.
Quand on regarde l'oeuvre qu'il nous a laissée, les rochers sculptés encore en place, malgré l'usure, et les cartes postales mirages si suggestifs de ses anciennes sculptures en bois, ses opinions politiques ne paraissent pas compter pour beaucoup sur la portée à longue distance de sa statuaire. Je rejoindrai là-dessus le commentaire de "Jean".
Et n'oublions pas aussi que lui-même, du moins ses statues en bois, d'après la légende (à vérifier donc), a été victime des Allemands, puisque ce serait ces derniers selon la rumeur qui auraient détruit les dernières statues encore en place dans les années 40. L'art de l'abbé Fouré fut-il assimilé à de l'art dégénéré?
D'autre part, son oeuvre a aussi avant cela été sévèrement jugé par un certain A. de Bersaucourt dans "La Revue Critique" (TXXXII, n°189, 25 mai 1921, Paris) où il avait publié un article intitulé de façon plus que narquoise "L'art nègre à Rothéneuf". Il s'y moque d'une manière qu'il croit subtile des "effarants résultats" de la "longue entreprise" de sculpture de l'abbé telle qu'il la vit dans le musée de Rothéneuf (l'un des rares mérites de cet article est de nous confirmer que ce musée était donc toujours debout en 1921). Ce plumitif qui se gausse de l'influence de l'art africain sur l'art moderne écrit aussi ces lignes: "...quelle richesse d'enseignement dans l'humble maison de Rothéneuf! Nous ne saurions trop le dire aux énergiques et lucides théoriciens qui comprennent la nécessité de régénérer au contact de Bamboula une inspiration affaiblie par les Rodin et les Bourdelle, l'abbé-sculpteur a prodigué son inépuisable génie sous mille formes dont chacune est un exemple." Intéressant jugement, non?, qui cherche à stigmatiser, croit-il plaisamment (mais qui est en sous-main raciste), l'art brut de l'autodidacte Fouré perçu alors comme imprégné d'art primitif africain, alors que par ailleurs l'abbé dans ses intentions se voulait le chantre de la domination de l'homme occidental.
Pouvait-il prévoir, l'abbé, qu'un jour on viendrait comparer son art de sculpteur à celui des colonisés qu'il devait peut-être regarder de haut?
Écrit par : Le sciapode | 26/03/2010
J'étais curieux de la réponse de ce libraire concernant l'influence de l'antijudaïsme de l'abbé sur son oeuvre. Je reste sur ma faim. "Pour plus d'infos" écrivait-il en indiquant les références de sa librairie, je n'ai rien trouvé concernant l'abbé Fouré mais j'y ai par contre trouvé le tout venant de la littérature nationaliste. Faut-il comprendre là la volonté de ce courant de pensée de s'accaparer l'art populaire jusqu'à ses expressions les plus originales ? Comme j'ai feuilleté récemment le magazine gazogène qui prétend quant à lui découvrir une inspiration religieuse à cet art si singulier, je commence sérieusement à m'inquiéter de certaines des motivations aujourd'hui en vogue concernant ces créations spontanées.
Écrit par : jean | 05/04/2010
Foin de la récupération de l'art brut ou des arts populaires par la racaille curetonne ou néo-vichyssoise ! Il convient de toujours se rappeler que la puissance imaginative qui émane de ces œuvres transcende très souvent la conscience mystifiée de leurs créateurs; et, par voie de conséquence, que rabattre celle-là sur celle-ci relève de la plus grossière malhonnêteté intellectuelle. En tout cas, bravo, chez Sciapode, pour votre excellent dossier, qui joint le souci de l'exactitude à la clarté de l'énonciation pour le plus grand plaisir du lecteur; sans oublier l'abondante iconographie que vous avez rassemblée pour l'occasion dans la superbe revue de Jean-Christophe Belotti.
Écrit par : L'aigre de mots | 06/04/2010